(Nairobi) – La réponse du gouvernement kenyan face à la violence fondée sur le genre lors de la pandémie de Covid-19 a été trop faible et trop tardive, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Le rapport de 61 pages, intitulé « ‘I Had Nowhere to Go’: Violence against Women and Girls during the Covid-19 Pandemic in Kenya » (« ‘Je n’avais nulle part où aller’ : Violence à l’égard des femmes et des filles lors de la pandémie de Covid-19 au Kenya »), décrit en détail en quoi l’échec du gouvernement kenyan à assurer des services permettant de prévenir la violence fondée sur le genre et d’apporter une assistance aux survivantes, dans le cadre de ses mesures de lutte contre le Covid-19, a favorisé l’augmentation de la violence, notamment sexuelle, à l’égard des femmes et des filles. Les survivantes ont subi des préjudices accrus du fait de l’incapacité des autorités kenyanes à garantir qu’elles aient accès à un traitement intégral, de qualité et rapide, à des soins de santé mentale, à des services de protection et à une aide financière – ainsi qu’à procéder comme il se doit à des enquêtes et des poursuites concernant ces affaires.
« La pandémie n’est pas la première crise lors de laquelle le Kenya a connu une flambée de violence à l’égard des femmes et des filles », a déclaré Agnes Odhiambo, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes de Human Rights Watch et directrice du bureau de Nairobi. « Le gouvernement aurait dû anticiper le danger accru, mais tragiquement, comme par le passé, il a détourné le regard et n’a pas su protéger les femmes et les filles exposées au risque de violences. »
Human Rights Watch a mené des entretiens avec treize survivantes de violences sexistes, quatre parents et un membre de la famille de filles ayant subi ce type de violences, une activiste communautaire qui s’occupe de trois filles les ayant aussi subies, une travailleuse d’un refuge, cinq représentantes d’organisations non gouvernementales, une experte kenyane de la violence fondée sur le genre, ainsi que des responsables du programme de police mis en place pour lutter contre ces violences (POLICARE) et du Département d’État kenyan chargé des Affaires de genre (State Department for Gender). Human Rights Watch a également étudié des rapports du gouvernement, de groupes non gouvernementaux, des Nations Unies et des médias.
Le Kenya, comme beaucoup d’autres pays du monde, a connu une augmentation des cas rapportés de violence physique et sexuelle à l’encontre des femmes et des filles, y compris de violence domestique, lors des restrictions des déplacements qui visaient à freiner la propagation du virus. Même avant la pandémie, les niveaux élevés de violence à l’égard des femmes et des filles, l’impunité ainsi que les lacunes en matière d’établissement des responsabilités et de services destinés aux survivantes étaient des problèmes persistants au Kenya.
Les survivantes et les autres personnes interrogées ont décrit des cas d’abus sexuels, de coups, d’expulsion du foyer, de mariage forcé d’enfants et de mutilation génitale féminine. Les femmes et les filles vivant dans la pauvreté ou des conditions économiques précaires – conditions souvent créées ou aggravées par la pandémie – étaient particulièrement vulnérables aux harcèlements et abus sexuels. Très souvent les abus étaient commis par des membres proches de la famille, dont les maris.
« J’étais obligée de rester chez moi, malgré la violence que je subissais, parce que je n’avais nulle part où aller », a ainsi témoigné Amelia A., qui a survécu à des violences domestiques dans le comté de Kisumu.
La plupart des survivantes interrogées n’ont pas dénoncé les abus aux autorités parce qu’elles ne pensaient pas qu’elles recevraient de l’aide ou bien parce qu’elles croyaient qu’elles devraient verser un bakchich pour être aidées et n’avaient pas de quoi payer. Celles qui ont tout de même dénoncé les abus ont reçu des réponses inadéquates de la part des forces de l’ordre, n’avaient pas suffisamment accès aux services médicaux et juridiques, et ont rencontré de nombreux problèmes pour obtenir une assistance, avec notamment un accès presque inexistant à l’aide financière nécessaire pour échapper aux abus.
Les programmes du gouvernement qui apportaient un soutien financier d’urgence lors de la crise du Covid-19, notamment un programme étendu de versement d’aides pécuniaires, n’étaient pas axés sur la violence fondée sur le genre et ont eu peu d’impact sur les survivantes. Human Rights Watch a d’ailleurs constaté qu’en raison de la corruption et du manque de transparence, les personnes qui en avaient le plus besoin n’avaient pas reçu les aides pécuniaires vitales promises par le gouvernement dans le cadre du Covid-19.
Les survivantes ont également déclaré que l’accès aux refuges ou logements sûrs, en nombre déjà limité au Kenya, était rendu plus difficile par la violence des forces de l’ordre faisant respecter les couvre-feu et confinements. Les rares refuges existants avaient des pénuries de personnel et pouvaient loger encore moins de personnes qu’à l’accoutumée parce que les règles en vigueur lors de la pandémie ne tenaient pas compte des travailleurs essentiels des refuges.
Au moins six personnes sont décédées du fait de violences policières lors des dix premiers jours du couvre-feu nocturne du Kenya. Les autorités kenyanes ont également placé des milliers de personnes en quarantaine forcée dans des centres qui mettaient en danger leur sécurité et leur santé. La crainte de la police et la quarantaine forcée empêchaient les survivantes de demander de l’aide, a déclaré Human Rights Watch. Les organisations travaillant avec les survivantes ont rapporté que de nombreuses femmes avaient le sentiment de ne pas avoir d’autre choix que de rester à la maison avec leurs agresseurs, plutôt que de chercher de l’aide en affrontant la brutalité de la police ou des autres forces de sécurité faisant respecter le couvre-feu.
Les survivantes ont déclaré qu’il était difficile d’obtenir des soins médicaux d’urgence au cours de la pandémie. Dans certains cas, les survivantes – ou les tuteurs dans les affaires impliquant des enfants – étaient forcées de payer pour les soins dans les centres de santé gouvernementaux, où de tels services devraient être gratuits. Certaines ont été adressées par les responsables de la santé publique à des cliniques privées, où les frais sont plus élevés, frais qu’elles ne pouvaient pas payer. Les personnes interrogées ont reçu des institutions gouvernementales un soutien très limité en matière de santé mentale, voire aucun.
Les possibilités de demander justice des survivantes étaient fortement réduites par la corruption des policiers, leur faible capacité à mener des enquêtes ainsi que leur tendance à l’ingérence et leur mauvaise gestion des affaires. Dans certains cas, la police demandait aux survivantes d’enquêter elles-mêmes et de fournir les preuves des abus qu’elles avaient subis, par exemple en amenant des témoins. La police échouait à coordonner efficacement son action avec les survivantes ou à les soutenir pour porter plainte contre leurs agresseurs, ce qui conduisait souvent les survivantes à baisser les bras.
Dans trois affaires qui ont fait l’objet de poursuites, les procureurs n’ont pas correctement informé ni soutenu les survivantes et leurs tuteurs pour qu’ils puissent participer efficacement aux procédures judiciaires, puisqu’on ne leur permettait pas de suivre les séances virtuelles du tribunal.
Depuis une quinzaine d’années, le gouvernement kenyan a promulgué plusieurs lois pour s’attaquer à la violence liée au genre. Le pays a également mis en place des lignes directrices pour la police ainsi qu’un personnel médical et judiciaire spécialisé dans la lutte contre ces violences. En mai, le président Uhuru Kenyatta a promis des millions de dollars pour s’attaquer à la flambée de ce type de violence au cours de la pandémie. Mais la pandémie de Covid-19 a mis ces efforts de réforme à rude épreuve et la réponse du gouvernement n’a pas été à la hauteur.
« Le gouvernement kenyan devrait urgemment tenir ses promesses de protéger les femmes et les filles de la violence, notamment grâce à des services médicaux et de santé mentale gratuits, des hébergements alternatifs et l’action de la justice », a conclu Agnes Odhiambo. « Le gouvernement doit bâtir un cadre solide fondé sur les droits afin d’anticiper la façon dont les urgences futures pourront affecter les femmes et les filles. »
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