La situation des droits humains au Burkina Faso s’est sérieusement détériorée en 2023. En effet, les attaques meurtrières perpétrées par des groupes armés islamistes à l’encontre de civils se sont intensifiées, et les forces militaires et des milices progouvernementales ont commis des abus lors d’opérations de lutte contre l’insurrection.
La violence liée au conflit armé a fait près de 7 600 morts dans plus de 2 000 incidents en 2023 seulement. Ce conflit a aussi fait plus de deux millions de déplacés depuis son début en 2016.
En avril, le gouvernement militaire, arrivé au pouvoir à l’issue d’un coup d’État en octobre 2022, a annoncé une « mobilisation générale » dans le cadre d’un plan visant à reprendre les territoires dont s’étaient emparés les groupes armés, qui pourraient contrôler jusqu’à 50 % du territoire burkinabè. Ce plan cherche à donner un « cadre juridique, légal à l’ensemble des actions à mettre en œuvre » contre les insurgés.
Les autorités militaires transitoires du Burkina Faso ont également pris des mesures répressives contre les médias et les dissidents, contribuant au rétrécissement de l’espace civique.
En octobre 2022, le chef de la junte militaire, Ibrahim Traoré, a promis que des élections auraient lieu d’ici juillet 2024, échéance dont avait convenu l’ancien dirigeant du coup d’État burkinabè, le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cependant, le 30 mai, le Premier ministre, Apollinaire Kyelem de Tambela, a déclaré que les élections pourraient être retardées en raison de l’insécurité persistante qui affecte le pays.
Dans une déclaration faite le 27 septembre, le porte-parole du gouvernement militaire, Rimtalba Jean Emmanuel Ouedraogo, a affirmé que les services de renseignement burkinabè avaient déjoué une tentative de coup d’État menée par des officiers militaires et d’autres personnes. Le procureur militaire a déclaré que quatre officiers de l’armée avaient été arrêtés et que deux étaient en fuite.
Les autorités transitoires burkinabè ont rompu leurs relations avec la France—réclamant en février que Paris retire ses forces spéciales du pays, marquant ainsi la fin de plus de vingt ans de présence militaire française dans le pays—et renforcé leurs liens avec des partenaires non occidentaux dont la Turquie et la Russie.
Exactions perpétrées par les groupes armés islamistes
Le groupe Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans, GSIM), allié à Al-Qaïda, et, dans une moindre mesure, l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) ont tué des centaines de civils lors d’attaques perpétrées à travers le pays. Certaines de ces attaques ont ciblé des communautés qui avaient formé des groupes locaux de défense civile. Les groupes armés islamistes ont également assiégé plus d’une vingtaine de villes—soit, d’après les estimations, 800 000 personnes—, entraînant une pénurie alimentaire grave et contribuant à la malnutrition.
Des groupes armés islamistes ont mené des attaques répétées et de plus en plus intenses contre la ville de Dassa et ses environs, dans la région du Centre-Ouest, de décembre 2022 jusqu’en février 2023, qui ont culminé par des meurtres qui ont poussé les habitants à fuir la région. Dassa se trouve dans une zone où l’on sait que le GSIM opère et mène des attaques. Le 26 janvier, des hommes armés ont attaqué Doh, un village situé à environ quatre kilomètres de Dassa, tuant apparemment 12 hommes et en blessant deux. En raison de cette attaque, la population a fui la région. Le 9 février, des hommes armés portant des vêtements couleur sable et des turbans ont attaqué Dassa, tuant deux hommes.
Des groupes armés islamistes ont mené au moins trois attaques dans des villages situés dans la ville de Pissila et autour de celle-ci, dans la région du Centre-Nord, de décembre 2022 à février 2023, tuant des civils dans ce qui semblait être une tentative d’expulser la population. Pissila fait partie d’une zone où le GSIM opère et mène des attaques et des raids. En janvier, une quarantaine d’hommes armés circulant à moto et portant des treillis militaires et des turbans sont entrés dans le village de Dofinega, à environ 16 kilomètres de Pissila, et ont tué 17 hommes. Vers la mi-janvier, des hommes armés portant des treillis militaires et des turbans ont attaqué le village d’Ouanobian, situé à 15 kilomètres au nord de Pissila, et ont incendié au moins une maison. En février, une centaine d’hommes armés ont regroupé une soixantaine d’habitants du village de Noaka, à une douzaine de kilomètres de Pissila, pour leur adresser un ultimatum afin qu’ils quittent la région.
Des groupes armés islamistes qui seraient liés au GSIM ont mené au moins trois incursions dans le village de Zincko, dans la région du Centre-Nord, en décembre 2022 et début janvier 2023, pillant, tirant en l’air et demandant aux villageois de leur indiquer où ils pouvaient trouver des membres des forces de sécurité gouvernementales, selon certains habitants. Ils ont finalement adressé deux ultimatums aux habitants pour qu’ils quittent le village. Le 4 janvier, des hommes armés qui portaient des « vêtements pour le froid », munis de fusils d’assaut de type AK-47 et circulant à moto, sont revenus et ont fait le tour de la ville pour adresser un ultimatum aux habitants et les enjoindre de quitter le village sous 48 heures. Fin janvier, des affrontements entre combattants islamistes et des milices locales ont conduit à la mort de deux civils.
Le 12 janvier, des hommes armés ont enlevé plus de 60 personnes qui cherchaient de la nourriture dans le département d’Arbinda, dans la région du Sahel, une zone principalement contrôlée par le GSIM, mais où des combattants de l’EIGS ont également mené des attaques. Une semaine plus tard, l’agence d’information burkinabè a annoncé que les captifs—identifiés comme étant 39 enfants et 27 femmes— avaient été retrouvés en vie. Les habitants d’Arbinda ont souffert d’une faim extrême comme conséquence directe du siège imposé par les groupes armés islamistes.
Les forces du GSIM ont assiégé la ville de Djibo, dans la région du Sahel, depuis février. Ce groupe armé islamiste contrôle les routes d’accès à Djibo, le long desquelles il a placé des explosifs. Ils ont détruit les ponts, les infrastructures d’eau et de communication et empêché les livraisons de marchandise, isolant ainsi la ville du reste du pays. Les habitants ne peuvent pas se déplacer librement et n’ont pas accès aux biens et services de base tels que la nourriture, l’eau, l’électricité et les soins de santé. Les prix ont tellement augmenté que de nombreux habitants ne sont pas en mesure d’acheter des denrées alimentaires de base et d’autres produits de première nécessité. Les attaques des groupes armés islamistes et les opérations de lutte contre l’insurrection menées par les forces armées burkinabè autour de Djibo ont entraîné des déplacements massifs de population, poussant des milliers de personnes à chercher refuge à Djibo. Au début du mois de mai, sur les 300 000 personnes vivant à Djibo, près de 270 000 étaient déplacées.
Exactions perpétrées par les forces de sécurité de l’État et des milices progouvernementales
Les autorités militaires se sont fortement appuyées sur les milices locales pour contrer ces attaques. En octobre 2022, elles ont lancé une campagne pour renforcer ces milices en recrutant 50 000 supplétifs civils, appelés Volontaires pour la défense de la patrie (VDP).
Les forces progouvernementales, dont des militaires et des VDP, ont tué illégalement ou procédé à des disparitions forcées de centaines de civils lors d’opérations de lutte contre l’insurrection.
Le 8 juillet, des militaires burkinabè ont arrêté un camion qui transportait 11 personnes, dont 8 enfants, qui fuyaient de leur village de Bekuy, dans l’ouest du Burkina Faso, à l’issue d’une attaque perpétrée la veille par des groupes islamistes armés. Les militaires ont menacé de tuer le conducteur et sont partis au volant du camion avec les 11 personnes toujours à bord. Les dépouilles de ces 11 personnes ont été retrouvées le jour même à quelques kilomètres de Bekuy. Toutes semblaient avoir été fusillées.
Le 3 avril, un convoi de ravitaillement se dirigeant vers la ville de Dori, dans la province de Séno, escorté par un grand nombre de véhicules militaires, de motos et d’engins blindés, s’est arrêté dans le village de Gangaol et a déposé des militaires aux environs du marché. Ces militaires ont interrogé des gens, demandant à voir leurs cartes d’identité, puis ont fait irruption dans une maison d’où ils ont fait sortir dix hommes. Ils ont tabassé les hommes et, plus tard, ont sommairement exécuté six d’entre eux, d’après des témoins.
Le 20 avril, des hommes semblant appartenir aux forces militaires burkinabè ont exécuté sommairement au moins 156 civils, dont 28 femmes et 45 enfants, incendié des maisons et pillé des propriétés dans le village de Karma et à ses alentours, dans la province du Yatenga, située dans le nord du pays, dans l’un des pires massacres commis au Burkina Faso depuis 2015.
Le 29 mars, des militaires ont tué un homme de 47 ans et deux enfants, âgés de 13 et 14 ans, à Ouro Hesso, un secteur du village de Gangaol, dans la province de Séno.
Le 15 février, lors d’une opération de lutte contre l’insurrection, de nombreux militaires burkinabè accompagnés de milices ont arrêté 16 hommes dans le village d’Ékéou, dans la province de Séno, dans la région du Sahel, puis se sont dirigés vers Goulgountou, un village voisin, où ils ont arrêté deux autres hommes. Les dépouilles d’au moins neuf des hommes arrêtés, dont celle d’un homme qui avait un handicap visuel, ont été retrouvées le 26 mai près de la base des VDP à Falagountou. Les militaires ont aussi sévèrement passé à tabac les hommes arrêtés à Ékéou, ainsi que huit enfants âgés de 6 à 16 ans dans le même village. Un homme qui avait un handicap physique est mort à posteriori des blessures qui lui ont été assénées lors de cette opération militaire.
Deux membres des forces de sécurité et deux membres d’une milice ont arrêté deux frères de l’ethnie peule le 30 janvier dans la province de Zoundwéogo. L’un d’eux serait mort en détention, tandis que l’autre semble avoir été torturé avant d’être libéré.
Le 25 juillet, un groupe d’une trentaine de VDP a pris d’assaut le village d’Ékéou, tué deux hommes, dont un avait un handicap visuel, et sérieusement blessé deux enfants. Ils ont aussi incendié quatre maisons et une grange. D’après des témoins, les VDP recherchaient les hommes du village, qu’ils accusaient d’être des combattants islamistes ou leurs complices.
Le 3 août, un drone militaire burkinabè Bayraktar a touché un marché bondé à Bouro, dans la région du Sahel, tuant au moins 23 hommes et en blessant beaucoup d’autres. Il n’y avait aucune preuve que les hommes étaient des combattants, et la frappe a atterri loin de zones de combat.
Le 10 septembre, un groupe de VDP a pris d’assaut les pâturages autour du village de Peteguersé, dans la région du Sahel, afin de piller le bétail. Lors de cette attaque, ils ont tué 7 personnes, dont 4 enfants, et pillé plus d’une centaine de vaches et 24 chèvres.
Le 12 novembre, l’Union européenne a demandé l’ouverture d’une enquête sur un massacre dans le nord du Burkina Faso, où une centaine de personnes auraient été tuées. Selon le gouvernement, le 5 novembre, des hommes armés non identifiés ont tué au moins 70 personnes, principalement des personnes âgées et des enfants, dans le village de Zaongo, dans la région du Centre-Nord, et l’accident faisait encore l’objet d’une enquête.
Le 21 septembre, une frappe d’un drone militaire a tué au moins 20 hommes civils et en a blessé dix autres qui s’étaient rassemblés à l’occasion d’une cérémonie de funérailles à Bidi, dans la région du Nord.
Mesures répressives à l’égard des médias et des dissidents
Le 27 mars, les autorités burkinabè ont suspendu la diffusion de France 24, le réseau français de chaînes d’actualités internationales, pour avoir diffusé un extrait vidéo de 19 secondes d’un entretien réalisé en mars avec Abou Obeida Youssef al-Annabi, le chef autoproclamé du groupe armé islamiste Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Le 29 mars, le Conseil supérieur de la communication (CSC), l’organe chargé de réguler les activités des médias au Burkina Faso, a affirmé constater avec regret « la récurrence des menaces proférées à l’endroit d'organes de presse et d’acteurs des médias » et demandé aux autorités de « prendre les mesures idoines pour assurer la sécurité des médias et des journalistes dans l’exercice de leur profession ».
En mars, les autorités militaires burkinabè ont expulsé Agnès Faivre et Sophie Douce, deux journalistes travaillant respectivement pour les quotidiens français Libération et Le Monde. Les deux journalistes, qui étaient munies de visas et d’accréditations en règle, avaient signalé des atteintes aux droits humains perpétrées par les forces gouvernementales. Des agents des services de renseignement nationaux les ont convoquées et interrogées le 31 mars à Ouagadougou au sujet de leur travail, puis leur ont donné 24 heures pour quitter le pays, sans fournir de motif pour leur expulsion.
Le 10 août, les autorités militaires burkinabè ont suspendu la station indépendante Radio Omega pour avoir diffusé un entretien avec des partisans du président nigérien déchu, Mohamed Bazoum. Le journaliste qui avait réalisé cet entretien, Abdoul Fhatave Tiemtoré, a été convoqué le lendemain par la Sûreté de l’État et été auditionné pendant cinq heures. La station de radio a repris ses diffusions en septembre.
Le 25 septembre, les autorités militaires ont ordonné la suspension de l’organe de presse Jeune Afrique, l’accusant d’avoir discrédité l’armée.
La junte militaire du Burkina Faso a utilisé une loi d’urgence d’une vaste portée contre les opposants présumés. Entre le 4 et le 5 novembre 2023, des membres des forces de sécurité ont notifié par écrit ou par téléphone au moins une douzaine de journalistes, d’activistes de la société civile et de membres de partis d’opposition qu’ils seraient réquisitionnés pour participer aux opérations de sécurité du gouvernement dans tout le pays. Les autorités militaires de transition affirment que les ordres de conscription sont autorisés dans le cadre du plan de « mobilisation générale » du 13 avril qui donne au président les pleins pouvoirs pour combattre l’insurrection islamiste, notamment en réquisitionnant des personnes et des biens et en restreignant les libertés civiles.
Obligation de rendre des comptes pour les exactions commises
Le 14 juin, Human Rights Watch a adressé des courriers aux ministres burkinabè de la Justice et de la Défense, leur faisant part des conclusions de ses recherches sur les exactions qu’auraient commises des membres des forces armées du Burkina Faso entre janvier et avril 2023 dans les provinces de Séno et de Zoundwéogo, et demandant des réponses à des questions spécifiques. Le ministre de la Justice et des Droits humains a répondu le 25 juillet.
Le ministre y affirme que toutes les allégations de violations de droits humains par des membres des forces armées et des forces de sécurité burkinabè font systématiquement l’objet d’enquêtes. Il fournit des informations concernant les enquêtes ouvertes sur les exactions qui auraient été perpétrées dans les villages de Karma et de Gangaol, et dans la province de Zoundwéogo. Il précise que l’enquête sur le massacre de 156 civils à Karma a été finalisée et que 54 personnes ont été entendues, dont neuf officiers et sous-officiers militaires, trois soldats et deux VDP, ajoutant que cette enquête a été transmise au Procureur du Tribunal de Grande Instance de Ouahigouya. Le ministre de la Justice affirme que le gouvernement est en train de rédiger un décret pour donner réparation aux victimes d’actes terroristes.
Le 16 février, l’Assemblée législative de transition du Burkina Faso a adopté un projet de loi visant à renforcer le rôle des prévôts, qui sont responsables de la discipline dans les forces armées. Cette nouvelle loi, si intégralement appliquée, permettra une meilleure protection des droits des détenus lors des opérations militaires et dans les campements militaires, et contribuera à améliorer l’obligation de rendre des comptes lors d’atteintes aux droits humains.
Droits des enfants à l’éducation
Des groupes armés islamistes alliés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont commencé à attaquer des enseignants et des écoles au Burkina Faso en 2017, invoquant leur opposition à l’éducation « française » et de style occidental, ainsi qu’aux institutions gouvernementales. Depuis, ces attaques se sont multipliées chaque année. Ces groupes ont tué, battu, enlevé et menacé des professionnels de l’éducation ; intimidé des élèves ; terrorisé des parents d’élèves afin qu’ils n’envoient pas leurs enfants à l’école ; et endommagé, détruit et pillé des écoles.
Un quart des écoles au Burkina Faso sont fermées en raison de l’aggravation des affrontements entre les groupes armés islamistes et les forces gouvernementales. En juillet, 6 100 écoles étaient fermées, affectant près d’un million d’élèves.
La plupart des attaques d’écoles dans le pays ont été attribuées aux combattants du GSIM. Le 10 mars, les combattants du GSIM ont incendié une école dans le village de Sanguen, dans la région du Centre-Nord.
Principaux acteurs internationaux
Le 16 septembre, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont signé la charte Liptako-Gourma, un accord de sécurité et de défense instaurant l’Alliance des États du Sahel, qui contraint les parties à s’aider en cas d’attaque visant l’une d’entre elles et à œuvrer pour empêcher ou régler les rébellions armées.
Le 15 septembre, le Burkina Faso a expulsé l’attaché militaire français pour « activités subversives » et ordonné la fermeture de la mission militaire française à Ouagadougou. La France avait retiré ses troupes du Burkina Faso après le coup d’État militaire d’octobre 2022.
Le 18 septembre, le ministère français des Affaires étrangères a annoncé que de nouveaux visas ne seraient plus délivrés aux étudiants en provenance du Burkina Faso, du Mali et du Niger « pour des raisons de sécurité ». Le 6 août, la France a également annoncé la suspension de son aide au développement et de son assistance budgétaire au Burkina Faso.
En avril, le Service diplomatique de l’Union européenne a demandé l’ouverture d’une enquête impartiale et rigoureuse sur le massacre de civils dans le village de Karma, avertissant qu’il pourrait constituer un crime de guerre.