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Members of civil society in Bangui, Central African Republic, advocate for justice on the May 11, 2017, commemoration of victims’ day.

Interview : Une rare opportunité pour la justice en République centrafricaine

Des membres de la société civile militent pour la justice le 11 mai 2017, jour de la commémoration des victimes, à Bangui, en République centrafricaine.  © 2017 Inès Laure N'Gopot

Plus de cinq années de conflit en République centrafricaine ont été dévastatrices pour les civils du pays. Il y a eu des tueries généralisées, des violences sexuelles et des milliers de maisons détruites. Un quart de la population a fui la violence et, selon l'indice de la faim dans le monde (Global Hunger Index, GIH), c'est l'un des pays du monde les plus touchés par la faim. Plus d'un million de Centrafricains sont déplacés à cause du conflit. Un grand nombre d’entre eux n'ont pas accès à l'eau ni à la nourriture. Un nouveau tribunal issu d’une initiative judiciaire sans précédent, la Cour pénale spéciale, cherche maintenant à juger en République centrafricaine les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité remontant à 2003. Cette Cour pourrait être l'occasion pour le pays de rendre justice pour les crimes les plus graves commis, tout en permettant aux victimes de participer au processus. Audrey Wabwire s’entretient avec Elise Keppler à propos du nouveau rapport « En quête de Justice », et de ce que pourrait signifier cette Cour pour les victimes, en République centrafricaine.

Jusqu'à présent, comment le système judiciaire en République centrafricaine a-t-il essayé de traiter les affaires relatives au conflit ?

Personne n'a été poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité en République centrafricaine. Le manque de justice a alimenté d'autres crimes. Lorsque personne n'est poursuivi pour meurtre, viol ou attaque, les auteurs croient qu'ils peuvent commettre des crimes de guerre sans conséquence.

Compte tenu des années de conflit, il n'est peut-être pas surprenant que le système judiciaire de la République centrafricaine soit fragile et manque cruellement de ressources. Pendant plusieurs années, il n'a pas été en mesure de convoquer des sessions criminelles, et encore moins d'essayer de juger des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. De telles affaires ont tendance à impliquer un grand nombre d’incidents sous-jacents et des problèmes juridiques complexes, et sont très sensibles.

Comment fonctionne la Cour pénale spéciale (CPS) ? En quoi est-elle novatrice ?

Cette CPS est inhabituelle car elle est basée au sein du système judiciaire de la République centrafricaine, même si elle dispose de personnel et de soutien international. Elle comprend des juges, des procureurs et des administrateurs internationaux et nationaux. La Cour dispose d’un mandat renouvelable de cinq ans.

La Cour a vu le jour en 2015 après que les autorités locales ont demandé l'aide des Nations Unies pour juger les crimes internationaux et que le gouvernement de transition de l'époque a adopté une loi pour la créer. Cet arrangement positionne la Cour de façon à rendre justice pour les crimes dans le pays, en tirant parti de l'expérience internationale et en optimisant la pertinence nationale. Le cas échéant, la prestation de la justice au niveau national a un plus grand impact sur les communautés les plus touchées par les crimes et la CPS pourrait être un modèle précieux pour les autres pays qui cherchent à garantir la responsabilisation pour les crimes graves.

La Cour pénale internationale (CPI) mène également deux enquêtes dans le pays, car le gouvernement centrafricain a demandé l'intervention de la CPI. Les poursuites respectives de la CPI et la CPS se complètent entre elles. La CPI se concentre sur les plus hauts niveaux de responsabilité et ne poursuit généralement qu'un petit nombre d’affaires en raison de son mandat et de ses ressources limités.

Qu'est-ce qui vous a frappée lorsque vous avez parlé de la CPS à des personnes à Bangui ?

Quand j'étais à Bangui l'année dernière, j'ai parlé à plusieurs victimes de crimes commis pendant les conflits, des activistes et des professionnels de la justice. J'ai été frappée par la force du désir de justice parmi toutes les personnes avec qui je me suis entretenue, de sorte que la République centrafricaine puisse rompre avec son passé. Les personnes avec qui j'ai parlé se sont montré très préoccupées par le fait que les victimes d'aujourd'hui deviendront les criminels de demain si des mesures ne sont pas prises pour briser les cycles de violence et si les personnes ne paient pas pour leurs crimes. Elles s’interrogeaient plus souvent sur les raisons pour lesquelles la Cour n'a pas commencé à fonctionner plus rapidement, et non sur la nécessité de recourir à la Cour.

Des membres de la société civile militent pour la justice le 11 mai 2017, jour de la commémoration des victimes, à Bangui, en République centrafricaine.  © 2017 Inès Laure N'Gopot

Dans le même temps, certains activistes étaient préoccupés par le fait qu'il n'y avait pas assez d'informations sur la Cour disponibles au public, et que davantage de sensibilisation était nécessaire pour faire connaître la Cour pénale spéciale. Depuis lors, l'ONU a organisé une série d'événements pour accroître la sensibilisation, efforts qui devront être poursuivis.

Le pays est encore ravagé par la violence. Comment la Cour peut-elle fonctionner efficacement dans un tel environnement ?

Cela ne fait aucun doute qu'une sécurité adéquate pour les victimes, les témoins et le personnel de la Cour sera essentielle à la réussite de la Cour. Et garantir cette sécurité est un énorme défi. Une grande partie du pays est sous le contrôle de différents groupes armés et nous avons constaté la résurgence de la violence même à Bangui ce mois-ci. La MINUSCA, la mission de maintien de la paix de l'ONU en République centrafricaine, est chargée d'assurer la sécurité de la Cour pénale spéciale. Il est important qu'ils disposent du personnel et des ressources nécessaires pour pouvoir accomplir cette tâche. Cependant, la sécurité sera un problème permanent qui doit être constamment évalué.

Les parlementaires centrafricains s'efforcent de rétablir le pays après les ravages causés par la crise. Pourquoi devraient-ils donner la priorité à la Cour pénale spéciale maintenant ?

La violence récente à Bangui – où par exemple, des combattants ont attaqué un service religieux, tuant 16 personnes – est au cœur de la nécessité d'entamer un nouveau chapitre pour la République centrafricaine qui comprend la justice. Nous avons constaté en République centrafricaine, ainsi que dans de nombreux pays du monde, qu'un manque de justice tend à alimenter davantage la violence. En revanche, la poursuite des criminels envoie un message que de tels abus ne seront pas tolérés, renforçant ainsi le respect de l’État de droit.

Le Règlement de la Cour pénale spéciale a été soumis pour adoption au Parlement cette semaine. Nous exhortons le parlement à le promulguer sans délai afin que les enquêtes et les poursuites puissent commencer officiellement dès que possible.

Des personnes déplacées au camp principal de Batangafo, province de Ouham (République centrafricaine), en août 2015.  © 2015 William Daniels/Panos Pictures

Qu’est-ce qui est important pour que la Cour fonctionne efficacement ?

Il est encore tôt, mais nous avons constaté un grand nombre de progrès dans la nomination des juges, des procureurs, des enquêteurs, du greffier principal et d'autres membres du personnel cette année. La Cour a connu un démarrage très lent après sa création en 2015, mais elle a maintenant pris de l'ampleur. Le personnel a commencé à travailler dans un bâtiment de fortune jusqu'à ce que les travaux de rénovation des locaux permanents soient terminés, le Règlement est rédigé et des activités de sensibilisation sont menées auprès du public. C'est un développement significatif.

Il est également encourageant de voir que la communauté juridique et les activistes suivent le développement de la Cour et ont offert des commentaires détaillés sur le renforcement du Règlement de la Cour. Ce type d'engagement peut consolider les perspectives d'impact local de la Cour.

Mais pour que cette Cour réussisse, elle aura besoin de davantage de la part des partenaires internationaux. Il est important de remarquer que la majeure partie du budget de la Cour n'est pas financée à ce stade. La Cour s'appuie sur des contributions volontaires, ce qui signifie que des bailleurs de fonds doivent intervenir. En ce qui concerne le soutien pour cette institution, nous comptons sur des gouvernements comme ceux des États-Unis, des Pays-Bas et de la France, qui ont déjà contribué, et sur d'autres bailleurs de fonds comme l'Union européenne, le Canada, le Japon, l'Allemagne ainsi que d'autres, déterminés à ce que la justice soit rendue pour les atrocités.

Les Nations Unies apportent un soutien financier, logistique et administratif crucial à la Cour, qui devra être poursuivi et même renforcé. Le désir de changer la situation en République centrafricaine pour plus de justice et contre l’impunité est clair, et la communauté internationale devrait tenir compte de cet appel en donnant à la CPS tout le soutien dont elle a besoin pour réussir.

Comment les victimes participeront-elles au système de la Cour ?

Les victimes peuvent être des « parties civiles » à la Cour, ce qui signifie qu'elles peuvent agir aux côtés du procureur et de l'avocat de la défense dans les affaires. Par exemple, elles peuvent demander des démarches dans le cadre de l'enquête et interroger les témoins par l'intermédiaire de leur représentant légal, plutôt que d'agir uniquement en tant que témoins. La possibilité d'être des parties civiles place les victimes au centre du processus judiciaire.

Cela dit, sans un financement suffisant pour cette Cour, les victimes ne seront pas en mesure de présenter leurs affaires. Les habitants de la République centrafricaine ont attendu trop longtemps de voir des procès pour des crimes graves dans leur pays. La CPS offre aux victimes l'occasion de voir enfin la justice rendue.

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