Skip to main content
Faire un don
Burundi's President Evariste Ndayishimiye, right, attends the inauguration of the new Kisumu port with an oil loading jetty at Lake Victoria in Kisumu, Kenya, on May 31, 2021.

Entretien : Il faudra plus que des gestes symboliques pour sortir le Burundi de la crise

Le président Évariste Ndayishimiye n’a pas encore réalisé les changements nécessaires

Le président burundais Evariste Ndayishimiye, à droite, assiste à l’inauguration du nouveau port de Kisumu avec une jetée de chargement de pétrole au lac Victoria à Kisumu, au Kenya, le 31 mai 2021. © 2021 Brian Ongoro/AFP/Getty

Il y a un an, Évariste Ndayishimiye accédait à la présidence du Burundi à la suite de la mort soudaine de son prédécesseur, resté longtemps au pouvoir. Depuis lors, bon nombre des promesses faites par cet ancien général, notamment de faire rendre des comptes aux auteurs de violences et de meurtres et d’améliorer la situation désastreuse du pays en matière de droits humains, n’ont pas été accomplies. Néanmoins, les appels à la communauté internationale pour qu’elle lève ses sanctions et rétablisse ses relations avec le Burundi se multiplient. Birgit Schwarz s’entretient avec Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch, sur les mesures prises jusqu’à présent par le nouveau président, sur son désir de redorer l’image de son pays et sur les réformes nécessaires pour mettre fin à la crise des droits humains au Burundi.

Quelle situation Évariste Ndayishimiye a-t-il héritée de son prédécesseur, Pierre Nkurunziza?

Pierre Nkurunziza, qui était arrivé au pouvoir en 2005, vers la fin de la guerre civile au Burundi, s’est révélé être un président avide de consolider son pouvoir, plutôt que d’œuvrer à la réconciliation nationale. Sa décision en avril 2015 de briguer un troisième mandat controversé a déclenché des manifestations d’opposition massives et plongé le pays dans une crise marquée par une escalade des violences et de la répression. Des milliers de personnes ont été tuées, victimes de disparition forcées, emprisonnées ou torturées.

Vers le milieu de l’année 2015, presque tous les dirigeants des partis d’opposition du Burundi, les journalistes indépendants et les activistes de la société civile avaient fui le pays. Ceux qui sont restés l’ont fait au péril de leur vie. Évariste Ndayishimiye a hérité d’un pays aux institutions fragiles, où des exactions étaient perpétrées dans une totale impunité et dont l’économie était dans un état précaire.

Ndayishimiye semble-t-il vouloir rompre avec ce passé violent ?

Ndayishimiye, qui fait partie d’un petit groupe de généraux ayant combattu pendant la guerre civile et qui contrôlent le pays depuis lors, a reconnu publiquement que des réformes étaient nécessaires. Toutefois, ses promesses de mettre fin à l’impunité, de promouvoir la tolérance en politique et de rendre le système judiciaire plus impartial et équitable ne se sont pas encore traduites par de réels progrès. De graves violations des droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des actes de torture et des arrestations arbitraires, ont continué d’être commises sous sa présidence, quoique dans une moindre mesure que sous celle de Nkurunziza. Les efforts pour enquêter sur les exactions commises ont été insuffisants. Même si quelques agents du Service national de renseignement (SNR) ont été arrêtés et incarcérés, et si certains membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, ont été condamnés pour les meurtres d’opposants politiques, pas un seul individu de haut niveau responsable d’exactions et de meurtres commis dans le passé n’a été amené à rendre des comptes.

Quelles mesures positives ont été prises au cours de l’année écoulée ?

Certains membres de l’opposition, qui avaient été arrêtés à la suite des élections de 2020, ont été remis en liberté. Cependant, d’autres sont toujours pris pour cible. Le président a amnistié quatre journalistes arrêtés en 2019, mais l’ancien député Fabien Banciryanino, l’un des rares parlementaires à avoir eu le courage de dénoncer les violations des droits humains commises sous le régime de Nkurunziza, est sous les verrous depuis octobre 2020. Et Germain Rukuki, un activiste des droits humains condamné en 2018 à 32 ans de prison, est toujours injustement emprisonné.

Certaines restrictions imposées à la société civile et aux médias lors de la crise de 2015 ont été levées. Mais en même temps, la répression se poursuit contre les défenseurs des droits humains et les journalistes perçus comme étant des détracteurs du gouvernement. Par exemple, au lendemain d’une rencontre organisée à l’initiative de Ndayishimiye entre le Conseil national de la communication et des dirigeants de médias, visant à améliorer les relations entre les responsables gouvernementaux et les médias, un verdict de culpabilité dans un procès contre 34 prévenus, dont 12 journalistes et défenseurs des droits humains en exil, a été publié. Ils ont été déclarés par contumace coupables d’« attentat à l’autorité de l’État », d’« assassinats » et de « destructions ».

De nombreux journalistes et défenseurs des droits humains demeurent en exil. Celles et ceux qui sont toujours dans le pays ont peur de faire état d’incidents relatifs à la sécurité ou de violations des droits humains et ne sont pas autorisés à interviewer des activistes vivant hors du pays.

Pourquoi les appels à la levée de toutes les sanctions à l’encontre du Burundi sont-ils néanmoins de plus en plus pressants ?

Ndayishimiye tente de restaurer les relations du pays avec la communauté internationale et son programme de réforme semble faire partie de cette stratégie. Et quoique de graves violations des droits humains aient continué à être commises sous sa présidence, il y a très peu de visibilité puisque les mécanismes de surveillance tels que la Commission d’enquête de l’ONU se voient refuser l’accès au pays.

Et pourtant, malgré l’absence de progrès tangibles, le Burundi a été retiré de l’ordre du jour permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et la Communauté d’Afrique de l’Est ont ouvertement appelé à la levée de toutes les sanctions contre le Burundi. L’Union européenne est actuellement engagée dans des discussions avancées sur la reprise de son aide financière directe, bien que le gouvernement de Ndayishimiye n’ait pas encore satisfait de nombreux engagements sollicités par l’UE en 2016.

Beaucoup d’acteurs de la communauté internationale sont lassés de la crise au Burundi et souhaitent tourner la page. Cependant, si les causes profondes de la crise ne sont pas réglées, le pays fera face à un avenir incertain.

Quelles mesures seraient de nature à rétablir la confiance envers le gouvernement de Ndayishimiye ?

Premièrement : les assassinats et les abus doivent cesser et leurs auteurs doivent être traduits en justice. Deuxièmement : les médias nationaux et internationaux, la société civile et la Commission d’enquête de l’ONU doivent être autorisés à fonctionner librement à l’intérieur du pays. S’il n’y a rien à cacher, comme le gouvernement l’affirme, pourquoi donc les autorités sont-elles si déterminées à faire en sorte que personne ne puisse effectivement surveiller la situation en matière de droits humains au Burundi ?

Le gouvernement devrait aller au-delà des promesses et démontrer sa volonté d’enquêter sur les abus passés et présents et de poursuivre leurs auteurs en justice. Le sort des journalistes et des activistes portés disparus devrait être éclairci et ceux qui ont été injustement emprisonnés, comme Germain Rukuki et Fabien Banciryanino, devraient être remis en liberté.

Que peut faire la communauté internationale pour assurer liberté et justice au Burundi ?

La communauté internationale devrait communiquer clairement au gouvernement burundais que des progrès concrets en ce qui concerne la situation des droits humains dans le pays sont essentiels en vue d’une restauration des relations. Étant donné la situation sur le terrain et l’absence de surveillance, le mandat de la Commission d’enquête devrait être prorogé. L’actuel dialogue entre l’UE et le gouvernement burundais devrait donner à ce dernier certains objectifs clairs comme le rétablissement des libertés de réunion, d’association et d’expression. Les gestes purement symboliques et les promesses de changement ne devraient pas être pris pour argent comptant aux dépens de la redevabilité et de la satisfaction des aspirations de la population à la justice et à la liberté. Seuls des changements réels et tangibles peuvent briser le cycle des violences politiques qui a marqué l’histoire du Burundi.

-------------------

Tweets

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays