Les États membres et les institutions de l’Union européenne (UE) ont renouvelé leurs engagements et en ont pris de nouveaux pour faire respecter et protéger les droits humains en 2023. Dans la pratique, cependant, la volonté de l’UE de donner suite à ces engagements s’est trop souvent avérée insuffisante, en particulier lorsqu’il s’agissait des droits des personnes à ses frontières extérieures et des membres de communautés marginalisées, ainsi que dans sa réponse à la propagation inquiétante des restrictions imposées à la société civile.
Migrants, refugiés et demandeurs d’asile
Face à l’augmentation du nombre de personnes arrivant aux frontières de l’UE, notamment par voie maritime, l’UE et ses États membres ont redoublé de mesures de dissuasion répressives et ont conclu des alliances avec des pays abusifs, sans égard pour les droits humains.
Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), au 19 novembre, plus de 240 800 personnes étaient arrivées irrégulièrement aux frontières sud de l’UE et au moins 2 594 sont mortes ou ont disparu lors de cette tentative, deux chiffres bien au-dessus du total de l’année précédente. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a estimé que 11 enfants sont morts ou ont disparu chaque semaine au cours du premier semestre alors qu’ils tentaient de traverser la Méditerranée centrale. Des naufrages majeurs près de l’Italie en février et de la Grèce en juin ont mis en évidence les conséquences mortelles de l’approche de l’UE en matière de migration par bateau.
Le Parlement européen a demandé en juillet une mission de recherche et de sauvetage « globale » de la part des États membres ainsi que de l'agence européenne des frontières Frontex, des mesures garantissant le débarquement uniquement dans des lieux sûrs et une évaluation par la Commission européenne quant à savoir si les activités des différents États membres dans le sauvetage en mer sont conformes à la Charte des droits fondamentaux ainsi qu’au droit européen et international. L’Agence des droits fondamentaux de l’UE (FRA) a appelé en juillet à la mise en place d’un système indépendant de surveillance des frontières, alors que les mécanismes établis jusqu’à présent en Croatie et en Grèce ne sont ni indépendants ni efficaces, selon des organisations non gouvernementales.
Les États membres de l’UE, dont la Bulgarie, la Croatie, la Pologne, la Grèce, la Hongrie, la Lituanie et la Lettonie, ont continué à procéder à des refoulements illégaux aux frontières extérieures, tandis que l’Italie et Malte ont facilité les interceptions en mer et les retours vers la Libye. En mars, le Comité anti-torture du Conseil de l’Europe a appelé les pays européens à mettre fin aux refoulements illégaux et aux mauvais traitements lors des opérations de détention et d’éloignement des migrants. En septembre, la Cour de justice de l’UE a jugé illégal le refus systématique par la France de l’entrée des migrants sans papiers à la frontière italienne.
L’UE a continué de soutenir les forces de sécurité de plusieurs pays africains à des fins de contrôle des migrations. En février, la Commission européenne a remis le premier de cinq bateaux aux garde-côtes libyens, renforçant ainsi sa complicité dans les abus contre les migrants en Libye, que l'ONU a qualifiés de possibles crimes contre l'humanité. En juillet, l’UE a promis 105 millions d’euros à la Tunisie pour la gestion des frontières malgré les risques sérieux pour les réfugiés et les demandeurs d’asile et les discours de haine racistes et xénophobes au plus haut niveau du gouvernement tunisien, comme l’ont dénoncé les experts de l’ONU. En septembre, le médiateur de l'UE a ouvert une enquête sur cet accord. Des organisations non gouvernementales de secours, déjà confrontées à des obstructions et à la criminalisation, ont reçu l'ordre de l'Italie de débarquer en Tunisie.
En septembre, la Commission européenne a adopté un « plan en 10 points pour Lampedusa » après que l’île italienne a connu un nombre élevé d’arrivées en peu de temps, dépassant sa capacité d’accueil toujours insuffisante. En plus de reprendre des politiques abusives et inefficaces, la Commission s'est déclarée ouverte à l'idée d'élargir les missions navales en Méditerranée après que la Première ministre italienne a demandé un blocus naval contre les personnes en déplacement.
En septembre, 4,2 millions de personnes ayant fui l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie bénéficiaient d’une protection temporaire dans l’UE. Invoquant les difficultés en matière d'éducation, de logement et, en particulier, d'emploi pour les personnes qui fuient l'Ukraine, l’Agence des droits fondamentaux de l'UE (FRA) a appelé à des mesures de long terme. En septembre, les pays de l’UE ont convenu de prolonger la protection temporaire jusqu’en mars 2025.
En juin, les États de l’UE ont approuvé des procédures accélérées aux frontières malgré le manque de garanties suffisantes, le recours accru à la détention et une approche discrétionnaire de ce qui constitue un « pays tiers sûr » vers lequel les personnes peuvent être renvoyées. Les États de l’UE se sont mis d’accord en octobre sur une proposition de règlement qui permettrait aux gouvernements de déroger à des droits et garanties essentiels dans des situations d’urgence mal définies. Aucun progrès significatif n’a été effectué en matière de réforme du système dysfonctionnel de partage des responsabilités relatives aux migrants et aux demandeurs d’asile entre les États de l’UE. En août, un total de 2 503 personnes avaient été relocalisées depuis Chypre, la Grèce, l’Italie, Malte et l’Espagne vers d’autres pays de l’UE depuis l’accord du Mécanisme de solidarité volontaire de 2022, soit environ 30 % de son modeste objectif.
En juillet, le Médiateur européen a lancé une enquête pour déterminer si Frontex respecte les droits lors de ses opérations maritimes conjointes et de sa surveillance aérienne de la mer Méditerranée. Dans une affaire intentée par une famille syrienne renvoyée en Turquie depuis la Grèce en 2016 dans le cadre d'une opération conjointe avec Frontex, le Tribunal général de l'UE a statué en septembre que Frontex ne pouvait pas être tenue responsable des dommages, car seuls les États membres évaluent les demandes d'asile et prennent des décisions de refoulement.
Dans son rapport annuel 2023, l’Agence des droits fondamentaux (FRA) a noté une pression accrue sur les organisations de la société civile qui protègent les droits des migrants et des réfugiés aux frontières en Grèce, en Italie, en Hongrie et en Lettonie, entre autres. Les organisations de la société civile subissent des pressions similaires en Pologne.
Discrimination et intolérance
Les efforts déployés par les institutions européennes pour développer et améliorer les normes permettant de lutter contre les différentes formes de discrimination et d’intolérance au sein de l’Union européenne n’ont pas toujours été suivis d’action par les États membres.
Un grand nombre de gouvernements de l’UE n’ont pas réussi à réaliser suffisamment de progrès pour mettre en œuvre ou traduire de manière adéquate dans leur politique nationale le Plan d’action contre le racisme 2020-2025 de la Commission européenne. Pour donner effet au plan d’action, les États doivent s’attaquer aux injustices et aux inégalités raciales structurelles — notamment leurs racines historiques — et renforcer la protection pour les victimes du racisme ainsi que la reddition des comptes.
En juin, le rapport annuel de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) du Conseil de l'Europe a identifié la discrimination continue à l'encontre des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI), ainsi que des Roms et des Gens du voyage, comme des tendances prégnantes en Europe, y compris dans les États membres de l'UE.
Les enfants roms sont confrontés à la ségrégation scolaire, et les Roms vivent dans des conditions de logement médiocres ou risquent d'être expulsés, selon l’ECRI. En août, l’ECRI a adressé des recommandations aux États membres du Conseil de l'Europe pour lutter contre la discrimination à l'égard des Roms et des Gens du voyage.
Le rapport annuel de l’ECRI a identifié l’atteinte à la liberté d’expression et de réunion des personnes LGBTI ainsi que les discours de haine de la part d’hommes politiques et les violences motivées par la haine à l’encontre des personnes LGBTI comme des préoccupations majeures, tandis que les efforts des États pour lutter contre la discrimination étaient insuffisants. En juillet, l’ECRI a adopté une recommandation générale « sur la prévention et la lutte contre l’intolérance et la discrimination à l’égard des personnes LGBTI ».
En avril, le Parlement européen a adopté une résolution appelant à des progrès concrets dans l'adoption d'une directive européenne anti-discrimination. Cette directive est nécessaire pour répondre à l'approche européenne fragmentée actuelle des politiques anti-discrimination, certaines formes de discrimination, comme l'âge, n'étant couvertes qu'en matière d'emploi. Le Parlement européen a appelé le Conseil de l'UE à adopter une nouvelle directive anti-discrimination globale qui étendrait au niveau de l'UE la protection juridique contre la discrimination à tous les niveaux, notamment en raison du sexe, de la race ou de l'origine ethnique, de la religion ou des convictions, du handicap, de l'âge, et de l'orientation sexuelle. Les efforts antérieurs du Conseil ont été bloqués par certains États membres.
En juin, le Conseil de l’UE a approuvé l’adhésion de l’UE à la convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), exigeant que les institutions de l’UE respectent des normes complètes en matière de prévention, de protection et de poursuites dans la législation et les politiques. Tous les États membres de l’UE ont signé la convention, mais six d’entre eux — la Bulgarie, la République tchèque, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie et la Slovaquie — ne l’ont pas encore ratifiée et la Pologne a menacé de s’en retirer.
Les négociations sur une directive européenne visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique — la première mesure à l’échelle européenne visant à résoudre ce problème — étaient en cours au moment de la rédaction de ce rapport.
En septembre, le Conseil de l'UE a adopté un projet de décision appelant les États membres à ratifier la Convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur la violence et le harcèlement (C190).
En septembre, le Parlement européen a adopté une résolution contre la « prostitution », mais a rejeté certaines parties néfastes d’un projet précédent, ce qui témoigne d’une compréhension croissante des dangers de la criminalisation des travailleuses du sexe et de leurs droits.
En mai, le groupe de travail du Parlement européen contre l'antisémitisme a souligné la nécessité d'une éducation plus poussée pour lutter contre l'antisémitisme et toutes les formes d'intolérance et de discrimination dans l'UE. Un projet conjoint financé par la Commission européenne mené par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) cherche déjà à développer la dimension éducative de stratégies nationales de lutte contre l'antisémitisme dans 12 États membres de l'UE.
En octobre, l’Agence des droits fondamentaux (FRA) a publié un rapport sur le racisme envers les personnes noires dans l’UE, basé sur une enquête menée dans 15 États membres. Il montre que malgré la législation anti-discrimination de l’UE et d’autres outils politiques destinés à lutter contre le racisme, les personnes noires sont confrontées à une augmentation du racisme, de la discrimination et des crimes haineux dans les États membres de l’UE.
Le même mois, le chef de la FRA a qualifié l’antisémitisme de « racisme profondément enraciné dans la société européenne », des informations faisant état d’une augmentation significative de ce phénomène en France et en Allemagne à la suite des attaques du 7 octobre perpétrées par le Hamas et de la réponse d’Israël. Des rapports inquiétants font également état d'une augmentation des incidents islamophobes dans les États de l'UE au cours de la même période.
En février, la Commission européenne a nommé Marion Lalisse comme nouvelle coordinatrice de l’UE chargée de la lutte contre la haine envers les musulmans ; le poste était vacant depuis plus de 18 mois.
Pauvreté et Inégalité
Les données de l’UE de juin 2023 ont montré que 95,3 millions de personnes (21,6 % de la population) étaient « menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale » en 2022, des conditions qui menaçaient leurs droits. Le chômage est le principal facteur contribuant au risque de pauvreté. Les taux de pauvreté en Roumanie, en Bulgarie, en Grèce, en Espagne et en Lettonie dépassaient 25 %, selon les données de l'UE. Le risque de pauvreté ou d’exclusion sociale était légèrement plus élevé pour les femmes (22,7 %) que pour les hommes (20,6 %).
Les données de mi-année ont montré que l’inflation a diminué dans l’ensemble de l’UE en 2023 dans les secteurs de l’alimentation, de l’énergie et pour l’indice général des prix à la consommation, atténuant l’impact négatif sur les droits humains de la forte hausse des prix en 2022. Cependant, certains pays ont continué à connaître des taux d’inflation élevés. En juin 2023, l'inflation des prix à la consommation en Hongrie (19,9 %) était plus de trois fois supérieure à la moyenne de l'UE (6,4 %). Un grand nombre de pays de l’UE ont continué à accorder une aide financière aux ménages et aux entreprises pour faire face aux coûts de l’électricité et du gaz.
Un rapport de la Commission européenne publié en juin, basé sur les données relatives au niveau de vie de 2020 à 2022, a soulevé de sérieuses inquiétudes quant aux obstacles auxquels sont confrontées les personnes menacées de pauvreté ou d'exclusion sociale dans certains États membres pour accéder aux services publics essentiels à la réalisation de leurs droits, notamment l'eau et l'assainissement, l'énergie, les communications numériques, les comptes bancaires ainsi que les transports. Le rapport a mis en évidence les obstacles à l'accès à ces services pour les groupes marginalisés, notamment les sans-abri, les Roms, les personnes handicapées, les familles monoparentales (principalement dirigées par une femme) et les familles avec trois enfants ou plus.
En janvier, la Commission européenne a adopté un rapport examinant les progrès réalisés par les États membres dans la mise en œuvre d’une recommandation de 2019 sur la protection sociale des travailleurs et des indépendants. Le rapport révèle que dans les 12 États de l’UE fournissant des données, environ 5,6 millions de « travailleurs atypiques » et 15,3 millions de travailleurs indépendants n’avaient pas accès aux allocations de chômage. Les données publiées en novembre ont montré que les dépenses de protection sociale ont augmenté en 2022 par rapport à l'année précédente dans tous les États de l'UE, à l'exception de Malte et de l'Irlande ; cependant, elles ont diminué globalement de 1,5 % en proportion des dépenses totales de l’État (en termes de PIB).
En février, un groupe d'experts nommé par la Commission a publié des recommandations visant à améliorer la protection sociale et à lutter contre la pauvreté, notamment en établissant un ensemble minimum de droits sociaux garantis au niveau national dans chaque État de l'UE.
En février, le Réseau européen de lutte contre la pauvreté a présenté des résultats montrant que même si tous les États membres de l'UE avaient mis en place des systèmes de revenu minimum, aucun ne répondait aux besoins réels des bénéficiaires. Le réseau a appelé l’UE à passer de la recommandation du Conseil de 2022 sur le revenu minimum à une directive contraignante et à établir un « droit à un revenu minimum adéquat » dans le droit européen.
En septembre, la FEANTSA et la Fondation Abbé Pierre, deux organisations de lutte contre le sans-abrisme, estimaient qu'environ 895 000 personnes sont sans abri en Europe. L'enquête a porté sur la plupart des États de l'UE et sur le Royaume-Uni.
Au moment de la rédaction de ce rapport, deux États de l'UE, l'Autriche et la Lettonie, n'avaient pas encore respecté la date limite de mars 2022 pour soumettre un plan d'action national sur la mise en œuvre de la Garantie européenne pour l'enfance. La mesure à l’échelle de l’UE visant à lutter contre la pauvreté des enfants exige des États qu’ils garantissent un accès gratuit à l’éducation et à l’accueil de la petite enfance, une éducation gratuite avec un repas sain gratuit chaque jour d’école, des soins de santé et un logement pour tous les enfants confrontés à l’exclusion sociale ou à d’autres désavantages.
En juillet, le Parlement, la Commission et le Conseil européens ont commencé à négocier une législation visant à empêcher la classification erronée de l'emploi de certains travailleurs de l'économie des petits boulots, qui sont souvent soumis à des conditions de travail précaires et à de faibles salaires.
État de droit
Deux États membres de l’UE, la Hongrie et la Pologne, continuent de faire l’objet d’un examen minutieux en vertu de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne (TUE) en raison du mépris persistant de leurs gouvernements à l’égard des valeurs démocratiques et des droits humains sur lesquelles l’UE est fondée. Les préoccupations concernant le déclin des libertés démocratiques et le rétrécissement de l’espace de la société civile se sont intensifiées dans de nombreux États membres, tandis que des initiatives législatives au niveau de l’UE ont aggravé les menaces pesant sur la société civile.
Malgré des inquiétudes persistantes concernant l’état de droit, le 13 décembre la Commission européenne a conclu que la Hongrie avait satisfait aux critères liés à l'indépendance judiciaire et a annoncé qu'elle dégelait 10 milliards d'euros des fonds de cohésion de l'UE. La Commission a maintenu le gel de 21 milliards d'euros d'autres fonds liés aux violations persistantes des principes de l'état de droit en Hongrie.
Ni la Hongrie ni la Pologne n’ont reçu de fonds de relance de l’UE liés au COVID-19 en raison de leur incapacité à respecter les principaux critères. En Pologne, ces problèmes concernent le système judiciaire et en Hongrie, la corruption, l'indépendance judiciaire ainsi que la transparence du processus décisionnel.
Une audition du Conseil de l'UE sur la Hongrie et une mise à jour de « l'état des lieux » sur la Hongrie et la Pologne dans le cadre de la procédure de l'article 7 ont eu lieu respectivement en mai et en novembre. Si les États membres de l’UE ont continué à engager un dialogue politique autour de la procédure, ils ont évité de voter pour savoir si les actions de l’un ou l’autre de ces deux États constituaient un « risque évident de violation grave » des valeurs de l’UE, ou d’adopter des recommandations pour remédier à ces violations. Et cela malgré une autre résolution du Parlement européen de juin appelant le Conseil à le faire.
Tandis que les deux gouvernements continuaient de faire fi des arrêts de la Cour de justice de l'UE, sans aucune conséquence, la Commission européenne poursuivait ses efforts pour recourir aux procédures d'infraction afin de remédier à leurs violations du droit de l'UE.
En juin, la commission a lancé une procédure d'infraction contre la Pologne au sujet de sa nouvelle loi contre « l'influence russe », qui pourrait conduire à l'interdiction des membres des partis d'opposition d'exercer des fonctions publiques. À la mi-novembre, 16 États membres de l’UE et le Parlement européen s’étaient joints à la procédure d’infraction de la Commission européenne de 2021 contre la Hongrie pour sa loi anti-LGBT sur la protection de l’enfance. Ces procédures sont remarquables dans la mesure où elles visent la Hongrie et la Pologne pour leur violation des valeurs et principes fondamentaux de l'UE tels que consacrés à l'article 2 du TUE plutôt que pour des violations de lois individuelles de l'UE.
Le rapport 2023 de la Commission européenne sur l’état de droit et les recommandations par pays dans le cadre du Semestre européen 2023 ont critiqué le recours continu de la Hongrie aux pouvoirs d’urgence et ont soulevé des inquiétudes quant à l’indépendance du pouvoir judiciaire en Pologne.
Le rapport sur l’état de droit a souligné que la concentration de la propriété des médias d’information reste un « risque élevé » dans l’ensemble de l’UE, et que les niveaux d’indépendance politique des médias sont restés globalement inchangés, à « risque moyen ». Le rapport estime le pluralisme des médias à un « risque élevé » dans cinq États membres en particulier — la Croatie, Chypre, la Grèce, la Slovénie et Malte — et à un « risque très élevé » en Bulgarie, en Pologne, en Roumanie et en Hongrie. Il a également noté que la société civile et les défenseurs des droits humains étaient confrontés à des défis croissants liés au rétrécissement de l'espace civique et a cité la Grèce, l'Espagne, l'Italie, la France, la Hongrie et la Pologne.
Le Groupe de suivi de la démocratie, de l’état de droit et des droits fondamentaux du Parlement européen a poursuivi son examen des États membres, notamment sur le suivi des affaires judiciaires concernant les meurtres de journalistes à Malte et en Slovaquie ; des enquêtes pour corruption en cours et de la révocation du procureur général en Bulgarie ; des libertés d'expression, de manifestation et de maintien de l'ordre en France ; et de l'atteinte aux organismes publics indépendants, à la liberté de la presse et à la société civile en Grèce. Le groupe de suivi a critiqué la Commission européenne pour son incapacité à lancer ou à poursuivre des procédures d'infraction malgré de sérieux défis en matière de démocratie et d'état de droit dans les États membres.
L'utilisation de logiciels espions contre des journalistes, des avocats, des hommes politiques et d'autres personnes en Grèce, en Hongrie, en Espagne et en Pologne reste préoccupante. Dans une résolution de juin, le Parlement européen a appelé le Conseil, la Commission et différents États membres à mettre en œuvre des réformes visant à freiner les exportations de logiciels espions et à enquêter sur les cas d'abus.
Des négociations sur un projet de loi européenne sur l’intelligence artificielle (IA) sont en cours dans le but de réglementer l’IA et les technologies associées dans les États membres. Le projet comprend des dispositions qui menacent les droits humains, notamment par le biais d’exemptions de protection autour de l’utilisation de l’IA dans les contextes d’application de la loi, de migration et d’asile.
L'UE élabore actuellement un règlement sur la publicité politique, qui devrait être adopté en 2024, visant à accroître la transparence autour de la publicité politique en ligne, notamment lors des processus électoraux, en fixant des limites sur la manière dont les données personnelles sont utilisées dans des contextes politiques.
En juin, le « paquet de Défense de la démocratie » proposé par la Commission européenne visant à lutter contre les influences étrangères malveillantes a généré d’intenses protestations de la part de la société civile concernant la stigmatisation potentielle des organisations financées par des capitaux étrangers et l’effet dissuasif qu’une telle législation pourrait avoir sur la société civile en Europe et à l’étranger.
Politique étrangère
L’UE et ses États membres sont restés les plus grands bailleurs de fonds humanitaires au monde et les principaux acteurs en matière de droits humains dans les enceintes multilatérales. Cependant, la position de l'Europe à la suite des hostilités en Israël et en Palestine depuis le 7 octobre et son soutien ouvert à certains gouvernements répressifs dans la poursuite de la stabilité à court terme, du contrôle des migrations et d'autres intérêts commerciaux ou géopolitiques ont mis en évidence un « deux poids deux mesures » qui sapent sa position d’acteur mondial de principes.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie est restée la priorité absolue de l’UE. L’UE a fourni une aide financière et humanitaire sans précédent à l’Ukraine et appuyé les initiatives de reconstruction du pays. L'UE a soutenu des efforts sans précédent pour que les auteurs d’abus rendent des comptes, notamment dans les enceintes internationales, et a renouvelé et élargi le recours aux sanctions pour les crimes commis en Ukraine. Au moment de la rédaction de ce rapport, les dirigeants de l’UE devaient discuter en décembre de la recommandation de la Commission européenne d’ouvrir des négociations d’adhésion à l’UE avec l’Ukraine.
Le président du Conseil européen, Charles Michel, a facilité les négociations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan sur la situation au Haut-Karabakh jusqu'à la prise de pouvoir militaire par l'Azerbaïdjan le 19 septembre, qui a entraîné un dépeuplement presque complet des Arméniens de souche de la région.
L’UE ou ses États membres ont mené de manière louable l’adoption de plusieurs résolutions du Conseil des droits de l’homme et de l’Assemblée générale de l’ONU, notamment sur la Corée du Nord, la Russie, le Bélarus, le Myanmar, l’Érythrée, le Burundi ainsi que l’Afghanistan, et ont soutenu d’autres initiatives thématiques et spécifiques à certains pays. Cependant, le bilan des États membres de l'UE à l'ONU a été entaché par leur vote mitigé sur des résolutions clés relatives aux hostilités en Israël et en Palestine, ainsi que par leur réticence à lancer ou à soutenir des initiatives visant à remédier aux graves violations des droits humains en Libye, en Égypte, en Chine, en Arabie saoudite, au Yémen ainsi qu’au Bahreïn, entre autres. En octobre, l'UE n'a pas présenté de résolution de suivi sur la situation en Éthiopie, malgré les conclusions alarmantes d'une enquête de l'ONU lancée par l'UE au paroxysme du conflit.
Fin 2022, la République tchèque, au nom de l’UE, a proposé un amendement au projet de résolution budgétaire de l’Assemblée générale de l’ONU pour 2023 visant à contrer les efforts de la Russie, de la Chine et des États membres de l’ONU partageant les mêmes idées pour supprimer le financement des mécanismes des droits humains de l’ONU. L'amendement de l'UE a été adopté.
La plupart des gouvernements et des commissaires de l’UE n’ont pas reconnu, et encore moins abordé, les crimes d’apartheid et de persécution commis par les autorités israéliennes contre les Palestiniens. La réponse de l’UE aux hostilités en Israël et en Palestine qui ont débuté en octobre a révélé les préjugés et les divisions au sein de l’Union. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et d'autres responsables ont condamné les odieuses attaques meurtrières du Hamas contre des civils en Israël, mais pas la suspension par Israël des services de base et de l'aide aux civils à Gaza, et ils ont montré peu d'égard pour la perte de vies palestiniennes au milieu des bombardements incessants d'Israël sur Gaza. Les efforts déployés par le chef de la politique étrangère de l’UE, le président du Conseil, Charles Michel, et par certains gouvernements de l’UE ont été essentiels pour rejeter les tentatives visant à réduire l’aide vitale de l’UE aux Palestiniens et pour obtenir que l’UE appelle Israël à respecter le droit humanitaire international.
La principale priorité de la politique étrangère de l’UE dans ses relations avec ses voisins du sud est restée de contenir à tout prix les départs de migrants vers l’Europe, en persévérant dans une approche infructueuse qui a mis en évidence l’érosion des engagements de l’Union en matière de droits humains.
De manière emblématique, en juillet, la Commission européenne a conclu un accord avec la Tunisie promettant un soutien financier accru en échange d'une coopération visant à freiner les départs irréguliers vers l'Europe. Malheureusement salué comme un « modèle » pour la région par la présidente de l’UE, Ursula von der Leyen, l’accord n’a montré aucune considération pour les graves abus commis contre les migrants noirs africains dans le pays, ni pour l’autoritarisme croissant du président tunisien Kaïs Saïed.
L’attention portée par l’UE à la lutte contre la migration irrégulière s’est étendue à d’autres domaines de politique étrangère, tels que l’aide au développement et le commerce. Au moment de la rédaction du présent document, le Parlement européen et le Conseil étaient encore en train de négocier une réforme du Système de préférences généralisées (SPG) de l’UE, qui accorde des avantages commerciaux aux pays en développement liés à leur respect des droits humains et des normes du travail. La réforme est au point mort en raison des tentatives du Conseil, à juste titre combattues par le Parlement européen, de conditionner les avantages du SPG à la coopération en matière de migration. En octobre, une reconduction préventive sur quatre ans du règlement SPG actuel a été approuvée, tandis que les négociations en vue d'une réforme se poursuivent. La pression exercée par le biais du SPG a été essentielle pour obtenir des évolutions positives au Sri Lanka et au Bangladesh, mais l'UE s'est montrée trop indulgente envers d'autres bénéficiaires du SPG, comme les Philippines et le Pakistan, soulignant la nécessité d'une réforme pour rendre le système plus transparent, prévisible et percutant.
En mai, l'UE a adopté le Règlement relatif aux produits zéro déforestation, obligeant les entreprises enregistrées dans les États membres de l'UE à s'assurer que sept produits agricoles qu'elles importent ou exportent n'aient pas été produits sur des terres ayant subi de la déforestation après le 31 décembre 2020, et que la production soit conforme avec les principales normes en matière de droits humains et de droits du travail. D’autres textes législatifs clés liés aux entreprises et aux droits humains — notamment une directive sur les droits humains et la diligence raisonnable des entreprises en matière d’environnement ainsi qu’un règlement interdisant l’entrée sur le marché européen de produits fabriqués par le biais du travail forcé — restaient en cours d’élaboration. Ces deux éléments auront probablement un impact particulier sur les relations de commerce et d’affaires de l’UE avec la Chine, où le travail forcé est omniprésent dans le cadre des crimes contre l’humanité commis par Pékin à l’encontre des Ouïghours et d’autres musulmans turciques.
Alors que les divisions entre États persistent, l’UE semble déterminée à poursuivre une approche de « réduction des risques » à l’égard de la Chine, en réduisant la dépendance critique de la chaîne d’approvisionnement et en renforçant les liens commerciaux avec d’autres partenaires de la région. Les déclarations de l'UE sur la Chine au Conseil des droits de l'homme de l'ONU sont restées fermes, mais l'UE n'a pas pris de mesures supplémentaires, comme diriger les efforts de ce conseil vers la reddition des comptes pour les crimes contre l'humanité commis au Xinjiang et les violations graves dans d’autres régions, ou étendre le recours au régime de sanctions de l'UE prenant en compte les droits humains.
L’autocensure continue de sous-tendre l’approche de l’UE face aux violations des droits humains dans le golfe Persique. L’UE donne la priorité aux liens commerciaux, économiques et politiques avec les gouvernements de la région et reste réticente à critiquer publiquement les abus, s’en remettant à des dialogues annuels inefficaces sur les droits humains.
La même chose s’applique à l’Inde, où l’UE et ses gouvernements sont réticents à s’exprimer ouvertement et à exercer une pression publique sur la détérioration des conditions des droits humains sous la direction du Premier ministre Narendra Modi.
En juillet, l'UE a organisé un sommet pour renouer le dialogue avec les dirigeants d'Amérique latine et des Caraïbes. L'UE a continué de jouer un rôle important en faveur des droits humains au Guatemala et au Venezuela, mais ses actions restent insuffisantes pour répondre à d'autres crises des droits humains dans la région, notamment à Haïti, au Nicaragua, à Cuba et au Salvador.
En février, le Conseil des Affaires étrangères de l’UE a renouvelé sa stratégie des Grands Lacs, en s’engageant à renforcer le soutien aux droits humains et au droit humanitaire international dans la région ainsi qu’à dénoncer activement les violations. La réponse lente et limitée de l’UE à la reprise de la crise au Soudan a remis en question sa capacité à prévenir et à répondre aux atrocités. Son désengagement croissant de la région du Sahel, à la suite d’une série de coups d’État militaires, s’est accompagnée d’une plus grande attention accordée aux États du Golfe de Guinée.
En novembre, à Samoa, l'UE a signé un nouvel accord avec 79 pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) pour remplacer l'accord de Cotonou de 2000, faisant des droits humains l'une de ses priorités d'engagement. Auparavant, la signature de l’accord avait été bloquée depuis 2021 par la Hongrie en raison de références au genre et à la migration.
L’UE a élargi les listes relevant de son Régime mondial de sanctions en matière de droits humains, et de ses régimes nationaux ad hoc pour cibler les individus et les entités impliqués dans des violations de droits humains.
À la suite d'allégations de corruption impliquant certains de ses membres, le Parlement européen a adopté de nouvelles règles visant à préserver son intégrité et sa transparence. Certains groupes politiques ont profité de l’occasion pour remettre en question l’intégrité de toutes les ONG et ont tenté de mettre un terme au travail du Parlement en faveur des droits humains. Cependant, le Parlement a continué à jouer un rôle important dans la promotion des droits humains en contestant, entre autres, l'accord de la Commission européenne avec la Tunisie, en adoptant des résolutions sur des situations préoccupantes en matière de droits humains dans le monde, en s’exprimant sur les questions relatives aux droits humains lors des visites de pays, et en adoptant des positions de négociation fondées sur des principes sur des lois importantes. La position du Parlement en octobre sur les hostilités en Israël et en Palestine a révélé des préjugés similaires à ceux qui ont caractérisé la réponse du Conseil européen. Le Parlement a décerné le prix Sakharov 2023 pour la liberté de l'esprit à Jina Mahsa Amini et au Mouvement Femme, Vie, Liberté en Iran.