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Maroc : Un éminent journaliste devant la justice

Les autorités devraient mettre fin aux entraves à la liberté d'expression au sujet du Sahara occidental

(Tunis, le 9 février 2016) – Les autorités marocaines devraient abandonner les poursuites engagées contre un éminent journaliste indépendant, accusé d'« atteinte à l'intégrité territoriale », a affirmé aujourd'hui Human Rights Watch. Le parlement devrait amender le projet de loi sur la presse qu'il examine actuellement en vue de supprimer ce délit, conçu pour sanctionner toute personne qui remet en cause les revendications du Maroc sur le Sahara occidental.

Le procès d'Ali Anouzla, rédacteur en chef du site d'informations en langue arabe Lakome2.com, qui devait s'ouvrir le 9 février 2016, est lié à une interview publiée par le quotidien allemand Bild, qui le cite qualifiant le Sahara occidental de territoire « occupé ». Ali Anouzla risque jusqu'à cinq ans de prison ainsi qu'une amende, aux termes de l'article 41 du code de la presse actuellement en vigueur, qui considère comme un délit toute publication « portant atteinte à la religion islamique, au régime monarchique ou à l'intégrité territoriale ».

Ali Anouzla, directeur du site d'informations marocain Lakome.com. © 2012 Lakome.com

« Le procès à venir d'Ali Anouzla vient rappeler que la plus tristement célèbre des lois marocaines visant à brimer la liberté de parole n'est pas une survivance d'un autre âge, mais bien un instrument opérationnel pour lutter contre les opposants, » a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Si le nouveau projet de code de la presse comporte des dispositions positives importantes, les législateurs devraient supprimer le délit d'“atteinte à l'intégrité territoriale” de ce dernier ainsi que de toutes les autres lois. »

Le Maroc revendique sa souveraineté sur le Sahara occidental, un territoire dont il s'est emparé en 1975 quand le pouvoir colonial espagnol s'est retiré. Les autorités marocaines rejettent le nom « Sahara occidental », désignant plutôt ce territoire comme « Sahara marocain » ou « provinces du Sud ». Les Nations Unies ne reconnaissent pas la souveraineté marocaine, désignent ce territoire comme « Sahara occidental », et le considère comme un « territoire non autonome » en droit de tenir un référendum sur son avenir politique.

Ali Anouzla nie avoir fait mention du « Sahara occidental occupé » dans son interview pour Bild, publiée en ligne le 14 novembre 2015. Il affirme que la publication a mal traduit de l'arabe ses propos sur « le Sahara ». Début février 2016, le quotidien a publié un rectificatif modifiant le texte pour dire « le Sahara ». Le procès est néanmoins programmé et doit se tenir au tribunal de première instance de Rabat, a déclaré Ali Anouzla à Human Rights Watch.

Le projet de Code de la Presse (No. 88-13), que le Conseil du gouvernement a approuvé le 23 décembre 2015, supprime les peines de prison et les amendes pour tous les délits d'expression non-violents, y compris les « atteintes à l'intégrité territoriale », mais stipule dans son article 71 qu'un tribunal conserve le pouvoir de suspendre une publication en cas d'infraction de ce type. De plus, les personnes condamnées pour ce délit peuvent toujours être envoyées en prison, aux termes du code pénal en vigueur comme des projets de révisions de ce dernier actuellement à l'étude. Le code pénal stipule dans son article 190 que « tout Marocain ou étranger qui a entrepris, par quelque moyen que ce soit, de porter atteinte à l'intégrité territoriale du Maroc est coupable d'atteinte à la sûreté extérieure de l’État », un délit pour lequel le suspect encourt jusqu'à 20 ans de réclusion en temps de paix, et la peine de mort en temps de guerre.

Le Maroc a mené une guerre contre le Front Polisario, l'organisation indépendantiste sahraouie soutenue par l'Algérie, de 1975 à 1991, quand l'ONU a négocié un cessez le feu articulé à un plan prévoyant un référendum sur l'autodétermination du Sahara occidental. Celui-ci n'a pas eu lieu.

Un projet d'addendum au code pénal (No. 73-15), approuvé par le Conseil du gouvernement le 23 décembre 2015, prévoit une peine de jusqu'à cinq ans d'emprisonnement ainsi qu'une amende pour « insulte à la religion islamique ou au régime monarchique ou incitation à porter atteinte à l'intégrité territoriale du pays. »

Les commentaires d'Ali Anouzla qui ont déclenché sa mise en accusation étaient formulés dans un contexte où il expliquait les contraintes qui pèsent sur les médias au Maroc :

Aucune loi n'interdit concrètement des sujets. C'est pourquoi le journalisme au Maroc est un terrain miné. Parmi les sujets dangereux figurent par exemple toute critique du palais, la corruption au sein des institutions gouvernementales, les violations des droits humains, la torture, les procédures judiciaires inéquitables ou la situation au Sahara. J'ai écrit sur tous ces sujets. Mais notre État préfère le journalisme de RP [relations presse].

La police judiciaire a convoqué Ali Anouzla le 24 novembre et l'a interrogé au sujet des termes « Sahara occidental occupé » dans l'article du Bild, a-t-il indiqué.

Ali Anouzla fait l'objet d'une enquête depuis 2013, dans le cadre d'une affaire antérieure, qui n'a ni abouti à un procès, ni été abandonnée. Il a été placé en détention provisoire pendant un mois en 2013, alors qu'on enquêtait sur lui pour « apologie » et « aide matérielle » au terrorisme, en raison d'un article publié sur son site web, qui se nommait à l'époque Lakome.com. Cet article racontait qu'Al-Qaïda au Maghreb islamique avait publié une vidéo en ligne, dans laquelle l'organisation s'en prenait pour la première fois à la monarchie et pressait les Marocains de rejoindre le djihad. Ce texte contenait un lien vers le site web d'un important quotidien espagnol, sur lequel figurait la vidéo.

Pendant le temps qu'Ali Anouzla a passé en prison, soit près de deux ans et demi, le juge d'instruction ne l'a interrogé que quelques fois, dont la dernière était le 26 novembre 2015.

L'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques autorise les gouvernements à imposer des restrictions à la liberté d'expression si celles-ci sont « expressément fixées par la loi et nécessaires à la sauvegarde de la sécurité national ou de l'ordre public. » Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, qui donne une interprétation faisant autorité du pacte, a écrit dans son commentaire général 34 que « les mesures restrictives doivent être conformes au principe de la proportionnalité; elles doivent être appropriées pour remplir leurs fonctions de protection, elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d'assurer ces fonctions de protection, et elles doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger. »


En d'autres termes, poursuivre quelqu'un qui exprime pacifiquement une opinion divergente sur la question du Sahara occidental, ou qui utilise une nomenclature officiellement exclue pour ce territoire, représente une entrave à la liberté d'expression qui ne peut se justifier aux termes du droit international des droits humains.

« Même si Ali Anouzla avait utilisé la phrase qu'il nie avoir prononcée, il devrait faire l'objet d'un débat public, mais pas de poursuites, » a affirmé Sarah Leah Whitson. « Au lieu de cela, un journaliste est jugé pour avoir mentionné les lignes rouges qui limitent l'activité des journalistes au Maroc. »

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À lire aussi :

Bladi.net 10.02.16 – report du procès au 22 mars

 

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