(Bruxelles) – Le gouvernement polonais a pris pour cible les militantes des droits des femmes et les organisations travaillant dans ce domaine, mettant ainsi en danger ces droits et la sécurité des femmes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Plus de deux ans après les premières manifestations de masse contre ses tentatives de limiter davantage l'accès à l'avortement, le parti au pouvoir Loi et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) cherche à miner l'activisme en faveur des droits des femmes en menant des perquisitions dans les bureaux d’organisations de défense de ces droits, en leur refusant tout financement, en orchestrant des campagnes publiques de dénigrement, ou en engageant des actions disciplinaires contre des activistes.
Ce rapport de 75 pages, intitulé « ‘The Breath of the Government on My Back’: Attacks on Women’s Rights in Poland » («‘Le souffle du gouvernement dans mon dos’: Attaques contre les droits des femmes en Pologne »), documente comment, depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement du parti Loi et Justice a pris pour cible les organisations de défense des droits des femmes en recourant à des perquisitions et à des retraits de leurs financements, souvent avec très peu de préavis et sans claire justification.
Human Rights Watch a constaté que les agences gouvernementales ont fait passer en conseil de discipline leurs employés qui soutiennent les manifestations en faveur des droits des femmes ou qui collaborent avec des organisations de défense de ces droits, et les ont menacés de perdre leur emploi. Le gouvernement s'est abstenu de contredire – et a parfois semblé appuyer – des campagnes publiques de dénigrement lancées par des politiciens du parti au pouvoir ou d'autres partis et par des organisations soutenues par l'église catholique, qui présentent faussement les organisations de défense des droits des femmes et leurs activités comme étant dangereuses pour les familles et pour les « valeurs traditionnelles ».
« Le recours à des tactiques d'intimidation pour paralyser ces organisations n'est rien d'autre qu'une nouvelle tentative du gouvernement polonais de faire reculer les droits des femmes », a déclaré Hillary Margolis, chercheuse auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Les activistes ont des cibles dans le dos, uniquement pour avoir aidé des victimes d'abus ou pour avoir soutenu les droits fondamentaux à la santé en matière de procréation et à manifester pacifiquement. »
Human Rights Watch a interrogé 30 personnes – des activistes, des représentant(e)s d'organisations non gouvernementales, des personnes ayant participé à des manifestations à travers la Pologne pour les droits des femmes ou qui les ont soutenues, ainsi que des responsables gouvernementaux.
L'inaccessibilité des sources de financement gouvernementales a conduit les organisations à diminuer leurs effectifs et à réduire à la fois leur couverture géographique et les services essentiels qu'elles fournissent aux victimes de violences conjugales et d'autres violences sexistes, ce qui a créé des lacunes importantes en matière de mise à l'abri et de soutien psychologique et juridique, a constaté Human Rights Watch. Les organisations qui tiennent des ateliers sur les violences sexistes, sur la non-discrimination et sur l'éducation en matière de santé sexuelle et reproductive ont également été contraintes à réduire leurs activités. Les services spécialisés pour les femmes et les filles victimes de violences, ainsi que l'éducation et l'information en matière de santé sexuelle et reproductive demeurent tristement inadéquats en Pologne et bien inférieurs aux normes internationales et régionales.
Le Centre des droits des femmes à Łódź, qui apporte un soutien aux femmes victimes de violences, a fait l'objet d'une descente de police immédiatement après une manifestation en faveur des droits des femmes en octobre 2017 et s'est vu retirer d'importants financements gouvernementaux. Anna Głogowska-Balcerzak, coordinatrice de ce centre, a déclaré avoir dû réduire de manière drastique les prestations de services à l'extérieur de la ville. « Nous avions des clientes dans toute la région », a-t-elle dit. « Maintenant, nous n'avons plus qu'une organisation de soutien dans une seule petite ville. » Elle a souligné l'impact de cette situation sur les femmes exposées à des abus : « Certaines femmes restent avec leur partenaire abusif car elles ne peuvent aller nulle part ailleurs. »
Dans le contexte historique polonais marqué par une grande réticence à accorder aux femmes et aux filles la plénitude des droits en matière de procréation, et avec une des législations les plus restrictives d'Europe sur l'avortement, le gouvernement s'est efforcé de réduire encore plus la liberté en matière de procréation, notamment par des actions régressives concernant la contraception d'urgence et par son soutien à des projets de loi qui auraient pour effet d'interdire de fait l'avortement. Le gouvernement a empêché la tenue de programmes d'éducation complets sur la santé sexuelle et reproductive. Des cadres de haut rang du parti et des fonctionnaires ont également découragé publiquement les efforts pour lutter contre les violences faites aux femmes.
De tels actes ont suscité des protestations généralisées, notamment des manifestations massives qui ont débuté en octobre 2016 et sont connues sous les noms de #CzarnyProtest (« Manif noire ») et #StrajkKobiet (« Grève des femmes »).
Le mépris affiché du gouvernement pour les droits des femmes et son refus de contrer les campagnes de désinformation ont créé un climat de peur parmi les défenseur(e)s des droits des femmes. Les activistes affirment que ce climat dissuade également les femmes et les filles de solliciter de l'aide, y compris les victimes de violences.
Agata Teutsch, directrice de la fondation Autonomia, qui organise des ateliers dans les écoles afin de lutter contre les violences et les discriminations sexistes, a affirmé que des campagnes de dénigrement personnel de la part de politiciens conservateurs et de certains médias l'avaient mise en danger, ainsi que les activités de son organisation. « Il y a eu des articles qui me désignaient par mon nom et affirmaient que j'étais un danger pour les enfants », a-t-elle dit. « Pour certaines communautés ou personnes, [désormais] je suis quelqu'un avec qui il ne faut pas coopérer, en qui on ne peut pas avoir confiance. »
Certaines des personnes interrogées ont été victimes d'intimidation ou d'actes de représailles en raison de leur engagement en faveur des droits des femmes, y compris leur participation à des manifestations pacifiques ou leur coopération avec des organisations qui œuvrent en faveur de ces droits. Cinq femmes ont affirmé que leur emploi de fonctionnaire avait été menacé, dont trois enseignantes et une directrice d'école qui ont été soumises à des procédures disciplinaires, sans qu'aucune base n'ait été trouvée pour justifier une mesure disciplinaire.
Le gouvernement polonais devrait cesser immédiatement ses attaques contre les défenseur(e)s des droits des femmes et leurs organisations, et devrait enquêter et condamner les tactiques abusives utilisées contre eux, a affirmé Human Rights Watch. Il devrait également mettre fin à ses tentatives d'imposer des législations et des politiques régressives à l'égard des droits des femmes, notamment en ce qui concerne les services et les informations relatives à la santé sexuelle et reproductive, et cesser d'entraver les efforts pour lutter contre les violences faites aux femmes.
L'Union européenne (UE) et ses États membres devraient faire rendre des comptes à la Pologne pour s'être abstenue de se conformer aux politiques de l'UE en matière d'égalité des sexes, de droits des femmes et de lutte contre les violences faites aux femmes, notamment à la Directive de l'UE sur les droits des victimes, a affirmé Human Rights Watch. Ils devraient également faire en sorte que les organisations polonaises de défense des droits des femmes aient accès à des sources de financement.
« Le gouvernement polonais punit non seulement les activistes et les organisations qu'il prend pour cible, mais aussi les femmes qui en dépendent pour recevoir une aide qui est vitale pour elles », a affirmé Hillary Margolis. « Laisser prévaloir une telle situation enverrait un signal inquiétant selon lequel les femmes ne peuvent pas compter sur la protection de l'UE. »
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#Pologne : Les militantes des droits des femmes sous pression. Un nouveau rapport de HRW décrit le harcèlement d'activistes et d'organisations de défense de ces droits, et les risques que ceci engendre. https://t.co/lioHOADUQT #droitsdesfemmes
— HRW en français (@hrw_fr) 6 février 2019
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Pologne : selon Human Rights Watch, les agences gouvernementales font passer en conseil de discipline leurs employés qui soutiennent les manifestations en faveur des droits des femmes et les menacent de perdre leur emploi https://t.co/16Qkm5s90r pic.twitter.com/c5CC4OleqU
— L’importante (@limportante_fr) 6 février 2019
Baisse des ressources, intimidations, représailles. Les militantEs des #droitsdesfemmes en #Pologne subissent de + en + de pression, selon un nouveau rapport de @hrw_fr https://t.co/Q3IcR9yE5c
— AWID en français (@AWID_fr) 27 février 2019
Mai 2019
En #Pologne, le gouvernement ultra-conservateur attaque sans relâche les #DroitsDesFemmes. En face, les impressionnantes mobilisations de femmes ont montré au pouvoir qu’elles ne se laisseraient pas faire. Par @rachelknaebel https://t.co/6GeXvQ1tT5 pic.twitter.com/eAQ4QR95pO
— Bastamag (@Bastamag) 22 mai 2019