(Kinshasa) – Les autorités congolaises devraient libérer immédiatement et sans condition deux activistes qui ont été arrêtés il y a un an lors d’un atelier de jeunes pro-démocratie en République démocratique du Congo. Fred Bauma et Yves Makwambala font l’objet de fausses accusations dans le cadre d’une apparente campagne politique visant à faire taire toute voix dissidente. Le 16 mars 2016, la Cour suprême de justice doit se prononcer sur la libération conditionnelle ou non des deux activistes.
L’arrestation des deux activistes a eu lieu dans un contexte de répression gouvernementale croissante à l’égard des opposants aux efforts pour permettre au président Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de la période de deux mandats constitutionnellement autorisés qui arrive à échéance le 19 décembre.
« La détention prolongée de Fred Bauma et d’Yves Makwambala un an après leur arrestation est un rappel inquiétant de la volonté des autorités congolaises de faire taire la contestation pacifique », a déclaré Ida Sawyer, chercheuse senior auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les autorités devraient immédiatement abandonner les poursuites sans fondement et libérer Bauma, Makwambala et les autres activistes et hommes politiques détenus pour le seul fait d’avoir exprimé pacifiquement leurs opinions politiques. »
L’Agence nationale de renseignements (ANR) de la RD Congo a arrêté Bauma et Makwambala le 15 mars 2015, ainsi qu’au moins 24 autres personnes, y compris des activistes sénégalais et burkinabés, un diplomate américain, des journalistes congolais et étrangers et des activistes, des musiciens, des artistes et des logisticiens congolais. Ils assistaient à un atelier à Kinshasa pour présenter Filimbi, une plateforme visant à encourager la jeunesse congolaise à accomplir ses devoirs civiques de manière pacifique et responsable. Dans les jours suivants, les services de renseignements ont aussi arrêté un autre activiste de Filimbi et d’autres personnes en lien avec Filimbi, y compris un graphiste qui avait conçu le logo de Filimbi et des employés de Rawbank qui géraient le compte bancaire de Filimbi.
Lors d’une conférence de presse le 18 mars 2015, le ministre des Communications Lambert Mende a déclaré que les leaders de Filimbi préparaient des « activités terroristes » et une « insurrection violente ». Il n’a fourni aucune preuve pour étayer ces allégations.
Alors que les autres ont finalement été libérés, Bauma et Makwambala ont été détenus illégalement dans un centre de détention de l’agence de renseignements pendant 50 et 40 jours respectivement, sans chef d’inculpation ni accès à leurs familles et à des avocats. Ils ont ensuite été transférés à la prison centrale de Kinshasa, où ils se trouvent toujours. Originaire de Goma, dans l’est du pays, Bauma est membre du mouvement de jeunes pro-démocratie Lutte pour le Changement (LUCHA), tandis que Makwambala est un spécialiste du Web vivant à Kinshasa qui a participé à la conception du site Internet de Filimbi.
Le 3 juin 2015, Bauma, Makwambala et quatre autres leaders de Filimbi, qui avaient fui Kinshasa pour éviter d’être arrêtés, ont été inculpés d’appartenance à une association constituée dans le but d’attenter aux personnes et aux biens ; d’organisation d’un complot contre le chef de l’État et de tentative pour détruire ou changer le régime constitutionnel ou pour inciter à la violence contre l’autorité de l’État. Bauma a également été inculpé de trouble à l’ordre public et Makwambala d’offense publique au chef de l’État.
Au cours de l’année dernière, des hommes politiques, des défenseurs des droits humains, des étudiants et d’autres personnes, congolais et étrangers, se sont mobilisés pour soutenir Bauma et Makwambala et ont exhorté les autorités congolaises à les relâcher.
Le 20 avril, une « mission d’information » parlementaire, mise en place pour examiner la manière dont les services de sécurité de la RD Congo ont géré le dossier Filimbi, a rapporté qu’aucune preuve n’avait été trouvée qui démontrerait que les leaders de Filimbi et les participants à l’atelier étaient impliqués dans la réalisation ou la préparation d’actes terroristes ou d’autres crimes violents. Après un débat sur le rapport tenu lors de séances parlementaires à huis clos les 12 et 13 juin, l’Assemblée nationale a recommandé une « solution politique » qui permettrait la libération de Bauma et de Makwambala, ont indiqué à Human Rights Watch des membres du parlement ayant assisté au débat.
Le 15 juin, une coalition de 234 organisations de défense des droits humains congolaises et internationales a appelé à la libération immédiate et sans condition de Bauma et Makwambala.
Le 9 juillet, le Parlement européen a adopté une résolution portant sur le cas de Bauma et de Makwambala, et l’appel à leur libération immédiate a été renouvelé dans une résolution ultérieure du Parlement européen, adoptée le 10 mars 2016. Des représentants des Nations Unies et des États-Unis ont également exprimé à plusieurs reprises leurs inquiétudes au sujet de la détention prolongée de Bauma et de Makwambala.
À l’occasion du premier anniversaire de leur arrestation, Bauma et Makwambala comptent entamer une grève de la faim pour protester leur détention prolongée, selon des activistes de la LUCHA. Il est également prévu que le 15 mars, plus de 700 courriers de citoyens congolais originaires de diverses régions du pays seront transmis à la présidence à Kinshasa, demandant la libération des deux activistes.
« Le président Kabila ne devrait pas ignorer la coalition croissante des voix appelant à la libération de Bauma et de Makwambala », a conclu Ida Sawyer. « Une action immédiate en faveur de la libération des activistes montrerait que le gouvernement n’est pas opposé à la jeunesse congolaise et aux autres personnes qui veulent pouvoir exprimer librement et pacifiquement leurs opinions en faveur du processus démocratique. »
Pour plus d’informations sur les autres activistes et leaders politiques congolais en détention, veuillez lire la suite.
Liste des prisonniers
Les personnes suivantes ont été arrêtées depuis la fin de l’année 2014 après s’être élevées contre les tentatives d’extension du mandat du président Kabila ou pour avoir participé à des manifestations pacifiques ou d’autres activités politiques. Ces personnes sont toujours en détention.
Personnes détenues à Kinshasa :
- Vano Kalembe Kiboko : ancien membre du parlement de la coalition de la majorité de Kabila, arrêté le 29 décembre 2014 après avoir publiquement critiqué la répression policière violente d’une manifestation au Katanga et les tentatives visant à permettre à Kabila de briguer un troisième mandat. Jugé coupable et condamné à trois ans de prison le 14 septembre 2015 pour haine raciale et tribalisme et « divulgation de faux bruits ». Il a été détenu à la prison centrale de Kinshasa jusqu’au 26 janvier 2016, puis transféré dans une prison militaire de Kinshasa, où il se trouve toujours. Ses avocats indiquent que le transfert n’avait aucun fondement juridique.
- Jean-Claude Muyambo : président du parti politique Solidarité congolaise pour la démocratie et le développement (SCODE) et ancien président de l’association du barreau dans l’ancienne province de Katanga, arrêté à Kinshasa le 20 janvier 2015, après avoir mobilisé la participation aux manifestations contre les modifications proposées de la loi électorale. Détenu à la prison centrale de Kinshasa, puis transféré dans un centre médical, où il est soigné pour les blessures subies lors de son arrestation. Jugé pour « abus de confiance » et vente d’un bâtiment qui ne lui appartenait pas, chef d’inculpation probablement basé sur une plainte qu’un client a déposée contre lui en 2002 et retirée plus tard, dans sa province d’origine de Katanga.
- Christopher Ngoyi : défenseur des droits humains impliqué dans la mobilisation de la participation publique aux manifestations contre les modifications proposées de la loi électorale, arrêté le 21 janvier 2015 et détenu par l’Agence Nationale de Renseignements pendant 20 jours, puis transféré à la prison centrale de Kinshasa. Les procédures judiciaires sont en cours. En raison d’une baisse significative de son taux d’hémoglobine dans le sang et d’autres problèmes de santé, Ngoyi a été transféré dans un centre médical de Kinshasa le 8 février 2016. Sa famille a indiqué qu’il a été reconduit à la prison centrale de Kinshasa le 2 mars, avant son rétablissement total et avant que la cause de la perte de sang soudaine ait été découverte ou traitée.
- Ernest Kyaviro : leader d’opposition arrêté à Goma le 22 janvier 2015 pendant la semaine de manifestations contre les modifications proposées de la loi électorale. Transféré à Kinshasa et détenu à l’agence de renseignements pendant 86 jours, puis transféré à la prison centrale de Kinshasa le 15 avril. Jugé coupable et condamné à trois ans de prison le 18 septembre pour provocation et incitation à des manquements envers l’autorité publique. Son appel est en cours.
- Fred Bauma : activiste de la LUCHA arrêté lors d’un atelier à Kinshasa le 15 mars 2015 qui présentait Filimbi. Détenu par l’agence de renseignements pendant 50 jours, puis transféré à la prison centrale de Kinshasa. Les procédures judiciaires sont en cours.
- Yves Makwambala : webmaster arrêté lors d’un atelier à Kinshasa le 15 mars 2015 qui présentait Filimbi. Détenu par l’agence de renseignements pendant 40 jours, puis transféré à la prison centrale de Kinshasa. Les procédures judiciaires sont en cours.
- Jerry Olenga : membre du parti d’opposition Forces novatrices pour l’union et la solidarité (FONUS), arrêté le 4 novembre 2015 après avoir assisté à la conférence de presse tenue par le président du parti. Transféré à la prison centrale de Kinshasa après avoir été détenu pendant un mois à l’ANR. Inculpé d’atteinte à la sécurité de l’État. Les procédures judiciaires sont en cours.
- Paulin Lody : membre du parti FONUS, arrêté le 4 novembre 2015 après avoir assisté à la conférence de presse tenue par le président du parti. Transféré à la prison centrale de Kinshasa après avoir été détenu pendant un mois par l’agence de renseignements. Inculpé d’atteinte à la sécurité de l’État. Les procédures judiciaires sont en cours.
- Jean-Marie Kalonji : coordinateur du mouvement pro-démocratie Quatrième Voie, arrêté le 15 décembre 2015. Détenu depuis cette date par l’agence de renseignements à Kinshasa, sans chef d’inculpation et sans possibilité de recevoir la visite de sa famille ou d’un avocat.
- Bienvenu Matumo : membre de la LUCHA, arrêté tôt dans la matinée du mardi 16 février 2016 – journée « ville morte » (grève générale) – en même temps que Marc Héritier Kapitene, après avoir assisté à une réunion avec d’autres activistes de la LUCHA la nuit précédente. Transféré d’un centre de détention de l’agence de renseignements au bureau du procureur le 19 février. Il a été ensuite transféré à la prison centrale de Kinshasa et est inculpé d’incitation à la désobéissance civile, de diffusion de fausses informations et d’atteinte à la sécurité de l’État.
- Marc Héritier Kapitene : membre de la LUCHA, arrêté tôt dans la matinée du mardi 16 février 2016, – journée « ville morte » (grève générale) – en même temps que Matumo, après avoir assisté à une réunion avec d’autres activistes de la LUCHA la nuit précédente. Transféré d’un centre de détention de l’agence de renseignements au bureau du procureur le 19 février. Il a ensuite été transféré à la prison centrale de Kinshasa et est inculpé d’incitation à la désobéissance civique, diffusion de fausses informations et d’atteinte à la sureté intérieure de l’État.
- Victor Tesongo : membre d’un parti politique d’opposition, arrêté dans la nuit du 15 février 2016, alors qu’il rentrait chez lui après avoir rencontré des activistes de la LUCHA, la veille de la journée « ville morte » (grève générale). Transféré d’un centre de détention de l’ANR au bureau du procureur le 19 février. Il a ensuite été transféré à la prison centrale de Kinshasa et est inculpé d’incitation à la désobéissance civique, diffusion de fausses informations et d’atteinte à la sureté intérieure de l’État.
Autres activistes de la LUCHA arrêtés à Goma tôt dans la matinée du 16 février 2016, peu avant le début de la journée « ville morte » :
- Rebecca Kavugho
- Serge Sivya
- Justin Kambale
- John Anipenda
- Ghislain Muhiwa
- Melka Kamundu
Le 24 février, ces six activistes ont tous été condamnés à deux ans de prison pour incitation à la désobéissance à l’autorité publique. Le 4 mars, une cour d’appel a réduit leur peine de prison à six mois.
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Le Monde 15.03.16
RadioOkapi.net 15.03.16
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