(Kiev, le 11 mai 2011) - Chaque année en Ukraine, des dizaines de milliers de patients atteints de cancer à un stade avancé souffrent inutilement de douleurs aiguës, parce qu'ils n'ont pas accès à des médicaments antidouleur efficaces, sûrs et peu onéreux, a affirmé Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.
Le rapport de 93 pages, intitulé « Uncontrolled Pain: Ukraine's Obligation to Ensure Evidence-Based Palliative Care » (« Une souffrance extrême : l'obligation de l'Ukraine de garantir l'accès à des soins palliatifs fondés sur des données probantes »), décrit les politiques gouvernementales ukrainiennes qui empêchent les patients vivant dans en zone rurale d'obtenir les médicaments antidouleur de base. Si la plupart des patients atteints de cancer qui vivent en ville ont accès à certains médicaments, les traitements qu'ils reçoivent ne sont pas adapté et ne procurent qu'un soulagement limité, a constaté Human Rights Watch.
« Il n'y a aucune raison justifiant que les gens soient obligés de vivre leurs derniers mois comme une torture », a affirmé Diederik Lohman, chercheur senior auprès de la division Santé et Droits humains à Human Rights Watch. « La souffrance aiguë n'est pas inévitable. L'Ukraine doit corriger ses politiques de santé et sa réglementation antidrogue pour mettre à la portée de ceux qui en ont besoin des traitements antidouleur sûrs et efficaces. »
Le rapport s'appuie sur des entretiens approfondis menés avec 20 patients, 35 professionnels de la santé, et une dizaine de fonctionnaires de santé et d'agents du contrôle des drogues, ainsi que sur un examen de la réglementation et des documents de politiques concernés.
Au moins 80 000 patients souffrant du cancer connaissent chaque année de terribles souffrances, si l'on en croit les chiffres de la mortalité due à cette maladie. De plus, de nombreux autres patients, parmi lesquels ceux qui sont atteints du HIV, de la tuberculose, ou d'autres infections et maladies, souffrent également parfois de graves douleurs, qu'elles soient aiguës ou chroniques.
Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, « la majorité, voire toutes les douleurs liées au cancer pourraient être soulagées si nous appliquions les connaissances médicales et les traitements existants ». La morphine orale de base est peu onéreuse, et peut être administrée par les patients ou les membres de la famille de la même manière que n'importe quel autre traitement par voie orale.
Le rapport identifie trois obstacles majeurs à un traitement correct de la douleur en Ukraine :
- Le manque de morphine orale. Depuis plusieurs décennies, la morphine par voie orale constitue le traitement de base des douleurs liées au cancer. L'Organisation Mondiale de la Santé considère ce médicament comme indispensable. Pourtant, le gouvernement ukrainien n'a jamais assuré la disponibilité de ce traitement dans le système public de santé. On ne peux pas non plus se le procurer dans les cliniques privées. Seuls deux autres pays européens (l'Arménie et l'Azerbaïdjan) ne disposent pas de stocks de morphine orale.
- La réglementation antidrogue. Dans le cadre de son action pour réprimer l'usage illégal des stupéfiants, l'Ukraine a adopté une réglementation antidrogue qui figure parmi les plus restrictives au monde, sans considérer de façon appropriée les besoins en stupéfiants pour raisons médicales. Ces réglementations interfèrent gravement avec la disponibilité médicale de traitements comme la morphine.
- Formation des professionnels de la santé. Les étudiants en médecine et les jeunes médecins ne reçoivent pas de formation adaptée sur les techniques modernes de traitement de la douleur.
Ces trois obstacles combinés empêchent selon Human Rights Watch les patients d'obtenir un traitement médical approprié. Par exemple, la réglementation de l'Ukraine en matière de stupéfiants exige que la morphine injectable - la seule formule du médicament disponible dans le pays - soit administrée au patient directement par un professionnel de la santé. Dans la mesure où la morphine n'agit que pendant quatre à six heures, ceci implique que les patients en fin de vie restés à domicile - comme c'est le cas de la plupart des patients atteints de cancer en Ukraine - devraient être visités par un professionnel de santé six fois par jour . Les recherches de Human Rights Watch indiquent que la plupart des patients ne reçoivent aucune morphine, ou seulement une ou deux doses par jour. Si la morphine orale était disponible, les patients pourraient rentrer chez eux avec un stock de médicaments, et prendre le traitement eux-mêmes.
Lors de rencontres organisées pour discuter des résultats de cette recherche, des agents du contrôle des drogues ont affirmé à Human Rights Watch que les réglementations actuelles sont inutilement restrictives selon eux, et qu'il faut les réformer.
Le rapport recommande également de développer la formation des professionnels de la santé dans le domaine du traitement de la douleur.
« Des patients nous ont raconté que leurs souffrances étaient telles qu'ils préféreraient mourir plutôt que de vivre avec leur douleur », a affirmé Diederik Lohman. « Le gouvernement ukrainien doit de toute urgence introduire la morphine par voie orale, et réformer sa réglementation antidrogue, qui est inéquitable. »
Sélection de citations de patients
« Je voulais tomber la tête la première et mourir tout de suite, pour que ça ne fasse plus mal. »
- - Vlad Zhukovsky, décrivant une tentative de suicide ratée
« La douleur était telle que mon corps tout entier semblait se briser. On appelait l'ambulance toutes les deux ou trois heures, parce que je ne pouvais pas la supporter. »
- - Konstantin Zvarich, évoquant ses souffrances dans un village de la région rurale de Poltava
« La douleur devenait insupportable au moindre mouvement, et elle a empiré de jour en jour, à cause du processus pathologique en cours dans les articulations de ses hanches. La douleur affectait son sommeil, son appétit, et son état psychologique. Il est devenu très irritable, et plus rien ne pouvait plus le rendre heureux. Un éternuement ou une banale toux lui causait d'intolérables souffrances ... Si vous frappiez au mur, et qu'il était couché là, il hurlait [de douleur]... »
- - Natasha Malinovska, racontant les souffrances de son mari, un patient non-cancéreux