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Lettre à l’Assemblée des Représentants du Peuple à l’occasion de la discussion du nouveau projet de loi sur les stupéfiants

Lettre d’Avocats Sans Frontières, du Réseau d’observation de la justice Tunisienne, et de Human Rights Watch à l’Assemblée des Représentants du Peuple à l’occasion de la discussion du nouveau projet de loi sur les stupéfiants

 

Mesdames, Messieurs les député-es de l’Assemblée des Représentants du peuple,

Les organisations signataires vous adressent ce courrier afin de vous sensibiliser à la nécessité d’apporter des modifications et des améliorations au projet de loi 79-2015 portant sur les stupéfiants, officiellement inscrit au parlement depuis le 31 décembre 2015 et dont la discussion a commencé à la commission de législation générale le 3 janvier 2017. Nous considérions que ce projet de loi est un important pas en avant pour rompre avec les pratiques répressives qui ont accompagné l’application de la loi 52 sur les stupéfiants, en vigueur depuis 1992. Comme le montrent nos deux rapports respectifs, que vous trouverez en annexe, la loi 52 sur les stupéfiants a permis la prolifération de violations des droits humains lors de l’arrestation, de l’interrogatoire et du jugement des consommateurs de drogues. Elle a également de lourdes conséquences sur le plan social, étant donné que des milliers de Tunisiens sont condamnés chaque année à des peines de prison simplement pour consommation ou possession de petites quantités de cannabis pour usage personnel et autres substances. Malheureusement, nous avons été surpris de constater que le Ministère de la justice a soumis une nouvelle version du projet de loi, le 12 janvier 2017, qui pulvérise même les timides avancées contenues dans le projet initial.

Le nouveau projet de loi réintroduit les peines de prison pour les personnes arrêtées une première et deuxième fois dans les affaires d’usage ou de possession de drogue de petites quantités pour usage personnel. Il conserve certaines avancées telles que l’abolition des condamnations obligatoires de privation de liberté pour les récidivistes, le pouvoir discrétionnaire aux juges d'imposer des peines moins sévères que des peines de prison, et de la plus grande importance qu'il accorde à l'accès aux services de traitement.

Les organisations signataires se préoccupent de certains éléments problématiques de cette loi et avancent les recommandations suivantes.

  • Eliminer les sanctions pénales pour usage ou possession de drogues pour un usage personnel. En maintenant l’option des peines de prison pour l’usage et la possession de drogues illicites, le projet de loi ne tient pas compte des appels des experts internationaux en matière de droits humains et de santé publique qui exhortent les États à ne pas attacher de sanctions pénales pour l’usage ou la possession de drogues.
  • Eliminer du projet de loi 79-2015 la nouvelle infraction prévue pour l’incitation à la consommation. De par sa formulation vague et imprécise, cette infraction est préoccupante en matière de liberté d’expression et ouvre la voie à de possibles dérives arbitraires. Tout individu, par de simples déclarations touchant de près ou de loin au sujet de la consommation, pourrait se voir accuser d’une telle infraction. Ceci est d’autant plus préoccupant que l’article ne requiert pas que de telles déclarations soient directement liées à la probabilité de survenance de l’une des infractions prévues dans le projet de loi.
  • Réviser le projet de loi 79 -2015 en prévoyant que les techniques spéciales d'enquête telles que la surveillance et l'interception des communications ne soient utilisées que comme des mesures exceptionnelles et en général seulement dans le but de cibler des trafiquants de drogue présumés, plutôt que de simples consommateurs.
  • Indiquer dans le projet de loi 79-2015 que les témoignages anonymes ne peuvent être autorisés que dans des circonstances très exceptionnelles et ne devraient pas être la base unique ou déterminante de l’inculpation.
  • Prévoir, dans le projet de loi, que le test d'urine ne peut être que volontaire et que tout élément de preuve, notamment les tests, obtenu sous la contrainte ne saurait être pris en compte, et que la coercition comprend d’affirmer au suspect que ces tests sont obligatoires.
  • Eliminer du projet de loi les peines de prison pour refus de subir le test d’urine.
  • Prévoir des sanctions pour les agents chargés de l'application de la loi qui contraignent les personnes à subir le test d’urine.
  • S’assurer que le Conseil de la santé des usagers de stupéfiants comprenne un spécialiste en réduction des risques liés à la consommation de drogue, un expert juridique, ainsi que d'autres experts tels que des médecins, des psychologues, des travailleurs sociaux ou d'autres personnes possédant une expertise appropriée dans le domaine de la toxicomanie.
  • Permettre aux juges d’appliquer, sans limitations, les dispositions de l’article 53 du Code pénal, relatives aux circonstances atténuantes et à la réduction des peines dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants.


Antonio Manganella
Directeur pays - Tunisie
Avocats Sans Frontières

Amna Guellali
Directrice de Human Rights Watch en Tunisie

Bassem Trifi
Vice-président
Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme

 

Annexes :

Rapport de Human Rights Watch: ”Tout ça pour un joint. La loi répressive sur la drogue en Tunisie et comment la réformer », février 2016.

Rapport Réseau d’Observation de la Justice : L'application de la loi 52 relative aux stupéfiants devant les juridictions tunisiennes, février 2016.

 

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