Skip to main content
Le président François Hollande avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Nayef sur le perron de l'Elysée à Paris, France, le 4 mars 2016. © 2016 Reuters

Le 4 mars, le président François Hollande a remis la Légion d’honneur, autrefois considérée comme la plus haute décoration honorifique française, au prince héritier saoudien Mohammed ben Nayef pour « ses efforts considérables de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme dans la région et le monde », selon l’Agence de presse saoudienne.

Selon le site officiel qui lui est dédié, la Légion d’honneur est décernée aux ressortissants étrangers qui soutiennent des causes défendues par la France, notamment les droits humains, ou à des responsables étrangers qui promeuvent les relations diplomatiques. Ben Nayef, dont le ministère a supervisé un certain nombre de politiques abusives à l’égard des droits humains en Arabie saoudite semble appartenir à cette dernière catégorie. Les cyniques seront peut-être pardonnés de se demander si cette décoration a quelque chose à voir avec les enjeux économiques : la France a conclu avec l’Arabie saoudite des ventes d’armes d’un montant de 7,9 milliards d’euros entre 2010 et 2014, auquel s’ajoute, en juin 2015, un contrat de 10,3 milliards d’euros, selon les médias français.

M. Ben Nayef, nommé prince héritier en avril dernier, était le ministre de l’Intérieur de l’Arabie saoudite depuis 2012. Il a dirigé la campagne de répression de son pays contre Al-Qaeda sur fond d’attaques commises entre 2003 et 2005 et, au cours de la dernière décennie, a été salué pour sa coopération avec les pays occidentaux en matière de lutte contre le terrorisme.

La France et l’Arabie saoudite sont des membres fondateurs du Forum mondial de lutte contre le terrorisme (GCTF), qui a déclaré, à sa création en 2011, que le respect des droits humains et de l’état de droit est une «une composante essentielle des efforts fructueux en matière de lutte contre le terrorisme».

Mais l’antiterrorisme sous Ben Nayef présente un autre visage : détentions arbitraires massives, mauvais traitements infligés aux prisonniers, et dispositions radicales des lois antiterroristes adoptées par le ministère de l’Intérieur et que les autorités peuvent invoquer pour criminaliser quasiment toute critique à l’encontre du gouvernement.

L’Arabie saoudite affiche l’un des taux les plus élevés au monde d’application de la peine de mort. L’année 2016 a débuté par l’exécution de 47 hommes, prétendument pour des raisons sécuritaires, et au 9 mars, le pays avait déjà exécuté 71 personnes, près de la moitié du total de l’an dernier.

Depuis 2011, les efforts de lutte antiterroriste en Arabie saoudite ont directement pris pour cible les militants des droits humains et d’autres, parfois contraints de suivre des programmes de «réhabilitation de la pensée» conçus pour les individus soupçonnés de terrorisme. La police et le Bureau des enquêtes et des poursuites dépendent également du ministère de l’Intérieur et plus d’une dizaine de militants pacifiques ont été arrêtés, interrogés, inculpés et ensuite jugés par la juridiction saoudienne compétente pour des chefs d’inculpation purement liés à la liberté de parole, comme «nuire à la réputation du Royaume».

Deux des activistes les plus en vue de l’Arabie saoudite, Abdullah al-Hamid et Mohammed al-Qahtani, ont entamé leur troisième année derrière les barreaux le 9 mars dernier. Les deux hommes ont été jugés lorsque Ben Nayef était ministre de l’Intérieur et, en 2013, condamnés respectivement à des peines de prison de dix et onze ans, strictement liées à leur activisme pacifique.

Remettre la Légion d’honneur à des hauts fonctionnaires impliqués dans des violations des droits humains n’a malheureusement rien de nouveau. La France a précédemment décoré d’autres responsables d’abus tristement célèbres. Les avocats de la défense de Manuel Noriega, l’ancien dictateur du Panama, ont invoqué à plusieurs reprises sa Légion d’honneur dans une affaire jugée au pénal en France.

En décorant un responsable saoudien à la tête d’un ministère dont les fonctionnaires ont commis de graves abus, la France ne tient pas ses propres promesses de protéger les droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, pas plus qu’elle n’encourage ses partenaires à le faire. Pour respecter sérieusement ses engagements, la France doit faire pression sur l’Arabie saoudite pour que ce pays cesse de s’en prendre aux activistes pacifiques dans le cadre de ses opérations antiterroristes. Elle doit exiger la libération immédiate de dissidents pacifiques comme Al-Qahtani et Al-Hamid, au lieu de décorer l’homme dont le ministère est responsable de leur détention.

-------------------------

Kristine Beckerle est titulaire de la bourse de recherche Alan R. et Barbara D. Finberg, de Human Rights Watch (division Moyen-Orient et Afrique du Nord).

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays