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Lorsque Sébastien D., un jeune Camerounais de 17 ans, est arrivé à Paris fin juillet, il a demandé l'aide du système de protection de l'enfance de Paris, espérant être placé dans une famille d'accueil ou dans un foyer. Au lieu de cela, après une nuit dans un logement temporaire, il a dormi Place de la République.

« Pour dormir, tu cherches un angle, tu mets un carton. Si vous trouvez un ancien gentil, il te donne une couverture. Parce que la nuit, il peut faire très froid », dit-il.

Il dort dans la rue parce qu’il n’est pas si simple pour les enfants migrants non accompagnés d’entrer dans le système de protection de l'enfance. Comme beaucoup d'enfants migrants, Sébastien n'avait pas de copie de son acte de naissance sur lui. En principe, il aurait dû avoir la possibilité de prouver son âge par le biais d’un entretien approfondi et d’une évaluation par une équipe pluridisciplinaire. Mais il n’a eu droit qu’à une procédure tronquée - un entretien au cours duquel un examinateur a débité une série de questions, sans aucune explication, puis lui a dit de revenir le lendemain pour récupérer un document attestant qu'on lui avait refusé la reconnaissance officielle comme mineur.

La lettre de Sébastien ressemble à beaucoup d'autres que nous avons vues lors de notre examen des procédures d'évaluation de l'âge à Paris - elle est fondée sur des motifs qui semblent arbitraires.

L'absence de papiers d'identité a joué en sa défaveur, alors qu’il est bien connu de nombreux migrants perdent ces documents au cours de leur périple, et que la loi française prévoit des procédures alternatives pour attester l’âge de ces jeunes. Paradoxalement, bon nombre des décisions écrites que nous avons examinées rejetaient également les actes de naissance et autres documents d'identité présentés, même ceux authentifiés par les ambassades ou les tribunaux du pays d'origine.

Travailler pendant le voyage, comme l’a fait Sébastien, ou avoir pris la décision de voyager seul est aussi souvent considéré comme une preuve de maturité et donc d'âge adulte, même si de nombreux enfants dans monde voyagent sans être accompagnés et davantage encore travaillent, comme Human Rights Watch l'a démontré à maintes reprises.

Lorsque les enfants livrent des récits jugés trop détaillés de leur périple, cela peut être considéré comme un signe de maturité et jouer contre eux. Paradoxalement, là encore, des récits jugés imprécis, par exemple comportant des erreurs mineures sur les dates, jouent aussi en leur défaveur.

De plus, bon nombre des lettres de refus que nous avons examinées se fondent sur l'appréciation par les examinateurs de l’attitude ou du comportement du jeune pour conclure qu'il n'a pas moins de 18 ans. Cette appréciation est purement subjective. Lorsque nous avons demandé sur quels critères elle était fondée, le représentant de la Croix-Rouge que nous avons rencontré a admis qu'il n'existait pas d'instrument validé ou d'autre base objective pour évaluer l'âge par le comportement.

Même le simple fait de franchir la porte d’entrée du centre pour faire attester leur âge et évaluer leurs besoins peut être problématique. Entre février et mai, mes collègues et moi avons parlé à de nombreux enfants qui nous ont dit avoir été refoulés par les agents de sécurité du Dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers (DEMIE), géré par la Croix-Rouge française en vertu d'un accord avec le département de Paris.

Exemple caractéristique, un jeune de 17 ans nous a dit qu'il a vu un agent de sécurité refouler un autre jeune à la porte en disant : « Toi, tu sors, toi, tu n'es pas un enfant ! » Les bénévoles nous ont dit qu'ils avaient souvent été témoins de scènes similaires, où les rejets semblaient fondés sur l’appréciation de l'apparence des jeunes par un agent de sécurité.

Beaucoup d'enfants m'ont raconté que leurs entretiens n’avaient duré que 5 à 10 minutes. A la fin de ces entretiens  « flash », un agent leur dit qu'ils sont « rejetés » et leur remet un dépliant avec l'adresse du juge pour enfants, leur disant qu'ils peuvent y faire réexaminer leur dossier.

Sauf qu’en réalité, ils ne le peuvent pas, tout du moins pas sans une décision écrite. « Les enfants finissent par faire des aller-retours entre le centre d'évaluation et le tribunal », m'a raconté un bénévole d'Utopia 56.

C’est ce qui est arrivé à Youssouf. Il a été rejeté après un entretien de sept minutes et renvoyé sans rien d'écrit. Lors de notre rencontre, il essayait encore d'obtenir les documents dont il avait besoin pour porter son cas devant le juge.

Les responsables à la Mairie de Paris nous ont expliqué qu'ils avaient pris des mesures début mai pour s'assurer que tous les enfants reçoivent une notification écrite lorsqu'ils sont vus au DEMIE. Cette nouvelle directive est un pas dans la bonne direction. Pourtant, elle ne semble pas être appliquée universellement - fin mai, nous avons encore vu des enfants entrer dans le centre et en ressortir 10 minutes plus tard, après avoir été refusés, sans décision écrite, ayant simplement répondu à quelques questions. Les enfants à qui nous avons parlé ce mois-ci rapportent qu'ils ont bien reçu des décisions écrites, dans la plupart des cas dès le lendemain du court entretien à la fin duquel l'examinateur leur avait dit qu'il ne croyait pas qu’ils avaient moins de 18 ans.

Dans les cas que nous avons examinés, même lorsque les enfants recevaient des décisions écrites, les motifs semblaient souvent arbitraires.

Il est possible de demander une révision de l'évaluation négative de l'âge auprès du Juge des enfants. Les enfants qui vont au tribunal gagnent environ 60 % du temps, a déclaré Catherine Delanoë-Daoud, avocate qui dirige l'initiative du Barreau de Paris pour répondre aux besoins des enfants non accompagnés, au Figaro.

Mais certains juges ordonnent régulièrement des tests osseux médicalement douteux pour déterminer l'âge. Les juges qui s'appuient sur ces tests le font en dépit de leur large marge d'erreur pour les adolescents et contre les recommandations de l'Académie nationale de médecine, du Haut Conseil de la Santé Publique et du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

Un bénévole de nuit d’Utopia 56, une association qui fournit des informations et de l'aide humanitaire aux réfugiés et aux migrants, résume ainsi le système à Paris : « C'est comme une loterie : parfois on gagne, mais la plupart du temps on perd, même si on est mineur. »

C’est très juste, à un détail près : contrairement à la plupart des loteries, l’enjeu est de taille et ces jeunes ont beaucoup à perdre. Ils doivent se débrouiller tout seuls en attendant que leur cas soit examiné. En février, au moins 400 enfants migrants non accompagnés dormaient dans les rues de Paris, selon les estimations des avocats et des associations. En juin, les estimations étaient plus faibles, de l'ordre de 200, mais encore beaucoup trop nombreuses.

Les responsables de la mairie de Paris et de la Croix-Rouge française ont réagi à notre rapport de juillet en le rejetant en bloc, réaffirmant qu'ils appliquent des procédures appropriées dans tous les cas. Cette affirmation n’est pas crédible : les témoignages que nous avons recueillis et les dossiers que nous avons examinés corroborent de nombreux témoignages d'avocats et d'associations, ainsi que les conclusions du Défenseur des Droits.

Paris peut et doit faire mieux. Pour commencer, les autorités de protection de l'enfance devraient s'assurer que les évaluations de l'âge sont effectuées avec le soin requis par la loi française et que personne ne se voit refuser la reconnaissance en tant qu'enfant pour des motifs arbitraires ou fallacieux, ou au bon vouloir de l’examinateur.

La protection de l'enfance ne devrait pas être une loterie.

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