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Allemagne : Un médecin britanno-palestinien interdit de séjour dans l’espace Schengen

Cette interdiction présumée risque de saper l’engagement de l’Allemagne en faveur des libertés d’expression et de réunion

Le docteur Ghassan Abu Sittah, un chirurgien esthétique palestino-britannique spécialisé dans la médecine de guerre, lors d'un entretien avec l'agence Associated Press à l'Institut d'études palestiniennes à Beyrouth, au Liban, le 9 décembre 2023. 

(Londres, le 10 mai 2024) – Le gouvernement allemand devrait indiquer publiquement s’il a imposé une interdiction de séjour dans toute la zone de l’Union européenne couverte par les accords de Schengen à un éminent chirurgien et universitaire britanno-palestinien, le docteur Ghassan Abu Sittah, et, si c’est le cas, expliquer pourquoi, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ces dernières semaines, le Dr Abu Sittah s’est vu refuser l’entrée en Allemagne et en France et, le 9 mai 2024, des responsables néerlandais ont informé le Représentant permanent de la Palestine aux Pays-Bas que le Dr Abu Sittah ne serait pas autorisé à entrer dans le pays le 15 mai pour participer à un événement prévu à la Mission palestinienne à La Haye.  

Le 4 mai 2024, le Dr Abu Sittah s’est vu refuser l’entrée en France, où il devait participer à un colloque au Sénat au sujet des événements de Gaza. Il a indiqué sur les réseaux sociaux, ainsi qu’à Human Rights Watch, que les autorités françaises à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle l’avaient informé qu’il ne pouvait pénétrer dans l’espace Schengen à cause d’une interdiction de séjour d’un an imposée par l’Allemagne. Son avocat à déclaré à Human Rights Watch que les autorités allemandes ne l’avaient pas informé de cette interdiction, et n’avaient pas non plus divulgué pour quelles raisons elles avaient pris cette décision. Un responsable français a déclaré à l’agence Associated Press que l’interdiction d’entrée imposée par l’Allemagne s’applique sur tout l’espace Schengen, une zone de 29 pays dont les frontières internes ont été pratiquement supprimées. 

« Le Dr Ghassan Abu Sittah a vu lui-même les atrocités qui se produisent à Gaza », a déclaré Yasmine Ahmed, directrice pour le Royaume-Uni à Human Rights Watch. « L’Allemagne devrait immédiatement expliquer pourquoi elle lui a refusé l’entrée et a ainsi imposé à un éminent professionnel de la santé une interdiction de séjour d’une grande portée qui l’empêche de s’exprimer à Berlin, à Paris et à La Haye sur ce dont il a été témoin à Gaza. »  

Les tentatives de l’empêcher d’évoquer publiquement son expérience lorsqu’il soignait des blessés à Gaza risquent de saper les engagements pris par l’Allemagne de protéger et faciliter les libertés d’expression et de réunion et le droit à la non-discrimination, a déclaré Human Rights Watch. 

Le 24 avril, Human Rights Watch a écrit au gouvernement allemand, lui demandant d’expliquer comment ses actes peuvent être conformes aux obligations internationales et nationales de l’Allemagne de protéger et faciliter ces libertés et ce droit. Human Rights Watch n’a pas reçu de réponse.

Le Représentant permanent de la Palestine aux Pays-Bas a invité le Dr Abu Sittah à prendre la parole lors d’un événement prévu pour le 15 mai à La Haye à l’occasion du 76ème anniversaire de la Journée de la Nakba, qui commémore le déplacement de plus de 700 000 Palestiniens qui ont fui ou ont été expulsés de leurs maisons et la destruction de plus de 400 villages lors des événements ayant suivi la création de l’État d’Israël en 1948. Le directeur général de l’Organisation intergouvernementale pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), basée à La Haye, a également invité le Dr Abu Sittah en mai afin qu’il fasse un exposé sur l’utilisation d’armes au phosphore blanc par les forces israéliennes à Gaza. Le Dr Abu Sittah a affirmé avoir été témoin de l’utilisation de munitions au phosphore blanc, qui causent des blessures particulièrement graves, alors qu’il travaillait à Gaza. 

Le Dr Abu Sittah a affirmé que les responsables néerlandais avaient informé le Représentant de la Palestine aux Pays-Bas qu’il ne serait pas autorisé à entrer aux Pays-Bas pour l’événement relatif à la Journée de la Nakba,  mais qu’ils pourraient lui permettre d’entrer pour rencontrer le directeur général de l’OIAC, à condition qu’il se contente de participer à cette réunion et qu’il reparte immédiatement après. Le 9 mai, la Mission palestinienne aux Pays-Bas a annoncé avoir annulé l’événement, en raison de l’interdiction d’entrée dans l’espace Schengen imposée au Dr Abu Sittah. Dans cette annonce, elle précisait que le chirurgien devait aussi rencontrer des organisations internationales, des acteurs de la société civile, des parlementaires néerlandais et des universitaires. 

Le Dr Abu Sittah avait prévu de prendre la parole à Paris devant le Sénat français, à l’invitation des membres du parti écologiste des Verts, lors d’un colloque sur la responsabilité de la France dans l’application du droit international en Palestine. Il a finalement pu s’adresser aux participants grâce à un lien en visioconférence

L’Allemagne a empêché le Dr Abu Sittah d’entrer sur son territoire le 12 avril pour prononcer un discours à Berlin lors d’une conférence sur la Palestine. Le Dr Abu Sittah a indiqué que des responsables allemands l’ont averti que s’il tentait de participer à cette conférence à distance ou s’il envoyait aux participants un message vidéo, cela constituerait une infraction criminelle pour laquelle il pourrait être frappé d’une amende ou emprisonné pour une période pouvant aller jusqu’à un an. Il a affirmé à Human Rights Watch que les autorités de l’aéroport lui ont dit qu’elles lui refusaient l’entrée pour des raisons liées « à la sécurité des participants à la conférence et à l’ordre public ». Le Dr Abu Sittah a déclaré son intention de contester en Allemagne l’interdiction d’entrée dans la zone Schengen.

Les libertés d’expression et de réunion pacifique ne peuvent être restreintes que dans des circonstances limitées et la jouissance de ces droits ne peut être l’objet d’aucune discrimination, par exemple sur la base de l’appartenance ethnique, de la religion ou des opinions politiques. Toute restriction imposée doit l’être sans remise en cause du droit lui-même. 

Les autorités du Royaume-Uni et de l’Écosse devraient insister auprès du gouvernement allemand pour qu’il explique la légalité d’une mesure d’interdiction d’entrée sur son territoire à l’encontre du chirurgien britannique et de l’imposition d’une interdiction de visa pour tout l’espace Schengen, a déclaré Human Rights Watch. Le gouvernement allemand devrait aussi clarifier immédiatement les raisons pour lesquelles il a imposé une telle interdiction, ainsi que la procédure suivie.

Le Dr Abu Sittah a soigné des blessés dans les hôpitaux al-Shifa et al-Ahli à Gaza en octobre et novembre 2023. Il a fourni des preuves de ce qu’il a vu à Gaza à l’unité des crimes de guerre de la Police métropolitaine de Londres. La police britannique a déclaré qu’elle transmettrait, le cas échéant, toute information pertinente à la Cour pénale internationale (CPI).

Le Procureur de la CPI a confirmé en novembre 2023 que son bureau avait ouvert, en mars 2021, une enquête sur des présumés crimes graves commis dans la bande de Gaza et en Cisjordanie depuis 2014, et que ce bureau avait compétence pour examiner les crimes commis en violation du droit international par toutes les parties lors des hostilités actuelles entre Israël et les groupes armés palestiniens.  

L’interdiction de voyager dans l’espace Schengen apparemment imposée au Dr Abu Sittah est susceptible d’entraver sa capacité de fournir des informations sur des crimes commis à Gaza à d’autres autorités et organes judiciaires à travers l’Europe, a déclaré Human Rights Watch. 

En réaction aux attaques perpétrées sous la conduite du Hamas le 7 octobre dans le sud d’Israël, qui ont consisté notamment en des meurtres délibérés de civils et des prises de civils en otages, actes qui constituent des crimes de guerre, les forces israéliennes ont effectué à plusieurs reprises des attaques apparemment illégales, y compris contre des établissements et des personnels médicaux et des hôpitaux à Gaza. Les forces israéliennes continuent de faire obstacle à l’apport de services de base et d’aide humanitaire à Gaza, actes qui constituent des crimes de guerre, notamment l’utilisation de la famine imposée à des civils comme arme de guerre.

« Dans le contexte des atrocités qui se poursuivent à Gaza, les pays du monde devraient en priorité mettre fin à toute éventuelle complicité de leur part et promouvoir l’obligation de rendre des comptes », a affirmé Yasmine Ahmed. « Au lieu de cela, l’Allemagne, en empêchant le Dr Abu Sittah de partager ses expériences, tente d’empêcher des citoyens d’entendre parler des graves abus qui se produisent à Gaza. Le gouvernement du Royaume-Uni devrait immédiatement évoquer cette interdiction présumée avec son homologue allemand. »

 

 

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