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Lettre publique de la société civile sur la Cour pénale spéciale en République centrafricaine 

Opérationnalisation de la Cour pénale spéciale en République centrafricaine

 

À l’attention :

des Ministres des Affaires Etrangères des Etats Membres du Groupe de Référence sur la Cour Pénale Spéciale (Belgique, Canada, Danemark, Etats-Unis d’Amérique, Finlande, France, Japon, Luxembourg, Maroc, Mexique, Nouvelle Zélande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Sénégal, Suède, Suisse)

Haut Représentant de l’Union pour les Affaires Etrangères et la Politique de Sécurité, Mme Federica Mogherini

Commissaire de l’Union Européenne à la Coopération Internationale et au Développement, M. Neven Mimica

Secrétaire Générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie, Mme. Michaëlle Jean

Présidente de la Commission de l’Union Africaine, Dr. Nkosazana Clarice Dlamini-Zuma Ministre des Affaires Etrangères de l’Afrique du Sud, Mme Maite Nkoana-Mashabane

Copie à :


Chef d’Etat de la Transition, République Centrafricaine, Mme Catherine Samba-Panza
Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, République Centrafricaine, M. Aristide Sokambi
Représentant Spécial et Chef de la MINUSCA, M. Parfait Onanga-Anyanga
Chef du Département des Opérations de Maintien de la Paix de l’ONU, M. Hervé Ladsous
Administrateur du Programme des Nations-Unies au Développement, Helen Clark

Objet : Opérationnalisation de la Cour Pénale Spéciale en République Centrafricaine

Vos Excellences,

Nous vous écrivons afin de vous encourager à vous engager de toute urgence à apporter un soutien financier et technique aux autorités du gouvernement de transition en République Centrafricaine, en vue d’accélérer la mise en place de la Cour Pénale Spéciale.

La lutte contre l’impunité est cruciale pour créer les conditions permettant de mettre durablement fin aux exactions en République Centrafricaine et de rendre la justice aux victimes de ces crimes graves. Les législateurs en République Centrafricaine ont reconnu ce fait lorsqu’ils ont décidé de créer la Cour Pénale Spéciale cette année. Ce nouveau tribunal sera composé de personnel national et international, il complètera le travail tant de la Cour pénale internationale (CPI) que des tribunaux nationaux ordinaires, et il a compétence sur les crimes commis depuis début 2003.

Il est temps maintenant de prendre des mesures concrètes pour que cette Cour devienne réalité.

Comme vous le savez, le parlement de transition a adopté la loi créant la Cour Pénale Spéciale en avril 2015, et en juin 2015 cette loi a été promulguée par la Présidente de la transition, Catherine Samba-Panza. En avril 2015, le Conseil de sécurité des Nations Unies a renouvelé le mandat de la force de maintien de la paix de l’ONU en République Centrafricaine, la MINUSCA, et l’a chargée explicitement de soutenir le travail de la Cour Pénale Spéciale.

L’opérationnalisation de la Cour Pénale Spéciale est urgente, non seulement parce qu’elle luttera contre l’impunité pour les crimes graves, qui ont été un facteur du conflit, mais également parce qu’il est nécessaire de préserver les preuves, de protéger les témoins et les victimes, et de traiter les cas de suspects qui se trouvent actuellement en détention provisoire.

Soutien financier

Le soutien financier et technique international à la Cour Pénale Spéciale est essentiel à son fonctionnement et à sa réussite. Une équipe d’experts de l’ONU a été récemment déployée en République Centrafricaine pour évaluer les besoins de la Cour proposée ; cette équipe a rendu son rapport début juillet.

Nous pensons qu’il est nécessaire d’encourager et d’aider les autorités centrafricaines, avec le soutien de l’ONU selon les besoins, à produire un budget prévisionnel public qui contribuera à guider les efforts de financement de la Cour. Ce budget devrait inclure des investissements visant à soutenir les enquêtes, la protection des victimes et des témoins, et les droits de la défense, qui seront des éléments clé de la réussite de la Cour. L’expérience a montré que des ressources insuffisantes dans ces domaines particuliers pouvaient mener à ce que la Cour soit incapable de remplir efficacement ses fonctions.

Le budget devrait rester raisonnable et réaliste, afin de garantir le succès à court terme de la Cour mais également sa durabilité à long terme en tant qu’institution nationale. Nous encourageons donc la prise en considération de moyens créatifs de financer la Cour, notamment par le détachement de personnel d’autres institutions étatiques et/ou internationales, comme la CPI, et par la prise en charge de certaines dépenses de la Cour par le budget de la MINUSCA.

Nous vous demandons de soutenir l’organisation d’une réunion de bailleurs de fonds visant à financer la Cour Pénale Spéciale aussitôt que possible.

Autres mesures

Il existe un certain nombre d’autres mesures que le gouvernement centrafricain, l’ONU et d’autres États concernés pourraient prendre immédiatement pour contribuer à mettre en place la Cour Pénale Spéciale. Bien mises en œuvre, ces mesures pourraient aider à adopter un budget raisonnable et suffisant pour la Cour.

1) Comité de pilotage

Un leadership fort est indispensable afin d’assurer un déploiement rapide et efficace des mesures nécessaires pour la mise en route de la Cour Pénale Spéciale.

Il est important d’assister les autorités centrafricaines dans la création et le fonctionnement d’un comité de pilotage chargé d’établir une feuille de route pour la création rapide de la Cour. Cette feuille de route pourrait inclure les éléments suivants : les tâches de démarrage, comme par exemple l’identification d’un bâtiment approprié à Bangui, l’adoption et la publication de descriptions de postes pour les différents emplois à pourvoir à la Cour, l’organisation d’une réunion de bailleurs de fonds, et autres tâches similaires, ainsi que l’identification des acteurs responsables pour ces tâches, et les dates butoir entreprendre ces actions.

Le comité de pilotage devrait inclure les acteurs clés impliqués dans la mise en place de la Cour, comme des membres des ministères concernés du gouvernement centrafricain, des représentants de la MINUSCA et autres acteurs de l’ONU, des bailleurs de fonds et des représentants de la société civile. Une bonne coordination des acteurs concernés, notamment au sein de l’ONU, sera particulièrement cruciale. Le comité de pilotage devrait se réunir régulièrement afin d’évaluer les progrès accomplis et d’adopter des mesures permettant d’avancer dans un laps de temps raisonnable.

2) Recrutement de personnel qualifié

Les crimes graves internationaux sont souvent commis selon un plan ou une politique, et sont donc plus complexes à prouver que des crimes de droit commun. Le recrutement d’un personnel national et international qualifié, indépendant et motivé – qu’il soit recruté par un processus ouvert ou détaché par des États membres de l’ONU – sera un facteur décisif de réussite.

Dès à présent, il est nécessaire d’encourager les autorités de la République Centrafricaine à concevoir et à adopter un processus de recrutement pour réunir les futurs effectifs de la Cour, avec l’assistance de l’ONU. Le processus de recrutement devrait être efficace, transparent et orienté vers l’identification des meilleurs candidats.

Nous pensons qu’il est très important que les personnel recruté pour la Cour comprenne des personnes ayant une expérience du droit pénal, de préférence dans un contexte de droit civil, et une expertise spécialisée dans le domaine des crimes graves internationaux. Cela devrait inclure une expérience dans les domaines suivants : le traitement de dossiers complexes impliquant une responsabilité de commandement, les poursuites concernant les violences sexuelles ou à caractère sexiste, la protection des victimes et des témoins, et la gestion de témoins informateurs.

Tant les candidats nationaux qu’internationaux devraient également être évalués sur leur disponibilité à travailler dans un environnement internationalisé et sur leur volonté de participer à un transfert de connaissances effectif.

3) Approche progressive et déploiement d’une équipe préparatoire

L’article 71 de la loi portant création de la Cour Pénale spéciale prévoit que la Cour peut être établie en plusieurs phases.

À cet effet, le recrutement rapide d’enquêteurs, de magistrats instructeurs et de procureurs, nationaux et internationaux, devrait être prioritaire. D’autres membres essentiels du personnel de la Cour – comme le président, le greffier et le greffier adjoint, ainsi qu’une personne ressource sur la protection des victimes et des témoins – devraient également être recrutés rapidement. Nous estimons en effet que le recrutement d’une petite équipe de base de personnel pourrait aider la Cour à commencer à fonctionner et que cette équipe préparatoire pourrait contribuer à mener à l’établissement de la Cour Pénale Spéciale plus efficacement.

Nous reconnaissons que la République centrafricaine doit faire face à de nombreux défis, les moindres n’étant pas l’organisation d’élections, la démobilisation des combattants et la réforme du secteur de la sécurité, entre autres, tout cela exigeant l’assistance de bailleurs de fonds internationaux.

Nous vous prions de maintenir la justice et les poursuites pour graves violations des droits humains au rang des tâches cruciales nécessaires pour mettre fin aux exactions et reconstruire la République centrafricaine. La justice aidera à rétablir la confiance de la population envers l’État de droit et les institutions de l’État. Un objectif important de la Cour Pénale Spéciale devrait également être de renforcer les capacités du système judiciaire ordinaire à traiter les crimes graves internationaux. Comme nous pouvons le constater au niveau mondial, le respect pour l’État de droit et le respect pour les droits humains sont des composantes essentielles d’une société démocratique et d’une paix durable.

Le mois dernier, le Conseil des ministres des affaires étrangères de l'Union Européenne a rappelé « qu'il ne peut y avoir de réconciliation sans justice. L'adoption et la promulgation de la loi créant la Cour Pénale Spéciale constituent une avancée importante dans la lutte contre l'impunité. »

Nous espérons que votre gouvernement et/ou organisation intergouvernementale fournira un soutien financier et technique à la Cour Pénale Spéciale et appuiera la mise en place des jalons mentionnés ci-dessus pour son prompt établissement. Nous estimons que cette Cour représente la meilleure chance pour que la justice soit enfin rendue pour les milliers de victimes qui ont tant souffert et n’ont déjà que trop attendu.

Nous vous remercions par avance de votre attention à cette question importante.

Veuillez accepter nos meilleures salutations,

Organisations signataires 

Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture et la Peine de Mort (ACAT / RCA)

Amnesty International

Association des Femmes Juristes de Centrafrique (AFJC)

Avocats sans Frontières

Avocats Sans Frontières Centrafrique (ASF /RCA)

Bureau Information des Droits de l’Homme (BIDH)

CAR National Coalition for the ICC

Civisme et Démocratie (CIDEM)

Commission Episcopale Justice et Paix (CEJP)

Enfants Sans Frontières (ESF)

Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH)

Femme Action et Développement en Centrafrique (FADEC)

Human Rights Watch

Lead Centrafrique (Lead)

Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme (LCDH)

Mouvement des Droits de l’Homme et Action Humanitaire (MDDH)

Observatoire Centrafricain des Droits de l’Homme (OCDH)

Observatoire Centrafricain pour les Elections et la Démocratie (OCED)

Observatoire pour la Promotion de l’Etat de Droit (OPED)

Parliamentarians for Global Action

Réseau des ONG centrafricaines pour la Défense et la Promotion des Droits de l'Homme (RONGDH)

Réseau national de la Jeunesse pour les Droits de l’Homme (RNJDH) 

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