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Côte d’Ivoire : L’examen à l’ONU sera l’occasion d’insister sur la question de la justice

L’amnistie de 2018 devrait exclure les crimes de guerre et crimes contre l’humanité

Pancarte tenue par une femme ivoirienne lors d’une manifestation à Abidjan le 28 février 2013, alors que se tenait à la Cour pénale internationale, à La Haye, l’audience de confirmation des charges contre l’ex-président Laurent Gbagbo.  © 2013 Sia Kambou/AFP/Getty Images

Les États prenant part à l’examen aux Nations Unies du bilan de la Côte d’Ivoire en matière de droits humains devraient demander pourquoi le gouvernement n’a pas rendu justice aux victimes de la crise post-électorale de 2010-11, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 7 mai 2019, la Côte d’Ivoire fera l’objet pour la troisième fois à d'un examen par des représentants d’autres pays devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, dans le cadre du processus appelé Examen périodique universel (EPU).

En août 2018, le président Alassane Ouattara a proclamé l’amnistie pour les crimes commis lors de la crise de 2010-11. Même si cette amnistie n’est applicable qu’à certains crimes, dans les faits elle a gelé les poursuites judiciaires qui étaient en cours en Côte d’Ivoire contre des officiers et dirigeants politiques impliqués dans des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et d’autres graves atteintes aux droits humains.

« Le fait de ne pas rendre justice aux milliers de victimes d’un des pires épisodes de violence politique en Côte d’Ivoire entache le bilan du gouvernement en matière de droits humains et menace la paix et la stabilité à venir dans le pays », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Les États prenant part à l’examen du pays à l’ONU devraient lui demander pourquoi l’administration du président Ouattara a ignoré les appels à la justice des victimes. »

L’EPU permet aux États membres des Nations Unies d’examiner de près, tous les cinq ans, le bilan de chaque pays sur le plan des droits humains, et de lui faire des recommandations pour l’améliorer.

La crise de 2010-2011 a éclaté lorsque le président en fonction à l’époque, Laurent Gbagbo, a refusé de céder le pouvoir à Ouattara suite à l’élection présidentielle de novembre 2010. Cette crise survenait au bout de plus de dix ans d’instabilité politique et de violence pendant lesquels l’absence d’enquêtes et de poursuites contre les personnes impliquées dans de graves violations des droits humains est apparue comme un facteur clé de la perpétuation de nouveaux abus. Comme les membres des forces armées des deux camps ciblaient les civils, au moins 3 000 personnes ont été tuées et plus de 150 femmes violées au cours de la crise de 2010-11.

Le gouvernement ivoirien, dans son propre rapport en préparation du processus d’examen de l’ONU, a écrit que « la Côte d’Ivoire s’est engagée dans la lutte contre l’impunité par la mise en place de [...] la Cellule spéciale d’enquête (CSE), chargée des procédures judiciaires relatives à la crise post-électorale ».

Il est vrai que cette cellule a mené des enquêtes étendues et procédé à des dizaines d’inculpations, pourtant seul un petit nombre de personnes inculpées des crimes les plus graves ont été traduites en justice.

Depuis 2011, la Cellule spéciale d’enquête a inculpé plus de 150 personnes, dont des partisans de Gbagbo et d’Ouattara, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’autres graves atteintes aux droits humains. Plus de 20 membres des forces de sécurité de l’ère Gbagbo, par exemple, ont été inculpées pour la répression de manifestations à Abidjan en 2010 et 2011. De leur côté, une vingtaine de membres des forces pro-Ouattara ont été inculpés en lien avec une attaque de la ville de Duékoué, au cours de laquelle plus de 300 personnes avaient été tuées.

Pourtant le seul procès qui s’est tenu devant les tribunaux ivoiriens pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité était celui de l’ancienne première dame, Simone Gbagbo, qui fut acquittée en mars 2017. Elle purgeait une peine de 20 ans de prison suite à une autre condamnation de 2015 lorsque l’amnistie a été proclamée. Elle a été libérée en août 2018.

En réponse à un rapport d’Amnesty International émis à l’approche du processus d’EPU, le gouvernement ivoirien écrivait le 12 février : «  Le gouvernement voudrait réaffirmer que la mesure d’amnistie du 6 août 2018 ne consacre en rien l’impunité.  En effet, [l’amnistie] a exclu les personnes en procès devant une juridiction pénale internationale et les militaires et membres de groupes armés. Les crimes les plus graves ayant été commis par ces personnes, on ne peut avec sérieux prétendre que la Côte d’Ivoire prive les victimes du droit à la vérité et à la justice. »   

En dépit de cette déclaration, toutefois, aucun officier supérieur de l’armée ou commandant de milices, que ce soit au sein des forces pro-Gbagbo ou pro-Ouattara, n’a été jugé pour les crimes graves internationaux. En fait, au moins trois officiers de l’armée inculpés par la Cellule spéciale d’enquête ont été nommés à de nouveaux postes de l’armée ivoirienne le 6 mars. Trois groupes de défense des droits humains ont porté plainte en avril contre l’amnistie de 2018 devant la Cour suprême de Côte d’Ivoire, arguant que cette amnistie violait l’obligation du gouvernement, découlant du droit international relatif aux droits humains, d’enquêter sur les atteintes aux droits humains et de mener les poursuites judiciaires qui s’imposent.

Le besoin de justice en Côte d’Ivoire est d’autant plus urgent que le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) n’a pas eu beaucoup de succès en s’attaquant au dossier de la crise post-électorale de 2010-11. En effet, le 15 janvier, les juges de la CPI ont rendu une fin de non-recevoir dans le procès pour crimes contre l’humanité de Laurent Gbagbo et d’un de ses fidèles alliés, Charles Blé Goudé – même si le Bureau du Procureur pourrait faire appel de cette décision une fois que les juges auront émis leur décision motivée détaillée. Par ailleurs la Procureure n’a pas mis en examen les commandants pro-Ouattara, dont les troupes sont impliquées dans des tueries et des viols lors des violences post-électorales.

Les États prenant part à l’EPU devraient presser le gouvernement ivoirien d’adopter une législation complémentaire établissant clairement que l’amnistie ne s’applique à aucune personne soupçonnée de crimes de guerre ou contre l’humanité. Ils devraient également lui demander de quelle façon l’administration du président Ouattara apportera au système judiciaire ivoirien le soutien nécessaire pour traduire en justice les officiers et dirigeants politiques actuellement inculpés pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité.

« Alors que la Côte d’Ivoire se prépare à l’élection présidentielle de 2020, le fait de ne pas rendre justice aux victimes de la crise de 2010-11 signifie que de nombreuses personnes soupçonnées de façon crédible d’être impliquées dans ces crimes occupent toujours des postes de pouvoir », a conclu Corinne Dufka. « L’examen de ce pays aux Nations Unies offre aux États une plateforme publique pour insister sur l’importance de faire rendre des comptes aux responsables de crimes graves internationaux. »

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