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Ouganda : Mettre fin au harcèlement des personnes LGBT par la police

Les autorités devraient abandonner les poursuites visant des dizaines de personnes récemment arrêtées

Un rapport médical rédigé par un médecin à Kampala, en Ouganda, après avoir effectué un examen anal forcé subi par un homme suspecté de rapports homosexuels consensuels. © 2016 Neela Ghoshal/Human Rights Watch
 

(Nairobi) – Les autorités ougandaises devraient abandonner les poursuites engagées contre des dizaines de personnes arrêtées au cours du dernier mois à Kampala, la capitale, en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre présumées, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

La police a procédé à  deux vagues d’arrestations pour des raisons fallacieuses, a maltraité les personnes détenues et en a forcé au moins 16 à subir des examens anaux. De tels examens constituent des violations de leurs droits au respect de leur intégrité physique et à ne pas être soumis à la torture et aux mauvais traitements.

« Qu’il s’agisse d’arrêter des victimes menacées par un attroupement hostile ou d’appréhender des fêtards dans un bar sous des accusations d’infractions liées à la drogue fabriquées de toutes pièces, la police ougandaise atteint de nouveaux records de bassesse dans sa persécution des citoyens membres présumés de la communauté LGBT », a déclaré Neela Ghoshal, chercheuse senior auprès de la division Droits LGBT à Human Rights Watch. « La police ougandaise devrait s’occuper de protéger les gens, et non pas de violer leurs droits en raison de leur sexualité ou de leur identité de genre présumées. »

Le 21 octobre 2019, la police a arrêté 16 activistes de Let’s Walk Uganda (En marche, Ouganda), une organisation communautaire qui s’emploie à promouvoir l’émancipation économique des jeunes LGBT. Eric Ndawula, coordinateur des programmes de cette organisation, qui était parmi les personnes arrêtées, a affirmé à Human Rights Watch que les activistes avaient eux-mêmes appelé la police pour demander de l’aide après qu’un groupe d’individus eut encerclé la maison qu’ils utilisent comme bureau et refuge, criant des insultes homophobes et menaçant d’y pénétrer par la force. Mais après avoir dispersé cette bande, les policiers ont fait subir aux 16 personnes qui étaient à l’intérieur un interrogatoire au sujet de leur genre et de leur apparence, leur ont adressé des insultes homophobes et les ont toutes arrêtées.

Le lendemain, la police a perquisitionné la maison, confisqué des préservatifs, des lubrifiants et des médicaments anti-rétroviraux et accusé les occupants d’« actes sexuels contre nature. » Le 23 octobre, un médecin de la police a effectué, à la caserne de police de Nsambya, des examens anaux sur les 16 détenus contre leur volonté, a affirmé Ndawula. La police a remis les activistes en liberté sous caution le lendemain. Mais les chefs d’accusation retenus contre eux restent en vigueur.

Le 10 novembre, la police a effectué un raid sur le Ram Bar, un bar de Kampala connu comme lieu de rencontres de la communauté LGBT, et a arrêté 125 personnes. La plateforme multimédias ougandaise Kuchu Times a affirmé que certaines victimes avaient été traînées de force et jetées dans des fourgons de police. Les victimes se sont tout d’abord entendu dire qu’elles avaient été interpellées en vertu de la Loi ougandaise anti-tabac (2015), pour usage illégal de la chicha (narguilé), mais une personne prise dans le coup de filet a affirmé à Human Rights Watch que la police avait arrêté tous les clients du bar sans discernement, alors que seuls quelques-uns étaient en train de fumer la chicha.

Elle a ajouté qu’une femme qui partageait sa cellule, au quartier général de la police à Kampala, avait pu appeler au téléphone son frère, qui est agent de police et qui lui a dit que le bar avait été visé dans le but précis d’arrêter des homosexuels. Une des femmes arrêtées, Joan Amek, activiste et directrice de la Rella Women’s Foundation, a affirmé que les policiers avaient tenu des propos homophobes lors du raid et au poste de police.

Ces deux femmes et quelques autres ont été remises en liberté sous caution le 11 novembre. Mais 58 autres personnes restent incarcérées à la prison de Luzira sous l’accusation de « nuisance publique » aux termes du code pénal ougandais, certaines devant comparaître le 18 novembre devant le tribunal correctionnel de Buganda Road. Elles sont représentées par des avocats affiliés au Human Rights Awareness and Promotion Forum, une organisation non gouvernementale ougandaise.

Ces deux descentes de police font suite à une période de plusieurs mois émaillée d’incidents violents contre les Ougandais LGBT. Le 1er août, un groupe de conducteurs de mototaxis a battu à mort une jeune femme transgenre, Fahad Ssemugooma Kawere, dans le district de Wakiso, près de Kampala. Le 4 octobre à Jinja, des individus non identifiés ont agressé à coups de binette Brian Wasswa, un activiste ouvertement gay et non sexospécifique. Il est mort le lendemain.

Un médecin de Kampala est inculpé d’agression criminelle et fait l’objet d’une enquête de la part du Conseil ougandais de l’ordre des médecins et dentistes, pour avoir prétendument agressé une cliente le 19 octobre parce qu’il croyait qu’elle était lesbienne. Le 20 octobre, des individus non identifiés ont attaqué un réfugié rwandais homosexuel à Kampala, lui portant des coups violents à la tête.

Ces agressions se sont produites dans un contexte de fréquents discours homophobes de la part de responsables gouvernementaux de haut rang. En octobre, le ministre de l’Éthique et de l’Intégrité, Simon Lokodo, a déclaré à des journalistes que le parlement se préparait à déposer une proposition de loi qui criminaliserait les activités dites de « propagande et recrutement » par des personnes homosexuelles, et rendrait passible de la peine de mort les rapports consensuels « graves » entre personnes de même sexe. Le ministre de la Sécurité, Elly Tumwine, a affirmé, le 3 octobre dans un entretien à la télévision, que les personnes LGBT avaient des liens avec un prétendu groupe terroriste.

Le Bureau de la Présidence a désavoué les propos de Lokodo, affirmant que le « gouvernement de l’Ouganda ne prévoyait pas de réintroduire le projet de loi anti-homosexualité devant le parlement. » La ministre de la Santé, Jane Ruth Aceng, a condamné plusieurs incidents récents de violence homophobe.

Toutefois, les poursuites en cours à l’encontre des 16 membres de Let’s Walk Uganda et des nombreuses personnes prises dans la rafle du Ram Bar, laissent les activistes LGBT en Ouganda sceptiques au sujet des assurances du gouvernement. Frank Mugisha, directeur exécutif de Sexual Minorities Uganda (Minorités sexuelles Ouganda), a affirmé dans un communiqué: « Certes, le gouvernement a récemment fait une déclaration dans laquelle il prétend assurer la sécurité et la protection de tous les Ougandais, y compris les membres de groupes minoritaires[…] Mais quelle est la valeur de cette déclaration aujourd’hui, alors que les forces de sécurité violent nos droits humains de manière flagrante et en toute impunité? »

Clare Byarugaba, une activiste membre de Chapter Four Uganda, a accusé la police de chercher à détourner l’attention du public de la récente répression brutale par les forces de sécurité d’étudiants qui protestaient contre des augmentations des frais d’inscription.

L'Ouganda devrait abandonner les chefs d’accusation dans ces deux affaires et abroger les articles 145, 146 et 148 du code pénal, qui criminalisent les relations sexuelles consensuelles entre personnes du même sexe et violent les droits au respect de la vie privée et à la non-discrimination, a déclaré Human Rights Watch. Il devrait également décriminaliser les infractions mineures telles que les « nuisances publiques », conformément aux Principes sur la décriminalisation des infractions mineures en Afrique adoptés en 2017 par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.

Le ministère de la Santé et la police devraient interdire l’imposition par la force d’examens anaux et leur utilisation comme « éléments de preuve » dans les poursuites judiciaires pour homosexualité. Ces examens n’ont pas de valeur scientifique et constituent une violation de la Convention internationale contre la torture, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

« Tous les jours, les personnes LGBT en Ouganda sont confrontées au risque d’être harcelées, arrêtées arbitrairement et soumises à des abus par la police », a affirmé Neela Ghoshal. « L’Ouganda devrait décriminaliser les relations consensuelles entre personnes du même sexe et cesser de se servir d’accusations d’infractions mineures pour harceler, en s’appuyant sur la loi, des personnes qui essaient simplement de vivre leur vie en paix. »

Témoignages sélectionnés

Eric Ndawula, arrêté lors du raid contre « Let’s Walk Uganda »

Le troisième jour, les policiers nous ont emmenés à la caserne de police de Nsambya, qui dispose d’un centre médical. Quand nous sommes arrivés, le médecin nous a dit qu’il allait [nous] examiner. Il a commencé par faire des commentaires comme : « Vous êtes jeunes et vous gâchez vos vies », « Vous avez été amenés à commettre des actes diaboliques » et « Vous agissez pour le compte du diable. » Il nous a tous soumis à un examen anal, l’un après l’autre, de nuit, dans une salle obscure sans électricité. L’infirmier tenait une lampe de poche pendant que le médecin procédait à l’examen.

Cet examen est vraiment humiliant et dégradant. Le médecin vous dit de vous coucher sur le lit en formant un « quatre » avec vos jambes. Il dit à l’infirmier d’approcher la lampe. Les mains gantées, [il] vous introduit un doigt dans l’anus. Il vous dit de tenir, puis de vous relâcher et vous demande si vous ressentez une douleur. Si vous n’avez pas mal, il introduit un autre doigt.

Le médecin m’a dit qu’il avait constaté des contusions. Il nous a tous dit cela. Il a dit à certains d’entre nous qu’ils étaient « distendus » et a conclu que nous nous étions tous livrés à des rapports sexuels anaux… Puis ils nous ont tous fait un test de dépistage du sida. Mais ils ne nous en ont pas donné les résultats.

Joan Amek, arrêtée lors du coup de filet au Ram Bar

On nous a d’abord dit de faire « chini », je crois que cela voulait dire de nous accroupir ou de nous asseoir sur le sol. Ils posaient des questions homophobes, en particulier aux femmes transgenres; que sont-elles, pourquoi ont-elles les cheveux tressés? Une policière, à un moment, a dit qu’elle avait envie de rouer de coups une femme transgenre à cause de sa façon de marcher et de son allure. Ils n’arrêtaient pas de nous traiter de prostituées et d’asexuées. Ils faisaient constamment l’erreur habituelle entre « il » et « elle » et en riaient ostensiblement, disant qu’ils croyaient que cela nous était égal et que nous n’avions donc pas de raison de nous plaindre.

Après l’échec des accusations d’infractions liées à la drogue, ils nous ont accusés d’être oisifs. Mais ce n’est pas un crime, ils essaient juste de coller quelque chose sur le dos des gens.

« Judy », arrêtée lors du coup de filet au Ram Bar

L'impact de ces arrestations a bouleversé de nombreuses vies. Beaucoup pensent même qu’ils n’auront plus vraiment de vie, même après leur remise en liberté. Certains d’entre nous, qui sommes libres, se sentent coupables parce que nos autres amis sont toujours détenus. Pour d’autres, il est hors de question de parler à leur famille de ce qui s’est passé, car ils ont trop peur. Nos vies ne seront plus jamais les mêmes. Un certain nombre d’entre nous ont perdu leur emploi à cause de cela et leurs familles ne veulent plus de contact avec eux, même après leur sortie de prison. Mes amis et moi ne pouvons même plus trouver le sommeil car notre esprit est trop perturbé.

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