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La France doit cesser d’ignorer la situation catastrophique des droits humains en Égypte

Macron devrait mettre fin à une ère de mansuétude vis-à-vis du Caire

Le président français Emmanuel Macron accueille le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi au Palais de l'Élysée à Paris, le 24 octobre 2017. © 2017 Reuters / Philippe Wojazer

(Paris) – La France devrait veiller à faire de la situation des droits humains une priorité de ses relations avec l’Égypte, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Elle devrait cesser d’ignorer les graves violations, y compris l’utilisation à grande échelle et de manière systématique de la torture par les services de sécurité égyptiens, qui pourrait constituer un crime contre l’humanité. Le président Emmanuel Macron aura sa première entrevue avec son homologue égyptien, AbdelFattah al-Sissi, à Paris le 24 octobre 2017. Al-Sissi rencontrera également les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat français.

Ces entrevues devraient être l’occasion de réévaluer le soutien économique, sécuritaire et militaire de la France au gouvernement égyptien, en le conditionnant à des améliorations tangibles de la situation des droits humains. Sous l’ancien président François Hollande, la France a fourni à l’Égypte des équipements militaires d’un montant de plusieurs milliards de dollars et a rarement critiqué ces graves violations.

« Le président Macron devrait se saisir de cette occasion pour faire comprendre à al-Sissi que le bilan de l’Égypte en matière de droits humains ne sera pas tenu pour négligeable », a déclaré Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. « Continuer à soutenir le gouvernement répressif de l’Égypte trahirait les courageux militants qui s’exposent à de graves risques dans leurs efforts pour améliorer la situation de leur pays. »

Ces dernières années, la relation franco-égyptienne s’est centrée sur la coopération dans les domaines militaire et sécuritaire et la lutte contre le terrorisme. Deux semaines après son entrée en fonction, le 30 mai dernier, Emmanuel Macron a appelé al-Sissi pour lui dire que la France « se tient aux côtés de l’Egypte contre le terrorisme », suite à l’attaque perpétrée le 26 mai par l’État islamique (également connu sous le nom de Daech) dans le gouvernorat de Minya, qui a tué 29 Coptes égyptiens.

Le Ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian serre la main de son homologue égyptien Sameh Shoukry après leur conférence de presse conjointe au Caire, le 8 juin 2017.  © 2017 Reuters

Cinq jours plus tard, au Caire, la nouvelle ministre française de la Défense, Sylvie Goulard, a rencontré son homologue égyptien, Sedki Sobhi, et al-Sissi. Le 8 juin, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, était au Caire pour une journée d’entrevues, y compris avec al-Sissi. « Nous avons eu des réunions sur la lutte contre le terrorisme et la stabilisation de la Libye », a précisé Le Drian.

Auparavant, Le Drian avait été ministre de la Défense et supervisé plusieurs ventes d’armes en Égypte, se rendant dans ce pays à huit reprises en trois ans.

L’Égypte est l’un des principaux clients de la France en matière d’armes. Depuis 2014, Le Caire a signé des ventes d’un montant d’environ 10 milliards de dollars pour se fournir en équipements militaires et en armes. Parmi ces ventes, figure un contrat d’un milliard de dollars en 2014 pour l’acquisition de quatre navires de guerre, et un autre d’un montant de six milliards de dollars en 2015 pour 24 avions de chasse Rafale. La France a également fourni de nombreuses autres armes et services militaires, dont un satellite d’un montant 700 millions de dollars, deux porte-hélicoptères Mistral -construits initialement pour la Russie- pour un montant d’un milliard de dollars, ainsi que des roquettes, des armes à feu et des munitions pour près d’un milliard de dollars.

La politique française d’exportation d’armes ne prévoit pas de contrôle proactif de l’utilisation finale à l’issue de la vente, mais continue d’obéir à des règlementations fondées sur le respect des droits, notamment la position commune adoptée par le Conseil européen en décembre 2008, qui définit huit critères régissant les exportations d’armes, y compris le respect des droits humains. La position de 2008 exige des pays de l’UE qu’ils « refusent l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires exportés soient utilisés à des fins de répression interne » ou pour « […] commettre des violations graves du droit humanitaire international ».

La position commune de 2008 stipule que la « répression interne » comprend la torture, les exécutions sommaires ou arbitraires, les disparitions forcées et les détentions arbitraires.

Les exportations d’armes françaises vers l’Égypte violent également les conclusions du Conseil des affaires étrangères de l’UE, qui a déclaré, le 21 août 2013, que les pays européens devraient suspendre les exportations d’armes susceptibles d’être utilisées à des fins de répression interne. Cette déclaration faisait suite à la violente dispersion, par le gouvernement, des manifestations massives protestant contre le retrait forcé par al-Sissi, alors ministre de la Défense, de l’ancien président Mohamed Morsi. Cette répression avait fait plus d’un millier de victimes en un jour, le 14 août.

Sous la présidence d’al-Sissi, le gouvernement égyptien fait preuve d’un mépris total pour la constitution du pays et le droit international. Al-Sissi a présidé à la pire crise des droits humains qu’ait connue l’Égypte depuis des décennies. Les autorités ont arrêté ou inculpé au moins 60 000 personnes, fait disparaître de force des centaines d’autres pendant des mois, prononcé des centaines condamnations à mort et renvoyé plus de 15 000 civils devant les tribunaux militaires. La cible principale de cette répression a été les Frères musulmans, le plus grand mouvement d’opposition du pays, mais presque aucun groupe pacifique n’y a échappé.

Les forces de sécurité égyptiennes ont recours à la torture de façon systématique, selon une enquête publique du Comité des Nations Unies contre la torture qui s’est conclue en 2017. Human Rights Watch a documenté ce qui constitue une véritable « chaîne répressive » de disparitions forcées et d’actes de torture commis par l’Agence de sécurité nationale –dépendant du ministère de l’Intérieur – parmi lesquels les chocs électriques, les positions douloureuses et parfois le viol ou la menace de viol. L’usage systématique de la torture depuis l’arrivée au pouvoir d’al-Sissi constitue probablement un crime contre l’humanité.

Dans le nord du Sinaï, les combats contre Wilayat Sinaï, un groupe terroriste affilié à l’Etat islamique, ont été entachés de violations. A titre d’exemple, une vidéo qui a fuité en ligne en avril dernier montre des officiers militaires, appuyés par une milice progouvernementale, en train d’exécuter à bout portant des détenus aux yeux bandés.

Les organisations non gouvernementales et les militants font également face à une répression brutale de la part du gouvernement, notamment sous la forme de poursuites judiciaires et d’interdictions de voyager. Adoptée par al-Sissi en mai, une nouvelle loi régissant les ONG criminalise les activités des groupes indépendants dans le pays et menace de mettre fin au travail qu’ils mènent depuis plusieurs décennies.

Le ministère français des Affaires étrangères a publié des déclarations quasiment après chaque attaque importante contre les forces de sécurité égyptiennes, mais les autorités françaises s’expriment rarement au sujet des violations graves et systématiques commises par ces mêmes forces. Interrogé par un journaliste au sujet des arrestations massives de dizaines d’homosexuels en Égypte, Le Drian a déclaré, le 9 octobre dernier, que « les droits de l’homme sont régulièrement évoqués avec les Égyptiens dans le cadre de notre relation de confiance ».

Le gouvernement français explique que le rôle de l’Égypte est central dans la stabilité régionale et qu’il est important de soutenir les forces de sécurité égyptiennes. Pourtant la politique antiterroriste de l’Égypte, ternie par de graves abus et prétexte à étouffer toute forme de contestation pacifique, constitue probablement un terreau propice à la radicalisation. Les jeunes se retrouvent sans moyen d’exprimer pacifiquement leur opposition. De nombreux analystes s’interrogent également sur l’efficacité de cette politique antiterroriste. Les attaques violentes sont globalement en hausse. De vastes opérations militaires se sont étendues à al-Arish, la plus grande ville du gouvernorat du Nord-Sinaï. Plusieurs études montrent que les prisons égyptiennes deviennent un milieu fertile pour la radicalisation.

A l’occasion de son déplacement en France, al-Sissi doit également s’entretenir avec des entreprises et le MEDEF, la plus importante organisation patronale du pays, pour discuter des liens économiques et de leurs investissements en Égypte. Avec plus de 160 entreprises concernées, la France était le sixième investisseur étranger en Égypte en 2016. Les entreprises hexagonales doivent prendre conscience de la répression incessante qu’endurent les organisations indépendantes, notamment l’interdiction quasi-absolue de syndicats de travailleurs indépendants et la criminalisation des protestations pacifiques. Depuis 2016, selon Human Rights Watch, les autorités égyptiennes ont procédé à l’arrestation d’au moins 183 travailleurs ayant manifesté sur leur lieu de travail ou rejoint des syndicats indépendants, des dizaines ayant été traduits en justice, parfois devant des tribunaux militaires.

« Le président Macron ne devrait  pas poursuivre la scandaleuse politique de tolérance de la France envers le gouvernement répressif d’al-Sissi », conclut Bénédicte Jeannerod. « Prétendre que la question des droits humains est évoquée dans les discussions tout en persistant à ne pas agir serait comme mettre sous le tapis les revendications et la souffrance des Égyptiens. »

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