Le 15 avril 2023, des combats ont éclaté dans la capitale soudanaise, Khartoum, entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (FSR), une force militaire indépendante, et se sont rapidement étendus au reste du pays. Ces affrontements ont débuté après plusieurs mois de tensions croissantes entre le général Abdelfattah al-Burhan, chef des SAF, et Mohamed Hamdan Dagalo (« Hemedti »), chef des FSR, concernant l’intégration de ces dernières au sein des SAF. Burhan et Hemedti avaient mené conjointement un coup d’État militaire contre le gouvernement de transition en octobre 2021.
Depuis le début des hostilités, les deux forces ont utilisé à plusieurs reprises des armes explosives lourdes dans des zones densément peuplées, faisant de nombreuses victimes civiles et détruisant des biens civils et des infrastructures cruciales. En septembre, l’ONU a signalé qu’au moins 9 000 personnes avaient été tuées depuis le début du conflit, un chiffre probablement très en deçà du véritable bilan, avec 5,4 millions de personnes déplacées de force, dont 4,1 millions à l’intérieur du pays et plus d’un million réfugiées dans les pays voisins.
Depuis fin avril, l’État du Darfour occidental a été le lieu de certaines des pires attaques perpétrées contre des civils et de graves violations du droit international humanitaire. Des attaques à grande échelle lancées par les FSR et leurs alliés – en majorité des milices arabes –principalement contre l’ethnie Massalit ont été commises dans plusieurs villes de la région.
Des combats ont également opposé les deux forces rivales dans d’autres régions du pays, notamment dans le Kordofan méridional, aggravant considérablement la crise humanitaire. En août, l’ONU a déclaré qu’au moins 19 travailleurs humanitaires avaient été tués. Les personnels de santé communautaires soudanais et les réseaux de soutien ont également été visés. On estime que 20 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire dans le pays. Les combats en cours et les multiples obstacles bureaucratiques entravent l’acheminement de l’aide dans le pays, a mis en garde en août le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Conflits et abus à Khartoum
Depuis le début du conflit, les SAF et les FSR ont recouru à des armes explosives lourdes dans des zones densément peuplées de l’état de Khartoum, notamment dans les villes d’Omdurman et de Bahri, tuant des milliers de civils, endommageant des infrastructures cruciales, et privant des millions de personnes d’accès aux articles de première nécessité. Les combats ont détruit de nombreuses habitations ainsi que d’autres biens civils.
À Khartoum et dans des villes du Darfour et du Kordofan, des attaques aveugles, notamment des bombardements des deux camps et des frappes aériennes des SAF, ont tué des centaines de personnes. Selon l’ONU, une de ces frappes menée le 4 juin par les SAF dans le sud de Khartoum, qui a touché un camp de réfugiés, a tué au moins 10 résidents. À la mi-septembre, Médecins Sans Frontières (MSF) a déclaré qu’au moins 49 personnes avaient été tuées et qu’ils avaient soignés plus de 100 blessés après deux attaques meurtrières lancées dans un marché animé et une autre dans un quartier résidentiel de Khartoum.
Le 15 avril, la station d’épuration de Bahri, au nord de Khartoum, a été endommagée, privant d’eau les habitants de la région. Les autorités en charge ont indiqué que les combattants les avaient empêchés à plusieurs reprises d’accéder au site, invoquant l’insécurité, ce qui a entravé les réparations.
Plusieurs centres médicaux à Khartoum ont été endommagés par des frappes aériennes ou des bombardements, forçant un certain nombre d’entre eux à fermer. Alors que les combats se sont intensifiés dans la capitale à partir du mois d’août, les agences humanitaires ont mis en garde contre les risques qui pèsent sur les quelques hôpitaux encore fonctionnels. En octobre, l’OCHA a déclaré que plus de 70% des hôpitaux dans les zones touchées par le conflit ne sont pas opérationnels.
Le 20 juillet, MSF a déclaré que quatre membres de son personnel ont été arrêtés par des « hommes armés » qui les ont agressés à coups de fouets et leur a volé leur véhicule.
Les parties belligérantes ont également arrêté de manière arbitraire, placé en détention secrète et maltraités des civils, dont des personnels de santé. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a déclaré que depuis la fin juillet, au moins 500 personnes, dont 24 femmes, étaient portées disparues. Il a déclaré qu’un nombre important de personnes arrêtées auraient subi de mauvais traitements et, dans certains cas, auraient été torturées. En septembre, Emergency Lawyers, une coalition d’avocats spécialisés dans la défense des droits humains, a rendu public un rapport documentant des abus généralisés, notamment des exécutions extrajudiciaires et des actes de torture, commis dans des sites de détention contrôlés par les deux camps en conflit.
Selon les observateurs des droits humains, les SAF et les FSR ont également intimidé, attaqué et arrêté à plusieurs reprises de nombreux militants et bénévoles qui facilitaient l’acheminement de l’aide et d’autres services essentiels.
En mai, les renseignements militaires, qui dépendent des SAF, auraient arrêté deux bénévoles qui conduisaient une ambulance, les accusant de collaborer avec les FSR, avant de les remettre en liberté rapidement après. Des militants ont également indiqué que les FSR ont arrêté trois médecins venus à Khartoum pour y faire du bénévolat dans un hôpital en septembre.
Le conflit a été marqué par le pillage systématique d’entrepôts contenant l’aide humanitaire ainsi que des biens et des propriétés humanitaires dans toute la région de Khartoum. Le Secrétaire général de l’ONU a déclaré en mai que la plupart, sinon la totalité, des agences de l’ONU et de leurs partenaires humanitaires ont été confrontés à un vaste pillage de leurs stocks humanitaires. Parallèlement, les FSR ont procédé à de nombreux pillages, notamment de propriétés privées, dans toute la capitale.
Conflits et abus au Darfour
Dès le 24 avril, les FSR et des milices arabes ont mené des attaques contre des communautés non-arabes à El Geneina, la capitale du Darfour occidental. Des milliers de personnes ont été tuées et des centaines de milliers de Soudanais, issus pour la plupart de communautés non-arabes et en particulier les Massalit, ont été contraints de fuir au Tchad voisin du aux combats et aux exactions. Les FSR et ses milices alliées ont commis de nombreux meutres de civils à El Geneina, notamment alors qu’ils cherchaient à fuir pour se mettre en sécurité. Ils se sont également rendus coupables de nombreux pillages et d’incendies criminels et ont attaqué des infrastructures civiles vitales, dont des camps de personnes déplacées, des hôpitaux et des marchés. Les assaillants ont également pris pour cible des dirigeants et des défenseurs des droits humains locaux, les traquant, arrêtant certain d’entre eux et tuant deux avocats qui représentaient des victimes de précédentes attaques de ces groupes à El Geneina.
Au moins sept autres villes de l’état du Darfour occidental ont été attaquées et incendiées, certaines presque entièrement, entre avril et juillet.
Le 28 mai, des milliers de FSR et de milices alliées ont attaqué la ville de Misterei, à 42 kilomètres d’El Genaina. Ils ont sommairement exécuté au moins 28 Massalit, tué et blessé des dizaines de civils et procédé à des pillages généralisés avant de réduire une grande partie de la ville en cendres.
Les attaques se sont poursuivies dans d’autres parties du Darfour occidental. À Murnei, les FSR et les milices alliées ont tué des habitants alors qu’ils s’enfuyaient, pillant et incendiant la ville le 27 juin. L’Association du barreau du Darfour a rapporté que les attaques perpétrées dans la localité de Sirba ont débuté le 24 juillet et ont duré plusieurs jours, les assaillants tuant au moins 200 personnes, dont des dirigeants locaux, et pillant des habitations, avant de les incendier.
Depuis avril, plus de 300 000 personnes ont fui au Tchad, beaucoup d’entre elles venant du Darfour occidental. Fin juillet, l’ONU enregistrait une baisse significative du nombre de personnes déplacées encore présentes au Darfour occidental, « manifestement en raison d’une hausse du nombre de [celles] ayant traversé la frontière avec le Tchad ».
Les combats entre les SAF et les FSR ont également eu lieu dans d’autres zones urbaines du Darfour. À Nyala, la capitale du Darfour du Sud, de nouveaux affrontements en août ont fait au moins 50 morts parmi les civils et ont forcé 50 000 personnes à fuir. Le 13 septembre, une frappe aérienne des SAF dans la ville a tué au moins 40 civils. Au moment de la rédaction de ce rapport, des combats intenses étaient également signalés à El Fashir, capitale du Darfour du Nord, avec des risques croissants pour les vies civiles.
Violences sexuelles liées aux conflits
Les experts de l’ONU ont exprimé leurs préoccupations devant la recrudescence des violences sexuelles pendant le conflit, notamment à Khartoum et au Darfour.
L’Initiative stratégique pour les femmes dans la Corne de l’Afrique (SIHA), une organisation de défense des droits des femmes, a déclaré en juillet avoir vérifié plus de 70 cas de violences sexuelles et sexistes liées au conflit à travers le pays, largement attribuées aux FSR.
À El Genaina, les FSR et ses milices arabes alliées ont violé plusieurs douzaines de femmes et de filles dans la ville et lorsqu’elles fuyaient les combats entre avril et juin. Des survivantes qui se sont entretenues avec Human Rights Watch ont raconté que leurs agresseurs avaient explicitement mentionné leur ethnicité et utilisé des injures raciales d’habitude prononcées à l’encontre des Massalit ou des non-arabes plus généralement.
L’accès des survivantes aux services d’urgence, notamment la prise en charge des victimes de viol et leur soutien psychosocial, a été entravé par les attaques visant les centres médicaux et les organisations fournissant des soins aux survivantes de violences sexuelles, ainsi que par la coupure des réseaux de communication à El Geneina et la faiblesse des infrastructures de santé au Tchad, où de nombreuses survivantes ont fui. La stigmatisation qui persiste autour des violences sexuelles a exacerbé les obstacles dans l’accès aux soins.
Établissement des responsabilités
Avant le déclenchement du conflit, l’alliance politique civile soudanaise, les Forces de la liberté et du changement (FFC), avait signé un accord-cadre avec les chefs militaires en décembre 2022, qui n’était pas soutenu par des organisations protestataires, craignant qu’il compromette l’établissement des responsabilités.
Le chef de l’armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhan, a mis en place une commission chargée d’enquêter sur les abus commis, mais uniquement ceux des FSR.
D’anciens responsables gouvernementaux du président déchu Omar al-Bashir, dont Ahmed Haroun, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes internationaux commis au Darfour, ont quitté la prison de Khartoum à la suite d’attaques. L’armée a déclaré qu’al-Bashir et l’ancien ministre de la Défense Abdelrahim Mohamed Hussein, également recherchés par la CPI pour des crimes internationaux commis au Darfour, étaient déjà détenus à l’hôpital militaire avant le conflit.
Le 13 juillet, le procureur de la CPI a annoncé que son bureau enquêtait sur de récentes atrocités commises dans la région soudanaise du Darfour, dans le cadre de son investigation en cours au Darfour, soulignant ainsi la gravité des abus actuels.
Réfugiés et migrants
Entre avril et septembre, selon l’ONU, près d’un million de personnes ont fui le Soudan vers l’Égypte, le Tchad, l’Éthiopie, le Soudan du Sud, ainsi que vers d’autres pays, dont les deux tiers étaient des ressortissants soudanais. Les autres étaient des Sud-Soudanais ainsi que des réfugiés et des demandeurs d’asile, originaires notamment d’Érythrée et d’Éthiopie.
Tous ont été confrontés à de multiples difficultés et restrictions dans leur accès à des itinéraires sûrs et légaux. Alors que les ambassades évacuaient leur personnel diplomatique hors du pays au début du conflit, plusieurs ont laissé des passeports de ressortissants soudanais enfermés dans leurs locaux ou bien détruits, sans proposer d’alternatives aux personnes concernées, entravant leur possibilité de fuir.
En juin, les autorités égyptiennes ont exigé que tous les Soudanais obtiennent un visa pour entrer dans le pays, réduisant la sécurité des femmes, des enfants et des personnes âgées en fuite.
Avant le conflit, le Soudan a accueilli plus de 1,1 million de réfugiés et de demandeurs d’asile en 2021, pour la plupart des Sud-Soudanais.
Acteurs internationaux clés
Malgré la gravité de la crise au Soudan, les réponses régionales et internationales ont été décevantes. À ce jour, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pris aucune mesure concrète pour aborder le conflit ou limiter la capacité de nuisance des parties belligérantes.
Le 15 avril, le Secrétaire général de l’ONU a condamné les violences, exprimant son inquiétude quant à l’impact dévastateur du conflit sur la population, et a appelé à la cessation immédiate des hostilités. Le Conseil de sécurité de l’ONU a tenu une séance sur la situation au Soudan 10 jours plus tard.
En réponse au déclenchement du conflit, les États-Unis et l’Arabie Saoudite se sont engagés à Djeddah dans un processus visant principalement à faciliter les cessez-le-feu et l’accès humanitaire. En mai, les SAF et les FSR ont signé la « Déclaration d’engagement à protéger les civils du Soudan » à Djeddah, qui réitère l’engagement des parties belligérantes à respecter le droit international humanitaire.
Le 11 mai, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a tenu une session extraordinaire pour aborder le conflit au Soudan, décidant de renforcer le mandat existant de l’expert désigné du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme au Soudan. Cette décision n’a pas répondu aux demandes des organisations de défense des droits soudanaises, régionales et internationales, qui avaient demandé au conseil la création d’un nouveau mécanisme indépendant. Cependant, cinq mois plus tard, le 11 octobre, face à l’aggravation de la crise et en réponse à de nouveaux appels des organisations de défense des droits soudanaises, régionales et internationales, le Conseil des droits de l’homme a agi plus vigoureusement, en adoptant une résolution visant à établir une mission internationale indépendante d’enquête au Soudan. Cette mission a pour mandat d’enquêter sur les crimes commis par toutes les parties dans le contexte du conflit, ainsi que de collecter et préserver les preuves et d’identifier ceux responsables d’avoir commis des abus, et de faire des recommandations pour la progression de l’établissement des responsabilités.
Le 12 septembre, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme et son expert désigné sur le Soudan ont tous deux réitéré leurs préoccupations face aux violations généralisées et persistantes dans le pays, notamment les violences ethniques, les assassinats ciblés, les actes de torture et de violences sexuelles, et ont souligné l’importance de tenir les auteurs de ces actes responsables.
En juin, les États-Unis ont sanctionné trois sociétés privées soudanaises et une société privée émiratie. Environ un mois plus tard, le Royaume-Uni a appliqué des sanctions similaires à des entités commerciales affiliées aux SAF et aux FSR. En septembre, le Département du Trésor américain a sanctionné Abelrahim Hamdan Dagalo, haut dirigeant des FSR et frère de son dirigeant, Mohamed Hamdan Dagalo. En outre, Washington a imposé des restrictions de visa à Abdul Rahman Juma, un commandant des FSR dans l’état du Darfour occidental. Ces dernières sanctions sont les premières à être imposées à titre individuel dans le cadre de ce conflit.
En juillet, le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a condamné les violations des droits humains et du droit humanitaire international, appelant les responsables à rendre des comptes. En février, l’Union Européenne avait imposé des mesures ciblées à travers leur régime de sanctions en matière de droits de l’homme à des entités liées au groupe Wagner au Soudan et à leurs dirigeants. Elle a fait entrer en vigueur son nouveau régime de sanctions en octobre, mais sans désigner aucun individu ou entité liés au conflit.
Le 2 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté à l’unanimité une prorogation technique du mandat de la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (UNITAMS) jusqu’au 3 décembre. Peu après, le ministère soudanais des Affaires étrangères a déclaré persona non grata le chef de la MINUATS, Volker Perthes. Celui-ci a annoncé sa démission lors d’une séance du Conseil de sécurité le 13 septembre. Lors de son dernier exposé, Perthes a réitéré ses appels aux parties belligérantes à mettre fin au conflit, dénonçant les violations continues du droit international, en disant : « Ce qui a commencé comme un conflit entre deux formations militaires rivales pourrait muter en une guerre civile à grande échelle. »
Lors de sa réunion de juillet, le quatuor de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) (Kenya, Éthiopie, Djibouti et Soudan du Sud) a condamné les violations commises par les parties belligérantes, tout en s’engageant à œuvrer avec la communauté internationale à la création d’un mécanisme vigoureux de surveillance et de lutte contre l’impunité pour contribuer à faire traduire en justice les auteurs de crimes. Au cours de cette réunion, il a également envisagé le déploiement de forces régionales de maintien de la paix pour protéger les civils et garantir l’accès humanitaire.