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La pandémie, une nouvelle menace pour les Rohingyas au Myanmar

Les autorités birmanes instrumentalisent la réponse au Covid-19 pour harceler et extorquer des Rohingyas

Publié dans: The Diplomat

Voici à quoi ressemble la vie des 130 000 Rohingyas déplacés à l’intérieur du Myanmar, piégés dans les camps de détention de l’État central de Rakhine : ils n’ont aucun avenir, un accès limité aux terres ou à des moyens de subsistance. Ils dépendent de l’aide étrangère et succombent à des maladies évitables en raison d’un accès limité aux soins de santé. Les abris, construits en 2012 pour durer deux ans, se sont détériorés. La plupart des enfants ne peuvent suivre des cours basiques que dans des lieux d’apprentissage temporaires.

Les autorités birmanes instrumentalisent la réponse au Covid-19 comme prétexte pour harceler et extorquer les Rohingyas et renforcent le système grâce auquel elles emprisonnent déjà de fait la population. Les Rohingyas des camps ont déclaré à Human Rights Watch que les forces militaires et de police les persécutent régulièrement en les soumettant à des châtiments corporels à des postes de contrôle. Une femme rohingya a déclaré que la police lui avait ordonné de faire des abdominaux pendant 30 minutes pour ne pas avoir porté de masque à un poste de contrôle, jusqu’à ce qu’elle s’effondre. Un homme a témoigné que des gens étaient contraints d’effectuer des flexions à un poste de contrôle, les mains sur les oreilles.

La semaine dernière, le gouvernement du Myanmar a remis son premier rapport très attendu à la Cour internationale de Justice (CIJ) – à la suite de l’ordonnance unanime en date du 23 janvier de la Cour en matière de mesures conservatoires –, dans lequel il explique son action pour protéger les 600 000 Rohingyas de l’État de Rakhine, qui restent sous la menace de génocide selon un organisme d’enquête des Nations Unies.

Ce que notre examen de l’action gouvernementale depuis janvier a révélé ? Pas grand-chose.

Pour les Rohingyas, la réalité sur le terrain est désastreuse : « des restrictions étouffantes et systémiques » imposées à ceux qui restent dans l’État de Rakhine, susceptibles d’indiquer un génocide en cours. Le gouvernement a établi les camps à la suite d’une campagne de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité menés contre les Rohingyas dans le centre de l’État de Rakhine en 2012. Près de huit ans plus tard, ceux-ci se trouvent toujours dans des camps de détention de facto cernés par des clôtures, des policiers et des militaires.

Le Myanmar a une longue histoire de création de comités et de commissions fantoches pour apaiser les critiques, mettre en échec une véritable saisine internationale et mettre fin aux pressions en faveur de réformes. Mais les juges de la CIJ ont clairement indiqué que le Myanmar doit présenter « des mesures concrètes visant spécifiquement à reconnaître et à garantir le droit des Rohingyas d’exister en tant que groupe protégé au titre de la convention sur le génocide. »

Dans des entretiens récents avec Human Rights Watch, des Rohingyas déplacés dans les camps de Sittwe ont décrit un éventail familier d’exigences de distanciation sociale, de lavage fréquent des mains et de port de masques, qui s’appliquent également à la population générale du Myanmar. Les conséquences en cas de non-respect sont moins connues.

Une femme rohingya nous a confié que les membres de sa communauté, qui ne sont pas autorisés à franchir les postes de contrôle de Sittwe sans masque, sont condamnés à une amende ou à des sanctions s’ils n’en portent pas. Pourtant, les autorités n’ont pas fourni suffisamment de masques aux Rohingyas dans les camps. Plusieurs résidents nous ont indiqué qu’une famille entière devait se partager un seul masque parce qu’elle ne pouvait pas se permettre d’en acheter un pour chaque membre du foyer.

Il n’existe aucune garantie que le respect des règles en vigueur dans le cadre de la lutte contre la pandémie protègera les gens de l’extorsion. Un Rohingya a déclaré : « La police inflige des amendes, même si les gens portent un masque… elle s’est emparée de l’argent dans la poche d’un homme, environ 20 000 » kyats (soit 14 dollars) – une somme considérable dans la mesure où de nombreuses personnes déplacées ne reçoivent qu’environ 15 000 kyats (soit 11 dollars) par mois du Programme alimentaire mondial (PAM) au lieu de rations alimentaires.

L’État de Rakhine, l’un des plus pauvres du Myanmar, est mal préparé à faire face à l’épidémie de Covid-19, mais les risques sanitaires sont encore plus élevés pour les Rohingyas déplacés dans des camps surpeuplés et sordides. Ceux qui ont besoin d’être transférés à l’hôpital général de Sittwe ont du mal à obtenir l’autorisation de quitter les camps, même en cas d’urgence. Un Rohingya a déclaré qu’un responsable cantonal lui avait dit : « Si les gens sont touchés [par le Covid-19], vous devez vous faire soigner dans les camps. Ils ne seront pas admis à l’hôpital. »

Mais les camps ne disposent ni de capacité de dépistage ni de celle de traiter de cas médicaux complexes, comme le souligne le « Plan d’action pour la lutte contre l’apparition du Covid-19 dans les camps de déplacés internes » du Myanmar, qui ne prévoit ni tests ni dispositions pour les personnes déplacées à l’intérieur du pays.

Le Myanmar peut bien invoquer ses récentes directives présidentielles visant à prévenir le génocide, à conserver les preuves et à dissuader les discours de haine comme des signes de progrès dans l’exécution de l’ordonnance de la CIJ.

Mais les gouvernements donateurs et l’ONU, entre autres, qui s’interrogent sur le respect par le Myanmar de l’ordonnance de mesures provisoires de la Cour devraient réfléchir à ceci : les restrictions plus strictes et les risques accrus d’extorsion signifient que si les Rohingyas ont besoin d’un traitement pour le Covid-19, ils devront peut-être renoncer à se nourrir pour acheter un masque.

Mais même avec un masque, ils peuvent encore être harcelés, se voir infliger des amendes et des châtiments corporels à plusieurs postes de contrôle, pour finalement se rendre à l’évidence que la principale clinique des camps – la seule où ils peuvent obtenir une assistance médicale – ne peut les dépister ni leur fournir des soins adéquats. Dans le contexte de la pandémie, ainsi que des combats entre forces gouvernementales et groupes ethniques armés dans l’État de Rakhine, les menaces à la vie et à la liberté des Rohingyas restés au Myanmar ne font que croître.

Le respect de l’ordonnance de la CIJ signifie que le Myanmar doit de toute urgence prendre de réelles mesures pour démanteler le cadre répressif qui a ciblé les Rohingyas se trouvant dans l’État de Rakhine et promouvoir et protéger les droits qui leur sont déniés de longue date. Rien de moins ne ferait que contribuer à la destruction de ce peuple.

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