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A girl holds the hand of a boy in Agadez, Niger on October 9, 2018.

Entretien : Un nouvel arrêté nigérien protège les droits des filles à l’éducation

Une jeune fille tenait la main d'un petit garçon à Agadez, au Niger, le 9 octobre 2018. Le taux de mariages précoces est élevé dans ce pays. © 2018 Scott Peterson/Getty Images

Dans près d’un tiers des pays africains, les filles sont confrontées à d’importants obstacles à l’éducation lorsqu’elles se marient ou qu’elles tombent enceintes. Mais cette situation est en train de changer. En 2019, le gouvernement du Niger a émis un arrêté imposant aux écoles de permettre aux filles mariées et/ou enceintes de poursuivre leur scolarité et de revenir après avoir eu leur bébé. Kaem Kapalata Machozi, chercheur à Human Rights Watch, s’est entretenu avec Mariama Mamoudou Djibo, Directrice de programmes à Femmes, Actions et Développement (ONG FAD) Niger, au sujet des possibilités qu’offre cette mesure de changer des vies, et sur les leçons ce que d’autres pays africains pourraient tirer de l’expérience nigérienne.

Que se passe-t-il normalement au Niger lorsqu’une jeune fille qui va à l’école tombe enceinte ?

Les filles qui poursuivent leurs études sans encombre après une grossesse sont des exceptions. Notre société voit d’un mauvais œil les filles qui tombent enceintes. Lorsque la grossesse est apparente, la jeune fille est obligée de révéler qui est le père de son enfant. La famille de la fille prend alors contact avec l’homme et lui demande d’assumer la responsabilité financière pour la jeune fille et pour la grossesse. Cela aboutit souvent à un mariage arrangé, sans aucun égard pour les droits, les souhaits ou l’avenir de la jeune fille. Parfois, la grossesse est due à un viol, mais la société encourage quand même l’homme à épouser la fille. Ce traumatisme aggravé a des conséquences durables sur les filles, dont la plupart se voient refuser l’accès à l’éducation après leurs grossesses.

D’autre part, certaines filles qui refusent de révéler le nom de celui dont elles sont enceintes sont rejetées par leurs familles. Leurs familles les punissent en les ignorant ou en leur parlant avec dureté. Il arrive que des filles aillent vivre avec leurs tantes, ou avec d’autres membres de leurs familles qui acceptent de les accueillir après que les parents les aient rejetés. Mais dans certaines situations particulièrement regrettables, les filles sont mises à la rue en étant obligées de se débrouiller pour subvenir à leurs besoins, ce qui les rend vulnérables et les prive de tout accès aux produits de première nécessité.

Left: Illustration of young mother studying while breastfeeding. Right: Illustration of the same mother sitting in class.

Donner aux filles enceintes et aux mères adolescentes les moyens de rester à l'école

Indice de Human Rights Watch

Le Niger a signé un arrêté visant à garantir que toutes les filles puissent rester scolarisées. Comment cet arrêté a-t-il été adopté ?

Pendant des années, des organisations comme Femmes, Actions et Développement (ONG FAD) ont fait pression sur le gouvernement pour qu’il protège le droit des filles à l’éducation. Ce mouvement a persévéré et finalement, en 2017, le gouvernement a publié un décret visant à maintenir les filles à l’école. En 2019, le gouvernement a publié un arrêté supplémentaire exigeant spécifiquement que les adolescentes mariées, enceintes et mères adolescentes puissent rester à l’école. Nous sommes fiers de pouvoir avancer aujourd’hui que nous vivons dans un pays qui fait la promotion de l’éducation.

Ce changement est une victoire pour l’éducation des filles. Pourquoi alors n’y a-t-il pas plus d’adolescentes enceintes et de jeunes mères qui restent à l’école ?

Le décret de 2017 et ses arrêtés représentent un premier pas de ce combat. Le gouvernement devrait faire un pas de plus en informant la population partout dans le pays de l’existence de cette mesure. Les activistes ne disposent pas d’assez d’argent ou de ressources pour s’adresser à toutes les communautés du pays. Les droits des filles ne peuvent être pleinement protégés que si l’ensemble de la société est informé des nouvelles orientations prises par le gouvernement. Pour l’instant, seule une petite partie de la société est au courant de l’existence de ces textes.

Quel effet le nouvel arrêté a-t-il eu sur les communautés qui en ont pris connaissance ?

Parmi les communautés avec lesquelles nous travaillons, les adolescentes enceintes et les mères adolescentes veulent aller à l’école. Ce sont les questions culturelles qui changent la manière dont les communautés répondent à l’appel à l’accès à l’éducation des filles. Le mariage des enfants est un problème au Niger. Beaucoup ont interprété cette mesure comme une approbation automatique du retour à l’école pour les adolescentes enceintes mariées. D’autre part, les adolescentes non mariées sont toujours refusées par certaines écoles et rejetées par leurs familles. Des messages clairs, ainsi qu’un plaidoyer du gouvernement sont essentiels pour changer ces attitudes.

Les écoles doivent également accorder une attention particulière aux adolescentes enceintes. Elles doivent accueillir les filles enceintes et les encourager à rester à l’école. Les administrations des établissements scolaires devraient disposer de programmes de sensibilisation pour soutenir les filles et éliminer la stigmatisation au sein même de la communauté scolaire.

Grâce à ces mesures, les familles seraient également encouragées à mieux accepter les filles enceintes.

Le Niger a fait un pas en avant en publiant cet arrêté. Que peuvent faire les autres pays africains pour imiter cet exemple ?

Le Niger n’est pas un pays riche. Mais cette mesure a été prise parce que le gouvernement a donné la priorité à l’éducation des filles. La protection de la scolarisation des filles n’est pas l’apanage des pays riches : tous les pays africains devraient également mettre l’accent sur l’épanouissement des filles par l’éducation.

Cette mesure a vu le jour grâce au travail de plaidoyer inlassable des activistes et des organisations non gouvernementales en faveur des adolescentes enceintes et des mères adolescentes. J’encourage tous les Africains à plaider auprès de leurs gouvernements pour exiger de telles protections de la part de leurs dirigeants. Je comprends combien il est difficile de faire changer les priorités d’un gouvernement. Mais les droits humains nous appartiennent à tous, et nous avons le devoir de continuer le travail sur nos institutions étatiques pour qu’elles protègent des droits aussi importants que le droit à l’éducation.

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Correction

La version précédemment publiée de cet entretien comportait une erreur dans le nom de la personne interviewée, ainsi qu’une erreur concernant le type de mesure gouvernementale adoptée en 2019. Il s’agissait d’un arrêté, et non d’une loi.

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