(Johannesburg) – La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples devrait porter une attention particulière aux violations des droits humains commises récemment en Angola et au Soudan, à l'occasion de sa prochaine session, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. La commission se réunira à Luanda, en Angola, du 28 avril au 12 mai 2014.
La Commission africaine devrait condamner la persistance des violations des droits humains en Angola, lesquelles incluent le refus du gouvernement de lever les restrictions imposées aux médias et au droit de rassemblement pacifique, des homicides illégaux, des actes de violence sexuelle et de torture par les forces de sécurité, ainsi que des expulsions collectives. La commission devrait également créer une mission d'information pour enquêter sur le meurtre d'au moins 170 manifestants au Soudan en septembre 2013, ainsi que sur la détention arbitraire, la torture et les mauvais traitements de centaines d'autres personnes.
« La plus importante institution d'Afrique chargée des droits humains ne devrait pas ignorer le bilan consternant dans ce domaine du pays hôte, l'Angola », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « La Commission africaine devrait également interpeller le Soudan pour son incapacité ou sa réticence à traduire en justice les responsables de meurtres et d'actes de torture commis contre des manifestants en septembre dernier. »
La Commission africaine est l'organe le mieux qualifié pour inciter à des changements de politique dans ces deux cas particuliers. Elle est le principal organe chargé de promouvoir les droits humains et les droits des peuples sur le continent. Aux termes de l'article 45 de la Charte de l'Union africaine, la Commission africaine est habilitée à effectuer des recherches sur les pratiques en matière de droits humains et à donner des avis et faire des recommandations aux gouvernements, ainsi qu'à coopérer avec d'autres institutions africaines et internationales compétentes dans le domaine de la promotion et de la protection des droits humains et des droits des peuples.
Après plus de trois décennies d'exercice du pouvoir par le président Jose Eduardo Dos Santos en Angola, son parti détient un véritable monopole du pouvoir. L'Angola connait une corruption généralisée et de graves violations des droits humains, sans que personne n'ait à rendre des comptes.
La liberté d'expression est strictement restreinte, en raison des pressions exercées par le gouvernement sur les médias indépendants, de l'auto-censure et de la répression gouvernementale. Le gouvernement angolais a engagé de nombreuses poursuites pénales pour diffamation contre des journalistes critiques et des militants, et a fait arrêter et passer à tabac des journalistes qui essayaient d'informer sur les violations des droits humains commises par les forces de sécurité. La commission devrait être informée des efforts déployés par le gouvernement angolais pour restreindre ses contacts avec les médias indépendants et les représentants de la société civile, comme cela s'est déjà produit dans le passé, notamment lors d'un sommet régional en 2011, a souligné Human Rights Watch.
Depuis 2011, les autorités angolaises ont répondu à des manifestations anti-governementales pacifiques, organisées par des groupes de jeunesse ou par d'autres organismes à Luanda et ailleurs, en ayant recours à une force excessive, à des arrestations arbitraires, à des procès iniques, à des actes de harcèlement et à l'intimidation de participants, de journalistes et d'observateurs. Les organisateurs de manifestations et les participants ont également été pris pour cible, subissant notamment de violentes attaques et des enlèvements de la part d'agents des forces de sécurité. En novembre 2013, un rapport confidentiel du ministère de l'Intérieur ayant fait l'objet d'une fuite à la presse a révélé qu'António Alves Kamulingue et Isaías Cassule, deux organisateurs d'une manifestation enlevés en mai 2012 et portés disparus depuis lors, avaient été enlevés, torturés et assassinés par la police et par les services nationaux de renseignement.
« La Commission africaine devrait réclamer des poursuites en justice contre les individus responsables de meurtres, d'enlèvements et de tortures en Angola », a affirmé Daniel Bekele. « La commission devrait également exhorter le gouvernement angolais à abroger immédiatement les lois pénalisant la diffamation, comme premier pas vers la cessation de la répression des médias. »
La Commission africaine devrait par ailleurs créer et envoyer au Soudan une mission d'information pour enquêter sur les meurtres de dizaines de manifestants et les blessures infligées à beaucoup d'autres en septembre dernier, et sur les détentions arbitraires de membres de partis d'opposition, de journalistes, de manifestants et de militants. Plus de six mois après les faits, le gouvernement soudanais n'a toujours pas ouvert d'enquête crédible, encore moins de poursuites judiciaires, sur ces meurtres et sur les autres exactions connexes, a affirmé Human Rights Watch.
Les manifestations ont été déclenchées le 23 septembre à Wad Madani, en réaction à de nouvelles mesures d'austérité économique et à la hausse des prix, et se sont ensuite propagées à Khartoum, la capitale, ainsi qu’à d'autres villes. Les forces de police et de sécurité ont réagi en utilisant des balles réelles et des gaz lacrymogènes, ainsi qu'en s'attaquant aux participants avec des matraques pour disperser la manifestation. Au total, environ 170 personnes ont été tuées.
Les forces de police et de sécurité ont arrêté plus de 800 personnes dans divers endroits, selon les organisations soudanaises qui ont suivi les événements. Un grand nombre de ces personnes ont été libérées quelques jours après, souvent à la suite de procès sommaires aboutissant à des peines de flagellation ou à des amendes. Mais d'autres ont été détenues pendant des semaines ou des mois, sans inculpation ni accès à leur famille ou à des avocats. Le Service national du renseignement et de la sûreté (National Intelligence and Security Service, NISS) du Soudan, qui est doté de très larges pouvoirs en matière d'arrestation et de détention, est depuis longtemps réputé pour arrêter des opposants du gouvernement et les soumettre à de mauvais traitements et à des tortures. D'anciens détenus qui avaient été arrêtés pendant la manifestation ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils avaient été battus, insultés, privés de sommeil et maintenus pendant de longues périodes en cellule d'isolement.
Human Rights Watch a documenté l'implication du gouvernement soudanais dans la mort et les blessures causées à des manifestants ainsi qu’à des passants qui se trouvaient sur les lieux des manifestations de septembre 2013, ainsi que la responsabilité de membres des services de renseignement dans des détentions arbitraires, des mauvais traitements et des tortures. Les responsables soudanais de l'application des lois continuent de recourir à une force excessive pour disperser des manifestations, ce qui a, par exemple, causé la mort d'un étudiant darfouri en mars 2014.
Le gouvernement soudanais a contesté le nombre de victimes et a nié la responsabilité des forces de sécurité dans les violences de septembre. Bien que les ministres de l'Intérieur et de la Justice aient annoncé la création de deux commissions d’enquête, les seules conclusions rendues publiques à ce jour concernent les dommages qui auraient été causés par les manifestants, plutôt que les décès ou les allégations d'arrestations illégales et de mauvais traitements.
« La Commission africaine devrait profiter de sa session imminente pour donner un coup de projecteur sur les exactions et les répressions continuelles en Angola et au Soudan », a conclu Daniel Bekele. « Compte tenu de l'indifférence du gouvernement à leur sort, les victimes d'abus dans ces deux pays n'ont guère d'autres recours possibles pour obtenir justice. »