Skip to main content

Renouvellement et extension de l’enquête mandatée par le CDH sur les atteintes aux droits humains et abus commis dans la région du Kasaï en RD Congo

Lettre conjointe d’ONG aux représentants permanents des États membres et observateurs du Conseil des droits de l’homme de l’ONU

Votre Excellence,

Nous, les organisations soussignées, vous adressons le présent courrier pour exhorter votre délégation à soutenir le renouvellement et l’extension de l’enquête sur les atteintes aux droits humains et abus commis dans la région du Kasaï en République démocratique du Congo dans le cadre du point 4 de l’agenda du Conseil des droits de l’homme de l’ONU lors de sa 38e session.

Les violations commises dans la région du Kasaï, ainsi que dans d’autres régions du pays – y compris dans les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et du Tanganyika – et le risque sérieux de nouvelles flambées de violences à grande échelle dans les prochains mois au milieu du processus électoral incertain nécessitent une enquête et un suivi supplémentaires afin de prévenir de nouveaux abus et d’assurer que justice soit faite. La résolution adoptée à la 38e session du CDH devrait aussi mandater une assistance technique continue de la part du Haut-Commissariat aux droits de l’homme aux enquêtes judiciaires congolaises.

Aujourd’hui, près de 4,5 millions de Congolais sont déplacés de leurs foyers. Plus de 100 000 Congolais ont fui à l’étranger depuis janvier 2018, ce qui génère un risque d’instabilité régionale accrue. Les récentes violences en RD Congo sont, en grande partie, suscitées ou exacerbées par la crise politique du pays, qui pourrait s’aggraver dans les mois à venir. Si l’on considère l’ampleur des défis en matière de droits humains dans le pays et les nombreuses régions du pays nécessitant un examen approfondi, seul un mécanisme dédié couvrant le pays dans son ensemble peut garantir la surveillance et l’établissement de rapports auprès du CDH et fournir des recommandations au gouvernement de la RD Congo et à la communauté internationale afin de prévenir de nouveaux abus et d’assurer la reddition de comptes.

La commission d’enquête sur le Kasaï mandatée par le CDH doit présenter son rapport final lors de l’actuelle 38e session. À partir d’août 2016, les violences ont connu une escalade dans la région du Kasaï et ont conduit au meurtre d’au moins 5 000 personnes, d’après les estimations, et bien plus possiblement, avec la découverte de près de 90 fosses communes, et au déplacement de plus de 1,4 million de personnes de leurs foyers, dont 30 000 réfugiés qui ont fui vers l’Angola voisin. En mars 2017, deux enquêteurs des Nations Unies – Michael Sharp et Zaida Catalán – ont été tués alors qu’ils enquêtaient sur les graves violations des droits humains dans la région. Personne n’a été traduit en justice pour ces meurtres et seuls quelques auteurs présumés de rang subalterne ont été jugés pour les violences contre des Congolais dans la région. Alors que l’ampleur des violences dans la région du Kasaï n’est pas identique à celle de l’an passé, les attaques des groupes armés et de l’armée contre des civils se poursuivent. Il existe un risque d’intensification alors que les causes sous-jacentes des violences n’ont pas été résolues et que les auteurs n’ont pas été poursuivis en justice. Un examen approfondi sera nécessaire pour assurer le suivi des conclusions de l’enquête sur le Kasaï, dans le but de garantir la responsabilisation et la justice.

Entre-temps, depuis le début de cette année, les violences se sont intensifiées dans différentes parties de la province d’Ituri dans le nord-est de la RD Congo, avec des incidents terrifiants de massacres, de viols et de décapitations. Des groupes armés ont lancé des attaques meurtrières sur des villages, tuant des dizaines de civils, incendiant des milliers de maisons et provoquant le déplacement de plus de 200 000 personnes jusqu’en avril. Les raisons de cette soudaine intensification des violences demeurent un mystère, mais de nombreuses victimes et des leaders locaux évoquaient une « main noire » et soupçonnaient l’implication de dirigeants politiques aux niveaux provincial et national.

Les civils sont toujours pris pour cible par des groupes armés et les forces de sécurité dans les provinces du Kivu dans l’est de la RD Congo. D’après le Baromètre sécuritaire du Kivu, un projet conjoint de Human Rights Watch et du Groupe d’étude sur le Congo, des assaillants, y compris des membres des forces de sécurité de l’État, ont tué plus de 420 civils et ont enlevé ou kidnappé contre rançon près de 650 personnes dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu depuis le début de l’année. Dans le Sud-Kivu, en particulier, les forces de sécurité congolaises ont utilisé une force excessive pour réprimer une manifestation à Kamanyola en septembre dernier, tuant près de 40 réfugiés burundais et blessant plus de 100 autres. Plus de 100 000 personnes ont été déplacées dans le Sud-Kivu lorsque des combats ont commencé il y a un an entre les forces de sécurité étatiques et une coalition antigouvernementale appelée la Coalition nationale du peuple pour la souveraineté du Congo (CNPSC).

Dans la province de Tanganyika dans le sud-est, plus de 200 personnes ont été tuées, 250 000 autres déplacées et de nombreux villages et camps de déplacés incendiés depuis que des violences intercommunautaires ont explosé au milieu de l’année 2016. Personne n’a été tenu pour responsable à ce jour, et la situation reste instable. En octobre 2016, Gédéon Kyungu, un chef de guerre qui s’était évadé de prison en 2011 après avoir été reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité par les tribunaux congolais pour des crimes commis notamment dans la région du Tanganyika, s’est rendu aux autorités congolaises et a déclaré allégeance au président Kabila. Il n’a toujours pas été renvoyé en prison et vit actuellement à Lubumbashi, sous la protection du gouvernement, malgré les appels lancés par des groupes congolais de défense des droits humains pour le livrer à la justice.

Ces atteintes aux droits humains et abus ont lieu sur fond de grave crise politique, alors que des critiques notent que le président Joseph Kabila s’est maintenu au pouvoir au-delà des deux mandats permis par la Constitution en retardant les élections et en réprimant la dissidence. Depuis 2015, les forces de sécurité ont tué plus de 300 personnes lors de manifestations essentiellement pacifiques. Les autorités congolaises ont interdit des rassemblements et des manifestations de l’opposition et de la société civile. Des centaines de partisans de l’opposition et d’activistes pro-démocratie ont été jetés en prison. Beaucoup ont été détenus dans des établissements de détention secrets sans chef d’inculpation ni visite de membres de leurs familles ou de leurs avocats. D’autres ont été jugés pour de fausses accusations. Le gouvernement a aussi fait fermer des médias congolais, a expulsé des journalistes et chercheurs internationaux et a périodiquement restreint l’accès à Internet et aux services de SMS.

Pendant les manifestations à l’échelle nationale les plus récentes – le 31 décembre 2017, et les 21 janvier et 25 février 2018 – les forces de sécurité congolaises ont recouru à une force excessive lors de manifestations pacifiques organisées par le Comité laïc de coordination, un groupe proche de l’Église catholique. Dans certains cas, les forces de sécurité congolaises ont tiré à balles réelles dans les enceintes d’églises catholiques, interrompant des offices et des processions pacifiques après la messe dominicale, tuant au moins 18 personnes et blessant et arrêtant des dizaines d’autres.

Les responsables du gouvernement et le président de la commission électorale affirment que les élections auront lieu le 23 décembre de cette année, mais ils ont également mentionné de nombreuses contraintes qui pourraient entraîner de nouveaux retards. Le président Kabila lui-même n’a pas encore annoncé qu’il quittait le pouvoir, mais des sources d’information fiables indiquent que des options sont envisagées par le président et ses subordonnés pour lui permettre de briguer un autre mandat. Il existe un risque réel de répressions plus meurtrières et de violences politiques potentielles dans les mois à venir, avec des conséquences possibles dans cette région instable.

Le contexte préélectoral risque d’engendrer une nouvelle intensification de la crise politique et peut aussi détériorer la situation des droits humains dans le pays. Il est essentiel que le CDH mette en place un mécanisme qui puisse répondre rapidement aux événements sur le terrain lorsqu’ils se produisent. Les nombreuses situations préoccupantes interdépendantes nécessitent un mandat plus large qui permettra aux enquêteurs d’examiner les situations et les corrélations dans le pays.

Aussi, nous exhortons votre délégation à soutenir le renouvellement et l’élargissement par le Conseil des droits de l’homme de l’enquête sur le Kasaï afin d’étudier les atteintes aux droits humains et abus commis en République démocratique du Congo, en insistant sur la région du Kasaï.

Nous restons à votre disposition pour tout complément d’information.

Veuillez croire, Votre Excellence, à l’assurance de notre très haute considération.

Amnesty International

Human Rights Watch

International Refugee Rights Initiative

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.