Mise à jour: Le 15 janvier, le nombre de pays signataires a atteint 58.
(New York) – Une lettre envoyée au Conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) au nom de 57 États réclamant un renvoi de la situation en Syrie à la Cour pénale internationale (CPI) renforce les efforts internationaux visant à mettre fin aux graves exactions commises dans ce pays. Davantage de pays devraient se joindre à l'appel et faire comprendre aux membres du Conseil réticents l'urgence de la prise en compte du devoir de rendre des comptes.
La lettre— envoyée par la Suisse le 14 janvier 2013, et signée par de nombreux États dont la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Botswana, la Tunisie, le Japon et le Costa Rica — fait état d’un climat d'impunité générale en Syrie et conclut que le Conseil de sécurité doit donc agir pour combler ce manquement au devoir de rendre des comptes. Les signataires viennent de toutes les régions du monde et représentent une diversité significative d’États membres des Nations Unies, a expliqué Human Rights Watch.
« D'après les estimations de l'ONU évaluant à plus de 60 000 le nombre de morts en Syrie, cette initiative de justice devrait secouer le Conseil de sécurité pour qu’il agisse », a déclaré Balkees Jarrah, juriste auprès de la division Justice internationale à Human Rights Watch. « La Russie et la Chine ont paralysé le Conseil pendant trop longtemps et ont besoin d'entendre la demande de justice des pays du monde entier. »
La Syrie n'est pas un État partie au Statut de Rome, le traité instituant la CPI. Par conséquent, la CPI ne pourrait obtenir compétence sur les crimes en Syrie que si le Conseil de sécurité défère cette situation à la Cour. L’autorité de renvoi du Conseil étend considérablement le devoir de rendre des comptes pour les crimes internationaux graves pour lesquels il n’existerait autrement pas de justice, selon Human Rights Watch. Le Conseil n’a déféré des situations que deux fois, en ce qui concerne la région du Darfour au Soudan en 2005 et en Libye en 2011. L’organisme de l’ONU, cependant, n'a pas donné suite à d'autres occasions importantes comportant des preuves solides de crimes internationaux graves et généralisés et peu de perspectives d’obtenir que des comptes soient rendus au niveau local, comme lors du conflit meurtrier au Sri Lanka.
Cela fait près de deux ans que le Conseil de sécurité fait l'impasse sur la Syrie. La Russie et la Chine ont utilisé leur droit de veto pour bloquer trois résolutions condamnant les violations qui y sont commises.
« Un renvoi serait impartial et donnerait compétence à la CPI pour enquêter sur les crimes commis par le gouvernement et l'opposition », a déclaré Balkees Jarrah. « Il priverait toutes les parties de leur sentiment d'impunité et enverrait un message clair que les exactions pourraient les faire atterrir dans une cellule de prison à La Haye. »
Parmi les 57 pays qui ont signé la lettre, figurent tous les États membres de l'Union européenne à l'exception notable de la Suède. En dépit des appels pressants de la part de la Ligue des États arabes pour que des comptes soient rendus en Syrie, notamment une référence à la justice pénale internationale dans une résolution de juillet 2012, la Tunisie et la Libye sont les seuls États membres à signer la lettre remise par la Suisse. Dans une interview avec CNN le 6 janvier, le président égyptien Mohamed Morsi a soutenu les appels lancés par les Syriens pour une justice internationale, mais l'Égypte n'a pas encore signé la lettre. Human Rights Watch a adressé une lettre au Ministre des affaires étrangères égyptien le 13 janvier 2013, appelant l’Égypte à se joindre à cet appel. Parmi les sept États parties à la CPI qui siègent actuellement au Conseil de sécurité, tous, sauf l'Argentine et le Guatemala, ont signé la lettre.
Human Rights Watch a exhorté les autres États, notamment des États arabes qui ont à plusieurs reprises exprimé leurs préoccupations à propos des massacres en Syrie, à se joindre aux appels à obtenir que des comptes soient rendus en soutenant un renvoi à la CPI comme le forum le plus apte à enquêter et poursuivre efficacement ceux qui portent la plus grande responsabilité pour les exactions commises en Syrie.
Certains gouvernements auraient freiné l’ajout de leur signature à la lettre en raison de craintes que la poursuite de la justice puisse être un obstacle à tout accord de paix et que la participation de la CPI ne coupe les voies de sorties potentielles pour le président Bachar al-Assad et d'autres hauts fonctionnaires syriens.
Cependant, le recours au Conseil de sécurité survient immédiatement après un récent discours prononcé par le président al-Assad, dans lequel il n'a donné aucune indication de son intention de quitter la Syrie.
« Assad ne parle pas de voies de sorties mais au lieu de cela promet de « vivre et mourir en Syrie », a ajouté Balkees Jarrah. « D'autre part, un renvoi à la CPI pourrait avertir d'autres acteurs qu'ils pourraient être tenus pour responsables de crimes et décourager de futures exactions. »
L'historique d'autres conflits tels que ceux des Balkans confirme que les inculpations de hauts responsables politiques, militaires et rebelles peuvent en fait consolider les efforts de paix en délégitimant et en marginalisant ceux qui se dressent sur le chemin de la résolution du conflit, selon Human Rights Watch. En outre, le fait de ne pas faire en sorte que les auteurs des crimes internationaux les plus graves rendent des comptes peut alimenter de futures exactions.
Human Rights Watch a largement documenté et dénoncé les violations généralisées commises par les forces de sécurité et les responsables du gouvernement syrien, notamment les exécutions extrajudiciaires et autres homicides illégaux de civils, les disparitions forcées, les actes de torture, l'utilisation d'armes incendiaires, l'utilisation de bombes à sous-munitions et les détentions arbitraires. Human Rights Watch a conclu que les forces gouvernementales ont commis des crimes contre l'humanité.
Human Rights Watch a également documenté des exécutions sommaires et extrajudiciaires commises par les forces de l'opposition, la torture et le mauvais traitement dans les centres de détention gérés par l'opposition, et l'utilisation d'enfants soldats par les forces d'opposition.
La nécessité de rendre des comptes en Syrie a été soulignée par différents acteurs de la communauté internationale. À plusieurs reprises, le Haut-commissariat des droits de l'homme de l’ONU a recommandé que le Conseil défère la situation à la Cour. Lors d'une session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies en juin 2012, les Maldives ont prononcé une allocution au nom de 23 pays soutenant l'appel du Haut Commissaire pour un renvoi. En outre, dans les conclusions adoptées en décembre 2012, le Conseil des Affaires étrangères de l'Union européenne a appelé le Conseil de sécurité à traiter d'urgence la situation en Syrie, notamment la question d'un renvoi devant la CPI.