Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement du Premier ministre Justin Trudeau a pris d’importantes mesures pour faire progresser le respect des droits humains au Canada et à l’étranger. Malgré des progrès dans quelques domaines clés, il persiste plusieurs problèmes bien ancrés, notamment diverses atteintes contre les droits des peuples autochtones et des personnes en détention migratoire, y compris des personnes handicapées. L’incapacité du Canada à atténuer l’impact du changement climatique et à fournir une aide publique suffisante conduit également à des violations des droits des communautés autochtones dans tout le pays, tout en accentuant les risques pour les personnes présentant un handicap, les enfants et les séniors.
Le gouvernement Trudeau n’a pas su non plus régler certains graves problèmes de droits humains constatés en dehors des frontières du Canada, notamment l’impunité des abus commis par des entreprises extractives et vestimentaires canadiennes à l’étranger. Le Canada persiste par ailleurs à ne pas apporter d’assistance consulaire et à ne pas rapatrier un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants canadiens détenus illégalement dans le nord-est de la Syrie, dans des conditions constituant une menace pour leur survie.
Droits des peuples autochtones
En avril 2023, des responsables policiers représentant les neuf forces de police des Premières Nations de la province de l’Ontario ont déposé plainte contre le gouvernement fédéral devant le Tribunal canadien des droits de la personne, arguant d’une discrimination liée au « manque chronique de financements et de ressources consacrés à la sécurité des communautés autochtones ».
Au bout d’une bataille juridique ayant duré 16 ans, le Tribunal canadien des droits de la personne a approuvé en juillet un règlement réévalué de 23,4 milliards de dollars canadiens (17,1 milliards USD) pour indemniser les victimes du système de protection de l’enfance des Premières Nations. En 2016, le tribunal a jugé que le gouvernement fédéral faisait preuve de discrimination raciale envers ce groupe en « sous-finançant de façon chronique les services de l’enfance et de la famille dans les réserves et en refusant de financer des soins médicaux essentiels ».
En avril, des représentants de plus de 50 communautés autochtones d’Amérique du Nord ont présenté un rapport dans le cadre de l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, condamnant le soutien apporté par le Canada à un pipeline transfrontalier controversé, dit « Ligne 5 », qui transporte du pétrole brut à travers la région des Grands Lacs.
Dix communautés des Premières Nations de la province de l’Ontario ont déposé plainte en avril contre le gouvernement provincial et fédéral afin de mettre fin au « contrôle unilatéral, en termes de compétence juridictionnelle et de prise de décisions », qu’ils exercent sur le territoire du Traité n°9 dans le nord de l’Ontario. Ce territoire comprend le « Cercle de Feu », un territoire riche en minerais de la région des Basses-terres de la Baie James, qui est le territoire traditionnel de plus d’une douzaine de Premières Nations.
Dans son rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones a appelé le Canada « à suspendre les activités industrielles dans la région du Cercle de Feu, notamment les activités minières de grande échelle, et à cesser la construction ou le fonctionnement des pipelines de Coastal GasLink, de Trans Mountain et de la Ligne 5, jusqu'à ce que le consentement, libre, préalable et éclairé des peuples autochtones affectés soit assuré ».
En juin, le gouvernement fédéral a publié son plan d’action pour mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), bien que l’Assemblée des Premières Nations ait réclamé une consultation plus large en avril. Ce plan d’action contient 181 mesures que le gouvernement entend prendre pour faire respecter les droits des personnes issues des Premières Nations, des Inuits et des personnes métisses au Canada.
Violence à l’égard des femmes et des filles autochtones
En mai, les députés canadiens ont soutenu à l’unanimité une motion déclarant que les décès et disparitions des femmes et des filles autochtones constituaient une urgence nationale et réclamé le financement fédéral d’un nouveau système public d’alerte.
En réponse à une des recommandations clés de l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues ou assassinées, le gouvernement fédéral a annoncé en mai un investissement de 103 millions de dollars canadiens (75,3 millions USD) afin de construire et soutenir 178 abris et centres de transition pour les femmes et enfants autochtones ainsi que pour les personnes 2SLGBTQI+ fuyant des violences.
Détention liée à l’immigration
Des personnes placées en détention migratoire, y compris des personnes handicapées et des personnes demandeuses d’asile au Canada, continuent d’être régulièrement menottées et enchaînées et risquent d’être détenues indéfiniment. La détention migratoire n’étant soumise à aucune limite de temps, elles peuvent y rester pendant des mois ou des années. Nombre de personnes migrantes sont incarcérées dans des prisons provinciales, aux côtés de gens poursuivis ou condamnés au pénal, et parfois même sont placées à l’isolement.
L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) demeure le seul service majeur des forces de l’ordre à ne pas faire l’objet d’une supervision civile indépendante au Canada. Le gouvernement fédéral a introduit une législation relative à sa supervision, mais elle n’a pas encore été adoptée. L’exercice incontrôlé par l’ASFC de son large mandat et de ses vastes pouvoirs d’application de la loi a entraîné à plusieurs reprises de graves violations des droits humains dans le contexte de la détention migratoire, notamment un placement à l’isolement dans des prisons de sécurité maximale, la détention d’enfants et la séparation de familles, le placement indéfini en détention et le fait de dépouiller des personnes ayant des problèmes de santé mentale de leur capacité juridique.
L’ASFC dispose traditionnellement d’une grande latitude pour placer les gens dans des centres de rétention pour migrants, des prisons provinciales ou d’autres structures carcérales. Suivant le lancement de #BienvenueAuCanada, une campagne internationale conjointe de Human Rights Watch et d’Amnesty International, huit provinces canadiennes sur dix ont annoncé la fin des contrats qu’elles avaient passés avec le gouvernement fédéral pour détenir des migrants. Cela signifie que l’ASFC n’aura plus le pouvoir d’incarcérer les demandeurs d’asile et les migrants dans les prisons de ces provinces pour des motifs purement migratoires.
Responsabilité des entreprises
Le Canada n’a pas pris de mesures suffisantes pour s’assurer que les autorités exercent un contrôle significatif sur les sociétés extractives canadiennes opérant à l’étranger. Les communautés et les travailleurs dont les droits ont été bafoués n’ont souvent pas accès à la justice ni aux voies de recours et les défenseurs des droits humains subissent fréquemment des violences et des intimidations.
En réponse aux plaintes déposées en 2022 par une coalition de 28 organisations de défense des droits humains, l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (CORE) a annoncé l’ouverture d’enquêtes contre les trois entreprises canadiennes soupçonnées d’avoir recouru au travail forcé de personnes ouïghours, ou profité de ce labeur, au Xinjiang en Chine.
En mai, une coalition d’organisations de la société civile, dont Human Rights Watch, a critiqué une nouvelle loi adoptée par les députés canadiens et portant sur le travail forcé et le travail des enfants, car elle n’exigeait ni que les sociétés prennent des mesures si elles étaient informées d’abus commis dans leurs chaînes d’approvisionnement, ni qu’elles offrent leur aide aux victimes.
En février, des membres du Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes ont tenu des audiences sur les impacts nocifs des entreprises minières canadiennes opérant à l’étranger. Invité à apporter des données dans ce cadre, le Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises (RCRCE) a présenté six nouveaux rapports faisant le lien entre des sociétés canadiennes ou leurs filiales à l’étranger et des abus « généralisés et toujours en vigueur », notamment des allégations de meurtres, tortures, travail forcé, détention arbitraire et intimidations.
En septembre, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage a exhorté le gouvernement canadien « à introduire une législation exigeant que les sociétés canadiennes appliquent un devoir de diligence en matière de droits humains, ainsi qu’à accroître l’indépendance, les pouvoirs et les mandats du CORE ».
Lutte contre le terrorisme
En réaction à la pression internationale accrue et à un procès fédéral, le Canada a rapatrié en avril et juillet dix-neuf femmes et enfants canadiens illégalement détenus dans le nord-est de la Syrie, depuis 2019 au moins, car soupçonnés d’être des membres du groupe armé extrémiste l’Etat islamique (EI) ou apparentés à des membres. Cependant, le pays a refusé de rapatrier au moins une mère canadienne et ses six enfants, évoquant des problèmes de sécurité à propos de la mère, de même qu’un groupe d’enfants canadiens nés de mères étrangères, à moins que les mères n’acceptent de se séparer de leurs enfants et de rester sur place. Le Canada a également refusé de ramener au pays au moins huit hommes canadiens détenus dans le nord-est de la Syrie à cause de leurs liens supposés avec l’EIIL. Tous sont détenus dans des conditions très dures, mettant parfois leur vie en péril.
Le Canada a rapatrié ses dix-neuf ressortissants dans le cadre d’un règlement extrajudiciaire en janvier. Le même mois, un tribunal fédéral d’Ottawa a jugé que le Canada devrait également rapatrier quatre hommes canadiens détenus, estimant que le gouvernement avait l’obligation positive de demander le retour de ses ressortissants détenus, de leur fournir des documents leur permettant de voyager et de nommer un représentant qui devrait se rendre sur place dès que possible. Le tribunal a jugé que le Canada avait violé la Charte canadienne des droits et libertés en ne prenant pas de mesures raisonnables pour ramener ces Canadiens dans leur pays.
En mai, une cour d’appel fédérale a annulé cette décision judiciaire, appuyant l’argument du Canada selon lequel il n’avait pas l’obligation de rapatrier les hommes. En août, les avocats représentant les familles des quatre hommes canadiens ont déclaré qu’ils en appelleraient à la Cour suprême.
En juillet, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits de l’homme et la lutte antiterroriste a exhorté le gouvernement canadien à réexaminer sa décision de ne pas rapatrier une mère canadienne du nord-est de la Syrie ainsi que ses enfants.
En août, une délégation comprenant la sénatrice Kim Pate a visité le nord-est de la Syrie et rencontré un groupe de Canadiens illégalement détenus, dont deux hommes dont personne n’avait de nouvelles depuis des années. Suivant la visite, la délégation a appelé le gouvernement du Canada à apporter une assistance consulaire aux détenus et à entrer en contact avec les autorités du nord-est de la Syrie afin de rapatrier tous les Canadiens encore détenus dans la région.
Politiques et actions en matière de changement climatique
Le Canada, qui est un des dix plus gros émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre – et un des premiers émetteurs par habitant – contribue à la crise climatique et à ses répercussions de plus en plus prononcées sur les droits humains dans le monde entier. Depuis qu’il a été réélu en 2021, le gouvernement Trudeau a maintes fois promis de prendre des mesures ambitieuses pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Le Canada est le premier financeur public des carburants fossiles parmi les nations du G20, et prévoit une production accrue de pétrole et de gaz sur son territoire jusqu’en 2050. L’extraction de pétrole des sables bitumineux du Canada est l’une des méthodes de production pétrolière les plus émettrices de carbone et polluantes au monde. Le gouvernement continue à autoriser des extensions de pipelines pétroliers et gaziers, y compris sur des terres des Premières Nations. Les plans visant à augmenter la production de carburants fossiles ne tiennent pas compte des obligations du gouvernement vis-à-vis des droits humains : adopter et mettre en œuvre de solides politiques d’atténuation du bouleversement climatique.
Les politiques fédérales et provinciales en matière de changement climatique n’ont pas réussi à mettre en place des mesures adéquates pour aider les Premières Nations à s’adapter aux impacts actuels et anticipés du changement climatique. Elles ont largement ignoré l’incidence du réchauffement climatique sur le droit à l’alimentation des Premières Nations.
Entretenus par les conditions de canicule et de sécheresse, des incendies ont consumé plus de 17 millions d’hectares de forêt au Canada en 2023, forçant des milliers de personnes à se déplacer et impactant la qualité de l’air dans tout le pays ainsi qu’aux États-Unis.
Un rapport de juin 2023 du Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique a confirmé par ailleurs que le dôme de chaleur de 2021 avait causé le décès de plus de 130 personnes schizophrènes. Cela représente environ 8 % de tous les décès survenus pendant le dôme de chaleur, alors que les personnes schizophrènes ne représentent qu’environ 1 % de la population de la province. Le rapport confirmait également que, en dépit de ces risques, les personnes schizophrènes n’étaient généralement pas au premier plan des messages de santé publique à propos de la canicule.
La Colombie-Britannique effectue actuellement une évaluation de sa résilience par rapport aux risques de catastrophe et liés au climat ainsi qu’un plan de réduction des risques majeurs. Elle est en train de moderniser sa législation de gestion de crise pour s’aligner sur le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe, qui vise à assurer une participation significative des femmes, séniors, personnes handicapées, migrants, peuples autochtones et communautés locales.
Principaux acteurs internationaux
En juillet, le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones a présenté un rapport sur sa visite du pays, qui appelle le gouvernement à mettre fin de toute urgence au « racisme profondément ancré, systémique et structurel ciblant les peuples autochtones ».
À la suite d’une visite au Canada en août et septembre, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage a appelé le gouvernement à « promouvoir un devoir de diligence efficace en matière de droits humains concernant les activités des sociétés canadiennes » et à réformer « les programmes migratoires qui servent de terreau fertile à des formes d’esclavage contemporaines ».
En août, après une visite dans le nord-est de la Syrie, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits de l’homme et la lutte antiterroriste a condamné le fait que le Canada n’assume pas la responsabilité de ses ressortissants illégalement détenus dans des prisons et des camps où l’on a rassemblé des personnes soupçonnées d’appartenir à l’EIIL et leur famille.
Politique étrangère
S’adressant à la Chambre des communes en septembre, le Premier ministre Justin Trudeau a déclaré que les autorités canadiennes enquêtaient sur « des informations crédibles alléguant un lien possible entre des agents du gouvernement indien » et le meurtre du leader sikh Hardeep Singh Nijjar en Colombie-Britannique en juin. Le gouvernement indien a fermement nié ces allégations.
En mai, la ministre canadienne des Affaires étrangères Mélanie Joly a annoncé l’intention du Canada de se porter candidat pour siéger au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies au titre du mandat 2028-2030.
En septembre, le Canada, en partenariat avec les Pays-Bas, a lancé une nouvelle déclaration des Nations Unies sur la désinformation, visant à « établir des normes mondiales concernant la désinformation, les informations erronées et l’intégrité de l’information ».
En septembre, le Canada a annoncé des sanctions contre trois Haïtiens « en réponse à des actes de corruption importants qui alimentent la crise sécuritaire, politique et humanitaire qui sévit actuellement dans le pays ».
En octobre, la Cour internationale de Justice a démarré des audiences dans le cadre d’une plainte déposée par le Canada et les Pays-Bas contre la Syrie pour violation de la Convention contre la torture.
Tout au long de l’année 2023, le Canada a pris une série de mesures contre le gouvernement de l’Iran, notamment un ensemble de sanctions contre des responsables iraniens pour des violations graves et systémiques des droits humains. En janvier, le Canada a également réaffirmé son engagement à demander des comptes à l’Iran pour le fait d’avoir abattu le vol PS752 et à garantir des réparations pour les familles des victimes.
En août, le Canada a infligé des sanctions additionnelles contre quatre individus et 29 entités ayant « des liens directs avec le complexe militaro-industriel de la Russie », qui viennent s’ajouter aux sanctions annoncées en juillet et ciblant le secteur nucléaire russe. Dans le même mois, le Canada a annoncé de nouvelles sanctions contre quinze individus et trois entités russes, y compris de hauts responsables du gouvernement, du système judiciaire et du comité d’enquête russes ayant « participé directement à des violations des droits de la personne à l’encontre de dirigeants et dirigeantes de l’opposition russe ».
Suivant le troisième anniversaire de l’explosion catastrophique de Beyrouth, le Canada s’est joint au Royaume-Uni et aux États-Unis en août pour infliger des sanctions à trois ressortissants libanais en raison de leur implication dans des actes de corruption importants.
En janvier, pour le deuxième anniversaire du coup d’État au Myanmar, le Canada a infligé des sanctions à six individus et annoncé une nouvelle interdiction « d’exporter, de vendre, de fournir ou d’expédier du carburant d’aviation au régime militaire du Myanmar ». Le même mois, le Canada a annoncé des sanctions ciblées contre quatre responsables sri-lankais auteurs de violations graves et systématiques des droits humains au cours du conflit armé du pays.