Les autorités militaires du Niger ont réprimé les médias, la dissidence pacifique et l’opposition politique depuis leur prise du pouvoir à la suite d’un coup d’État en juillet 2023. Elles détiennent arbitrairement l’ancien président Mohamed Bazoum et son épouse, des dizaines de responsables issus du gouvernement déchu et des personnes proches de Mohamed Bazoum, ainsi que plusieurs journalistes. Elles ont également rejeté tout examen public des dépenses militaires.
Le Niger continue de lutter contre des groupes armés islamistes, notamment l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et son rival, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda, ainsi que Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) dans les régions de l’ouest et du sud-est du pays.
En réponse au coup d’État, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a imposé des sanctions au pays et aux putschistes en août 2023, notamment des interdictions de voyager et des gels d’avoirs. La CEDEAO a levé ces sanctions en février.
En août 2023, l’actuel dirigeant du Niger, le général Abdourahamane Tiani, a annoncé une transition de trois ans vers un régime démocratique, mais aucune date n’a encore été fixée pour des élections présidentielles.
Le 28 janvier, la junte a indiqué qu’elle quitterait la CEDEAO avec le Mali et le Burkina Faso, une décision qui devrait limiter les possibilités pour les Nigériens de demander justice pour des violations des droits humains devant la Cour de justice de la Communauté de la CEDEAO.
Le 7 juillet, les chefs militaires du Niger, du Burkina Faso et du Mali ont signé un traité créant la Confédération Alliance des États du Sahel (Confédération AES) qui va plus loin que l’Alliance des États du Sahel, un pacte de défense mutuelle créé en septembre 2023, et qui exclut toute possibilité de retour au sein de la CEDEAO.
Répression de l’opposition et de la dissidence après le coup d’État
Depuis le coup d’État, Mohammed Bazoum et son épouse sont détenus au palais présidentiel de Niamey, la capitale. En décembre 2023, la Cour de justice de la CEDEAO a statué que Mohammed Bazoum était détenu arbitrairement et demandé sa libération. En avril, les autorités ont entamé une procédure judiciaire contre lui afin de lever son immunité présidentielle pour qu’il puisse être poursuivi pour des crimes présumés commis après son élection à la présidence en 2021. Le 14 juin, la Cour d’État du Niger a levé l’immunité de Mohammed Bazoum à l’issue d’une procédure qui n’a pas respecté les normes internationales en matière de procédure régulière et de procès équitable, y compris du point de vue des droits de la défense.
Depuis le coup d’État, la junte a arrêté arbitrairement au moins 30 responsables issus du gouvernement déchu, dont d’anciens ministres, des membres du cabinet présidentiel et des proches de Mohamed Bazoum, sans garantir leur droit à une procédure régulière et à un procès équitable. Au moins quatre personnes parmi les 30 responsables ont été libérées sous caution en avril, tandis que tous les autres ont été accusés d’ « atteinte à la sûreté de l’État », entre autres délits, et ce devant un tribunal militaire, bien qu’ils soient des civils.
Le 29 mai, le ministre de la Justice et des Droits de l’homme a publié une circulaire qui suspend « jusqu’à nouvel ordre » toutes les visites des organisations de défense des droits humains dans les prisons nigériennes, en violation du droit national et international en matière de droits humains, notamment de la Convention contre la torture et de son Protocole facultatif, auxquels le Niger est partie.
Répression de la liberté d’expression après le coup d’État
Depuis le coup d’État de 2023, les libertés des médias ont été fortement restreintes. Les autorités ont menacé, harcelé et arrêté arbitrairement des journalistes, dont beaucoup ont déclaré qu’ils s’autocensuraient par peur des représailles.
Le 29 janvier, le ministre de l’Intérieur a publié un décret qui suspend les activités de la Maison de la Presse, une organisation de médias indépendante, et a annoncé la création d’un nouveau comité de gestion de l’organisme, dirigé par le Secrétaire général du ministère de l’Intérieur.
En avril, les forces de sécurité ont arrêté le journaliste Ousmane Toudou. Dans les jours qui ont suivi le coup d’État de juillet 2023, Ousmane Toudou avait dénoncé le coup d’État militaire dans un message largement diffusé sur les réseaux sociaux. En mai 2024, il a été inculpé de « complot contre la sûreté de l’État » et placé en détention provisoire.
En avril, les forces de sécurité ont arrêté Soumana Maiga, directeur de publication de L’Enquêteur, après que le journal a relayé un article publié dans un journal français sur l’installation présumée de matériel d’écoute par des agents russes dans des bâtiments de l’État. Il a été présenté devant un juge en mai, détenu pour atteinte à la défense nationale et libéré dans l’attente de son procès le 9 juillet.
Tchima Illa Issoufou, correspondante de la BBC en langue haoussa au Niger, a été menacée par des membres des forces de sécurité qui l’ont accusée de tenter de « déstabiliser le Niger » en raison de sa couverture médiatique de la situation sécuritaire dans la région de Tillabéri, dans l’ouest du Niger, où des groupes islamistes armés ont perpétré des attaques contre des civils et des membres des forces de sécurité. En mai, Tchima Illa Issoufou a été contrainte de fuir le pays. Le 26 avril, les forces de sécurité ont arrêté Ali Tera, un activiste de la société civile que Tchima Illa Issoufou avait interviewé.
Le 12 juin, le ministre de la Justice a annoncé que la loi sur la cybercriminalité de 2019 avait été modifiée. Cette loi, qui criminalisait « la diffusion, la production et la mise à la disposition d’autrui de données pouvant troubler l’ordre public », a été utilisée pour restreindre les droits humains en 2020, notamment le droit à la liberté d’expression en ligne. En 2022, le gouvernement de Mohamed Bazoum a modifié la loi en remplaçant les peines d’emprisonnement par des amendes pour les délits liés à la diffamation. Les amendements du 12 juin rétablissent toutefois ces peines d’emprisonnement.
Recul en matière de lutte contre la corruption
Le 23 février, le général Tiani, qui s’était engagé à lutter contre la corruption après son arrivée au pouvoir, a signé une ordonnance qui abroge tout examen des dépenses militaires. L’ordonnance stipule que « les dépenses ayant pour objet l’acquisition d’équipement ou matériel ou de toute autre fourniture, la réalisation de travaux ou de services destinés aux forces de défense et de sécurité [...] sont exclues du champ d’application de la législation relative aux marchés publics et à la comptabilité publique ». La transparence des budgets et des dépenses militaires est essentielle pour lutter contre la corruption et la mauvaise gestion et contribue au respect des droits humains et de l’État de droit, ainsi qu’à l’obligation pour les gouvernements de rendre des comptes.
Attaques de groupes armés islamistes ou d’autres groupes
Une insurrection islamiste a éclaté dans le nord du Mali en 2012 avant de s’étendre au Niger et au Burkina Faso voisins en 2015. Elle a donné lieu à des abus généralisés au Niger depuis plus d’une décennie. La zone dite des « trois frontières », au sud-ouest du Niger dans la région de Tillabéri entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, a régulièrement été le théâtre d’attaques menées par des groupes armés liés à l’État islamique et à Al-Qaïda. L’EIGS a imposé la charia (loi islamique) dans la région de Tillabéri, appliquant des règles sévères, genrées et discriminatoires qui entravent la capacité des femmes et des filles à subvenir à leurs besoins, limitent leur participation à la vie civique et exposent les filles à des mariages précoces.
Les médias ont rapporté que le 6 janvier, des frappes de drones militaires nigériens contre des groupes armés islamistes ont tué plusieurs civils dans le village de Tiawa, dans la région de Tillabéri. Le lendemain, la junte a publié une déclaration reconnaissant qu’il y avait eu des victimes civiles, sans toutefois fournir de bilan humain.
Le ministre nigérien de la Défense a déclaré qu’une coalition de groupes armés avait tué vingt soldats et un civil le 25 juin lors d’une attaque contre le village de Tassia, dans la région de Tillabéri.
Le 11 juillet, près de 200 prisonniers, parmi lesquels figuraient des combattants islamistes présumés, se sont évadés d’une prison de haute sécurité à Koutoukalé, dans la région de Tillabéri. Les autorités ont appelé à une vigilance accrue et lancé des opérations de recherche.
Une série d’attaques contre l’oléoduc qui achemine le pétrole brut du Niger vers le Bénin a été signalée en 2024. Des rebelles de l’ethnie toubou appartenant au Front patriotique de libération, qui lutte pour la libération de Mohamed Bazoum, ont revendiqué au moins deux de ces attaques, dont une qui a eu lieu le 16 juin à Tesker et qui a partiellement détruit l’oléoduc.
Nouvelle base de données sur le terrorisme
Le 27 août, le général Tiani a signé l’ordonnance n° 2024-43 portant création d’un « fichier de personnes, groupes de personnes ou entités impliqués dans des actes de terrorisme ». Les critères d'inclusion dans la base de données, tels que définis par l’ordonnance, sont excessivement larges. Cette dernière prive les individus listés de leur droit à une procédure régulière et à un mécanisme de recours adéquat et met en péril des droits relatifs à la vie privée.
Le 10 octobre, le général Tiani a signé un décret qui s’appuie sur l’ordonnance précédemment adoptée pour créer la base de données sur le terrorisme et déchoit provisoirement de leur nationalité nigérienne neuf personnes liées à Mohamed Bazoum. Cette décision a suscité des inquiétudes quant à la protection des droits humains de ces personnes. En perdant leur nationalité, ces personnes pourraient être privées de protections juridiques et sociales à l’étranger et ne pas pouvoir revenir au Niger.