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Conseil des droits de l'homme: Faire face à la situation des droits humains en République démocratique du Congo

Aux Représentants permanents des États membres et observateurs du Conseil des droits de l'homme de l'ONU

(Genéve)

Votre Excellence,

Nous vous écrivons aujourd’hui pour exhorter votre délégation à aborder la question préoccupante des droits humains en République démocratique du Congo lors de la 33ème session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, et à appuyer une résolution visant à accroître la capacité des Nations Unies à suivre l'évolution et à rendre compte des violations des droits humains perpétrées dans ce pays et prévenir une escalade de la violence, des violations des droits humains, et de la répression dans les mois à venir.

Depuis janvier 2015, le gouvernement congolais exerce une répression brutale à l'encontre de ceux qui se sont prononcés contre ou se sont opposés aux tentatives de prolonger la présidence de Joseph Kabila au-delà de la limite constitutionnelle de deux mandats, dont le second prend fin le 19 décembre 2016. Les forces de sécurités et officiels gouvernementaux ont arrêté arbitrairement des dizaines de dirigeants de l’oppositions et activistes, ouvert le feu sur des manifestants pacifiques, interdit des manifestations de l'opposition, bloqué des médias, accusé de jeunes activistes pro-démocratie de fomenter des actes terroristes, et empêché des dirigeants de l'opposition de circuler librement dans le pays. Le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits humains en RD Congo a documenté 760 violations des droits humains liées à des restrictions en matière d'espace démocratique, dont 500 intervenues en 2016.

Dans ce qui constitue une des dernières tentatives de limitation de la production de rapports sur les droits humains au cours d'une période de répression gouvernementale accrue, le gouvernement congolais a, en août 2016, empêché notre chercheuse senior, basée en RD Congo avec Human Rights Watch depuis plus de huit ans, de continuer à travailler dans le pays.

À ce jour, la lumière n'a toujours pas été faite et la justice n'a pas été rendue quant à la fosse commune découverte à Maluku, en périphérie de la capitale, Kinshasa, où les forces de sécurité ont enterré 421 corps au milieu de la nuit du 18 au 19 mars 2015. Les familles des victimes tuées ou portées disparues du fait des forces de sécurité, y compris lors de manifestations politiques qui ont eu lieu en janvier 2015, craignent que leurs proches ne se trouvent dans cette fosse commune. Un infirmier responsable d’une morgue de Kinshasa – et qui avait probablement connaissance de l'existence de cette fosse commune et l’aurait peut-être dénoncée – est décédé dans des circonstances suspectes la nuit où l'inhumation des corps a eu lieu.

Entre-temps, la préparation des élections présidentielles est au point mort, et de hauts responsables gouvernementaux ont déclaré que les élections ne pouvaient se tenir avant la fin de l'année, faisant officiellement état de contraintes techniques, logistiques, et financières. Un « dialogue national » convoqué par le président Kabila officiellement pour discuter de la voie à suivre pour aller de l’avant, a officiellement débuté le 1er septembre. Toutefois, presque tous les principaux partis politiques de l'opposition ont à ce jour fait preuve de réticence pour y participer, craignant que le dialogue ne soit qu’une manœuvre de la part du président Kabila pour rester au pouvoir en retardant le processus. Ce dernier n'a lui-même donné aucune indication qu’il quitterait ses fonctions à la fin de son mandat, et certains membres de sa coalition au pouvoir se sont publiquement prononcés en faveur d'un référendum visant à modifier la constitution.

Dans ce que le ministre de la justice a présenté comme un effort pour décrisper les tensions politiques en amont du dialogue, neuf activistes des droits humains et jeunes activistes pro-démocratie ont été libérés de prison entre le 27 août et le 5 septembre. Ils avaient été arrêtés au cours des dix-huit derniers mois après avoir appelé au respect de la constitution ou pris part à des manifestations pacifiques ou à d’autres activités. Nombre d’entre eux ont été détenus pendant des semaines ou des mois par l’Agence Nationale de Renseignements (ANR), en l'absence de chef d'accusation et sans accès à leurs avocats ou à leurs familles, avant d'être finalement transférés vers la prison centrale de Kinshasa et jugés sur la base de fausses accusations.

Leur libération a mis fin à leur détention abusive, mais ne signifie pas en soi un changement de politique. La répression n'a pas cessé et beaucoup plus devrait être fait : les accusations qui pèsent contre la majorité des activistes libérés n'ont pas été retirées ; au moins 20 autres activistes et dirigeants et partisans de partis d'opposition sont toujours en détention après avoir dénoncé les tentatives de prolonger le maintien au pouvoir du président Kabila ou avoir pris part à des activités politiques pacifiques, notamment sept d'entre eux placés en détention au secret par le Service des renseignements militaire ; des manifestations qui se sont tenues à Lubumbashi et Kinshasa le 29 août et le 1er septembre ont tourné à la violence lorsque des policiers ont fait usage de gaz lacrymogène sur les manifestants, et ont arrêté des dizaines d’entre eux ; au moins sept médias proches de l'opposition restent bloqués ; et les responsables de la répression brutale menée au cours des 20 derniers mois n'ont pas eu à rendre compte de leurs actes et demeurent à leurs postes de commandement.

Notre réseau local d’activistes des droits humains et d'autres activistes de la société civile nous dit qu'un nombre grandissant de Congolais sont visiblement opposés à la prolongation du mandat du président Kabila au-delà du 19 décembre et que le mécontentement des jeunes marginalisés et sans emploi à Kinshasa et dans d'autres villes pourrait s’accroitre dans les prochains mois en cas d'aggravation de la crise économique. Nombre d'entre eux se déclarent prêts à se mobiliser et à manifester dans les rues à partir du 19 septembre, trois mois avant la fin du mandat du président Kabila et au moment où, conformément à la Constitution, la commission électorale doit convoquer une élection présidentielle. Cela ouvre la voie à davantage de violations à l'encontre des manifestants.

Dans le même temps, la situation sécuritaire qui prévaut dans l'est de la RD Congo, où des dizaines de groupes armés sont toujours actifs, demeure profondément instable. Dans la région de Beni, des éléments des forces armées ont tué plus de 600 civils lors d'une série de massacres perpétrés depuis octobre 2014, selon l'ONU et des groupes locaux de défense des droits humains. Il est possible que les nombreux groupes armés dans l'est de la RD Congo et les ligues de jeunes dans les grandes villes soient manipulés à des fins politiques dans les prochains mois.

La façon dont la situation évoluera si le président Kabila décide de ne pas quitter le pouvoir n’est pas claire. Mais le risque de voir s'accroître la violence, l'instabilité et la répression brutale ainsi qu’un rétrécissement plus important de l'espace politique dans les mois à venir est bien réel. Tandis que la fenêtre d’opportunités se ferme, nous pensons qu'il reste encore du temps pour influer sur le cours des événements et contribuer à empêcher de futures violations des droits humains.

Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU et ses États membres disposent de moyens importants pour aider à influencer le président Kabila et ses proches collaborateurs à mettre fin à la répression et aux violations des droits humains. À l'issue de la 32ème session du Conseil, les Pays-Bas ont déposé une déclaration commune en vertu de l’article 2 au nom de 44 autres pays concernant la RD Congo. Des préoccupations y étaient exprimées quant à la violence persistante qui n'avait pas diminué depuis la précédente déclaration déposée en mars 2016. Après s'être rendu dans le pays en juillet, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Zeid Ra'ad Al Hussein s'est déclaré préoccupé par le fait que l'incertitude politique pourrait conduire à une grave crise. Des mesures de suivi des précédentes déclarations peuvent être prises maintenant afin d'éviter le pire des scénarios et jouer un rôle crucial pour éviter que la RD Congo ne sombre dans le même genre de crise qu'au Burundi, avec un risque élevé de violence à grande échelle, d'instabilité et de répression.

Par conséquent, nous vous exhortons d'adopter lors de la 33ème session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU une résolution concernant la RD Congo qui répondrait aux violations des droits humains mentionnées ci-dessus et qui :

  • Créerait un mécanisme dédié de de surveillance et de présentation de rapports sur la situation en RD Congo, comme la désignation d’un expert indépendant ou la mise en place d’une équipe d'experts du Haut-Commissariat aux droits de l'homme dotée de la capacité à répondre rapidement ;
  • Assurerait la tenue de débats interactifs renforcés sur la RD Congo lors des futures sessions du Conseil en 2017, notamment avec les organes concernés et les parties prenantes de l'ONU afin d'examiner de plus près la situation des droits humains dans ce pays au-delà des discussions actuelles ;
  • Demanderait au Haut-Commissariat aux droits de l'homme de fournir des rapports thématiques, notamment sur la violence dans le contexte des élections ou de l'accroissement de la répression politique en RD Congo, qui accorderaient une attention soutenue à des questions particulièrement préoccupantes.

En outre, nous sollicitons votre délégation à appeler à la tenue d'un débat d'urgence lors de la 33ème session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU ou d'une session spéciale si la situation en RD Congo se dégrade davantage.

Nous vous remercions de votre attention et serions heureux de vous fournir d'autres informations relatives à la situation des droits humains en RD Congo.

Veuillez agréer, Votre Excellence, l'expression de ma très haute considération.

 

 

 

 

 

 

 

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