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Entretien : L’armée rwandaise a torturé des civils

Un détenu a décrit comment il avait été soumis à des décharges électriques par des militaires utilisant un instrument qui, selon ses dires, ressemblait à un « stylo ». © 2017 John Holmes pour Human Rights Watch

L’armée rwandaise a régulièrement torturé des détenus, en les passant à tabac, en les asphyxiant, en utilisant des décharges électriques et même en mettant en scène des simulacres d’exécution. La plupart des personnes détenues étaient des civils soupçonnés de coopérer avec des groupes armés. Certains étaient d’anciens combattants. Audrey Wabwire s’entretient avec Lewis Mudge, un chercheur de Human Rights Watch, à propos des années de recherche qui ont débouché sur le nouveau rapport, intitulé « ‘Nous t’obligerons à avouer’ », et de ce que nous avons appris sur les centres de détention militaires illégaux du Rwanda.

Qui sont les personnes détenues par l’armée et pourquoi ont-elles été détenues ?

La plupart des détenus étaient des civils accusés d’œuvrer contre le gouvernement avec des groupes armés, tels que les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé constitué majoritairement de Hutus rwandais, dont certains membres ont participé au génocide rwandais de 1994. Le groupe opère dans la République démocratique du Congo, où ils terrorisent les civils depuis de nombreuses années. D’autres ont été accusés de collaborer avec le Congrès national rwandais (RNC), un groupe d’opposition exilé composé principalement d’anciens membres du parti au pouvoir au Rwanda.

Il a souvent été difficile de déterminer ce dont ces détenus étaient soupçonnés ou pourquoi ils étaient pris pour cible. Certains avaient reçu un appel téléphonique suspect en provenance de la RD Congo. D’autres connaissaient simplement des personnes suspectées. D’autres personnes semblaient avoir été prises dans des rafles arbitraires.

Comment ces personnes se sont-elles retrouvées dans les camps militaires ?

L’armée a arrêté un grand nombre d’entre eux à leur domicile. D’autres ont été appelées pour une offre d’emploi et ont ensuite été emmenées. Beaucoup de personnes étaient dans la rue et des militaires les ont fait monter de force dans une voiture. Certains membres des familles ont essayé de retrouver leurs proches dans les camps militaires, mais se sont vu ordonner de quitter les lieux. La plupart des détenus mentionnés dans notre recherche ont été placés au secret, ce qui signifie qu’ils ont été détenus sans contact avec leur famille, leurs amis ou un avocat. Beaucoup d’entre eux ont été détenus pendant plusieurs mois d’affilée.

Que s’est-il passé pendant leur détention ?

Nous nous sommes entretenus avec 61 personnes qui sont sorties de la détention militaire et aucun cas n’est identique. Cependant, la plupart étaient torturés pour extorquer des aveux ou des accusations contre d’autres personnes. Les militaires qui commettaient les actes de torture étaient brutaux. Dans certains cas, des hommes ont été asphyxiés avec des sacs en plastique. Dans d’autres cas, les militaires ont utilisé des décharges électriques et de l’acide ou ont attaché des objets à leurs testicules. Un grand nombre de personnes ont été victimes de passages à tabac et de simulacres d’exécution. Le témoignage d’un homme m’a marqué quand il a décrit les passages à tabac. Il avait été détenu dans un camp appelé la « Gendarmerie » pendant un mois. Il a décrit les passages à tabac comme si c’était presque normal, mais à un moment, il s’est arrêté et a failli éclater en sanglots. Il a décrit la façon dont il avait été battu avec des câbles. Il a confié : « Les câbles étaient le pire. »

Nous avons rencontré des dizaines et des dizaines de personnes qui souffraient encore, physiquement et mentalement, des mois ou des années après que leur torture ait pris fin.

Quelle est l’histoire la plus frappante que vous ayez rencontrée au cours de votre recherche ?

Je me souviens de la bravoure d’un homme à qui j’ai parlé pendant qu’il était en prison. Je travaillais avec un interprète, mais les fonctionnaires de la prison ont insisté pour qu’il y ait un officier habillé en civil avec nous. Quand le prisonnier m’a dit qu’il avait été détenu illégalement, l’officier habillé en civil a crié : « Il ment ! » Il a ensuite ordonné au prisonnier, en kinyarwanda, de ne pas dire des choses qui rendraient sa vie plus difficile. Nous avons donc discuté des aspects techniques de son procès pendant environ 45 minutes. Pendant tout ce temps, il me donnait sous la table des petits coups sur la jambe avec son pied. À un moment donné, l’agent a reçu un appel et il est sorti pendant environ 25 secondes. Le prisonnier s’est tourné vers moi et a déclaré : « Nous n’avons pas beaucoup de temps. Vous devez savoir que j’ai été torturé à Kami. Je n’ai pas fait les choses qu’ils disent que j’ai faites. Mes aveux étaient basés sur la torture. S’il vous plaît, faites-le savoir au monde. » Il a pris un risque réel afin de me le dire. Il est toujours en prison.

Sur quels motifs juridiques les personnes ont-elles été arrêtées ?

L’armée peut bien sûr détenir une personne soupçonnée d’avoir commis des crimes contre la sûreté de l’État. Mais dans les cas que nous avons documentés, l’armée n’a pas amené les suspects à la police – où l’accusé peut être informé de ses droits ou peut demander un avocat – mais au lieu de cela ils ont été détenus dans des camps de détention militaires, qui ne sont pas reconnus comme centres de détention officiels au Rwanda. Cela a violé le droit rwandais et le droit international.

À quel moment les personnes étaient-elles libérées ? Qui prenait ces décisions ?

Il existe trois options possibles ; vous pouviez être transféré aux tribunaux civils, être juste relâché ou bien ne jamais être libéré.

Dans la plupart des cas que nous avons documentés, les personnes étaient finalement transférées devant des tribunaux civils. Ce qui est frappant c’est qu’elles étaient emmenées d’un camp militaire à une caserne de police, souvent après plusieurs mois, mais la police enregistrait leur date d’arrestation comme étant celle où elles étaient arrivées au poste de police. Ainsi, des mois de détention illégale peuvent être simplement effacés du dossier officiel. Lorsque l’accusé soulevait la question devant les tribunaux, les juges et les procureurs rejetaient les allégations de torture et de détention illégale, même s’ils auraient dû les examiner.

Certains groupes de personnes ont été libérés des camps militaires et ont dit de rentrer à la maison. Apparemment, la torture n’avait pas extrait les aveux ou les accusations que les responsables du renseignement militaire cherchaient. Ces personnes ont été prévenues, souvent sous la menace de mort ou de ré-arrestation, de ne parler à personne d’où ils avaient été et de ce qui leur était arrivé. Ils ont pris de grands risques en nous parlant et en révélant ces abus.

Certaines personnes se trouvent encore en détention militaire, ou bien ne s’en sont jamais sorties. Nous avons entendu parler d’un grand nombre de cas de décès de détenus, mais cela est presque impossible à vérifier.

Il est difficile d’établir la chaîne de commandement dans ces camps. Cependant, nous désignons plusieurs officiers et soldats sur la base de témoignages.

Quelle a été votre expérience dans cette recherche ?

Réaliser cette recherche a été un véritable défi au cours des années. J’ai dû rencontrer les victimes deux, trois, même quatre fois, avant qu’elles se sentent à l’aise pour parler de ce qui leur était arrivé. Parler de ces choses expose leur vie à un danger très réel.

J’ai également été frappé par la façon dont les principes fondamentaux de l’État de droit sont mis de côté au Rwanda en ce qui concerne ces cas. Dans un grand nombre de cas, des soldats ont arrêté quelqu’un devant leur famille et leurs voisins. Certains membres de famille ont eu le courage de s’enquérir auprès des autorités locales quant au sort de leurs proches, mais n’ont recueilli qu’un haussement d’épaules. Dans les tribunaux, les juges et les procureurs ont rejeté les allégations selon lesquelles des détenus avaient été illégalement détenus ou torturés. Nous n’avons jamais vu un juge prendre au sérieux ces déclarations faites devant un tribunal.

Les gens savent que ce type de détention et de torture se produisent au Rwanda, mais ils ont trop peur d’en parler ouvertement. Tout ce qu’ils peuvent faire est d’espérer que cela ne leur arrive pas.

Que devrait faire le gouvernement du Rwanda au sujet de ces cas de torture ? Et comment a-t-il répondu à votre recherche ?

Nous avons communiqué les détails de notre recherche au gouvernement depuis près d’un an, depuis décembre 2016. Nous avons demandé des réunions pour discuter de cette recherche et proposer des idées sur la façon dont le gouvernement pourrait enquêter sur ces allégations et faire en sorte que les personnes responsables rendent des comptes. Mais le gouvernement n’a jamais répondu.

En juillet, nous avons publié un rapport sur les exécutions extrajudiciaires de petits délinquants dans l’ouest du Rwanda. Le gouvernement s’est empressé de qualifier le rapport de « fausses nouvelles » et n’a rien fait pour répondre aux allégations spécifiques, alors même que nous avons mentionné les noms de victimes, les dates et les lieux des exécutions et inclus un grand nombre de photos des victimes.

Nous avons mis des années pour mener des recherches difficiles afin de démontrer que la détention illégale et la torture sont utilisées systématiquement au Rwanda contre ceux considérés comme des « ennemis ». Qualifier ces allégations de « fausses » ne diminuera pas leur véracité.

Ce qui est le plus important, c’est que le gouvernement devrait faire un effort sérieux pour répondre à ces allégations, notamment en s’assurant que les personnes responsables rendent des comptes pour leurs actes. Il devrait travailler en étroite collaboration avec les organes des Nations Unies, tels que le Sous-comité pour la prévention de la torture et le Comité contre la torture, afin d’arrêter ce fléau.

Si le gouvernement ne prend pas cette question au sérieux, les bailleurs de fonds du Rwanda devraient évaluer leur soutien financier et autre, notamment la formation et le renforcement des capacités, aux institutions directement impliquées dans ces violations.

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