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Tunisie: Un directeur de journal libéré après une semaine en prison

Son procès pour publication d’une photo « immorale » est fixé au 8 mars

(Tunis) – La décision de libérer un directeur de journal, qui avait été détenu en attendant son procès, a constitué une démarche positive, mais la détention préventive devrait être l’exception et non la règle, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 23 février 2012, un juge tunisien a accordé la liberté provisoire au directeur du quotidien national Attounsiyya, après une semaine passée en détention préventive.

Le directeur, Nasreddine Ben Saïda, sera traduit en justice le 8 mars pour atteinte aux « bonnes mœurs », à cause d’une photo publiée dans son journal.

« Tout gouvernement est en droit de fixer certaines limites aux médias sur le plan des bonnes mœurs, tant que [celles-ci] sont claires et  raisonnables, mais emprisonner des journalistes avant la tenue d’un procès est presque toujours inacceptable, car cela menace la liberté d’expression de chacun », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Les autorités ont arrêté Ben Saïda le 16 février, en même temps que Habib Guizani, le rédacteur en chef, et Mohamed Hedi Hidri, journaliste au quotidien, pour avoir publié une photo en une du numéro du 15 février, qui montre  un célèbre footballeur allemand d’origine tunisienne, couvrant de ses mains la poitrine nue de sa petite amie.

Cette photo de Sami Khedira et de sa petite amie Lena Giercke, un mannequin allemand, avait d’abord été publiée dans l’édition allemande de GQ magazine. Suite à la parution de la photo dans Attounsiyya, elle a été partagée sur des réseaux sociaux en ligne très consultés par les Tunisiens. Les autorités ont saisi toutes les copies de ce numéro du journal après leur distribution dans les kiosques de presse.

Le procureur de la République a inculpé Ben Saïda, le directeur du journal, pour distribution de matériel « de nature à nuire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs » en vertu de l’article 121(3) du code pénal. Les deux autres journalistes ont été libérés le 17 février et n’ont pas été inculpés. S’il est condamné, Ben Saïda risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et jusqu’à 1 200 dinars d’amende (801 US$).

La détention préventivedu directeur de Attounsiyya semblait incompatible avec les vigoureuses déclarations sur la liberté d’expression présentes dans le code de la presse promulgué par décret-loi le 4 novembre 2011, a déclaré Human Rights Watch.

Malgré la force des dispositions du code de la presse, les autorités poursuivent Ben Saïda sur la base d’un article du code pénal promulgué sous le gouvernement déchu de Ben Ali, a déclaré Human Rights Watch.  Elles ont eu recours au même article pour les poursuites, toujours en cours, contre Nabil Karoui, directeur de Nessma TV, pour avoir diffusé le film d’animation Persépolis.

L’article 1du nouveau code de la presse prévoit que « la liberté d’expression est garantie et exercée conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et aux autres conventions ratifiées par la Tunisie sur le sujet ». Le code de la presse énonce que « les seules limites à cette liberté sont celles introduites par la loi pour défendre les valeurs légitimes de protection des droits et de la dignité d’autrui, du maintien de l’ordre public et de la protection de la défense nationale et de l’ordre, à supposer qu’elles soient nécessaires et conformes aux mesures applicables dans une société démocratique, sans mettre en péril le droit lui-même ».

Même si les autorités tunisiennes bénéficient d’une certaine marge pour restreindre la liberté d’expression quand c’est strictement nécessaire, emprisonner des journalistes avant leur procès pour avoir reproduit une photo ne répond pas à la condition de « nécessité » posée par le code de la presse pour restreindre l’expression en question, a déclaré Human Rights Watch. De même que le fait d’emprisonner des journalistes pour ce qu’ils publient, sauf dans les circonstances les plus extrêmes, n’est conforme « aux mesures applicables dans une société démocratique », puisque cela fragilise la liberté de la presse, condition préalable d’une société démocratique.

De plus, l’article 13 du nouveau code de la presse énonce qu’« [un(e)] journaliste ne peut être inculpé(e) sur la base d’une opinion, d’une idée ou d’une information qu’il ou elle a publiée conformément aux pratiques et à l’éthique de la profession, ni être poursuivi(e) pour son travail, à moins que la violation des dispositions du présent décret-loi ne soit prouvée ».

L’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques énonce que la détention préventive doit être l’exception, et non la règle. Cela signifie que les autorités doivent justifier une telle détention par des motifs convaincants, comme le fait que l’inculpé présente un risque de fuite, un danger pour autrui, ou qu’il risque, une fois libéré, de tenter de suborner les personnes devant témoigner contre lui.

« L’Assemblée constituante doit accélérer son travail de révision des lois répressives de l’ère Ben Ali, telles que l’article 121(3) du code pénal, a conclu Sarah Leah Whitson. Même si les Etats trouvent intérêt à protéger les bonnes mœurs, l’Assemblée constituante devrait s’assurer que toute restriction formulée dans la loi soit spécifique et claire, afin de réduire les applications arbitraires de cette loi et dégager le plus grand espace possible pour la libre expression ».

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