Les autorités algériennes ont poursuivi leur répression de toute dissidence, en dépit d’une accalmie dans les manifestations anti-gouvernementales, en imposant des restrictions à l’exercice des libertés d’expression, d’association, de réunion et de déplacement. Des activistes, des défenseurs des droits humains, des journalistes et des avocats ont été poursuivis en justice pour leur activisme pacifique, leurs opinions, ou à cause de leur profession. En octobre, environ 250 personnes étaient incarcérées pour leur participation à des manifestations pacifiques, pour leur activisme ou pour avoir exprimé des opinions, dont un tiers étaient en détention provisoire en l’attente d’un procès, selon les organisations nationales de défense des droits.
Les autorités ont eu recours de plus en plus souvent à des chefs d’accusation relatifs au terrorisme, après avoir accru la portée d’une définition déjà large et vague de ce crime en juin 2021, pour poursuivre des défenseurs des droits humains, des activistes et d’autres personnes critiquant le gouvernement. Elles ont également pris des mesures juridiques pour dissoudre des organisations de la société civile et des partis politiques d’opposition, ou pour restreindre leurs activités.
Droits politiques et liberté d’expression
Le 19 février, Faleh Hammoudi, chef du bureau de Tlemcen de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), a été arrêté. Il a ensuite été condamné à trois ans de prison pour « outrage à corps constitué », « publication de fausses nouvelles » de nature à porter atteinte à la sécurité publique et « gestion d’une association non agréée », selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD). Hammoudi a été remis en liberté provisoire le 30 mars. En appel, il a été condamné le 15 mai à un an de prison avec sursis.
Les autorités ont engagé des poursuites contre au moins huit membres de la LADDH pour leur activisme ou pour l’expression de leurs opinions, dont quatre — Kaddour Chouicha, Djamila Loukil, Saïd Bouddour et Hassan Bouras — pour des chefs d’accusation non fondés relatifs au terrorisme.
Zaki Hannache, un défenseur des droits humains connu pour son activisme au sein du mouvement pro-réformes du Hirak et pour sa documentation des arrestations et des procès d’autres activistes, a été arrêté le 18 janvier. À fin novembre, Hannache faisait l’objet d’une enquête sous des accusations non fondées d’« apologie du terrorisme », « propagation de fausses nouvelles », « réception de fonds afin de porter atteinte à la sécurité de l’État » et « atteinte à l’unité nationale ». Il a été remis en liberté provisoire le 30 mars.
Le 24 avril, Hakim Debbazi, un activiste du mouvement du Hirak, est mort en détention dans des circonstances peu claires. Debbazi avait été arrêté le 20 février et placé en détention provisoire à cause d’une publication sur Facebook concernant le Hirak. Il était accusé d’« incitation à un rassemblement non armé », d’« outrage à corps constitués » et de publications de nature à « porter atteinte à l’intérêt national ». Après sa mort, sa famille a porté plainte contre l’État algérien pour homicide. Les autorités algériennes ont affirmé que Debbazi était mort de causes naturelles, s’appuyant sur un rapport d’autopsie du gouvernement.
Deux avocats, Abdelkadir Chohra et Yacine Khelifi, ont été emprisonnés pour avoir dénoncé le décès suspect de Debbazi en détention. Les autorités ont arrêté Chohra le 14 mai et Khelifi le 30 mai, à cause d’une vidéo publiée sur Facebook au sujet du décès de l’activiste et des conditions de détention dans les prisons algériennes. Les deux avocats ont été inculpés de « publication et diffusion de fausses nouvelles », entre autres chefs d’accusation. Le 15 août, ils ont été condamnés à six mois de prison avec sursis et remis en liberté, selon le CNLD.
Dans un effort visant à museler les voix dissidentes, les autorités ont également pris pour cibles des activistes et des personnes critiques à l’égard du gouvernement dans la diaspora algérienne. Entre janvier et avril, elles ont imposé des interdictions arbitraires de voyager à l’étranger à au moins trois activistes algéro-canadiens. Ces personnes, dotées d’une double nationalité, ont été empêchées pendant des mois de quitter l’Algérie.
Le 24 mars, Mohamed Benhalima, un activiste et ancien responsable militaire qui s’est enfui en Espagne en 2019 par crainte de représailles pour sa participation au mouvement Hirak, a été expulsé vers l’Algérie. L’Espagne a rejeté deux fois sa demande d’asile politique, en dépit de l’opinion du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) selon laquelle il courait un risque réel d’être torturé et de la reconnaissance à l’international de la criminalisation par l’Algérie de l’opposition pacifique.
En mai, Benhalima a été informé qu’il avait été condamné à mort par contumace par un tribunal militaire. Poursuivi dans des dizaines d’affaires sous des accusations relatives au terrorisme et à l’espionnage, entre autres, Benhalima a été emprisonné et jugé pour des vidéos affichées sur les réseaux sociaux concernant des allégations de corruption d’État. Le 19 juin, il a affirmé devant le tribunal qu’il avait été soumis à la torture. Le 4 septembre, il a été condamné à un total de 12 ans de prison dans trois affaires distinctes, selon le quotidien El Watan. En 2021, un tribunal a condamné Benhalima à 10 ans de prison par contumace pour des publications en ligne concernant l’armée.
Libertés d’association et de réunion
Le 1er septembre, les autorités ont fermé le siège de Santé Sidi El Houari, une association qui se consacre à la préservation de l’héritage culturel et historique de la ville d’Oran. Le gouverneur d’Oran avait porté plainte contre cette association en mai, l’accusant de recevoir « des fonds en provenance de l’étranger sans l’approbation des autorités compétentes. » Le 19 décembre, le tribunal administratif d’Oran a rendu un jugement favorable à l’association, s’opposant à sa dissolution.
Le 13 octobre 2021, un tribunal d’Alger a dissous le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), une organisation nationale majeure, à la suite d’une plainte du ministère de l’Intérieur selon lequel ses activités étaient contraires à ses propres statuts, ainsi qu’aux objectifs de la Loi 12-06 sur les associations. En avril, des activistes du RAJ ont fait appel de cette décision devant la plus haute juridiction administrative d’Algérie. Le RAJ a soutenu ouvertement le mouvement Hirak et, depuis lors, les autorités ont poursuivi en justice 13 de ses membres, en emprisonnant au moins 10.
En avril 2021, une autre association connue pour son soutien au mouvement du Hirak, SOS Bab El Oued, a été fermée par les autorités après 21 ans d’activité, et son président, Nacer Maghnine, a été emprisonné pour son activisme.
La législation algérienne régissant les associations est restrictive et enfreint le droit à la liberté d’association. En vertu de la loi 12-06, les autorités ont une grande latitude pour refuser d’agréer des associations non gouvernementales, et celles-ci doivent obtenir un récépissé d’enregistrement avant de pouvoir opérer légalement. La loi interdit également aux associations de recevoir des fonds en provenance de l’étranger, de coopérer avec des organisations étrangères ou de chercher à en devenir membre sans l’approbation du gouvernement, et elle permet à celui-ci de suspendre une association « en cas d’ingérence dans les affaires internes du pays ou d’atteinte à la souveraineté nationale ».
Droits des femmes et des filles
Le Code algérien de la famille contient des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes et restreint leurs droits. Il permet aux hommes de divorcer unilatéralement sans explication mais exige des femmes de demander le divorce à un tribunal pour des raisons précises.
Féminicides Algérie, une initiative de la société civile qui recense les meurtres de femmes et de filles, a affirmé qu’à la date du 26 octobre, 34 femmes et filles avaient été tuées en 2022 par leur mari, leur ex-mari, leur voisin, leur frère, leur père, leur fils ou un autre membre de leur famille.
L’article 326 du code pénal, relique de l’époque coloniale, permet à un homme qui enlève une mineure d’échapper aux poursuites s’il épouse sa victime. Une loi de 2015 a amendé le code pénal pour rendre l’agression d’une épouse passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison et de la prison à perpétuité pour des blessures ayant entraîné la mort. Cependant, elle contient des failles qui permettent d’annuler les condamnations ou de réduire les peines si les victimes pardonnent à leurs agresseurs. La loi ne contient pas de mesures visant à empêcher les abus ou à protéger les victimes survivantes, telles que des ordonnances de protection.
Il n’y a pas de loi assurant que les filles enceintes non mariées et les mères adolescentes, qui sont passibles de poursuites criminelles, puissent poursuivre leur scolarité. Le châtiment corporel d’enfants est interdit à l’école, mais pas au sein du foyer familial et demeure une pratique courante.
Migrants et réfugiés
Lors de l’année 2022, les autorités algériennes ont poursuivi leur politique d’expulsions collectives arbitraires vers le Niger de migrants de diverses nationalités, y compris d’enfants, souvent sans effectuer de filtrage individuel et sans respect des procédures établies. Des migrants ont fait état de cas de violences, de vols de leurs biens, de détentions arbitraires, de mauvais traitements en détention et d’autres mauvais traitements de la part des autorités algériennes lors de leur arrestation, de leur détention ou de leur expulsion à la frontière. Les autorités algériennes ont expulsé au moins 14 000 migrants vers le Niger entre janvier et mai 2022, selon l’organisation Médecins sans frontières.
Ces expulsions collectives ont été effectuées dans des conditions inhumaines et en violation des obligations de l’Algérie au regard du droit international et régional concernant les réfugiés et les droits humains. Comme les années précédentes, la plupart des migrants expulsés, dont certains avaient été sévèrement maltraités, ont été abandonnés dans le désert à la frontière algéro-nigérienne.
Bien qu’étant un État partie aux conventions relatives aux réfugiés de l’Union africaine et des Nations Unies, l’Algérie ne dispose pas d’une loi nationale sur le droit d’asile, ni de système de protection des demandeurs d’asile.
Orientation sexuelle et identité de genre
Les relations sexuelles entre personnes de même sexe sont passibles d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à deux ans, en vertu de l’article 338 du code pénal. L’article 333 accroît cette peine à un maximum de trois ans pour outrage public à la pudeur si celui-ci a consisté en « un acte contre nature avec un individu du même sexe », que ce soit entre hommes ou entre femmes.
Les restrictions à la liberté de réunion et d’association contenues dans la loi 12-06 entravent le travail des organisations de défense des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT). Cette loi comporte des risques pour toute personne souhaitant former une organisation de défense des droits LGBT ou devenir active en son sein, ainsi que pour les organisations de défense des droits humains qui pourraient soutenir une telle activité.
Selon une analyse de 2019 réalisée par l’association ILGA (International Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, and Intersex Association), les lois réglementant les organisations non gouvernementales en Algérie rendent l’enregistrement légal des organisations travaillant sur les questions de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre pratiquement impossible.