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Des habitants de Saada, dans le nord du Yémen, regardent l’épave calcinée d’un bus scolaire le 12 août 2018, trois jours après une frappe aérienne qui a touché ce bus, tuant des dizaines de garçons et en blessant d'autres. © 2018 Mohammed Hamoud/Getty Images
Les gouvernements français et britannique poussent l'Allemagne à reprendre son commerce d'armes avec le royaume. Des millions de vies civiles sont pourtant en jeu au Yémen, rappelle l'ONG Human Rights Watch.

Tribune. Quatre ans après le début de la guerre au Yémen, l’Allemagne subit les pressions des gouvernements français et britannique pour reprendre ses ventes d’armes à l’Arabie Saoudite. Pourtant, l’embargo sur les armes décrété par l’Allemagne était la bonne décision et les pays qui vendent encore des armes à l’Arabie Saoudite devraient suivre son exemple.

Pour les Etats membres de l’UE, toute décision concernant la vente d’armes à l’Arabie Saoudite devrait se conformer à la position commune de l’UE adoptée en 2008, à savoir qu’aucune exportation d’armes ne devrait être effectuée s’il existe un « risque manifeste » que ces armes soient utilisées pour commettre de « graves violations du droit humanitaire international ».

Crimes de guerre

Human Rights Watch a documenté des dizaines d’attaques menées par la coalition saoudienne et émiratie au Yémen en violation des lois de la guerre, dont beaucoup constituent des crimes de guerre. Des dizaines de frappes aériennes indiscriminées et disproportionnées ont tué et blessé des milliers de civils, dont de nombreux enfants, et frappé des zones civiles, notamment des marchés, des habitations, des écoles et des hôpitaux. Le conflit armé a fait de terribles ravages parmi la population civile du Yémen et les violations graves des lois de la guerre par les parties au conflit ont exacerbé ce que l’ONU a appelé la plus grande catastrophe humanitaire au monde. Des millions de Yéménites souffrent de famine, des millions sont déplacés.

La coalition s’est engagée à plusieurs reprises à minimiser les dommages causés aux civils lors de futures opérations militaires. Mais en fait, aucun changement pour améliorer ses choix en matière de ciblage ou sa capacité à évaluer les dommages causés aux civils n’a été constaté. Non seulement la coalition n’a pas mis fin à ses violations, mais elle n’a pas non plus enquêté de manière crédible sur les crimes de guerre présumés. Son soi-disant organe d’enquête ne fait rien d’autre que couvrir les atrocités.

En novembre, le Parlement européen a adopté une résolution demandant aux Etats membres de suspendre toutes les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite. L’Autriche, le Danemark, la Finlande et la Norvège (membre de l’Espace économique européen) auraient mis fin à leurs ventes d’armes. Mais pas le Royaume-Uni ni la France, pour lesquels l’Arabie Saoudite reste un gros client en matière d’armements.

En octobre dernier, le président français Emmanuel Macron s’en est pris implicitement à l’appel de la chancelière Angela Merkel en faveur d’un embargo sur les armes contre l’Arabie Saoudite, affirmant que c’était « de la pure démagogie de dire "il faut arrêter de vendre des armes" ». Le ministre britannique des Affaires étrangères a également critiqué la décision de l’Allemagne, ignorant ainsi les récentes conclusions d’un comité parlementaire britannique selon lesquelles le Royaume-Uni contrevient à ses propres règles en matière de licences d’exportation lorsqu’il s’agit de vendre des armes à l’Arabie Saoudite.

Bien qu’elle soit un point important du traité de coalition entre les partis au pouvoir en Allemagne, la CDU/CSU et le SPD, l’interdiction des ventes d’armes n’est vraiment entrée en vigueur qu’après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi dans un consulat saoudien en Turquie en octobre 2018, mettant fin à toutes les ventes en cours, sans exception, en Arabie Saoudite.

De l’intérêt économique

Il ne fait aucun doute que l’interdiction décrétée par l’Allemagne a des répercussions sur les projets de défense européens tels que l’avion de combat Eurofighter. Mais en poursuivant leurs ventes d’armes à l’Arabie Saoudite, malgré les atrocités saoudiennes au Yémen, la France et le Royaume-Uni risquent de se rendre complices de graves abus, envoyant le message que leurs intérêts économiques l’emportent sur la vie des civils yéménites.

Alors que la France et l’Allemagne s’apprêtaient à assurer une présidence conjointe au Conseil de sécurité de l’ONU, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’est engagé, avec son homologue allemand, Heiko Maas, à ce que les deux pays travaillent de concert pour protéger le multilatéralisme, ainsi que « les droits de l’homme et le droit international humanitaire, qui subissent chaque jour des violations dans le monde entier ». Continuer de vendre des armes à l’Arabie Saoudite en dépit des violations du droit international par la coalition qu’elle dirige et faire pression sur l’Allemagne pour qu’elle revienne sur sa décision est en contradiction flagrante avec cet engagement.

« Nous avons, en raison de notre histoire, de très bonnes raisons d’avoir des directives très strictes en matière d’exportation d’armes », a récemment déclaré Mme Merkel. L’Allemagne devrait s’en tenir à ses principes et ne pas faire de compromis au nom du profit et pour éviter des désaccords au sein de sa communauté de défense. La vie et les moyens de subsistance de millions de civils sont en jeu au Yémen. Ils ne devraient pas être sacrifiés sur l’autel d’exigences européennes affaiblies en matière de contrôle des exportations d’armes. Au lieu de faire pression sur l’Allemagne, la France devrait tenir ses promesses et suivre la même voie en mettant fin à ses ventes d’armes au royaume saoudien.

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