En 2023, la situation des droits humains au Mali s’est gravement détériorée, alors que les attaques contre des civils perpétrées par les groupes armés islamistes alliés à Al-Qaïda et à l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) ainsi que les opérations de lutte contre le terrorisme de grande ampleur menées par les forces armées maliennes et des combattants étrangers associés augmentaient fortement. Des affrontements entre les forces armées maliennes et une coalition de groupes armés appelée « Coordination des mouvements de l’Azawad » (CMA)—une alliance de groupes rebelles pour la plupart issus de l’ethnie touareg qui réclame l’indépendance de la région désertique au nord du Mali qu’elle nomme l’Azawad—ont menacé un accord de paix conclu en 2015 par les deux parties.
La violence a exacerbé une crise humanitaire déjà dramatique, 8,8 millions de personnes ayant besoin d’aide et plus de 575 000 ayant été forcées de quitter leur domicile, dont 375 000 personnes déplacées internes et 205 000 réfugiés dans des pays voisins en août 2023.
Le gouvernement a porté un rude coup à la surveillance des droits humains et à la protection civile en demandant au Conseil de sécurité des Nations Unies de retirer la mission de maintien de la paix de l’ONU au Mali, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Le départ de la MINUSMA, prévu pour décembre, a soulevé des préoccupations concernant un risque accru de violence contre les communautés du nord et du centre du Mali.
Les autorités ont mené des mesures répressives à l’encontre des médias et des voix de l’opposition, réduisant ainsi l’espace civique.
Les exactions se sont multipliées dans un contexte marqué par une crise politique permanente. Un référendum en juin a approuvé des amendements à la constitution, notamment l’octroi de pouvoirs plus étendus au président. Les autorités militaires transitoires ont déclaré que le référendum préparerait la voie à des élections en 2024 et à un retour à un régime civil, mais seuls 39 % des électeurs éligibles ont voté, certaines régions, dont Kidal, n’ayant même tenu aucun référendum, d’où des préoccupations relatives à son équité et sa validité. En septembre, le porte-parole du gouvernement Abdoulaye Maiga a annoncé que l’élection présidentielle prévue pour février 2024 serait reportée pour des « raisons techniques », notamment l’adoption d’une nouvelle constitution et un examen des listes électorales.
Le gouvernement de transition, arrivé au pouvoir à l’issue d’un coup d’État en 2021, a sapé les efforts visant à enquêter sur les allégations croissantes d’atrocités perpétrées par des acteurs de l’État. L’impunité pour les exactions passées et actuelles perpétrées par tous les groupes armés a persisté.
La mobilisation au Mali du groupe Wagner, lié à la Russie, et les allégations de plus en plus nombreuses d’exécutions sommaires et autres exactions commises par ce groupe, ont accru les tensions entre le Mali et ses partenaires régionaux et internationaux, notamment la France, les Nations Unies et ses voisins d’Afrique de l’Ouest, renforçant l’isolement politique du Mali.
Atrocités commises par les groupes armés islamistes
En 2023, des groupes armés islamistes alliés à l’EIGS et à Al-Qaïda ont perpétré de nombreuses attaques illégales qui ont fait des centaines de morts parmi les civils, ainsi que des attaques qui ont tué des dizaines de membres des forces de sécurité gouvernementale.
Dans les zones placées sous leur contrôle, les groupes armés islamistes ont violé des femmes et des filles, imposé la zakat (impôt religieux) et mis en œuvre la charia (droit musulman) et des sanctions par le biais de tribunaux qui n’ont pas respecté les normes requises en matière de procédure équitable. Ces groupes ont également contribué à l’insécurité alimentaire en attaquant ceux qui ne se conformaient pas à leur vision du droit islamique, notamment en pillant leur bétail et en assiégeant des villes et des villages.
De janvier à avril, dans les régions de Ménaka et de Gao, des affrontements entre l’EIGS et son rival allié à Al-Qaïda, le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin, GSIM), qui tous deux cherchaient à contrôler les voies d’approvisionnement et à accroître leurs zones d’influence, ont entraîné une nette détérioration de la situation sécuritaire, des centaines de civils ayant été tués.
En janvier, un affrontement armé entre des combattants de l’EIGS et du GSIM près du village de Teguerert, dans la région de Ménaka, dont la population est en grande partie issue de l’ethnie Daoussahak, a entraîné la mise à feu d’habitations et un déplacement massif de la population locale. Plus de 40 combattants des deux groupes ont été tués et des dizaines de civils ont été blessés.
En février, des combattants de l’EIGS se sont rendus à Konga, un hameau du village de Kounsoum, dans la région de Gao, à la recherche d’un homme qu’ils accusaient de collaborer avec l’armée malienne. Ils ne l’ont pas trouvé et, en représailles, ils ont tué ses deux femmes.
En mars, des combattants de l’EIGS ont menacé la population d’Essaylal, dans la région de Ménaka, lançant un ultimatum pour qu’elle quitte la zone dans les trois jours. La majorité des habitants d’Essaylal ont fui leur village pour trouver refuge dans la ville de Ménaka.
Le 21 avril, le GSIM a revendiqué une attaque perpétrée à Nara, dans la région de Koulikoro, le 18 avril, qui a coûté la vie au chef de cabinet du président de la transition, Oumar Traoré. Trois autres hommes, un gardien de sécurité, un sous-traitant et un chauffeur, ont également été tués. Le 22 avril, une attaque à Sévaré, dans la région de Mopti, elle aussi revendiquée par le GSIM, a fait au moins 10 morts parmi les civils et 60 blessés, et plus d’une vingtaine de bâtiments ont été détruits.
Le 23 avril, des combattants de l’EIGS sont entrés dans le village de Tannal Koyratadji, dans la région de Gao, et ont tué deux hommes âgés, blessé au moins sept autres hommes et pillé de la nourriture et du bétail.
Début mai, des combattants de l’EIGS ont mené deux attaques consécutives contre le village de Labezzanga, un village côtier situé au bord du fleuve Niger, dans la région de Gao, où ils ont tué quatre hommes, en ont blessé un autre et ont pillé du bétail.
Les 20 et 23 mai, des combattants de l’EIGS ont attaqué le village de Seyna Gourma, dans la région de Gao. Le 20 mai, ils ont pillé du bétail. Trois jours plus tard, ils ont fait du porte-à-porte, fouillé les maisons, battu les villageois et à nouveau pillé du bétail.
Le 27 juin, des dizaines de combattants de l’EIGS ont attaqué Dangabari, Gaina et d’autres villages de la municipalité de Gabero, dans la région de Gao, tuant au moins neuf hommes et deux garçons à Dangabari, quatre hommes à Gaina, et ayant pillé du bétail.
Le 6 août, des combattants du GSIM ont mené une attaque meurtrière à Bodio, tuant 15 personnes, dont un jeune homme de 18 ans et trois hommes plus âgés. Ils ont également pillé du bétail et des biens appartenant à des civils et incendié au moins dix habitations.
Le 7 septembre, des combattants islamistes ont attaqué un bateau qui naviguait sur le fleuve Niger de Gao à Mopti. Human Rights Watch a découvert que plus de 120 personnes avaient trouvé la mort dans l’attaque du bateau.
Exactions perpétrées par les forces de sécurité de l’État
Les forces armées maliennes et des combattants étrangers alliés manifestement membres du groupe Wagner, lié à la Russie, ont été impliqués dans des centaines de meurtres illégaux de civils, pour la plupart lors d’opérations de lutte contre le terrorisme de grande ampleur menées dans le centre du Mali.
Le 3 février, des dizaines de combattants « blancs » en uniforme militaire et au moins un militaire malien ont mené une opération dans le village de Séguéla, dans la région de Ségou, dans le but de trouver des combattants islamistes. Durant cette opération, ils ont pillé des habitations et des commerces, battu des individus et arrêté 17 hommes. Le 21 février, près de Doura, dans la région de Ségou, des villageois ont trouvé les corps de huit des hommes arrêtés lors du raid du 3 février. On ignore toujours où se trouvent les neuf autres.
Le 6 mars, des membres des forces armées maliennes associés à des combattants « blancs » ont mené une opération aéroportée dans le village de Sossobé, dans la région de Mopti, pendant laquelle ils ont tué cinq hommes civils, ont passé plusieurs villageois à tabac et ont pillé des biens. Ils ont aussi arrêté 21 hommes qu’ils ont emmenés à bord d’hélicoptères. On ignore toujours où se trouvent les personnes qui ont été enlevées.
Les 23 et 24 mars, des dizaines de militaires maliens et de soldats étrangers « blancs » accompagnés de miliciens progouvernementaux ont mené une opération dans le village d’Ouenkoro, dans la région de Mopti, lors de laquelle ils ont tué au moins 20 civils, dont une femme et un enfant de 6 ans. Ils ont également passé des gens à tabac, pillé des biens et arrêté 12 hommes, qu’ils ont emmenés dans un camp militaire situé dans la ville de Sofara, dans la région de Mopti, les torturant pour qu’ils avouent leur affiliation ou leur complicité avec des groupes armés islamistes.
Le 22 avril, des dizaines de soldats maliens ont mené une opération dans le village de Trabakoro, dans la région de Nara, à la recherche de combattants islamistes, durant laquelle les soldats ont tué 18 personnes, dont 14 enfants et 4 femmes.
Les médias ont signalé que le 15 juin, un convoi de combattants « blancs » avait heurté un engin explosif improvisé près du village de Keibané, dans la région de Nara, tuant 2 hommes et en blessant 11. Les combattants ont mené une attaque de représailles à l’encontre des villageois locaux, tuant au moins cinq personnes.
Le 27 juillet, des soldats maliens ont tué quatre hommes et un enfant à Gadougou, un campement de l’ethnie peule dans la région de Nara. Selon des témoins, les soldats étaient à la recherche de combattants islamistes.
Le 6 août, des militaires maliens et des combattants « blancs » associés ont arrêté 16 hommes et 1 garçon à Sambani, dans la région de Tombouctou, les soupçonnant de collaborer avec des groupes islamistes. Le lendemain, des villageois ont découvert les corps des hommes qui avaient été arrêtés à environ un kilomètre de Sambani.
Exactions à l’encontre des droits civils et politiques
Les menaces, le harcèlement, l’intimidation et les disparitions forcées de journalistes, de blogueurs et d’activistes de la société civile se sont poursuivis.
Le 20 février, à Bamako, la capitale malienne, des casseurs se sont introduits de force dans le bureau de la Maison de la presse, une organisation qui réunit plusieurs groupes médiatiques, l’ont mis à sac et ont perturbé une conférence de presse organisée par des membres d’une nouvelle plateforme de l’opposition politique qui s’était opposée au référendum sur la réforme constitutionnelle.
Le 13 mars, les forces de sécurité ont arrêté Mohamed Youssouf Bathily, un chroniqueur de radio et de télévision, plus connu sous le sobriquet de Ras Bath, à Bamako, au motif qu’il avait affirmé que l’ancien premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, mort en détention en 2022, avait été assassiné. Le 13 juin, un tribunal de Bamako l’a condamné à trois ans de prison.
Le 15 mars, les forces de sécurité à Bamako ont arrêté une influenceuse malienne active sur les réseaux sociaux, Rokia Doumbia, connue sous le nom de « Rose vie chère », pour avoir dénoncé dans une vidéo sur TikTok l’« échec » du gouvernement de transition à faire face à l’inflation et à l’insécurité. Inculpée pour « incitation à la révolte » et « trouble à l’ordre public », elle a été condamnée à un an de prison le 2 août.
Le 6 avril, des hommes armés masqués ont enlevé le journaliste Aliou Touré à Bamako après qu’il avait assisté à une conférence de presse réclamant la libération de Ras Bath. Il a été retrouvé sain et sauf quatre jours plus tard.
Obligation de rendre des comptes pour les exactions commises
Il y a eu peu de progrès dans les enquêtes gouvernementales sur plusieurs incidents lors desquels des exactions avaient été signalées.
Le 26 juin, Human Rights Watch a adressé un courrier aux ministres maliens de la Justice et de la Défense en indiquant les conclusions de ses recherches sur les exactions commises par des membres des forces armées maliennes lors d’opérations militaires dans les villages d’Ouenkoro, de Séguéla, de Sossobé et de Thioffol, dans les régions de Mopti et de Ségou, entre décembre 2022 et mars 2023. Dans sa réponse, datée du 20 juillet, par l’intermédiaire du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, le gouvernement a déclaré qu’il n’avait connaissance d’aucune atteinte aux droits humains mais que « le Procureur de la République en charge du Pôle judiciaire spécialisé, sur instruction du Ministre de la Justice et des droits de l’Homme, a ouvert une information judiciaire pour crime de guerre et crime contre l’humanité contre X » et que « les résultats des différentes enquêtes seront portés à la connaissance de l’opinion nationale et internationale en temps opportun ». En septembre 2023, Human Rights Watch n’avait connaissance d’aucun progrès réalisé dans aucune des enquêtes promises.
Le 19 juin, les autorités maliennes ont annoncé qu’elles ouvriraient des poursuites pour espionnage contre les auteurs d’un rapport des Nations Unies publié le 12 mai accusant les troupes maliennes et les combattants du groupe Wagner d’avoir tué plus de 500 personnes, dont la plupart ont été exécutées sommairement lors d’une opération militaire à Moura, dans le centre du Mali, en mars 2022. Le procureur de la République, Ladji Sara, a déclaré dans un communiqué que les auteurs du rapport sont « tous coauteurs ou complices des crimes d’espionnage et d’atteinte au moral de l’armée de terre ou de l’aviation ».
Le 21 juin 2023, la Fédération internationale de basket-ball (FIBA) a prononcé une interdiction à vie à l’encontre d’Amadou Bamba, l’ancien entraîneur de l’équipe nationale féminine de basket-ball du Mali, ainsi que des sanctions à l’encontre de quatre autres hauts dirigeants. Parmi les responsables sanctionnés figure l’ancien président de la fédération malienne, Harouna Maiga. En juin 2021, Human Rights Watch a publié un rapport sur des cas de chantage sexuel vis-à-vis d’enfants et de dissimulation d’abus au sein de la Fédération malienne de basket-ball. En juillet 2021, les autorités maliennes ont arrêté et inculpé Bamba, alors entraîneur principal de l’équipe nationale de basket-ball féminin des moins de 18 ans du Mali, qui est toujours en attente de son procès pour « pédophilie, tentative de viol et attouchements ». Cependant, plus de deux ans après la mise en évidence d’abus sexuels généralisés , les survivantes et les lanceuses d’alerte continuent d’être menacées et ne peuvent exercer leur sport en toute sécurité. Une lanceuse d’alerte adolescente a été menacée et a perdu plusieurs opportunités professionnelles après avoir dénoncé des abus sexuels ; elle a par la suite poursuivi la fédération pour ne pas l’avoir protégée contre les représailles.
La Cour pénale internationale a rendu une décision concernant le procès d’Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud, un ancien commandant d’un groupe islamiste, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, dont les crimes de viol et d’esclavage sexuel commis en 2012-2013. Au moment de la rédaction des présentes, le verdict n’avait pas encore été prononcé.
Principaux acteurs internationaux
Le déploiement, fin 2021, du groupe russe Wagner, qualifié par le gouvernement malien de « formateur militaire », et les allégations d’atrocités à son encontre et à celle des forces de sécurité maliennes qui s’en sont suivies, ont suscité une vive condamnation de la part des partenaires bilatéraux et multilatéraux du Mali, dont les États-Unis, la France, l’Union européenne, les Nations Unies et la Communauté économiques des États de l’Afrique de l’Ouest. En février, l’UE a imposé des sanctions au responsable du groupe Wagner au Mali.
En février, les autorités maliennes ont ordonné au directeur de la division des droits de l’homme de la MINUSMA, Guillaume Ngefa-Atondoko Andali, de quitter le pays, l’accusant d’« agissements déstabilisateurs et subversifs ».
Le 16 juin, le ministre des Affaires étrangères, M. Diop, a demandé au Conseil de sécurité des Nations Unies de retirer la MINUSMA « sans délai » et a rejeté le rapport des Nations Unies sur le massacre de Moura. Le gouvernement a dénoncé ce qu’il considérait être l’« instrumentalisation et la politisation de la question des droits de l’homme ».
Le 30 août, la Russie a opposé son véto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui aurait reconduit des sanctions applicables à huit personnes soupçonnées d’avoir saboté l’accord de paix de 2015 et le travail d’un groupe d’experts chargé de recenser les exactions perpétrées par des groupes armés et les forces de sécurité maliennes. La cessation des activités du groupe d’experts pourrait nuire aux efforts en faveur d’une obligation de rendre des comptes pour des exactions liées aux conflits dans un pays déjà marqué par un rétrécissement de l’espace civique et par une hausse des mesures répressives à l’encontre des dissidents et des médias indépendants.