(Genève) – Le gouvernement syrien cherche à s’approprier l’assistance humanitaire et les fonds alloués à la reconstruction du pays, en les employant dans certains cas pour financer ses propres politiques répressives, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Les donateurs et investisseurs devraient modifier leurs pratiques d’aide et d’investissement pour veiller à ce que tous les financements qu’ils apportent soient correctement utilisés pour favoriser les droits de tous les Syriens.
Le rapport de 91 pages, intitulé « Rigging the System: Government Policies Co-Opt Aid and Reconstruction Funding in Syria » (« Un système truqué : Comment les politiques gouvernementales récupèrent l’assistance humanitaire et le financement de la reconstruction en Syrie »), examine les politiques et restrictions pratiquées par le gouvernement vis-à-vis de l’aide humanitaire et des financements pour la reconstruction et le développement de la Syrie.
« Les politiques du gouvernement syrien en matière d’aide et de reconstruction semblent anodines, pourtant elles sont utilisées pour punir les personnes perçues comme opposants et récompenser ses partisans », a déclaré Lama Fakih, directrice par intérim de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « La façon dont le gouvernement syrien encadre l’aide humanitaire porte atteinte aux droits humains : il faut que les donateurs s'assurent qu'ils ne sont pas complices des violations qu’il commet. »
Human Rights Watch a constaté que le gouvernement syrien avait mis en place un cadre politique et légal qui lui permet de détourner les ressources de l’aide humanitaire et de la reconstruction afin de financer ses propres atrocités, de punir ceux qu’il perçoit comme opposants et de favoriser ceux qui lui sont fidèles.
Le rapport se fonde sur 33 entretiens menés avec des travailleurs humanitaires, des donateurs, des experts et des bénéficiaires, ainsi que sur l’examen de données accessibles au public sur l’aide humanitaire et l’assistance au développement et à la reconstruction. Human Rights Watch a rencontré le personnel de plusieurs organisations humanitaires internationales et institutions des Nations Unies qui opèrent dans la Syrie contrôlée par le gouvernement, ainsi que des bénéficiaires et d’anciens habitants des zones où travaillent ces organisations.
Human Rights Watch a constaté que le gouvernement restreignait l’accès des organisations humanitaires aux communautés ayant besoin d’aide, ou qui supposément en reçoivent, approuvait les projets humanitaires de façon sélective et exigeait des partenariats avec les acteurs locaux validés par sa sécurité.
Ces exigences impliquent souvent que l’assistance est détournée à travers un appareil d’État abusif, afin de punir les populations civiles perçues comme opposants et de récompenser celles qu’il considère comme loyales ou qui peuvent servir ses intérêts.
Les groupes humanitaires opérant en Syrie, forcés de céder aux exigences du gouvernement, peuvent donc être amenés à compromettre leur capacité à aider les populations d’une façon qui respecte leurs droits. Ils disposent d’une marge de manœuvre très réduite pour négocier avec le gouvernement.
« En Syrie, vous devez marchander avec le gouvernement pour vos projets – tout le monde le sait », nous a confié le responsable d’une organisation humanitaire. « J’annonce que je vais restaurer les écoles de telle zone. Mais le gouvernement revient vers moi et me dit : pourquoi pas telle ou telle autre zone, plutôt ? Et ainsi de suite, jusqu’à ce que j’accepte leurs zones, pour que mes projets soient approuvés. »
Or dans certains secteurs, des éléments prouvent que les droits humains sont en train d’être violés de manière systématique. Par exemple certains projets contribuent aux déplacements forcés ou les font perdurer, d’autres permettent de construire et de faire fonctionner des lieux de détention, des tribunaux ou des opérations des forces de l’ordre qui ont des antécédents de graves abus.
Les restrictions empêchent les groupes humanitaires de réellement se pencher, au cours de leurs activités, sur les inquiétudes que soulève la situation des droits humains. Les autorités syriennes bannissent les observateurs indépendants des droits humains et restreignent la capacité de fonctionnement des institutions qui protègent les droits des personnes, ont rapporté à Human Rights Watch des travailleurs et cadres humanitaires. D’après eux, si le gouvernement apprend que leurs projets intègrent la défense des droits humains, il se montre plus restrictif, leur interdit l’accès, voire menace d’annuler les visas de l’équipe.
Les entités qui ont entrepris la tâche gigantesque de reconstruire la Syrie affrontent de nombreux problèmes identiques, notamment l’accès restreint aux zones de leurs projets et l’exigence de partenariat avec des personnes ou des organisations impliquées dans des abus. Mais elles doivent également composer avec des lois d’urbanisme et d’investissement qui octroient à l’État un large pouvoir pour saisir et démolir des propriétés sans respect des procédures ni compensation, portant ainsi atteinte de façon disproportionnée aux Syriens les plus pauvres et à ceux qui sont perçus comme opposants. Quant aux projets de reconstruction qui restaurent les infrastructures de corps de l’État abusifs, ils peuvent faciliter de nouveaux abus.
Les organisations des Nations Unies et des différents États qui participent à ces efforts de reconstruction favorisant les abus risquent d’être complices des violations des droits humains commises par le gouvernement. Des individus et d’autres organisations risquent aussi peut-être de tomber dans la complicité pénale en apportant sciemment une assistance essentielle à la commission de crimes internationaux.
Human Rights Watch soutient le financement de la reconstruction et de l’aide humanitaire sur tout le territoire syrien, y compris dans les zones contrôlées par le gouvernement, et reconnaît que les groupes qui assurent l’assistance ont une capacité sans doute limitée à atténuer certains de ces risques. Toutefois, il existe des mesures qui pourraient être prises pour veiller à ce que leur travail ne contribue pas aux violations des droits humains.
Les donateurs peuvent lancer un mécanisme de centralisation des informations et créer un consortium pour l’aide humanitaire en Syrie, afin que les organisations et les institutions adoptent toutes les mêmes critères pour leurs programmes et ne soient pas forcées de céder en matière de normes lorsqu’elles traitent avec le gouvernement. Aux côtés des organisations humanitaires, ils devraient veiller à ce que tous les programmes humanitaires s’accompagnent d’un système d’observation indépendant.
Tous les groupes humanitaires actifs en Syrie devraient se garder de contribuer à de graves atteintes aux droits humains, notamment en mettant fin aux activités où les risques sont inévitables et où les dommages probables en matière de droits humains pèsent plus lourd que les bénéfices de leur travail.
Les investisseurs devraient faire preuve de diligence raisonnable en vérifiant qu’ils ne sont pas en train de financer des entités faisant l’objet de sanctions pour leurs atteintes aux droits humains. S’ils investissent ou s’engagent auprès d’institutions qui ont commis de graves atteintes aux droits humains, ils devraient suspendre leur soutien jusqu’à ce que les violations cessent, que les institutions abusives soient réformées et les victimes compensées.
« S’ils n’essaient pas de réformer le système au sein duquel ils opèrent, les groupes humanitaires et les investisseurs risquent réellement de financer la machine répressive en Syrie », a conclu Lama Fakih. « Mais s’ils insistent collectivement pour davantage de transparence, de diligence raisonnable et pour un meilleur accès, les donateurs sauront avec plus de certitude que leurs fonds ne sont pas utilisés pour opprimer les Syriens. »
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Dans les médias
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