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Rwanda

Événements de 2020

Le chanteur rwandais Kizito Mihigo – mort dans des circonstances suspectes en garde à vue en février 2020 – parle à des journalistes après sa libération de prison, à Kigali, au Rwanda, le 15 septembre 2018. Les autorités n’ont pas mené d’enquêtes crédibles sur sa mort.

© 2018 Jean Bizimana/Reuters

En 2020, le Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir au Rwanda, a continué de s’en prendre aux personnes perçues comme constituant une menace pour le gouvernement. Plusieurs détracteurs du gouvernement ont été arrêtés ou menacés. Les autorités n’ont pas mené d’enquêtes crédibles sur la mort suspecte en garde à vue du célèbre chanteur et activiste Kizito Mihigo en février.

Les détentions arbitraires, les mauvais traitements et les actes de torture se sont poursuivis dans les centres de détention officiels et non officiels. Les normes de procès équitable ont été régulièrement bafouées dans bon nombre d’affaires politiquement sensibles, pour lesquelles des chefs d’accusation d’ordre sécuritaire sont souvent utilisés pour traduire en justice des détracteurs du gouvernement.

Le Rwanda a continué d’accueillir des dizaines de milliers de réfugiés, venus principalement de pays voisins, ainsi que des centaines de demandeurs d’asiles transférés depuis la Libye. En août, le gouvernement, en collaboration avec l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, a commencé la mise en œuvre du premier rapatriement volontaire de réfugiés du Rwanda vers le Burundi.

Espace politique et liberté d’expression

L’arrestation et la détention de Paul Rusesabagina, personnalité connue pour ses critiques du FPR, qui avaient démarré par une disparition forcée, ont soulevé de sérieuses préoccupations quant à ses chances de bénéficier d’un procès équitable au Rwanda. Paul Rusesabagina, qui a fui vers la Belgique en 1996 et est aujourd’hui citoyen belge, était résidant aux États-Unis lorsqu’il s’est rendu à Dubaï, aux Émirats arabes unis, le 27 août. Rusesabagina a été victime d’une disparition forcée dans la soirée du 27 août, ou plus ou moins à ce moment-là, jusqu’à ce que, le 31 août, le Bureau d’enquêtes rwandais (Rwanda Investigation Bureau, RIB) annonce qu’il le détenait à Kigali, au Rwanda. Aucun membre de la famille de Rusesabagina n’a pu s’entretenir avec lui avant le 8 septembre, et il est difficile de savoir s’il a eu accès à un avocat de son choix. Au moment de la rédaction de ce rapport, son procès se poursuivait.

Le 17 février, la police a annoncé que Kizito Mihigo avait été trouvé mort dans sa cellule au poste de police de Remera à Kigali, affirmant qu’il s’était suicidé, quatre jours après son arrestation près de la frontière avec le Burundi. Peu de temps avant sa mort, il avait déclaré à Human Rights Watch qu’il faisait l’objet de menaces, qu’on lui avait demandé de fournir des faux témoignages contre des opposants politiques et qu’il voulait fuir le pays parce qu’il craignait pour sa sécurité. Les autorités rwandaises ont publié une déclaration le 26 février, concluant que Mihigo s’était pendu, le suicide en étant la cause probable, sans pour autant rendre publics les détails de l’enquête ni remplir les critères attendus dans le cadre d’une enquête sur le décès d’une personne en détention. En 2015, Mihigo avait été condamné à dix ans de prison pour des délits présumés, dont la formation d’une association de malfaiteurs, la planification de meurtre et le complot d’attentat contre le pouvoir en place ou le président, mais il avait été libéré en septembre 2018 en vertu d’une grâce présidentielle.

Le 27 décembre 2019, la Cour d’appel rwandaise a confirmé la condamnation de deux anciens responsables militaires, réduisant toutefois leur peine à 15 ans d’emprisonnement pour chacun. Le colonel Tom Byabagamba et le brigadier général à la retraite Frank Rusagara avaient été condamnés à 21 et 20 ans de prison respectivement par la Haute Cour militaire de Kanombe en 2016, pour des chefs d’accusation comprenant l’incitation à l’insurrection et l’atteinte à l’image du gouvernement. Les procureurs les avaient accusés d’avoir critiqué le gouvernement. La Cour d’appel n’a pas enquêté sur les allégations de torture et de subornation de témoins apparues pendant le procès. Après que les avocats de Byabagamba et Rusagara avaient déposé une plainte auprès de la Cour de justice de l’Afrique de l’Est en février, de nouvelles accusations ont été portées contre Byabagamba, qui a alors été accusé d’avoir tenté d’acheter son évasion de prison. Entre le 15 et le 17 avril 2020, trois personnes en lien avec Byabagamba ont été arrêtées et accusées de l’avoir aidé à s’évader. Deux d’entre elles ont été libérées en avril, et la troisième, en juillet.

Tout au long de l’année, le RIB a effectué des perquisitions, saisi des biens, y compris du matériel électronique, et convoqué à plusieurs interrogatoires Victoire Ingabire, l’ancienne présidente du parti d’opposition FDU-Inkingi qui, en novembre 2019, a formé un nouveau parti, le Dalfa-Umurinzi. À l’issue d’un procès qui a pris fin le 23 janvier 2020, sept membres du parti d’Ingabire ont été reconnus coupables, entre autres, de complicité dans la formation ou le ralliement d’une force armée irrégulière, et condamnés à des peines allant de sept à dix ans de prison. Trois autres – Théophile Ntirutwa, Venant Abayisenga et Léonille Gasengayire – ont été acquittés de toutes les charges retenues contre eux et libérés. Après leur libération, ils ont accordé des entretiens vidéo à des chaînes YouTube locales en donnant des précisions sur leur détention provisoire et en alléguant des mauvais traitements et des actes de torture, y compris à Kwa Gacinya, un centre de détention non officiel situé dans le quartier de Gikondo, à Kigali, ainsi que dans les prisons de Mageragere et de Nyanza. Abayisenga a été porté disparu en juin, après être sorti acheter du crédit pour son téléphone, et l’on craint qu’il ait pu faire l’objet d’une disparition forcée. Ntirutwa a été de nouveau arrêté après une attaque dans son magasin dans le quartier de Rwamagana le 11 mai. Le 18 mai, Ntirutwa et trois autres individus présents dans son magasin au moment de l’attaque ont été inculpés de plusieurs délits, y compris de meurtre, de vol et de « propagation d’affirmations mensongères en vue de provoquer l’hostilité de l’opinion internationale vis-à-vis de l’État rwandais ». Au moment de la rédaction de ce rapport, ces hommes attendaient l’ouverture de leur procès.

Médias

L’ingérence et les mesures d’intimidation de la part de l’État ont forcé de nombreux acteurs de la société civile et journalistes à cesser de travailler sur des questions sensibles ayant trait à la politique ou aux droits humains. La majeure partie de la presse écrite et des médias audiovisuels est restée fortement dominée par des opinions pro-gouvernement. Les organisations de la société civile indépendantes font preuve d’une grande faiblesse et rares sont celles qui documentent et mettent en évidence les atteintes aux droits humains perpétrées par les agents de l’État.

En mars, quatre blogueurs qui avaient fait des reportages sur des viols qu’auraient commis les forces de sécurité et sur les impacts négatifs sur les populations vulnérables des directives gouvernementales de lutte contre la prolifération du Covid-19 ont été arrêtés dans des circonstances s’apparentant à des représailles. Dans les mois précédant leur arrestation, ils avaient également diffusé des témoignages sur un conflit de longue date avec les autorités concernant des expulsions à « Bannyahe », un quartier pauvre de Kigali.

Le 8 avril, le RIB et des agents de police ont arrêté Valentin Muhirwa et David Byiringiro, deux blogueurs travaillant pour Afrimax TV, à Kangondo II, un autre quartier de Kigali. Deux habitants ont déclaré que les blogueurs avaient demandé au leader local la permission de distribuer des aliments et des produits après avoir appris les difficultés auxquelles la population était confrontée, mais le RIB et des agents de police ont arrêté ces hommes, les accusant d’enfreindre les directives du gouvernement et d’organiser une distribution non autorisée.

Le 12 avril, le RIB a confirmé sur Twitter l’arrestation de Théoneste Nsengimana, propriétaire d’Umubavu TV, pour fraude présumée. Le RIB l’accusait d’avoir promis 20 000 francs rwandais (21 dollars US) à des personnes pour qu’elles affirment recevoir de l’aide de l’étranger.

La Commission rwandaise des médias (Rwanda Media Commission) a indiqué dans une déclaration le 13 avril qu’aucun des blogueurs détenus n’avait été arrêté dans le cadre de représailles relatives à leur travail et que les blogueurs en ligne, comme ceux qui utilisent YouTube, ne sont pas des journalistes et « ne sont pas autorisées à interviewer la population ». Muhirwa et Byiringiro ont été libérés en avril. Nsengimana, libéré en mai, attendait son procès au moment de la rédaction de ce rapport.

Le 15 avril, Dieudonné Niyonsenga, également connu sous le nom de Cyuma Hassan, le propriétaire d’Ishema TV, a été arrêté avec son chauffeur, Fidèle Komezusenge. Le RIB a accusé Dieudonné Niyonsenga d’avoir enfreint les mesures de confinement et d’avoir donné à Fidèle Komezusenge une carte de presse non autorisée. D’après le Comité de protection des journalistes, ils ont été accusés de falsification et de fausse prétention d’être journalistes. Leur procès était en cours au moment de la rédaction de ce rapport.

Détention arbitraire d’enfants des rues

Les centres de transit rwandais sont régis par une loi de 2017 instaurant le Service national de réhabilitation, selon laquelle les personnes qui présentent des « comportements déviants » peuvent être détenues pendant un maximum de deux mois sans autre justification légale ni contrôle judiciaire. En janvier 2020, Human Rights Watch a conclu que cette nouvelle législation offrait à la police une couverture lui permettant de continuer de rafler et de détenir arbitrairement des enfants dans des conditions déplorables et dégradantes au Centre de transit de Gikondo. En février, le Comité des Droits de l’enfant des Nations Unies a lancé un appel pour que cessent les détentions arbitraires d’enfants dans les centres de transit au Rwanda, que soient ouvertes des enquêtes sur les allégations de mauvais traitements – notamment des passages à tabac – et que soit modifié le cadre juridique qui réglemente ces abus.

Covid-19

Les autorités rwandaises ont réagi de manière rapide et agressive à la menace posée par la pandémie mondiale du Covid-19. La police a arrêté plus de 70 000 personnes pour des infractions liées aux mesures introduites en mars pour empêcher la propagation du Covid-19, dont un couvre-feu, la fermeture des bars et des restaurants et des restrictions en matière de déplacements. Les autorités ont accusé des personnes d’avoir enfreint ces mesures, les détenant parfois dans des stades sans procédure régulière ni autorité légale. Les écoles ont fermé pour une durée minimale de six mois à compter de mars en raison de la pandémie, affectant environ 3,4 millions d’enfants.

Justice internationale

L’arrestation en France de Félicien Kabuga, l’un des cerveaux présumés du génocide au Rwanda, en mai a marqué un pas important vers la justice pour les victimes et les rescapés du génocide. Félicien Kabuga avait été inculpé par un tribunal international jugeant les crimes de guerre pour génocide et crimes connexes perpétrés pendant le génocide de 1994, et il vivait en France sous une fausse identité au moment de son arrestation.

Félicien Kabuga était en fuite depuis 1997, année où il a été pour la première fois inculpé par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Le 30 septembre 2020, un tribunal français a ordonné le transfert de Kabuga devant le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (le « Mécanisme »), mis en place pour gérer les fonctions restantes du TPIR et du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie après que ces tribunaux avaient été fermés. Le Mécanisme comprend deux divisions, l’une à Arusha, en Tanzanie, et l’autre à La Haye, aux Pays-Bas.

En mai, le Mécanisme a annoncé que la dépouille d’un autre génocidaire présumé, Augustin Bizimana, ministre de la Défense pendant le génocide, avait été identifiée dans une tombe à Pointe-Noire, en République du Congo. Son décès remonterait grosso modo au mois d’août 2000. En 1998, Bizimana avait été inculpé par le TPIR et devait répondre de 13 chefs de génocide et autres crimes connexes.

En août 2020, les autorités judiciaires rwandaises ont émis un mandat d’arrêt international visant Aloys Ntiwiragabo, l’ancien chef des renseignements militaires pendant le génocide, après que les médias avaient révélé en juillet qu’il vivait caché en France. La France a ouvert une enquête sur les crimes contre l’humanité qu’aurait perpétrés Ntiwiragabo une fois que celui-ci avait été localisé. Ntiwiragabo avait précédemment été visé par des mandats d’arrêt, notamment lancés par le TPIR.

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