(Kinshasa) – Le gouvernement de la République démocratique du Congo devrait accroître la protection des élèves et des écoles dans les zones du pays touchées par les conflits armés, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Le gouvernement devrait souscrire à la Déclaration sur la sécurité dans les écoles – une déclaration internationale – et la mettre en œuvre.
Le rapport de 64 pages, intitulé « ‘Notre école devint un champ de bataille’ : L'utilisation des écoles comme lieu de recrutement et à des fins militaires en République démocratique du Congo », documente comment des groupes armés ont attaqué des écoles et recruté des enfants à l'école ou alors qu'ils se rendaient à l'école. Les groupes armés et l'armée congolaise ont également pris le contrôle d’écoles à des fins militaires. Un grand nombre d'enfants et de parents ont déclaré à Human Rights Watch que la peur d'être enlevés ou violés a empêché les élèves de fréquenter l'école.
« L'accès des enfants à l'éducation est le plus souvent un combat plutôt qu'un droit dans de nombreuses parties de la RD Congo », a déclaré Bede Sheppard, directeur adjoint de la division Droits de l'enfant à Human Rights Watch et co-auteur du rapport. « Faire en sorte que les élèves puissent fréquenter l’école en toute sécurité devrait être au cœur des efforts pour construire une paix durable en RD Congo. »
Le rapport s’appuie sur des entretiens menés auprès de plus de 120 personnes, dont des élèves, des enseignants et des responsables du ministère de l'Éducation et des Nations Unies basés dans les provinces du Nord Kivu et du Sud Kivu, dans l'est de la RD Congo, où des conflits sont en cours.
« Lorsqu’un combattant frappe à la porte d’une salle de classe, il faut répondre », a déclaré à Human Rights Watch une enseignante, décrivant comment un combattant a enlevé une élève. « Il a prononcé le nom d’une jeune élève. Je ne pouvais pas refuser. Alors j’ai appelé la fille qu'il a demandée, et elle l’a suivi. Il n’était pas armé, mais les combattants derrière lui l‘étaient. »
Le gouvernement congolais devrait se conformer à la résolution 2225 de 2015 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui encourage tous les pays à prendre des mesures concrètes pour dissuader l'utilisation militaire des écoles, a déclaré Human Rights Watch. Il devrait rapidement souscrire à la Déclaration internationale sur la sécurité dans les écoles, approuvée jusqu’au mois d'octobre par 49 pays, qui comprend des engagements à protéger l'éducation contre les attaques. Il devrait également revoir ses politiques, ses pratiques et sa formation militaires afin de s'assurer qu'elles soient, au minimum, conformes aux protections contenues dans les « Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés », qui fournissent des indications sur la manière dont les parties à un conflit armé devraient éviter d’empiéter sur la sécurité et l'éducation des élèves.
Le gouvernement congolais devrait également enquêter et traduire en justice les officiers de l’armée et les commandants de groupes armés responsables de recrutement et d’enlèvement d’enfants ainsi que d'autres violations des droits humains et du droit humanitaire internationaux, notamment les attaques illégales contre des écoles, les élèves et les enseignants, selon Human Rights Watch.
Les attaques contre des écoles et leur utilisation à des fins militaires par des combattants ont fortement augmenté au début de 2012, lorsque l'armée congolaise a entamé une campagne militaire contre le groupe rebelle M23 dans l'est de la RD Congo. La rébellion de 19 mois a pris fin en novembre 2013, après que l'armée congolaise et les forces de l'ONU aient vaincu le M23. Cependant, la défaite du M23 n'a pas entrainé la fin des hostilités dans le Nord Kivu et le Sud Kivu, car un grand nombre d'autres groupes armés continuent d'opérer dans ces provinces.
Un résident a expliqué la situation dans son école locale : « La première fois que les [rebelles] M23 sont venus attaquer, les FARDC [l'armée congolaise] avaient occupé notre école. Et lorsque les FARDC ont été chassés par les M23, ces derniers occupèrent notre école. Notre école devint un champ de bataille. »
Lorsque les parties belligérantes utilisent les écoles à des fins militaires, elles prennent parfois le contrôle de quelques salles de classe ou de l'aire de jeux. Dans d'autres situations, les combattants convertissent une école entière en base militaire, en caserne, en terrains d'entraînement, ou en stockage d’armes et de munitions. Les troupes qui occupent les écoles exposent les élèves et les enseignants à des dangers tels que le recrutement illégal, le travail forcé, les passages à tabac et les violences sexuelles.
L'utilisation militaire des écoles détériore, endommage et détruit l'infrastructure de l'éducation déjà insuffisante et de mauvaise qualité. Les combattants qui occupent les écoles brûlent souvent les murs en bois des bâtiments, des bureaux, des chaises et des livres en guise de combustible pour la cuisine et le chauffage. Les toits de tôle et autres matériaux peuvent être pillés et emportés pour être vendus aux fins personnelles des soldats.
L'utilisation d'une école pour des déploiements militaires peut conduire à des dommages supplémentaires à l'édifice, car elle peut faire de l'école une cible légitime pour une attaque ennemie. Même une fois évacuée, l'école peut encore constituer un environnement dangereux pour les enfants si les troupes laissent derrière elles des armes et des munitions non utilisées.
Dans un pays qui souffre déjà de possibilités insuffisantes pour une éducation de qualité, les dommages causés aux écoles en raison de l'usage militaire entravent davantage les perspectives d'éducation des élèves et leur avenir, selon Human Rights Watch.
Human Rights Watch a documenté des attaques contre des écoles ou l'utilisation des écoles à des fins militaires entre 2012 et 2014 par l'armée congolaise, le M23, divers groupes de miliciens hutus congolais connus sous le nom de Nyatura, Maï Maï Sheka ainsi que d'autres groupes Maï Maï et par les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR).
À travers la RD Congo en 2013 et 2014, l'ONU a établi l’existence d’attaques contre des écoles, des pillages d'écoles, ou l'utilisation militaire des écoles par l’Alliance des forces démocratiques (ADF), l'armée congolaise, les FDLR, le Front de résistance patriotique en Ituri (FRPI), le M23, Mai Mai LaFontaine, Mai Mai Yakutumba, les groupes Nyatura, l'Alliance du peuple pour un Congo libre et souverain (APCLS), le groupe Raia Mutomboki et l'Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP).
Au début de 2013, le ministre de la Défense de la RD Congo a émis une directive ministérielle à l’intention de l'armée indiquant que tous les militaires reconnus coupables de réquisitionner les écoles à des fins militaires seraient confrontés à des sanctions pénales et disciplinaires sévères. Cependant, Human Rights Watch n'a trouvé aucune législation congolaise ou doctrine militaire existantes interdisant explicitement ou réglementant la pratique de l'utilisation militaire des écoles, ou en faisant une infraction pénale.
« Les parents dans toute la RD Congo démontrent régulièrement la valeur qu'ils accordent à l’éducation que reçoivent leurs enfants, réunissant tant bien que mal les ressources permettant de payer les frais et autres coûts nécessaires pour scolariser leurs enfants », a conclu Bede Sheppard. « Ce n’est rien de moins que le développement futur et la stabilité de l'est de la RD Congo qui dépendent de la volonté du gouvernement de faire des écoles un endroit plus sûr pour que les enfants reçoivent une éducation de qualité. »
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Le Monde 30.10.15 (« Des écoles utilisées comme centre de recrutement … ») par Habibou Bangré