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Violences ethniques au Kirghizistan: un soutien international s’impose

Par Gilles et Marie Concordel, membres du Comité exécutif de Human Rights Watch Genève

Publié dans: Le Temps

Dans une yourte de la place centrale de la ville d'Och qui fut l'épicentre de la violence, une vingtaine de femmes nous font part d'histoires déchirantes à propos de leurs familles tuées par une foule ouzbèke. Elles nous montrent des photos de corps sauvagement mutilés.

Selon elles, les Ouzbeks ont organisé la violence afin de chasser l'ethnie kirghize du sud du Kirghizistan en vue d'unifier ce territoire avec l'Ouzbékistan. Leur peur de nouvelles attaques et leur désir de revanche sont palpables.

Un peu plus tard, nous entendons une tout autre version dans les quartiers ouzbeks d'Och. En effet, les Ouzbeks racontent comment des foules enragées de Kirghiz provenant des villages environnants ont pillé et incendié des quartiers ouzbeks entiers, et sauvagement tué ceux qui n'avaient pas encore fui.

Selon eux, le gouvernement a utilisé des véhicules militaires pour enlever les barricades à l'entrée de leurs quartiers et laisser passer la foule kirghize. Ils accusent les Kirghiz de génocide et d'assauts organisés pour faire disparaître d'Osh l'importante minorité ouzbèke du sud du pays.

Nous sommes venus au Kirghizistan avec des chercheurs de l'ONG Human Rights Watch (HRW) afin de présenter au gouvernement le rapport de HRW sur la situation. Plus de deux mois après la fin des violences, les deux communautés, habituées aux quartiers mixtes et aux mariages interethniques, vivent toujours dans la peur mutuelle. Beaucoup ont fui vers des zones mono-ethniques relativement plus sûres.

Alors que certains officiels du gouvernement essaient de réconcilier les communautés ouzbèke et kirghize, de continuelles violations des droits de l'homme nourrissent les tensions et la méfiance.

Peu après notre arrivée à Och, une famille ouzbèke nous demande de venir rapidement. La veille, la police a détenu et interrogé Ruslan, un homme de 63 ans. Il est rentré chez lui incapable de tenir debout avec des ecchymoses sur le visage et le cou. Alors que nous parlons à sa famille, il est pris de violentes douleurs et est emmené à l'hôpital.

En larmes, sa fille nous explique comment son magasin a été incendié pendant les affrontements. La famille est terrifiée par la police qui a appelé ce matin pour convoquer de nouveau Ruslan. Nous comprenons leur terreur et leur colère face à l'injustice dont ils sont victimes.

Ce cas n'est pas unique. Le rapport de HRW a documenté des dizaines d'arrestations arbitraires, de mauvais traitements et de cas de torture contre l'ethnie ouzbèke depuis les violences de juin dernier.

Nous avons rencontré plusieurs membres du gouvernement, dont la présidente Roza Otunbayeva, qui ont exprimé de l'intérêt pour les résultats de nos recherches.

Malheureusement, cet accueil n'est pas unanime. Le procureur général en charge des enquêtes sur les violences de juin a évité les sujets sensibles en se concentrant sur la photo de couverture du rapport de HRW, son titre et divers détails secondaires. Quand nous avons ramené la discussion sur les violations actuelles documentées dans le rapport, il s'est emporté et nous a accusés de prendre parti pour les Ouzbeks. Le médiateur pour les droits de l'homme a surenchéri.

Cette attitude ne présage rien de bon pour le nécessaire processus de réconciliation des deux communautés. Le gouvernement a établi une commission nationale d'enquête sur les événements mais, alors que cette commission n'a pas encore rendu son rapport, son directeur a déjà accusé un leader ouzbek d'être l'instigateur des violences.

Afin que ces deux communautés se réconcilient et puissent vivre ensemble, il faut que la minorité ouzbèke reprenne confiance en les autorités. Malheureusement, les autorités locales se montrent incapables ou non désireuses de les protéger et de mener des enquêtes impartiales selon le droit national et international. Un soutien international est absolument nécessaire.

Ce soutien arrive. L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) doit envoyer un petit groupe de policiers internationaux pour assurer suivi et conseil. Ceux-ci doivent impérativement être affectés dans des commissariats de police locaux et pouvoir suivre les patrouilles. En effet, poster ces policiers à Bichkek (à 10 heures de route), ainsi que le souhaitent certains officiels locaux, serait complètement inutile. Cette force de police doit arriver mi-septembre, plus de trois mois après le début des violences.

Une enquête internationale sur les événements de juin est par ailleurs mise en place et sera coordonnée par un membre de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE. La crédibilité de cette enquête exigera des enquêteurs expérimentés, la coopération des autorités du pays, l'accès aux sites, aux témoins et à l'information et un programme efficace de protection des victimes et des témoins.

Les défis sont considérables. Les tensions entre les deux communautés sont toujours présentes à Och et sont exacerbées par l'approche des élections parlementaires du 10 octobre. L'arrivée de policiers internationaux ainsi que la tenue d'une enquête pourraient réduire ces tensions. Nous espérons que les institutions et les acteurs engagés dans le processus veilleront à la mise en place de ces deux structures.

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Gilles et Marie Concordel, membres du Comité exécutif de Human Rights Watch Genève, se sont rendus au Kirghizistan suite aux déchaînement de violences en juin.

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