Les 21 organisations de défense des droits humains centrafricaines et internationales soussignées appellent le nouveau président, Faustin-Archange Touadéra, à faire de la lutte contre l’impunité des crimes internationaux graves une des principales priorités de son gouvernement.
Le président Touadéra a prêté serment le 30 mars 2016 en tant que quatrième président élu démocratiquement depuis l’indépendance du pays en 1960. Pendant la campagne électorale, les candidats à l’élection présidentielle, y compris le président Touadéra, ont affirmé l’importance de créer les conditions propices au dialogue entre les communautés, de rompre avec les violences du passé et de poursuivre en justice les personnes responsables de crimes graves.
Alors que le président a désormais pris ses fonctions, il est temps de transposer ces mots en actions et de prendre des mesures concrètes afin que justice soit faite.
Le Forum de Réconciliation Nationale de Bangui qui s’est tenu en mai 2015 a clairement démontré que le peuple centrafricain veut tourner la page de l’impunité. Le forum a rejeté l’amnistie pour les crimes graves et recommandé la création de plusieurs mécanismes visant à obtenir justice, vérité et réparations. Le gouvernement de transition de Catherine Samba-Panza a ouvert la voie vers la justice, notamment en déférant à la Cour Pénale Internationale (CPI) la situation en République centrafricaine depuis août 2012 et en adoptant une loi pour instaurer une Cour pénale spéciale au sein du système judiciaire national afin de compléter le travail de la CPI.
La Cour pénale spéciale sera composée de magistrats et de personnel nationaux et internationaux et sera mandatée pour mener des enquêtes et des poursuites concernant les graves violations des droits humains perpétrées depuis 2003. Cette combinaison de mécanismes judiciaires est une innovation remarquable dans le domaine de la justice internationale. Si elle est mise en œuvre avec succès, elle pourrait constituer un important précédent pour d’autres situations.
L’implication de la CPI et de la Cour pénale spéciale est nécessaire étant donné l’ampleur et la gravité des crimes internationaux commis en République centrafricaine au cours des 13 dernières années et les déficiences actuelles du système judiciaire national. Pendant la dernière crise qui a frappé le pays en 2012, des groupes armés, appelés Séléka et anti-balaka, ont commis des abus généralisés contre des civils, notamment des meurtres, des violences sexuelles ainsi que des destructions de propriétés privées, publiques et religieuses, entraînant des déplacements massifs de population. Les personnes responsables de ces crimes n’ont pas encore été traduites en justice.
La République centrafricaine est encore fragile et un travail vital de reconstruction de l’État est nécessaire. La protection des civils, la démobilisation des groupes armés, le renforcement du système judiciaire ordinaire et de l’état de droit, ainsi que le redressement économique et social sont autant de défis considérables qui attendent le président Touadéra. Manifester une ferme détermination à poursuivre en justice les individus qui bafouent les droits humains et attaquent les civils contribuera à atteindre tous ces objectifs.
Nos organisations espèrent que le nouveau président et son gouvernement tireront parti des efforts du gouvernement de transition et les poursuivront pour apporter enfin justice, vérité et réparation à toutes les victimes de crimes internationaux graves, sans discrimination.
Lors de déclarations précédentes, nos organisations ont demandé au gouvernement de transition, aux Nations Unies et aux bailleurs de fonds d’intensifier leurs efforts pour établir la Cour pénale spéciale. Le président Touadéra et son ministre de la Justice récemment nommé, Flavien Mbata, devraient maintenant faire progresser ce travail et diriger les efforts du pays afin de rendre justice pour les crimes graves commis contre la population centrafricaine.
Leadership dans la mise en place de la Cour pénale spéciale
Après la promulgation de la loi sur la Cour pénale spéciale en juin 2015, le gouvernement de transition a pris des mesures en faveur de l’établissement de la Cour, notamment en lui affectant un bâtiment, en adoptant des décrets nationaux nécessaires à la nomination du personnel et en mettant en place un comité pour la sélection des magistrats nationaux.
Mais il reste beaucoup de travail pour faire de cette cour une réalité.
À cet égard, l’établissement par les autorités centrafricaines d’un groupe de contact à Bangui réunissant les parties prenantes centrafricaines concernées pourrait être capital pour renforcer l’adhésion au projet et créer un plan de mise en œuvre de la Cour pénale spéciale. Un tel groupe national constituerait un interlocuteur clé pour les partenaires internationaux et faciliterait la coordination du soutien international indispensable à la Cour.
En outre, le gouvernement et les principaux partenaires internationaux, dont les Nations Unies, pourraient instaurer un comité de pilotage collectif au niveau du leadership politique afin de favoriser l’avancement du projet. L’engagement continu, ainsi que le soutien financier et logistique des partenaires internationaux, y compris les organismes des Nations Unies et la mission de maintien de la paix MINUSCA, seront absolument nécessaires pour la réussite de la Cour pénale spéciale.
Nos organisations appellent le président Touadéra et son gouvernement à jouer un rôle moteur et à diriger les travaux concernant la Cour pénale spéciale, afin que la justice puisse prévaloir et que la République centrafricaine puisse devenir un modèle en matière de lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux graves.
Pleine et entière coopération avec la Cour pénale internationale
Sur la base du renvoi par la Cheffe de l’Etat de transition, Catherine Samba-Panza, en avril 2014, la procureure de la CPI a ouvert une deuxième enquête sur la République centrafricaine en septembre 2014, qui est actuellement en cours.
Nos organisations demandent au président Touadéra de continuer à coopérer pleinement avec la CPI afin de garantir le succès de son travail. La coopération devrait être instaurée avec le Bureau du Procureur en ce qui concerne les enquêtes, ainsi qu’avec d’autres organes de la CPI qui gèrent d’autres activités importantes, comme la protection des victimes et des témoins, la facilitation de la participation des victimes aux procès de la CPI et les actions d’information auprès des communautés affectées et d’autres acteurs intéressés.
Bangui, le 21 avril 2016
Organisations signataires
Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture et la Peine de Mort (ACAT/RCA)
Amnesty International
Association des Femmes Juristes de Centrafrique (AFJC)
Avocats Sans Frontières (ASF)
Bureau Information des Droits de l’Homme (BIDH)
Civisme et Démocratie (CIDEM)
Commission Episcopale Justice et Paix (CEJP)
Enfants Sans Frontières (ESF)
Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH)
Femme Action et Développement en Centrafrique (FADEC)
Human Rights Watch
Lead Centrafrique (Lead)
Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme (LCDH)
Mouvement des Droits de l’Homme et Action Humanitaire (MDDH)
Observatoire Centrafricain des Droits de l’Homme (OCDH)
Observatoire Centrafricain pour les Elections et la Démocratie (OCED)
Observatoire pour la Promotion de l’Etat de Droit (OPED)
Parliamentarians for Global Action (PGA)
REDRESS Trust
Réseau des ONGs de Promotion et de Défense des Droits de l’Homme (RONGDH)
Réseau national de la Jeunesse pour les Droits de l’Homme (RNJDH)