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Burundi : Il faut prévenir et réprimer la « justice populaire »

La complicité des autorités contribue aux attaques contre de présumés malfaiteurs

(Bujumbura, le 26 mars 2010) - Au Burundi, les attaques perpétrées par des foules contre de présumés malfaiteurs, souvent avec la complicité des autorités, ont conduit à au moins 75 meurtres en 2009, ont déclaré Human Rights Watch et l'Association pour la Protection des Droits Humains et des Personnes Détenues (APRODH) dans un rapport publié aujourd'hui. Le gouvernement burundais devrait mettre fin à l'implication des autorités dans des actes de « justice populaire » et traduire les responsables en justice, ont souligné Human Rights Watch et l'APRODH.

Le rapport de 111 pages, intitulé « La ‘justice' populaire au Burundi : Complicité des autorités et impunité », révèle que les autorités ont parfois été directement impliquées dans des meurtres par lynchage et des passages à tabac de présumés malfaiteurs, ou ont facilité ces actes en mettant sur pied des « comités de sécurité » non formés qui opèrent en marge de la loi. Dans d'autres cas, des agents de l'État ont assisté sans réagir à des attaques menées par une foule contre de présumés malfaiteurs. Le rapport, résultat de sept mois de recherches sur le terrain, relève que ces meurtres ne débouchent que rarement sur l'ouverture d'enquêtes officielles, et encore moins sur des poursuites judiciaires.

« Trop de responsables ferment les yeux devant la justice populaire qui est endémique au Burundi », a dénoncé Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « L'État a pourtant le devoir de garantir la sécurité de ses citoyens, même s'ils sont soupçonnés d'avoir commis un délit. »

Le rôle joué par certains responsables locaux va d'une implication directe dans des actes de violence populaire à des connivences pour étouffer les affaires. Dans la commune de Buraza, un membre du conseil local de colline aurait participé au meurtre par lynchage d'un présumé voleur, Cyprien Habonimana, et à la torture de sa complice présumée. Dans la commune de Mutaho, un chef de poste de la police a déclaré à Human Rights Watch et à l'APRODH que toute personne surprenant quelqu'un en flagrant délit de vol dans son champ la nuit pouvait légitimement tuer le suspect ; ce chef de poste a refusé d'enquêter sur ce type de meurtres, même lorsque l'identité des meneurs était bien connue. Dans la commune de Kinyinya, les responsables administratifs ont dissimulé des informations à la police au sujet du meurtre par lynchage de deux jeunes soupçonnés d'avoir volé un vélo.

Rares sont les cas de violence populaire qui ont donné lieu à des enquêtes ou à des arrestations, et aucune de ces affaires n'avait encore abouti à une condamnation en février 2010.

Néanmoins, dans certains cas, les responsables de la police et de l'administration ont cherché à s'interposer dans des actes de violence populaire, mettant parfois grandement en péril leur propre vie. Dans la commune de Giteranyi, par exemple, un responsable communal a tenté d'emmener sur sa moto un homme soupçonné de meurtre afin de le mettre en sécurité, se frayant un passage à travers une foule en colère qu'il a estimée à 2 000 personnes. La foule a jeté des pierres sur le responsable communal, qui s'est vu obligé d'abandonner l'homme qu'il avait pris en charge.

À Bujumbura, un présumé voleur de moto sauvé de la vindicte populaire par la police a confié à Human Rights Watch : « Je ne m'en serais jamais sorti vivant si la police n'avait pas été là. »

Presque un quart des affaires décrites dans le rapport ont eu lieu dans la province de Ruyigi, théâtre de 17 des 75 meurtres par lynchage enregistrés en 2009. Ngozi, Bujumbura Mairie, Bujumbura Rural, Gitega et Muyinga figurent parmi les autres provinces fortement touchées.

Human Rights Watch et l'APRODH ont révélé que parmi les facteurs contribuant au phénomène de justice populaire figure notamment le manque de confiance dans la police et dans l'appareil judiciaire, tous deux minés par la corruption, l'incompétence et un manque de moyens. De nombreux Burundais croient que toute personne soupçonnée d'infraction peut obtenir sa libération de prison en versant un pot-de-vin, ce qui rend le système de justice officielle inopérant. Ces conditions donnent lieu à de graves problèmes sur le plan des droits humains.

« Les Burundais qui sont victimes d'un délit n'attendent aucune protection de la part de la police et aucune justice de la part des tribunaux. Ils préfèrent souvent recourir à la force pour se protéger », a expliqué Pierre Claver Mbonimpa, président de l'APRODH. « Pour mettre fin à la justice populaire, il faudrait que le gouvernement prenne des mesures urgentes pour rétablir la confiance de la population dans la police et dans le système judiciaire. »

Human Rights Watch et l'APRODH ont appelé le gouvernement à mettre un terme à l'impunité dont jouissent les auteurs d'actes de justice populaire, lesquels devraient être traduits en justice comme le sont les autres responsables d'infractions graves. Le gouvernement devrait lancer une vaste campagne de sensibilisation du public visant à améliorer sa compréhension du système de justice pénale et à décourager la justice populaire. Le gouvernement devrait par ailleurs remédier aux déficiences de la police et de l'appareil judiciaire qui contribuent à la perpétration de ces meurtres, ont souligné les deux organisations.

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