Glossaire des forces et des groupes armés dans l’est de la RD Congo
Plusieurs groupes armés non étatiques et les forces armées congolaises ont commis de graves exactions contre des civils dans l’est de la RD Congo entre 2012 et 2014. Certains de ces groupes sont décrits ci-après. Ils sont énumérés par ordre alphabétique. Des dizaines d'autres groupes armés sont également actifs dans l'est du pays.
Alliance des forces démocratiques (ADF)
L'Alliance des forces démocratiques (ADF) est un groupe armé islamique dirigé par des leaders ougandais. Ce groupe est actif au Nord-Kivu, dans le territoire de Beni, depuis 1996. Les combattants de l'ADF, notamment des Ougandais et des Congolais, sont responsables de l'assassinat de civils et de nombreux enlèvements commis ces dernières années.
Des civils qui avaient été précédemment détenus dans des camps de l'ADF ont déclaré avoir vu des morts par crucifixion, des exécutions de ceux qui tentaient de s'échapper et des prisonniers dont la bouche avait été cousue pour avoir prétendument menti à leurs ravisseurs. Certains captifs accusés de s'être « mal comportés » ont été retenus prisonniers dans des trous ou des cercueils tapissés de clous pendant plusieurs jours, voire plus d’une semaine. Les agresseurs violaient également les femmes, les obligeant à être leurs « femmes ».
Alliance du peuple pour un Congo libre et souverain (APCLS)
L'Alliance du peuple pour un Congo libre et souverain (APCLS) est un groupe armé à dominante ethnique hunde dirigé par Janvier Buingo Karairi. Il opère essentiellement dans la zone située au nord de Nyabiondo, dans l'ouest du territoire de Masisi. Les dirigeants du groupe prétendent protéger la population hunde de ce qu'ils décrivent comme une « invasion tutsie » et l'occupation des territoires de l'ouest du Masisi. L'APCLS est responsable de graves abus commis dans les zones qu'elle contrôle et lors d'opérations menées contre les forces adverses, notamment viols, enlèvements, incendies de maisons, détentions illégales, actes de torture, mauvais traitement et recrutements forcés d'enfants. Ils ont parfois opéré côte à côte avec les groupes FDLR et Nyatura.
Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC)
Créées en 2003, les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) dont l'effectif est estimé à 120 000 combattants, ont de lourds antécédents en matière d'exactions. Dans une large mesure, cela reflète l'absence d'obligation de rendre des comptes et la pratique gouvernementale consistant à intégrer dans l'armée d'anciens combattants des groupes armés sans formation officielle, ou sans « vetting » (ou vérification) de leur éventuelle implication dans des violations des droits humains commises dans le passé. Dans le contexte des opérations menées contre les groupes armés dans l’est de la RD Congo entre 2012 et 2014, des soldats ont été responsables d'exécutions sommaires, de viols, d'arrestations arbitraires et de mauvais traitements infligés aux collaborateurs présumés des groupes armés.
Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR)
Les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) sont l'un des groupes armés ayant perpétré le plus d'exactions dans l'est de la RD Congo au cours des deux dernières décennies. Il se compose en grande majorité de Hutus rwandais dont certains ont participé au génocide du Rwanda en 1994. Nombre d'entre eux ont fui le Rwanda vers la fin du génocide en 1994 et sont depuis restés dans l’est de la RD Congo. Les combattants FDLR sont responsables de crimes de guerre généralisés perpétrés dans l'est du Congo, notamment des massacres ethniques, des viols généralisés et le recrutement forcé d'enfants. Le commandant militaire du groupe, Sylvestre Mudacumura, un Rwandais à la tête des forces militaires FDLR depuis 2003, fait l'objet d'un mandat d'arrêt délivré par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre commis dans l’est de la RD Congo.[1] Ces dernières années, le nombre des combattants FDLR a diminué de manière significative, passant, selon les estimations, de 6 000 en 2008 à environ 1 000-1 500 en 2015 en raison de la pression militaire et des efforts de démobilisation. Toutefois, les combattants FDLR continue d'attaquer les civils dans l'est de la RD Congo, souvent de concert avec les groupes armés hutus congolais, notamment les Nyatura (voir ci-après).
M23
Le groupe M23 était principalement dirigé par des officiers tutsis ayant pris part à une rébellion précédente, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), avant d'être incorporés à l'armée début 2009 et d'en faire défection début 2012. Le nom du groupe vient de l'accord signé le 23 mars 2009 avec le gouvernement congolais. Le M23 a compté sur le soutien considérable des autorités militaires rwandaises qui planifiaient et commandaient les opérations, formaient les nouvelles recrues et les approvisionnaient en armes, munitions et autre matériel. Des centaines de jeunes hommes et garçons ont été recrutés au Rwanda et contraints de traverser la frontière de la RD Congo pour y combattre dans les rangs du M23. Entre avril 2012 et novembre 2013, lorsque le groupe fut défait, des combattants M23 ont été responsables de crimes de guerre généralisés, notamment d'exécutions sommaires, de viols et de recrutement forcé d'enfants, y compris par la force.
Mai Mai Kifuafua
Mai Mai Kifuafua est un groupe de défense locale majoritairement d'ethnie Tembo qui opère dans le sud-est du territoire de Walikale, dans le sud-ouest du territoire de Masisi et dans le nord du territoire de Kalehe. L'un des principaux dirigeants du groupe est Delphin Mbaenda. En 2012, des combattants Mai Mai Kifuafua se sont ralliés à la milice Raia Mutomboki lors d'attaques perpétrées contre des civils hutus dans le sud des territoires de Masisi et de Walikale, massacrant délibérément plusieurs centaines de civils. À la suite d'un différend entre les dirigeants de Mai Mai Kifuafua et des Raia Mutomboki début 2013, les combattants Kifuafua ont mené une série d'attaques contre les Raia Mutomboki et des civils vivant dans des zones placées sous leur contrôle.
Mai Mai Simba
Mai Mai Simba est l'un des plus anciens groupes armés dans l’est de la RD Congo dont les origines remontent à 1963. Constitué principalement de l'ethnie Kumu, ce groupe armé comptait en 2014, selon les estimations, environ 75 combattants basés au Parc national de la Maiko dans le territoire de Walikale et dans certaines régions de la province de Maniema, où ses combattants pratiquent le braconnage des éléphants pour le trafic d'ivoire et l'extraction de l'or dans la rivière Osso. À la suite de différents litiges avec Mai Mai Sheka pour le contrôle de sites miniers en 2013, les combattants Mai Mai Simba ont perpétré de graves exactions contre des personnes travaillant dans des mines d’or artisanales et d’autres civils accusés de collaborer avec ou de soutenir Mai Mai Sheka.
Nduma Defense of Congo (Mai Mai Sheka)
Le groupe Nduma Defense of Congo (NDC), également connu sous le nom de Mai Mai Sheka, est responsable d'attaques extrêmement brutales à l'encontre de civils perpétrées sur les territoires de Walikale et du nord-ouest de Masisi au cours des années passées. Mené par Ntabo Ntaberi Sheka, ancien commerçant de minéraux, le groupe se compose principalement de combattant appartenant à l'ethnie Nyanga. Les combattants de Sheka ont tué des dizaines de civils. La majorité des victimes étaient des civils hutus et hundes massacrées à coups de machette. Les combattants Sheka ont profané les cadavres et défilé en ville avec des parties du corps des victimes massacrées en criant qu'ils allaient « exterminer » tous les Hutus et les Hundes. Les combattants de Sheka ont également violé et torturé des centaines de civils. Des jeunes filles âgées de 12 ans à peine ont été réduites à l'état d'esclaves sexuelles pour les combattants Sheka. De nombreux combattants de Sheka sont des enfants ou d'anciens enfants qui avaient été recrutés par la force.
Nyatura
À l'éclatement de la rébellion M23 et à la montée du phénomène Raia Mutomboki (voir ci-dessous) début 2012, les groupes armés congolais hutus se sont disséminés sur l'ensemble du territoire Masisi et certaines zones des territoires de Rutshuru, Walikale et Kalehe. De nouveaux groupes se sont formés tandis que d'autres se sont reformés. Bien que nombre de ces groupes aient leur propre nom individuel ou qu'ils portent le nom de leurs commandants, on les appelle souvent collectivement Nyatura, ce qui signifie « frapper fort » en kinyarwanda, la langue du Rwanda. Les combattants Nyatura, agissant souvent de concert avec le FDLR, ont été responsables d'exactions généralisées, notamment d'exécutions sommaires, de viols et de recrutement forcé d'enfants, y compris par la force.
Raia Mutomboki
Le groupe Raia Mutomboki (« le peuple indigné » en swahili) est un réseau informel d'anciens miliciens, de soldats de militaires démobilisés et de jeunes qui se sont armés principalement de machettes et de lances pour protéger les civils des FDLR, tout en gagnant aussi le contrôle de zones d'extraction minière et de réseaux de taxation illégaux. Raia Mutomboki a souvent évité les affrontements directs avec les FDLR. Il a plutôt centré ses attaques, dans un premier temps, contre les familles des combattants de FDLR, les femmes réfugiées hutus rwandaises et les enfants vivant dans l’est de la RD Congo, puis dans un deuxième temps, sur la population ethnique hutue congolaise. En 2012, les combattants Raia Mutomboki ont massacré des centaines de civils à coups de machette et réduit en cendres des dizaines de villages.
Résumé
Lorsqu'un combattant frappe à la porte d’une salle de classe, il faut répondre.… Il a prononcé le nom d'une jeune élève. Je ne pouvais pas refuser. Alors, j'ai appelé la fille qu'il a demandée, et elle l’a suivi. Il n'était pas armé, mais les trois combattants derrière lui l’étaient.
— Une enseignante, territoire de Rutshuru, juillet 2013
La première fois que les [rebelles] M23 sont venus attaquer, les FARDC [l'armée congolaise] avaient occupé notre école… Et lorsque les FARDC ont été chassés par les M23, ces derniers occupèrent notre école…Notre école devint un champ de bataille.
— Un résident local, Rutsiro, janvier 2014
Pour de nombreux enfants dans l'est de la République démocratique du Congo désireux d'étudier, la présence d'hommes armés dans leur école est une image bien trop familière. Tandis que le pays est aux prises avec des combats entre les divers groupes armés et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), les violences commises par les troupes dans les écoles et alentour ont de graves conséquences pour la sécurité des étudiants, des enseignants et des administrateurs, compromettant en outre la capacité des élèves à apprendre.
Le présent rapport décrit la manière dont les écoles sont devenues la cible des attaques menées par les groupes armés engagés dans des conflits armés dans l’est de la RD Congo. Les parties belligérantes ont aussi enrôlé illégalement des enfants, y compris par la force, soit dans les écoles ou lorsqu'ils s'y rendaient, pour les utiliser soit au combat soit dans des rôles d'appui pour les combats. Ils ont enlevé d'innombrables jeunes filles à l'école pour les violer ou les réduire à l'état d'« esclaves sexuelles ». La peur de l'enlèvement et des violences sexuelles empêche beaucoup d'enfants d'aller à l'école. Les parents ne scolarisent parfois pas leurs enfants de peur que les groupes armés ne leur demandent le paiement de « taxes » officieuses imposées aux civils.
L'armée congolaise et les groupes armés non étatiques se sont également emparés des écoles à des fins militaires. Parfois, ils ne prennent que quelques classes ou la cour de récréation ; d'autres fois, les armées convertissent une école entière en base militaire, casernes, terrains d'entraînement ou dépôts d'armes et de munitions. Les troupes qui occupent les écoles exposent élèves et professeurs à des risques tels que le recrutement illégal, le travail forcé, ainsi que les violences sexuelles.
L'utilisation des écoles à des fins militaires détériore, endommage et détruit les infrastructures scolaires déjà insuffisantes et de piètre qualité. Les combattants qui occupent les écoles brûlent fréquemment les murs en bois, les bureaux, les tables et les livres qu'ils utilisent comme combustible pour la cuisine et le chauffage. Les toits de tôle et autres matériaux sont pillés et démantelés pour être vendus à des fins de gain personnel par les soldats.
L'utilisation des écoles à des fins de déploiements militaires peut entraîner davantage de dégâts causés aux bâtiments eux-mêmes du fait qu'ils deviennent une cible légitime pour l'ennemi. Même une fois les locaux évacués, l'école peut demeurer dangereuse pour les enfants si les troupes laissent derrière elles armes et munitions non utilisées.
Dans un pays déjà déficient en matière d'accès à une éducation de qualité, de tels dommages causés aux écoles en raison de leur utilisation à des fins militaires, constitue un obstacle aux perspectives d'éducation et à l'avenir des étudiants.
Selon le ministère de l'Éducation congolais, la province du Nord-Kivu, dans l’est de la RD Congo, avait le plus haut pourcentage d'enfants en âge d'aller à l'école non scolarisés de toutes les provinces du pays en 2012. Les probabilités pour un enfant vivant dans la province du Nord-Kivu de ne jamais aller à l'école sont plus importantes que pour un enfant né partout ailleurs dans le pays. Bien que la situation des enfants du Sud-Kivu soit légèrement meilleure, la peur de la criminalité et du conflit dans les deux parties de la province est une raison souvent invoquée pour expliquer le fait que les enfants abandonnent l'école ou qu'ils n'y sont jamais allés de leur vie.
En période de conflit et d'insécurité, le maintien à l'accès continu à l'éducation revêt une importance cruciale pour les enfants. À condition d'être des environnements sûrs et protecteurs, les écoles procurent un sentiment de normalité qui est essentiel au développement de l'enfant et à son bien-être psychologique. Les écoles sont également source d'informations importantes sur la sécurité et d'accès à certains services. Partout au Congo, les parents montrent en permanence l'importance qu'ils accordent au fait que leurs enfants reçoivent une éducation, rassemblant les moyens requis pour payer les frais et autres dépenses nécessaires à l'inscription de leurs enfants. Même lorsque les écoles sont endommagées ou détruites, les communautés trouvent souvent d'autres solutions par eux-mêmes, faisant l'école dans les églises ou des abris de fortune fabriqués à l'aide de bâtons et de bâches.
Du fait que de nombreuses écoles situées dans la partie est de la RD Congo sont construites grâce aux fonds collectés auprès des membres de la communauté locale plutôt qu'avec les fonds gouvernementaux, la perte d'une infrastructure scolaire représente une perte immédiate et concrète de l'investissement communautaire, ce qui a des répercussions sur l'avenir du fait de la perte continue de l'éducation des enfants.
Le gouvernement congolais devrait mener des enquêtes impartiales et engager des poursuites de manière appropriée à l'encontre des membres de l'armée et des commandants des groupes armés responsables du recrutement ou de l'enlèvement d'enfants et autres violations des droits humains et du droit international humanitaire, notamment les attaques illégales visant les écoles, les élèves et les enseignants.
Conformément à la résolution 2225 du Conseil de sécurité des Nations Unies, le gouvernement congolais devrait en outre prendre des mesures concrètes afin de dissuader l'utilisation des écoles à des fins militaires. Il devrait signer rapidement la « Déclaration sur la sécurité dans les écoles », déjà entérinée par 49 pays au mois d’octobre 2015 et dont l'objectif est de protéger l'éducation contre les attaques. De plus, il devrait revoir ses politiques, pratiques et formations militaires afin de garantir, à tout le moins, leur adéquation par rapport aux protections énoncées dans les « Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés » qui donnent des orientations aux parties à un conflit armé quant à la manière d'éviter d'empiéter sur la sécurité et l'éducation des élèves.
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Le présent rapport se fonde sur des entretiens menés avec plus de 120 personnes, notamment des élèves, enseignants, parents, administrateurs d'école, responsables de villages, chefs religieux, représentants du ministère de l'Éducation. Fonctionnaires de l’ONU, ainsi qu’avec des membres d'organisations congolaises et internationales non gouvernementales (ONG) basées dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Les attaques visant des écoles et leur utilisation à des fins militaires par les combattants ont fortement augmenté début 2012, lorsque l'émergence d'un important nouveau groupe de rebelles, le M23, a conduit à l'intensification des opérations par l'armée congolaise, d'une part, et à l'accentuation de l'activité et des attaques contre les civils par de nombreux autres groupes armés dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, d'autre part. La rébellion d'une durée de 19 mois prit fin début novembre 2013, après que l'armée congolaise et les forces de maintien de la paix de l'ONU, notamment une nouvelle brigade d'intervention internationale mandatée pour neutraliser les groupes armés, causèrent la défaite du M23 sur le champ de bataille.
Toutefois, la défaite militaire du M23 ne marqua pas la fin des hostilités dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, car de nombreux autres groupes armés continuent à opérer dans ces provinces.
Human Rights Watch a mis en évidence les attaques visant les écoles ou l'utilisation des écoles à des fins militaires par l'armée congolaise, le M23, divers groupes de milices hutus congolais connus sous le nom de Nyatura, les groupes Mai Mai Sheka et d'autres groupes Mai Mai, et les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé à dominante hutu rwandaise dont certains membres ont participé au génocide du Rwanda en 1994. À travers tout la RD Congo en 2013 et 2014, les Nations Unies ont vérifié les attaques menées contre les écoles, le pillage dont elles ont fait l'objet ou l'utilisation des écoles à des fins militaires par l'Alliance des forces démocratiques (ADF), l'armée congolaise, les FDLR, la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI), le M23, Mai Mai
LaFontaine, Mai Mai Yakutumba, les groupes Nyatura, l'Alliance du peuple pour un Congo libre et souverain (APCLS), le groupe Raia Mutomboki et l'Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP).
Les attaques perpétrées contre des écoles qui ne sont pas utilisées à des fins militaires, délibérées et indiscriminées, constituent des violations du droit international humanitaire et des lois de la guerre. Ceux qui commettent ou commandent de telles attaques avec une intention criminelle sont coupables de crimes de guerre.
L'utilisation des écoles à des fins militaires peut également entraîner des violations du droit international humanitaire et des droits humains. Les lois de la guerre exigent des parties à un conflit qu'elles prennent toutes les précautions nécessaires pour protéger la population civile et les objets civils tels que les écoles placés sous leur contrôle contre les effets des attaques. En outre, chacune des parties à un conflit doit éloigner des objectifs militaires, dans la mesure du possible, les civils placés sous leur autorité. Par conséquent, l'utilisation simultanée d'une école comme base militaire, caserne ou position de tir et de centre éducatif est illégale.
De plus, le droit international relatif aux droits humains applicable en temps de paix comme en temps de guerre, garantit le droit des élèves à l'éducation. Du fait que l'utilisation généralisée d'une école par des forces armées ou des groupes armés affecte la capacité des enfants à suivre les cours dans un environnement propice aux apprentissages, cela constitue une menace à leur droit à l'éducation tel qu'il est garanti aux termes du droit international sur les droits humains et de la constitution congolaise. Aussi brève soit-elle, l'utilisation des écoles peut les rendre simplement inopérantes.
Davantage d'attention, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale, est portée sur les conséquences négatives de l'utilisation des écoles à des fins militaires. L'armée congolaise et le ministère de Défense ont commencé à examiner le développement de protections explicites des écoles contre l'utilisation militaire. Après l'occupation par des soldats de l'armée congolaise de dizaines d'écoles dans la zone autour de Minova à la suite de la prise de contrôle de Goma par le groupe rebelle M23 en novembre 2012, le commandant militaire du Nord-Kivu a ordonné à tous les soldats d'évacuer les écoles.
Début 2013, le ministre de la Défense congolais de l'époque, Alexandre Luba Ntambo, a publié une directive ministérielle pour l'armée congolaise énonçant que l'ensemble des personnels militaires reconnus coupables de réquisitionner les écoles à des fins militaires seraient passible de sanctions pénales et disciplinaires sévères. Pourtant, Human Rights Watch n'a pas connaissance d'une quelconque législation existante ou d'une doctrine militaire interdisant ou régulant de manière explicite la pratique de l'utilisation des écoles à des fins militaires, a fortiori d'une législation faisant de cette pratique une infraction criminelle.
Tandis que les enfants congolais luttent pour se remettre des traumatismes générés par les violences subies dans leurs villages, leurs foyers et leurs écoles, la responsabilité première du gouvernement est d'assurer aux communautés qui ont perdu leurs infrastructures scolaires en raison de leur occupation et de leur utilisation par les forces gouvernementales et les groupes armés, les ressources pour réparer et reconstruire les établissements d'enseignement.
Le gouvernement devrait aussi aider à protéger les enfants contre de futures incursions dans leurs écoles en adoptant des lois ou règlements interdisant explicitement aux forces et aux groupes armés l'utilisation et l'occupation des écoles, des cours de récréation ou autres installations scolaires d'une manière qui menacerait les civils ou les objets civils ou qui enfreindrait le droit des enfants à l'éducation en vertu du droit international relatif aux droits humains. Cela s'inscrirait dans le droit fil de la résolution 2225 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée en juin 2015 qui encourage tous les États à prendre des mesures concrètes pour dissuader l'utilisation des écoles à des fins militaires.
Les groupes armés non étatiques devraient également adopter et publier des politiques visant à bannir l'utilisation des écoles par leurs forces.
L'accès des enfants à l'éducation est plus souvent une lutte qu'un droit dans de nombreux territoires de la RD Congo. Ramener les élèves à l'école est essentiel à la protection des enfants et devrait être au cœur des efforts visant à construire une paix durable au Congo.
Recommandations
À l'attention du gouvernement congolais
- Mener des enquêtes impartiales et engager des poursuites de manière appropriée à l'encontre des membres de l'armée et des commandants des groupes armés responsables du recrutement ou de l'enlèvement d'enfants et autres violations du droit international humanitaire et de droit international relatif aux droits humains, notamment les attaques illégales visant les écoles, les étudiants et les enseignants.
- Conformément à la résolution 2225 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adopter des mesures concrètes pour dissuader l'utilisation des écoles à des fins militaires. Promulguer des lois interdisant aux forces armées congolaises et aux groupes armés non étatiques d'utiliser ou d'occuper les écoles, les cours de récréation ou autres installations scolaires d'une manière qui enfreint la législation internationale des droits humains, notamment l'obligation de prendre toutes les précautions nécessaires pour protéger les civils contre les effets des attaques.
- S’assurer que les étudiants privés d'installations scolaires à la suite d'un conflit armé aient rapidement accès à des écoles alternatives, dotées notamment de matériel scolaire adéquat pendant la durée de réparation ou de reconstruction de leurs propres écoles.
- S’assurer que les enseignants, les étudiants, les femmes et les jeunes filles en général victimes de viol et de violences sexuelles bénéficient d'une aide et d'un soutien psychologiques ainsi qu'un accès immédiat à un traitement adapté à leurs blessures, une contraception d'urgence et des services d'avortement sûrs et légaux. Veiller à ce qu'elles aient le droit d'accéder à la santé sexuelle et génésique ainsi qu'à un accompagnement psychosocial. Élaborer un plan d'assistance aux enfants nés d'un viol afin de leur garantir, ainsi qu'à leur mère, l'accès à la protection et des services adéquats.
- Adhérer à la « Déclaration sur la sécurité dans les écoles » (Annexe I), et s’engager ainsi a minima à faire valoir les « Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés » (Annexe II).
À l'attention de l'armée congolaise
- Ordonner aux officiers commandants de ne pas utiliser les infrastructures ou les biens scolaires en guise de camps, casernes, sites de déploiement ou dépôts d'armes, de munitions et d'approvisionnement lorsque cela ferait courir des risques inutiles aux civils ou que cela priverait les enfants de leur droit à l'éducation. S’appuyer sur des exemples de bonnes pratiques tirées des « Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés ».
À l'attention de tous les groupes armés
- Cesser l'enlèvement et le recrutement, par la force ou autre, de tout individu de moins de 18 ans dans les groupes armés, pour quelque usage que ce soit. Sanctionner de manière adéquate les commandants qui exercent ce genre de pratiques.
- Libérer tout individu de moins de 18 ans enrôlé dans un groupe armé et garantissez son retour sécurisé en coopération avec les agences des Nations Unies. Autoriser tout individu de moins de 18 ans à quitter les groupes armés.
- Ordonner aux commandants de ne pas utiliser les infrastructures ou les biens scolaires en guise de camps, casernes, sites de déploiement ou dépôts d'armes, de munitions et d'approvisionnement lorsque cela ferait courir des risques inutiles aux civils ou que cela priverait les enfants de leur droit à l'éducation.
- S’appuyer sur des exemples de bonnes pratiques, notamment par des acteurs non étatiques, tirées des « Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés ».
À l'attention de la Mission de l'Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUSCO), de Cluster Education et de l'Équipe-pays des Nations Unies
- Continuer à surveiller, rendre compte et répondre aux attaques visant les écoles, l'utilisation des écoles à des fins militaires et les enlèvements et le recrutement d'enfants. S’assurer que la surveillance et la communication des attaques à l'encontre des étudiants, des enseignants et des écoles, ainsi que l'utilisation des écoles à des fins militaires, soient conformes à la Note d'orientation sur la Résolution 1998 (2011) du Conseil de sécurité publiée en 2014 par le Représentant spécial du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés, afin de garantir des données de meilleure qualité et plus cohérentes.
- Continuer de préconiser à l'armée congolaise et à tous les groupes armés qui utilisent les écoles à des fins militaires d'évacuer les écoles et de garantir aux élèves leur retour dans les établissements scolaires en toute sécurité.
- Travailler avec l'armée et tous les groupes armés avec lesquels des plans d'action ont été conclus ou sont en cours de négociation afin de répondre aux attaques visant les écoles et à l'utilisation des écoles à des fins militaires.
- Travailler avec l'armée et tous les groupes armés identifiés comme utilisant les écoles à des fins militaires pour élaborer des mesures concrètes les dissuadant d'y recourir.
À l'attention des pays qui fournissent une formation et de l’aide militaires aux Forces armées congolaises, notamment la Belgique, la Chine, la France, l'Afrique du Sud et les États-Unis
- Partager les exemples de bonne pratique consistant à éviter l'utilisation des écoles à des fins militaires et offrir des formations qui utilisent les « Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés ».
À l'attention des pays donateurs et des agences des Nations Unies
- Dénoncer publiquement les attaques visant les écoles et l'utilisation illégale des écoles à des fins militaires par l'armée congolaise et les groupes armés et demandez à ce que les responsables fassent l'objet d'une enquête impartiale et que des poursuites appropriées soient entreprises à leur encontre.
- En cas d’apport d’aide à la reconstruction des écoles ou du secteur de l'éducation en général, inciter le gouvernement congolais à adopter des mesures de protection en faveur des écoles contre l'utilisation militaire.
- Exhorter le gouvernement congolais publiquement et en privé à adopter les recommandations énoncées ci-dessus.
Méthodologie
Le présent rapport s'appuie sur des entretiens avec plus de 120 personnes, notamment 19 enfants âgés de 10 à 17 ans, menés entre juin et juillet 2013 ainsi que sur des recherches complémentaires réalisées par Human Rights Watch dans la région depuis cette période. Il couvre des incidents survenus entre avril 2012 et décembre 2014 dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Human Rights Watch a interrogé des étudiants, enseignants, parents, directeurs d'école, leaders de villages, chefs religieux, représentants du ministère de l'Éducation, des fonctionnaires de l’ONU, ainsi que des membres d'organisations locales et internationales non gouvernementales (ONG). Ces entretiens ont été menés dans des endroits sûrs et discrets dans ou à proximité de centres de population.
Des pseudonymes ont été utilisés pour remplacer le véritable nom de tous les enfants cités dans ce rapport. Pour des raisons de sécurité, les noms de nombreux adultes interrogés ont également été omis de ce rapport, Tous les entretiens ont été menés sur la base d'un consentement éclairé. Aucune indemnisation n'a été accordée en échange d'un entretien.
Le présent rapport est axé sur les abus perpétrés par l'armée nationale congolaise et les groupes armés non étatiques qui frappent l'éducation dans l’est de la RD Congo ; il n'aborde par conséquent pas d'autres facteurs, nombreux et déterminants, en matière d'accès et de qualité de l'éducation, notamment l'engagement de l'État quant au droit à l'éducation et l'utilisation des écoles dans l'est du pays pour fournir des abris aux personnes déplacées.
I. Contexte
Le conflit armé qui se déroule en République démocratique du Congo depuis deux décennies, principalement dans l’est du pays, a entraîné la mort d'environ cinq millions de personnes causée par la violence, les combats, la faim et la maladie. Des combattants de dizaines de groupes armés étrangers et congolais, des soldats de l'armée congolaise et des armées rwandaise et ougandaise ont procédé à des massacres, des viols, des exécutions sommaires, des actes de torture, de pillage, d'incendie criminel et de recrutement d'enfants au sein de leurs forces. Le viol comme tactique de guerre a particulièrement caractérisé le conflit, des centaines de milliers de femmes et de jeunes filles ayant subi des violences sexuelles.
Le conflit dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, 2012-2015
Le conflit armé a perduré dans l'est de la RD Congo de 2012 à 2015, période durant laquelle l'armée congolaise et divers groupes armés ont été responsables de nombreuses et graves exactions commises à l'encontre des civils.
Combats entre les rebelles M23 et l'armée congolaise
En mars 2012, Bosco Ntaganda, ancien rebelle devenu général dans l'armée congolaise, a fait défection avec plusieurs centaines de membres du groupe rebelle Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). La mutinerie a éclaté après que le gouvernement eut indiqué qu’il prévoyait de déployer d'anciens soldats CNDP en dehors des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Une structure militaire parallèle avait été établie dans ces deux provinces avec des troupes fidèles à Ntaganda qui étaient responsables d'assassinats ciblés, de viols généralisés, d'enlèvements, de vols et de pillages des ressources. Les troupes de Ntaganda ont recruté de force au moins 149 personnes, y compris au moins 48 enfants, à Masisi, dans le Nord-Kivu, en avril et mai 2012.[2]
À la suite de la défaite de la mutinerie de Ntaganda par l'armée congolaise en avril, les anciens membres CNDP menés par le colonel Sultani Makenga ont lancé une nouvelle mutinerie dans le territoire de Rutshuru, dans le Nord-Kivu. Ntaganda et des troupes qui lui étaient fidèles se sont ralliés à cette nouvelle rébellion.[3]
La rébellion M23 a reçu un appui important de la part des responsables militaires rwandais, notamment en matière de planification et de commandement des opérations militaires et d'approvisionnement en armes et munitions. Au moins 600 jeunes hommes et garçons ont été recrutés de force ou sous de faux prétextes au Rwanda pour rejoindre la rébellion.[4]
Durant les 12 jours d'occupation des villes de Goma et de Sake, dans l'est du pays en novembre 2012, les combattants M23 ont exécuté sommairement au moins 24 personnes, violé au moins 36 femmes et jeunes filles, pillé des centaines d'habitations, de bureaux et de véhicules et ont enrôle par la force dans leurs rangs des soldats de l'armée, des médecins, des policiers et des civils.[5]
Tandis que les soldats du gouvernement fuyaient l'avancée des troupes du M23 sur Goma, ils se sont livrés à des actes de violence, violant au moins 76 femmes et jeunes filles dans et aux alentours de la ville de Minova, dans le Sud-Kivu, selon les recherches de Human Rights Watch. Le groupe M23 s'est retiré de Goma le 2 décembre lorsque le gouvernement a accepté d'engager des pourparlers de paix à Kampala, Ouganda.[6]
À la suite de luttes internes au sein du M23, Bosco Ntaganda s'est rendu à l'ambassade américaine du Rwanda en mars 2013. En septembre 2015, son procès vient de s'ouvrir à la Cour pénale internationale (CPI) où il doit répondre des chefs d'inculpation portés contre lui de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité perpétrés en 2002 et 2003.[7]
Le groupe M23 a été défait en novembre 2013 à la suite de pressions internationales exercées sur ses commanditaires rwandais et le déploiement d'une « Brigade d'intervention » des Nations Unies destinée à mener des opérations offensives contre les groupes armés et à renforcer la mission de maintien de la paix de l'ONU. Plusieurs milliers de combattants appartenant à d'autres groupes armés ont fait défection dans les semaines qui ont suivi.
Le 12 décembre 2013, le groupe M23 et le gouvernement congolais ont signé des déclarations à Nairobi, marquant la fin de la rébellion M23 et la conclusion des pourparlers de Kampala d'une durée de 12 mois. Les déclarations comprenaient des engagements en matière de désarmement, de démobilisation et de réintégration d'anciens membres du M23. Elles s'engageaient aussi à ne pas amnistier les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.
Toutefois, le gouvernement s'est enlisé dans la mise en œuvre du programme de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) des anciens combattants et peu d'efforts ont été déployés pour traîner en justice les responsables du M23 et d'autres groupes armés impliqués dans les exactions. À l'heure où le présent rapport a été rédigé, la plupart des anciens combattants du M23 étaient toujours en Ouganda et au Rwanda et leurs responsables toujours en liberté.[8]
Attaques de civils par d'autres groupes armés
Tandis que les militaires congolais faisaient converger leurs efforts sur la défaite du M23, de nombreux autres groupes armés perpétraient des attaques atroces contre les civils dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Les groupes Raia Mutomboki, Nyatura, Mai Mai Sheka, Mai Mai Kifuafua et les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) figurent parmi les groupes concernés.[9]
Des combattants appartenant à un groupe armé appelé Raia Mutomboki ont massacré des familles entières à coups de machettes et de lances, ciblant particulièrement les civils hutus. Des soldats d'un autre groupe armé, Mai Mai Sheka, ont enlevé de jeunes écoliers, les ont emmenés dans la forêt et ont tué ceux qui étaient trop fatigués ou trop faibles. Ils ont aussi massacré et mutilé des civils et ont réduit en esclavage sexuel des dizaines de jeunes filles. Des combattants FDLR ont rassemblé et violé collectivement des femmes et des jeunes filles, dont certaines n'avaient que 7 ans. Plusieurs d'entre elles, attaquées sauvagement, ont succombé à leurs blessures. L'armée congolaise, déployée en opérations pour lutter contre ces groupes armés, a à son tour attaqué les civils qu'elle était censée protéger.
L'éducation dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu
La constitution congolaise garantit à tout un chacun le droit à l'éducation. Elle garantit en outre le droit à l'école primaire gratuite et obligatoire dans les écoles publiques pendant six ans aux élèves âgés de 6 à 11 ans.[10] Malheureusement, la réalité est loin de cette promesse.
Il y a quatre catégories d'écoles au Congo : 1) celles qui sont placées sous le contrôle direct du gouvernement, 2) les écoles dites « en réseau » appelées également « écoles réglementées par le gouvernement » ou « écoles conventionnées » qui sont généralement gérées par des groupes religieux ou sociaux en accord avec le gouvernement, 3) des écoles privées accréditées par le gouvernement et 4) des écoles privées non accréditées par le gouvernement. Les deux premières catégories d'écoles sont généralement considérées comme des écoles gouvernementales publiques, les « écoles en réseau » étant responsables de la majorité des enfants. Dans les écoles publiques, le paiement des enseignants et du personnel administratif est à la charge du gouvernement, bien que les « écoles en réseau » emploient leurs propres enseignants et mobilisent parfois également d'autres ressources, en général de la communauté locale, par exemple pour construire les infrastructures. Une comparaison entre le total des dépenses d'éducation des ménages de 2010 à 2011 et le budget total du ministère de l'Éducation pendant la même période a montré que les ménages ont dépensé presque trois fois plus que le gouvernement ne l'a fait pour l'éducation.[11] Comme le directeur d'une école de Kalehe l'a déclaré à Human Rights Watch : « Ce sont les parents qui contribuent pour tout. »[12]
Le secteur de l'éducation a été gravement touché par les effets négatifs des diverses crises qui ont eu lieu dans le pays depuis des décennies, en particulier en matière d'investissement gouvernemental.[13] En 2010, le gouvernement congolais a décrété une transition graduelle vers la gratuité de l'école primaire, mais la suppression des frais de scolarité, d'inscription et autres dépenses annexes n'est pas universelle. Pour beaucoup de familles, ces frais demeurent un obstacle. Comme un parent membre d'un comité scolaire l'a déclaré à Human Rights Watch : « Les parents n'ont pas les ressources financières pour payer des frais de scolarité ».[14] Un autre parent a expliqué : « Mes enfants allaient à l'école, mais je n'ai plus les moyens de payer les frais de scolarité, alors, ils n'y vont plus ».[15]
Selon une étude réalisée par le ministère de l'Enseignement primaire, secondaire et professionnel en 2012, la proportion des enfants âgés de 5 à 17 ans qui ne sont pas scolarisés (soit ceux qui n'ont jamais été inscrits à l'école ou ceux qui l'ont arrêtée) est estimée à 29 pour cent.[16] Pour la tranche d'âge 6-11 ans, c'est-à-dire les enfants pour lesquels l'école primaire est obligatoire, 27 pour cent ne sont pas scolarisés.[17] Les filles représentent plus de la moitié d'entre eux.
Les statistiques du Nord-Kivu sont particulièrement mauvaises. Le Nord-Kivu enregistre la plus grande proportion d'enfants âgés de 5 à 17 ans non scolarisés de la nation, avec 44 pour cent. Le Sud-Kivu est la cinquième région la plus touchée, avec 30 pour cent d'enfants non scolarisés.[18] Pour les enfants en âge d'aller à l'école primaire, le Nord-Kivu détient là aussi la plus forte proportion d'enfants non scolarisés du pays avec 40 pour cent, tandis que le Sud-Kivu vient en cinquième position avec 27 pour cent.
La probabilité qu’un enfant vivant dans le Nord-Kivu n’aille jamais à l'école est supérieure à celle concernant un enfant vivant n'importe où ailleurs dans le pays. Seuls 79 pour cent entreront à l'école avant d'atteindre l'âge de 12 ans.[19] En outre, un enfant scolarisé dans le Nord-Kivu a davantage de probabilités de ne pas accomplir 12 années de scolarité (40 pour cent quittent l'école) que n'importe où ailleurs dans le pays. Le Sud-Kivu vient en troisième position, avec 37 pour cent des élèves qui abandonnent l'école.[20]
Divers facteurs expliquent le faible taux d'inscription scolaire et celui d'abandon élevé en RD Congo, notamment de faibles revenus et le niveau d'éducation peu élevé de certains parents, le mariage précoce et le mariage des enfants, le travail des enfants dans l'agriculture et les mines, le financement insuffisant de l'éducation et le manque de place dans les écoles. Toutefois, selon l'enquête réalisée en 2012, 16 pour cent des enfants du Sud-Kivu et 8 pour cent de ceux du Nord-Kivu ayant quitté l'école l'ont fait, du moins en partie, en raison de préoccupations relatives à « la peur de la criminalité et du conflit ». En effet, dans le Sud-Kivu, c'est le troisième motif invoqué pour expliquer les raisons pour lesquelles les élèves abandonnent l'école après « l'argent » et les « contraintes familiales». À l'inverse, 15 pour cent des répondants dans le Nord-Kivu et 10 pour cent dans le Sud-Kivu ont cité « la peur de la criminalité et du conflit » comme motif expliquant pourquoi les enfants n'ont jamais fréquenté l'école. Au Nord-Kivu, c'est la troisième raison invoquée après « l'argent » et « l'absence d'école à proximité ». Là encore, le Nord-Kivu et Sud-Kivu détenaient les records du pays en matière de pourcentage d'enfants n'ayant jamais été scolarisés par « peur de la criminalité et du conflit ».[21]
La proportion d'enfants dont la scolarité a été touchée par le conflit a fait un bond en 2012 à l'éclosion de nouveaux combats au Nord-Kivu. Selon l'UNICEF, l'Agence des Nations Unies pour les enfants, au moins 240 000 élèves ont manqué des semaines d'école en raison du conflit entre avril et décembre 2012.[22]
C'est dans le cadre de cette sombre perspective éducative que les attaques visant des écoles et que l'utilisation des établissements scolaires à des fins militaires n'ont fait qu'aggraver une situation déjà médiocre.
II. Attaques contre les élèves et les écoles
Lorsque la guerre a éclaté, [Ntabo Ntaberi] Sheka ne voulait pas que les écoles fonctionnent… Il a déclaré « Aucune école n’est mieux que cette arme. »
— Un parent vivant à Pinga, juillet 2013
Le 4 octobre 2012, le gouvernement congolais a adopté un plan d'action pour la prévention du recrutement et l'utilisation des enfants, des violences sexuelles et autres graves violations des droits de l'enfant par les forces armées nationales et d'autres forces de sécurité de l'État. En juillet 2014, le gouvernement a nommé Jeannine Mabunda Lioko Mudiayi au poste de Conseiller présidentiel sur la violence sexuelle et le recrutement des enfants dans les conflits. Le gouvernement a travaillé de concert avec les Agences pour la protection de l'enfance des Nations Unies pour faire sortir de l'armée les enfants soldats et prévenir l'incorporation dans l'armée d'enfants issus de groupes armés.
Pourtant, comme le décrit le présent chapitre, de nombreux groupes armés ont attaqué des écoles, des élèves et des enseignants. Ils ont pillé des établissements scolaires, enlevé et recruté des enfants dans les cours de récréation ou sur le chemin de l'école. Selon la documentation de l'ONU et les recherches menées par Human Rights Watch, entre 2012 et 2014, le M23, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), les groupes Nyatura, Mai Mai Sheka, l'Alliance des forces démocratiques (ADF), l'Alliance du peuple pour un Congo libre et souverain (APCLS), Mai Mai Yakutumba, Mai Mai LaFontaine, la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI), et l'Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP) se sont livrés à de tels abus dans l’est de la RD Congo.[23]
La peur de l'enlèvement à l'école ou sur le chemin de l'école empêche parfois les élèves d'assister aux cours. Un responsable d'établissement a cité le nom de sept de ses élèves ayant été enlevés par les combattants de Bosco Ntaganda alors qu'ils rentraient chez eux après l'école en avril 2012. « Ayant appris la nouvelle », a déclaré ce responsable, « tous les autres élèves avaient peur d'assister aux cours. »[24]
Enlèvement d'enfants à l'école par Mai Mai Sheka
Le 27 septembre 2013, des combattants Mai Mai Sheka ont attaqué l'école primaire de Butemure, un village dans l’ouest du territoire de Masisi. Ils ont enlevé environ 20 élèves, faisant usage de bâtons et de baïonnettes pour battre les enfants qui tentaient de s'échapper, en blessant gravement au moins six d'entre eux. Les combattants Sheka se sont également livrés au pillage de l'école, d'une autre école primaire située à Lwibo et d'un centre de santé à Butemure.[25]
Six jours durant, les combattants ont traversé à pied les forêts de Lwibo à Pinga avec les enfants et d'autres prisonniers.[26]
Une enfant de 6 ans a raconté à Human Rights Watch les blessures que lui ont infligées les combattants Sheka :
J'ai vu des gens armés venir vers nous, alors nous nous sommes enfuis. Dans la cour de récréation, l'un des soldats m'a frappée à coup de fusil et je suis tombée. Lorsque j'ai repris connaissance, il ne restait plus personne dans la cour. Il(s) m'avai(en)t frappée derrière le crâne et il y avait du sang partout. Je suis rentrée chez moi, mais ni mon père ni ma mère n'étaient là. Je suis alors allée à l'endroit où nous nous cachons habituellement près du champ et j'y ai trouvé ma tante. Elle m'a soignée avec des feuilles de plantes.[27]
Tandis que certains ont pu s'échapper lors du voyage, au moins un enfant enlevé a été tué par les combattants Sheka avant que le groupe n'arrive à Pinga. Une petite fille de 6 ans enlevée à Lwibo a raconté à Human Rights Watch la manière dont il avait été tué pendant le voyage, car il ne marchait pas assez vite. « Ils lui ont ouvert le crâne à coups de machette, puis ils ont jeté son corps dans la rivière (le fleuve) » a-t-elle déclaré. Plus tard, les combattants de Sheka ont planté un couteau dans le pied et près de l'œil droit de cette petite fille, mais elle a survécu.[28]
Une jeune femme hutue de 22 ans qui s'était échappée a rapporté à Human Rights Watch les propos d'un soldat : « Tous les enfants trop fatigués pour continuer à marcher seront tués comme celui qui a été tué tout à l'heure. »[29]
Une femme âgée de 48 ans enlevée à Lwibo a déclaré à Human Rights Watch :
Lorsqu'on n'avançait pas assez vite, ils nous frappaient à coups de bâtons ou de crosses de fusil pour nous forcer à aller plus vite. Ceux qui étaient en bonne condition physique avançaient plus vite que ceux d'entre nous qui étaient plus âgés. Certains enfants étaient fatigués et je crois qu'ils en ont tué quelques-uns. J'ai entendu un enfant crier « Mama wee » [un appel au secours en swahili utilisé par les jeunes enfants]. On ne l'a plus jamais revu. Il avait environ 6 ans.[30]
Seuls 12 enfants et 2 adultes enlevés sont parvenus à Pinga le 3 octobre.[31] Ils y sont restés prisonniers pendant deux semaines avant d'être relâchés à la suite d'interventions par la Mission de l'ONU en RD Congo (MONUSCO) et d'autres organisations internationales.
Des témoins et un ancien combattant Sheka ont déclaré à Human Rights Watch que l'un des responsables de l'attaque était un commandant du groupe Mai Mai Sheka connu sous le nom de « Tondeuse ».[32] Des témoins ont affirmé que des combattants Raia Mutomboki alliés à des soldats Mai Mai Sheka avaient aussi participé à l'attaque.[33]
Un rapport de l'ONU d'octobre 2013 sur le recrutement des enfants par les groupes armés a relevé des allégations selon lesquelles 30 à 40 pour cent des éléments de la milice Nduma Defense of Congo (NDC)/Sheka sous le commandement de Ntabo Ntaberi Sheka avaient moins de 18 ans et que les enfants parvenaient rarement à se rendre ou à s'échapper, la sanction pour désertion étant présumément une balle dans le genou ou la décapitation.[34]
Recrutement d’enfants dans les écoles par le M23
Lorsque Bosco Ntaganda et ses fidèles ont fait défection de l'armée congolaise en mars 2012, avant l'éclosion de la rébellion du groupe M23, ils ont déclaré aux civils dans le territoire de Masisi que leurs forces avaient besoin d'enfants et de jeunes hommes. Une femme a affirmé à Human Rights Watch que Ntaganda était venu dans le village de Birambizo et qu'il avait déclaré : « Depuis que vous [les villageoises] êtes avec le gouvernement, vous n'avez rien eu. Pourquoi ne pas me rejoindre ? » Puis elle a continué : « [Ntaganda] nous a demandé de lui donner nos enfants, nos élèves pour lutter à ses côtés. Il est venu dans notre village en personne... Mais nous avons refusé et lui avons dit que nos enfants devaient aller à l'école. »
Les jours d'après, les soldats de Ntaganda ont pris des enfants de force, les enlevant de leurs écoles ou chez eux, dans les champs ou au bord de la route tandis qu'ils tentaient de fuir à pied ou à motos-taxis. Un certain nombre de ceux qui avaient été recrutés par la force ont reçu une formation militaire rudimentaire, mais la majorité était immédiatement obligée de porter les armes et les munitions aux postes de première ligne. Beaucoup d'entre eux ont été forcés de porter une tenue militaire.
Près de Kingi, dans le territoire de Masisi, les forces de Ntaganda rassemblèrent au moins 32 élèves de sexe masculin le 19 avril 2012 dans l'école secondaire de Mapendano. Un élève âge de 17 ans a déclaré à Human Rights Watch :
Lorsque les soldats sont arrivés dans notre école, certains élèves se sont enfuis, mais ils nous ont surpris et certains d'entre nous étaient incapables de bouger. Ils nous ont dit qu'ils étaient porteurs d'un message pour notre école. Tous les autres élèves se sont rassemblés dans la cour. Ils ont séparé les plus jeunes des plus vieux et les filles aussi... Je me suis retrouvé dans le groupe des exemptés. Ils ont demandé à tous les autres élèves de les suivre... Les soldats leur ont dit que d'autres jeunes hommes comme eux combattaient pour la libération du pays, y compris au péril de leur vie. « Et vous ? Vous faites des études ? À quoi ça sert les études ? Rejoignez-nous, venez aider les autres à combattre ! »[35]
Une élève a expliqué comment certains d'entre eux ont pu retourner chez eux, « mais ne sont jamais repartis à l'école de peur de se faire emmener par les soldats une autre fois ».[36]
Human Rights Watch a montré que les soldats de Ntaganda ont recruté de force au moins 149 garçons et jeunes hommes dans ses rangs entre le 19 avril et le 16 mai 2012.[37] Des élèves ont aussi été enlevés par le M23 après l'établissement officiel de la rébellion. En juillet et août 2012, au moins 137 jeunes hommes et garçons ont été recrutés de force dans le territoire de Rutshuru, notamment au moins 20 enfants âgés de moins de 18 ans, parmi lesquels sept d'entre eux avaient moins de 15 ans.[38]
Une élève de 19 ans a raconté à Human Rights Watch qu'un jour, en arrivant à l'école, des soldats du M23 l'attendaient : « Ils ont arrêté trois d'entre nous, les autres ont pris la fuite. Ils nous ont donné des tas de bois que nous avons transportés sur 10 kilomètres, jusqu'à ce qu'ils trouvent d'autres personnes à qui ils ont donné les tas que nous transportions. »[39]
Un parent a expliqué la manière dont les villageois ont essayé de protéger les élèves dans leur école :
Des rumeurs couraient selon lesquelles le groupe [M23] préparait une attaque contre l'école pour s'emparer des enfants à des fins militaires. Nous nous sommes alors réunis, tous les parents, et avons élaboré un système d'alerte de sûreté dans lequel deux parents étaient postés à l'extérieur de l'école et deux autres sur la route que les soldats empruntent pour venir. Dès que les parents postés pour observer les mouvements des [forces de Ntaganda] voyaient des soldats s'approcher, ils allaient directement trouver le directeur de l'école pour lui dire de faire partir les enfants... C'est ce que nous avons décidé de faire en apprenant que des élèves avaient été emmenés dans une école à Kasebaya, une ville à 20 kilomètres d'ici.[40]
Recrutement d’enfants dans les écoles par d'autres groupes armés
D'autres groupes armés dans l’est de la RD Congo ont aussi recruté des enfants dans les écoles ou sur le chemin de l'école. Nombre d'entre eux avaient ensuite été envoyés sur le champ de bataille avec peu ou pas de formation. D'autres ont servi de porteurs ou de cuisiniers et de nombreuses jeunes filles sont devenues des esclaves sexuelles.
Les combattants FDLR ont recruté par la force des centaines d'enfants dans leurs rangs, notamment des membres de leurs familles, des garçons réfugiés hutus rwandais ainsi que des enfants congolais. Des agents de la protection de l'enfance de la MONUSCO ont documenté le recrutement par les combattants FDLR de 136 garçons et d'une fille, âgés de 9 à 17 ans, principalement dans le Nord-Kivu, entre le 1er janvier 2012 et le 31 août 2013. Parmi les recrues, 31 enfants avaient 15 ans, 23 en avaient 14 et 26 avaient 13 ans ou moins.[41]
La majorité d'entre eux avaient été enlevés au cours d'attaques menées par les FDLR sur leurs villages. Après avoir été obligés de transporter des biens pillés vers le camp FDLR, on leur a intimé de rester avec les forces FDLR. D'autres ont été enlevés tandis qu'ils se rendaient ou qu'ils étaient au marché, sur le chemin de l'école ou alors qu'ils travaillaient dans les champs. Certains étaient des membres de la famille des combattants FDLR. Lors d'une intense campagne d'enlèvement dans la région de Mpati en territoire de Masisi en février 2013, enseignants et élèves étaient recrutés dans les écoles pour combattre.
Un ancien combattant FDLR a déclaré à Human Rights Watch comment les FDLR avaient attaqué l'institut Bumbasha, une école secondaire située à Rutshuru en juillet 2013, enlevant dix garçons et trois filles ainsi que deux autres filles d'un autre village. Ils ont obligé tous les enfants à rejoindre les FDLR et à servir comme combattants ou travailleurs forcés.[42]
Les combattants APCLS ont aussi recruté par la force des enfants dans leurs rangs. Un garçon âgé de 14 ans a été capturé par des soldats de l'APCLS sur le chemin de l'école en compagnie de quatre autres garçons âgés de 12 à 14 ans. Après s'être échappé du groupe en 2014, il a déclaré à Human Rights Watch :
Nous menions une vie très difficile, car nous passions des nuits entières sans manger. Ils nous disaient que c'était ça, être soldat. Qu'il fallait être différents des civils. Pendant cette période, ils nous donnaient des boissons fortes comme King Whiskey et Simba, toujours pour nous différencier des civils et développer notre contrôle de nous-mêmes. Ils nous battaient aussi, cela faisait partie de la formation. Ils nous traînaient dans la boue comme des cochons.[43]
Un rapport de l'ONU a aussi décrit le nouveau recrutement de 185 garçons et 5 filles par des groupes Nyatura entre le 1er janvier 2012 et le 31 août 2013, notamment 34 enfants âgés de moins de 15 ans. Il faisait ressortir que la plupart des enfants étaient recrutés tandis qu'ils se rendaient ou qu'ils étaient au marché, sur le chemin de l'école, à l'école, dans les champs ou alors qu'ils s'y rendaient.[44]
Viol et autres violences sexuelles à l'encontre des filles
Parfois, les soldats et les combattants ciblent les jeunes filles tandis qu'elles rentrent de l'école pour les enlever et leur infliger des violences sexuelles. Après avoir été violées, les filles quittent souvent l'école en raison de la stigmatisation associée à l'événement, de ses conséquences médicales ou par crainte d'être de nouveau victimes d'un viol.
Une enseignante dans le territoire de Rutshuru placé sous contrôle du groupe M23 à l'époque, a déclaré à Human Rights Watch :
Quelquefois, les soldats viennent à l'école pour trouver des élèves. On [les enseignants] ne peut pas refuser. Elles [les élèves] partent avec eux [les combattants]. Souvent, les élèves arrivent en retard à l'école, parce qu'elles se font arrêter en chemin... Les soldats n'entrent pas en classe, mais lorsqu'un combattant frappe à la porte, il faut répondre... Cela s'est produit en mai. J'ai dit « Bonjour ». Il a prononcé le nom d'une jeune élève. Je ne pouvais pas refuser. Alors, j'ai appelé la fille qu'il a demandée, et elle l'a suivi. Il n'était pas armé, mais les trois combattants derrière lui l’étaient. [Les combattants] connaissent le nom [des élèves], car ils les rencontrent sur la route. Ça se produit trois à quatre fois par mois [dans mon école]. Beaucoup de filles sont concernées, peut-être 10 par mois environ. Je ne sais pas précisément. On ne peut rien dire, sinon, ils nous tuent.[45]
Camille, âgée de 16 ans lorsque Human Rights Watch l'a interrogée, a déclaré qu'elle avait quitté l'école secondaire dans la région de Lukweti sans passer ses examens de fin de cycle après avoir été violée par un soldat de l'armée et être tombée enceinte. « Ils nous ont attrapées alors qu'on tentait de s'enfuir, mais nous étions encore dans l'enceinte de l'école », a-t-elle déclaré à Human Rights Watch. « C'était des soldats du gouvernement. Nous étions deux, ils nous ont violées. »[46]
Une élève à Nyongera a expliqué à Human Rights Watch certaines des difficultés auxquelles les filles de son école devaient faire face à l'époque où les M23 contrôlaient la zone :
Il y avait une barrière militaire juste à côté de notre école. Certains combattants se postaient à la porte. S'ils vous voyaient arriver à l'école, ils vous arrêtaient et vous disaient de les rejoindre à la récréation [en vous menaçant dans le cas contraire] d'avoir des ennuis en repassant par là à la fin de la journée. Dans ces conditions, beaucoup de mes amies ne sont plus venues [à l'école]. Ces mêmes soldats envoyaient des camarades de classe chercher les filles avec qui ils étudiaient et s'ils ne s'exécutaient pas, ils étaient en danger.[47]
Lorsque des combattants de Mai Mai Sheka ont occupé la ville de Pinga en 2012 et 2013, Human Rights Watch a documenté le viol d'au moins 25 jeunes filles âgées de 13 à 17 ans commis par ces combattants. Seize de ces jeunes filles sont tombées enceintes, notamment une âgée de 13 ans. Nombre d'entre elles ont abandonné l'école à cause de leur grossesse.[48]
Autres attaques violentes perpétrées contre des écoles, des enseignants et des étudiants
Human Rights Watch a décrit de nombreux cas dans lesquels des écoles, des enseignants et des étudiants ont été ciblés lors d'attaques par des groupes armés sur des villages dans la partie est de la RD Congo.
Le 26 juillet 2012, par exemple, des combattants du M23 ont obligé un enseignant d'école primaire dans la localité de Gisiza à transporter des boîtes de munition de Kabaya au camp militaire de Rumangabo. Lorsque l'enseignant a tenté de repartir chez lui, il a été abattu par les combattants du M23 d'une balle dans le dos.[49]
Le 26 octobre 2013, les Raia Mutomboki ont attaqué les villages de Nkokwe, Muhande et Kavere dans le groupement Mupfuni/Kibabi dans le territoire de Masisi. Près du village de Kavere, ils ont abattu le directeur hutu d'une école primaire. Un témoin qui se cachait dans un champ de maïs à proximité a déclaré à Human Rights Watch :
[Le directeur de l'école] portait un enfant sur son épaule lorsqu'il a rencontré un groupe de combattants Raia Mutomboki qui l'ont arrêté, à quelques mètres de l'endroit où je me cachais. Ils lui ont soudain dit : « On va te tuer. » Il a répondu qu'il était un simple civil, directeur d'école. Un autre combattant Raia Mutomboki s'est approché et a demandé aux autres : « Qu'est-ce que vous attendez pour tuer ce directeur ? Vous ne voyez pas qu'il est en bonne santé ? Tuez-le. »
Ils lui ont tiré dans l'épaule par derrière et il est tombé par terre. Après quelques secondes, ils l'ont piétiné de leurs bottes et lui ont tailladé le cou et les bras de leurs machettes. Ils ont poignardé l'enfant au genou avec leur Singer [baïonnette]. Ils étaient sept c. Quand ils ont été partis, je suis allé chercher l'enfant blessé.[50]
Le directeur d'une école dans la zone d'Ufamandu, en territoire Masisi, a raconté à Human Rights Watch ce qu'il a découvert en venant inspecter son école après une attaque perpétrée par les FDLR contre son village en mai 2012 :
C'était comme si on avait été dans la brousse. Il ne restait plus rien. On a rassemblé tous les enseignants pour voir ce que l'on pouvait faire. Elle [l'école] n'était plus que cendres. Il ne restait plus rien. Plus rien du tout.[51]
Le directeur a expliqué que l'école originale, faite de bois et de tôle, avait été entièrement détruite lors de l'attaque. Tous les meubles, livres et documents avaient aussi été détruits. Il a ajouté que les élèves étudiaient à présent dans une structure temporaire rudimentaire construite par les parents : « On a planté des rondins de bois recouverts d'une bâche et on a mis de la paille en guise de toit. » Un an après l'attaque, l'école n'avait toujours pas pu remplacer les livres perdus.[52]
Des soldats fidèles à Bosco Ntaganda ont pris une école à Kamurotsa le 21 avril 2012, occupant toutes les classes, la cour de récréation et les terrains de l'école. L'administrateur de l'école a déclaré qu'en visitant l'école un jour, il avait découvert des soldats en train de faire griller des patates douces dans une classe et de faire brûler les bureaux en guise de bois de chauffage :
Je voulais leur demander ce qu'ils faisaient dans les classes. [Ils m'ont répondu] par l'intimidation, et l'un des soldats s'est emparé de force de mon sac. Ils m'ont pris l'équivalent de 150 USD, somme que j'avais sur moi pour payer le centre d'examens de mes élèves. Puis ils m'ont passé à tabac et forcé à lécher un crâne qui servait d'accessoire d'enseignement dans une des classes de l'école. Ils pensaient que c'était le crâne de quelqu'un qu'on avait tué précédemment, puis qui avait été déterré avant d'être exposé en classe.[53]
Un membre du comité de parents d'une école à Pinga a narré à Human Rights Watch l'attaque perpétrée le 28 août 2013 par des combattants de Mai Mai Sheka : « L'école et le bureau avaient été détruits. Les bureaux avaient été jetés dans le ruisseau. C'était un acte de sabotage et ils ont forcé les gens à fuir en détruisant l'école. ».[54]
Un enseignant dans une école comprenant huit classes construite par une petite communauté en 2010 dans la zone d’Ufamandu dans le territoire de Masisi a vu des soldats appartenant à un groupe armé local piller les toits de tôle nouvellement achetés pour l'école. « Ils ont pris toute la tôle » a-t-il déclaré à Human Rights Watch.[55] « On les a vu emmener la tôle vers Katoyi et Kahunda [sans doute pour la revendre]. C'était une opération d'envergure. Tout le reste a été brûlé. » Selon l'enseignant, de nombreuses tôles ont été volées. Il a ajouté que les tôles avaient été achetées pour l'école par des membres de la communauté à Ngungu, une ville située à plus d'un jour de marche de là, au tarif de 10 USD pièce.
III. Utilisation des écoles à des fins militaires
J'ignore pourquoi les soldats étaient à l'école. Ils étaient très nombreux, mais je ne pouvais pas compter combien ils étaient. J'ai cru qu'ils allaient tous nous tuer sur place.
— Lubuto B., 12 ans, Kalungu, juin 2013
L'utilisation des écoles à des fins militaires et leur pillage sont les causes de perturbation par les troupes contre les écoles dans l’est de la RD Congo les plus fréquemment rapportées.[56] Des soldats gouvernementaux et des membres de groupes armés ont utilisé les écoles en guise de logement et de positions militaires, ils les ont pillées pour faire du bois de chauffage et ont utilisé d'autres ressources.
Lorsque les soldats imposent leur présence dans les écoles, cela expose élèves et enseignants à des risques inutiles tout en compromettant la capacité des élèves à apprendre. Cela endommage aussi les bâtiments et l'équipement scolaire ainsi que le matériel d'apprentissage. Dans la plupart des cas examinés par Human Rights Watch, l'occupation des écoles a duré de deux nuits à une semaine, voire un peu plus. Une utilisation ayant duré plusieurs semaines n'est toutefois pas inconnue. Une occupation militaire, aussi brève soit elle, rend l'école inutilisable en l'absence de réhabilitation majeure.
Dans certains cas, les soldats ou combattants ont occupé l'école entièrement, obligeant l'école en question à fermer pendant toute la durée de l'occupation. Dans d'autres cas, ils ont utilisé l'école en dehors des heures de classe et la nuit, permettant à l'école de fonctionner partiellement dans la journée, ou ils n'utilisaient qu'une partie de l'école, les élèves essayant de poursuivre leurs études parallèlement aux combattants.
Les tentatives faites pour quantifier le nombre d'écoles concernées par l'utilisation militaire entre 2012 et 2014 à travers la RD Congo sont compliquées par l'utilisation de normes divergentes de vérification et de publication de données par les diverses agences de l'ONU et organisations non gouvernementales. À cela s'ajoutent des difficultés à surveiller les écoles en raison de facteurs comme l'insécurité et l'isolement des sites.
Par exemple, selon des informations publiées par le Secrétaire général des Nations Unies, l'ONU a formellement vérifié l'utilisation militaire de 11 écoles par l'armée congolaise et 1 école par les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) en 2012 ; 25 incidents ont été répertoriés pour l'année 2013, dont 13 perpétrés par l'armée congolaise. En 2014, 12 écoles ont été utilisées, dont au moins 4 par l'armée congolaise et 6 par les Raia Mutomboki.[57] Pourtant, une enquête du Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme (BCNUDH) a reçu des rapports d'au moins 42 écoles occupées dans la zone de Minova et de celle, voisine, de Bweremana pour le seul mois de novembre 2012.[58]
L'utilisation des écoles à des fins militaires par divers groupes
Human Rights Watch a documenté l'utilisation des écoles à des fins militaires par l’armée congolaise, le M23, les FDLR, les groupes Nyatura et le Raia Mutomboki.
Les écoles ont parfois été utilisées à de nombreuses reprises par différents groupes. Le directeur de l'une d'entre elles a déclaré à Human Rights Watch :
Le 10 mai 2013, nous avons cessé les activités scolaires, car l'école était occupée par les soldats [de l'armée congolaise] qui combattaient le M23... Les soldats [de l'armée congolaise] sont restés un mois dans les classes… L'école avait été transformée en camp militaire... [Ensuite,] le M23… ont réussi à chasser [l'armée congolaise] de la zone. Ils se sont enfuis en laissant derrière eux du matériel militaire dans notre école que les combattants M23 ont récupéré à leur arrivée. Les combattants M23 ont alors utilisé à leur tour notre école pendant un certain temps. Puis, en octobre et novembre 2013, lorsque les combats ont repris entre [l'armée congolaise] et le M23, les militaires [congolais] ont chassé le M23 et réoccupé les classes de notre école primaire.[59]
Le responsable d'une école secondaire située dans une zone aux prises à de violents affrontements entre l'armée congolaise et les combattants du M23 dans le territoire de Rutshuru début 2013 a déploré les similitudes des abus et des dégâts perpétrés par les deux parties : « Lorsque les soldats gouvernementaux arrivent, ils sèment le chaos à l'école. Lorsque les combattants du M23 arrivent, ils sèment aussi le chaos à l'école. ».[60]
Plusieurs autres responsables scolaires ont affirmé à Human Rights Watch que leurs écoles avaient été occupées successivement par des soldats congolais et des membres de groupes armés occasionnant des dommages similaires aux bâtiments et équipements de l'école. Des données de l'UNICEF et des rapports d'organisations non-gouvernementales congolaises suggèrent que plusieurs dizaines d’écoles dans l'est du pays ont été occupées par plus d'une force armée en 2012 et 2013.[61]
L'utilisation des écoles comme bases militaires et logements provisoires
Du personnel scolaire a décrit la manière dont les soldats et les combattants exigeaient d'entrer dans les classes ou cassaient les verrous des portes pour pénétrer dans les écoles afin de s'en servir comme bases ou logements provisoires.
Un directeur d'une école secondaire a expliqué ce qu'il s'est passé lorsque l'armée congolaise est arrivée en mai 2012 :
Ils [les soldats de l'armée] ont entreposé leurs armes et munitions dans les classes… Les élèves avaient peur et ont dit que l'[armée] allait bientôt se battre. Certains ont fui. Le capitaine m'a dit de calmer les élèves, qu'ils allaient bientôt gagner… Nous avons cohabité à l'école avec l'[armée congolaise] qui restait la nuit. Cela a duré environ 10 jours.[62]
Lorsque les M23 ont pris le contrôle de Goma en novembre 2012, des soldats de plusieurs unités de l’armée basées à proximité ont battu en retraite autour de Minova, une ville située à 50 kilomètres de là. Au cours des deux semaines suivantes, des soldats de l'armée des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont occupé au moins 42 écoles dans la zone de Minova et aux alentours, ainsi que dans la ville de Bweremana, non loin de là, empêchant plus de 1 100 enfants d'accéder à leurs écoles, selon une enquête du BCNUDH.[63]
Le directeur de l'une des écoles primaires concernées a raconté à Human Rights Watch la manière dont les soldats sont arrivés pendant la nuit. « Ils m'ont fait venir la nuit de chez moi à l'école pour ouvrir les classes » a-t-il déclaré. « Les soldats m'ont dit d'ouvrir les portes parce qu'ils devaient rester dans l'école. Tu vois, c'est la guerre. »”
Responsables scolaires et enseignants ont souvent déclaré se sentir impuissants à protéger leurs écoles de l'occupation. Espérance L., directrice adjointe d'une école primaire dans le territoire de Kalehe, a raconté à Human Rights Watch qu'un jour de mars 2013, alors qu'elle était en train de finir de la paperasserie, seule dans l'école, elle avait vu des combattants du groupe armé Nyatura dans la cour de l'école. Craignant qu'ils ne lui fassent du mal, elle a réussi à s'enfuir par une porte. En retournant à l'école le lendemain matin avec le directeur et plusieurs élèves, Espérance a raconté avoir vu des soldats et leurs femmes qui cuisinaient dans les classes :
Sans autorisation quelconque, ils avaient pénétré en classe et avaient fait du bois de chauffage avec les bureaux… Ils s'étaient fait des lits de fortune… J'ai demandé à un soldat : « Pourquoi êtes-vous ici ? » [Il a répondu :] « On a vu des choses qui nous intéressent. On est en route pour une formation. » Je lui ai ensuite demandé pourquoi ils voyageaient avec leurs familles. [Il a répondu :] « On emmène nos femmes pour qu'elles nous trouvent de quoi manger. La femme d'un soldat est aussi soldat.[64]
L'école a dû fermer deux jours, le temps de l'occupation par les combattants Nyatura. À leur départ, ils ont laissé derrière eux des feux qui couvaient encore et des classes vides.
Des enseignants et directeurs d'école ont déclaré à Human Rights Watch que les soldats gouvernementaux faisaient souvent peu de cas de leurs préoccupations quant à la protection des écoles, en soutenant que les circonstances de la guerre justifiaient leur occupation. Le directeur d'une école primaire dans le territoire de Nyiragongo, au nord de Goma, a raconté à Human Rights Watch ce qui s'est passé après l'occupation de son école en septembre 2012 : « Nous avons essayé d'organiser une réunion avec les militaires de l'[armée congolaise], mais ils ont refusé. Ils ont ajouté qu'on était en temps de guerre, et qu'ils n'étaient pas prêts à nous donner du temps. »[65]
Durée de l'utilisation militaire
En de nombreuses occasions, les groupes armés et l'armée congolaise ont utilisé les écoles comme logements provisoires au cours de leurs voyages à destination ou en provenance d'opérations militaires, parfois loin des zones actives de combat. Par exemple, dans une école située dans le territoire de Masisi, des soldats de l'armée ont occupé des classes du jour au lendemain en février 2013 tandis qu'ils se rendaient dans le sud. Le directeur adjoint de l'école a dit qu’il leur a demandé : « ‘Pourquoi occupez-vous l'école ? ’ Ils ont répondu qu'ils n'allaient pas y rester longtemps. Ils ne faisaient que passer, semblait-il. Ils n'y sont restés qu'une nuit, en dehors des heures de classe. Quelques-uns ont écrit sur les portes : ‘Ne pas entrer. C'est ma chambre.’ »[66]
Or, dans certains cas, l'occupation durait des jours, des semaines, voire, des mois. Un enseignant d'une école primaire située dans le territoire de Nyiragongo a décrit la manière dont les soldats ont utilisé son école comme petit centre de commande pendant plusieurs semaines, en septembre et octobre 2012 : « L'[armée congolaise] est restée à l'école la nuit... Ils occupaient certaines classes. Puis ils partaient dans la journée. Plus tard, dans l'après-midi, les soldats revenaient pour occuper de nouveau les classes. »[67]
Les dizaines d'écoles prises d'assaut par les soldats de l'armée dans Minova aux alentours du 20 novembre 2012 ont commencé à être libérées après le 24 décembre. Cependant, dans une école, l'école primaire de Kashenda, située à environ 5 kilomètres de Bweremana, les soldats ont continué à garer leurs camions militaires dans la cour pendant au moins huit mois encore. Deux camions militaires étaient garés dans les locaux lorsque Human Rights Watch a visité l'école en juin et juillet 2013.[68] Plusieurs soldats gardaient les camions et le matériel militaire et des témoins ont raconté qu'ils se servaient des toilettes de l'école.[69] Un simple soldat présent à l'école en juin 2013 a déclaré à Human Rights Watch que les combattants étaient positionnés là pour « sécuriser l'école ».[70]
L'utilisation des écoles à des fins d'entraînement militaire
Les écoles ont aussi été utilisées comme terrains d'entraînement des soldats et des individus enrôlés de force. Ainsi, un homme fait prisonnier par les M23 a déclaré à Human Rights Watch avoir été d'abord conduit dans une classe d'école primaire à Chengerero, puis dans une ancienne école maternelle pour y subir un entraînement militaire d'une semaine en juin 2013.[71] À l'Institut Bweremana, à proximité immédiate du quartier général de l'armée à Minova, les soldats utilisaient fréquemment les locaux scolaires de novembre 2012 jusqu’au moins juillet 2013, pour y organiser des défilés et des exercices d'entraînement militaires.[72]
Prisonnier en classeAmani, élève d'une école primaire de la zone de Minova au Sud-Kivu, âgé de 10 ans, a eu la surprise de voir des soldats s'approcher de son école tandis qu'il s'apprêtait, avec d'autres camarades, à rentrer chez lui. Des troupes armées congolaises fuyant une avancée rebelle sur la ville de Goma avaient occupé des dizaines d'écoles aux alentours de Minova et Bweremana, mais son école, qui se trouvait à flanc de colline, n'avait pas encore été occupée jusque-là. Juste avant 13 heures le 24 novembre 2012, des soldats arrivèrent dans l'école d'Amani. Craignant les agissements des soldats à leur encontre, élèves et enseignants commencèrent à se disperser dans tous les sens. Or, Amani et plusieurs autres de ses camarades ne parvinrent pas à s'échapper plus loin que la cour de récréation. Tandis qu'ils commençaient à occuper les classes pour s'en servir de logements provisoires, les soldats ont rassemblé Amani et au moins cinq autres élèves et les ont obligés à effectuer différents travaux.[73] Amani et ses camarades ont reçu l'ordre d'aller chercher de l'eau, de dérober de la nourriture dans les champs avoisinants et de faire du feu pour cuisiner. « Ils ont détruit les bureaux de l'école » a rapporté Amani.[74] « Je devais les aider à découper les bureaux pour en faire du bois de chauffage », a-t-il poursuivi. En faisant des gestes pour expliquer comment un morceau de bois lui avait volé au visage, il a ensuite montré une cicatrice au-dessus du nez. « Ils ont dit qu'on devait travailler pour eux. Ils nous ont traînés dans l'école et ils nous ont battus. » Des soldats ont passé Amani et d'autres élèves à tabac. Lorsqu'un autre élève, Muhima, âgé de 14 ans, a refusé de travailler pour eux, un soldat lui a tailladé le bras : « J'ai dû payer pour avoir des points de suture à la clinique », a-t-il déclaré.[75] Fimi et Vandah, deux jeunes filles âgées de 16 ans détenues à l'école en même temps qu'Amani, ont raconté la manière dont elles, ainsi que d'autres jeunes filles dans la zone, étaient harcelées par les soldats. « Si on résistait, ils déchiraient nos habits », a dit Fimi.[76] Six jours durant, les soldats ont retenu Amani prisonnier à l'école. Lui et ses camarades ont raconté à Human Rights Watch qu'ils n'étaient pas autorisés à rentrer chez eux ou à voir leurs parents.[77] « On dormait en classe », a dit un autre élève, Jean, 14 ans, à Human Rights Watch. « Il y avait des soldats devant et derrière nous en classe pour nous empêcher de fuir. Si l'on résistait, ils disaient « On va te tirer dessus. »[78] Les parents de deux élèves ont déclaré à Human Rights Watch avoir vu leurs enfants brièvement et de loin, avant d'ajouter qu'ils se sentaient impuissants pour les sortir de cette situation.[79] Lorsque les soldats sont enfin partis, ils ont forcé Jean et d'autres élèves à les aider à transporter de l'équipement lourd à plusieurs kilomètres de là. Amani a alors pu rentrer chez lui. Ses parents lui ont demandé si les soldats l'avaient battu. J'ai répondu « Oui. » Ils ont rétorqué « Tu vois, mon fils, c'est ça la vie. » |
Les conséquences négatives de l'utilisation militaire des écoles
Presque inévitablement, l'utilisation des écoles par les forces armées gouvernementales ou les groupes armés porte atteinte à la sécurité ou à l'éducation des élèves. Lorsque les élèves et soldats cohabitent, les premiers subissent souvent des abus comme le recrutement forcé, le travail forcé, des violences physiques et sexuelles.[80]
Quelle que soit la durée de l'occupation, chaque fois que Human Rights Watch a documenté l'utilisation des écoles à des fins militaires, des témoins ont décrit comment les forces ont pillé le matériel scolaire ou les bâtiments pour s'en servir comme bois de chauffage ou à d'autres fins. Lorsque les écoles sont endommagées ou détruites et que l'équipement scolaire est pillé ou brûlé, l'infrastructure scolaire indispensable à la réalisation du droit des enfants à l'éducation est perdue.
L'expérience des jeunes filles, la peur du viol et des violences sexuelles
Lorsque les élèves sont obligés de partager leurs locaux scolaires avec des soldats ou qu'ils sont présents lorsque des soldats s'emparent de leur école, ces élèves, et en particulier les jeunes filles, courent le risque d'être violés et abusés sexuellement, ainsi que nous l'avons vu au chapitre précédent. La crainte de ces abus explique également pourquoi des jeunes filles quittent l'école de manière préventive. « La majorité des filles a cessé de venir à l'école lorsque nos locaux ont été occupés par l'armée congolaise, d'abord, puis par le groupe M23 », a déclaré un responsable.[81]
Le travail forcé
Des combattants utilisant des écoles à des fins militaires ont obligé les élèves, les enseignants et d'autres résidents locaux à travailler pour l'établissement d'un camp militaire. Un chef de village a déclaré que les forces fidèles à Bosco Ntaganda l'avaient obligé à rassembler des villageois pour creuser des tranchées autour de l'école qu'elles utilisaient. « D'autres étaient réquisitionnés pour creuser des trous et aller chercher de l'eau », a-t-il précisé à Human Rights Watch.[82]
Les enfants et enseignants peuvent aussi être contraints à réaliser des tâches qui n'ont rien à voir avec l'école. Un responsable dont l'école a été réquisitionnée par des forces du M23 a rapporté ceci à Human Rights Watch : « Souvent, les soldats du M23 demandent aux enseignants de les aider à trouver de l'eau, à abattre un arbre ou à réaliser diverses tâches. Je demande aux professeurs de justifier leurs absences et ils m'expliquent comment ils sont réquisitionnés pour aider à construire des camps pour les M23. »[83]
Des écoles endommagées ou détruites par des soldats occupants
Les forces qui occupent les écoles se sont régulièrement appropriées les tôles des toits pour en faire des abris ; elles ont utilisé les bancs de classe, les revêtements muraux, les manuels et les cahiers pour faire du feu et ont dévalisé le ravitaillement des cantines. Le vol des biens scolaires constitue la saisie illégale de biens non militaires, ou pillage.[84] Du fait que les communautés locales financent fréquemment la construction de leurs écoles dans l'est du Congo, leur destruction et détérioration porte financièrement atteinte à la communauté.
Dans un village, des combattants du M23 qui occupaient l'école primaire et secondaire en juillet 2013 ont enlevé portes et fenêtres pour les vendre, selon des responsables scolaires.[85]
Un enseignant dans une école de la région d'Ufamandu dans le sud du territoire de Masisi a décrit le comportement d'un groupe mixte de soldats de l'armée et de combattants Nyatura en août 2012 :
L'intégralité de l'équipement de bureau a été volée. Des manuels et des documents administratifs ont été brûlés sous nos yeux. Ils ont pris certains documents aussi. Maintenant, le bureau est vide. On redémarre à zéro.[86]
Un responsable de l'école a dressé la liste des dommages causés à l'école prise par des soldats fidèles à Bosco Ntaganda en avril 2012 :
Les bureaux administratifs et les salles pédagogiques étaient complètement détruits et pillés. Tous les documents avaient été brûlés ou jetés et éparpillés dans la cour. Les bureaux et les revêtements de bois des classes ont servi de bois de chauffage. Les fenêtres du nouveau bâtiment, qui avait été rénové récemment, ont été brisées. La toiture métallique était percée de trous causés par des [balles] ou des éclats d'obus. Le réservoir d'eau… avait été enlevé et mis complètement hors d'usage. Les chaises, les tables et les bureaux étaient cassés. Le drapeau de l'école avait été brûlé. Toutes les portes des classes étaient détruites. Tout le matériel de formation avait été enlevé de l'école. Et cette liste n'est pas exhaustive.[87]
Un enseignant d'une école primaire située dans le territoire de Nyiragongo, juste au nord de Goma, a décrit la manière dont les soldats ont utilisé son école comme petit centre de commande pendant plusieurs semaines, en septembre et octobre 2012 :
Il y avait habituellement sept soldats dans ma classe. En arrivant le matin, je les comptais. Ils étaient chargés d'abimer les livres et de démolir la cantine et le carrelage. Personne ne les contrôlait… Nous devions gérer ces problèmes. Et les élèves devaient continuer à étudier. Il n'y avait pas d'autre façon de faire.[88]
Un chef de village a expliqué ce que les combattants M23 ont fait à une école de son village :
Ils ont détruit des salles de classe construites avec des revêtements de bois et s'en sont servis comme bois de chauffage. Et le commandant militaire en chef présent que j'ai reconnu comme étant Baudouin Ngaruye a passé la nuit dans le bureau du responsable de l'école. Ils avaient défoncé la porte et tous les papiers étaient éparpillés un peu partout dans le bureau et dans la cour de récréation. Ils se sont servis de certains papiers et documents du bureau en guise de matelas.[89]
Un autre responsable de l'école a décrit les dommages causés par les combattants Nyatura et leurs épouses qui occupaient l'école : « Ils ont saccagé la plupart de notre équipement. Ils ont abimé les tableaux noirs. »[90]
« Ils agissaient comme des bandits », a déclaré le gardien d'une école secondaire dans la zone de Minova, en décrivant la manière dont les troupes armées sont arrivées après les cours, faisant preuve d'intimidation à son encontre, brisant les verrous des portes des classes et occupant l'école.[91]
Lorsque les combattants occupent l'école avec leurs familles, cela fait peser une charge supplémentaire sur l'infrastructure scolaire. En septembre 2012, des soldats gouvernementaux et leurs familles ont occupé huit classes et l'enceinte de l'école secondaire où Ezechiel était directeur dans le territoire de Rutshuru. « Leurs enfants faisaient leurs besoins dans la cour de l'école que les élèves utilisent pendant la récréation, et leurs femmes y faisaient la cuisine. Ils avaient pris les briques de l'école pour y poser leurs casseroles dessus pour cuisiner », a poursuivi Ezechiel.[92]
Des écoles endommagées ou détruites par des attaques du fait de la présence militaire
Un certain nombre d'écoles ont été attaquées du fait de la présence de l'armée ou de groupes armés à l'école. De telles attaques sont légitimes en vertu des lois de la guerre, mais elles entraînent toutefois des dommages aux infrastructures scolaires et ont donc un impact sur les études des élèves.
Un directeur a expliqué que tandis que son école primaire était utilisée par des militaires de l'armée congolaise, ils avaient installé de l'artillerie lourde qui servait à tirer sur les forces M23 à cinq kilomètres de là environ. En retour, les forces M23 ont effectué des tirs en direction de l'école. « Une classe a été complètement détruite après qu'une bombe en provenance de la zone de M23 est tombée dessus », a-t-il expliqué.[93]
Au cours de combats entre l'Alliance du peuple pour un Congo libre et souverain (APCLS) et l'armée au début et à la mi–2012, des soldats du gouvernement ont occupé plusieurs écoles entre Nyabiondo et Lukweti dans le territoire de Masisi. Un directeur a expliqué comment les troupes gouvernementales avaient utilisé son école à quatre reprises de mars à juin 2012 : « Pour eux, l'école était juste un terrain. Ils y sont restés. Nos militaires ne sont pas là pour nous protéger, mais pour faire usage de leurs armes à feu et causer des dégâts. » Le directeur a signalé qu'il y avait « des obus éparpillés partout dans la cour de l'école »[94], signe que des tirs avaient eu lieu à l'intérieur de l'école.
Dangers qui continuent après l'utilisation de l'école
Les risques en matière de sécurité des élèves et des enseignants ne cessent pas nécessairement une fois que les troupes ont évacué l'école.
Un chef de village a expliqué qu'une fois les combattants M23 partis de l'école de son village, une organisation de déminage avait trouvé des « bombes ressemblant à des roquettes » disséminées autour de l'école, une aux quatre coins de l'école, et une cinquième à l'entrée de la route principale menant à l'école, à environ 100 mètres de là.[95]
Lors d'une visite à l'Institut Bweremana à Minova en juin 2013, Human Rights Watch a observé des techniciens en train de déminer les toilettes de l'école. Ils y ont découvert des roquettes de 107 mm, deux caisses de munitions standards de calibre AK-47 et deux roquettes sans recul. Bien que les toilettes avaient été fermées et partiellement détruites de façon à empêcher leur utilisation, Human Rights Watch a observé des enfants qui jouaient à proximité. De nouvelles toilettes avaient été aménagées à 50 mètres de là environ, mais l'enlèvement des munitions a pris plus de sept mois.
Un préjudice contre l'éducation
La présence de troupes à l'intérieur des écoles peut entraîner l'exclusion forcée des enfants. Elle peut aussi expliquer que les élèves évitent d'aller à l'école en raison d'inquiétudes liées à leur propre sécurité. Un responsable du ministère de l'Éducation dans le Nord-Kivu a déclaré : « En temps de guerre, des soldats dénués de sens patriotique occupent l'espace scolaire et obligent les écoles à déplacer leurs élèves. »[96]
La détérioration de la structure physique d'une école et la perte de matériel pédagogique portent également atteinte aux études des élèves. Vu l'état déplorable de nombreux bâtiments scolaires en RD Congo, des dommages, si modérés soient-ils, peuvent les rendre complètement inutilisables. Le directeur d'une ONG congolaise dans le Sud-Kivu axée sur l'éducation a expliqué : « Les écoles se trouvent dans un état de délabrement avancé. Elles ne sont pas construites comme il faut. Si on en enlève un morceau, c'est toute l'école qui disparaît. »[97] Par conséquent, enseignants et directeurs d'école ont souvent dit à Human Rights Watch que les dommages infligés à leurs écoles par les troupes étaient synonymes de « destruction » de l'école.
Un parent a expliqué pourquoi les élèves ne voulaient pas retourner dans l'école fréquentée par son enfant après une attaque perpétrée contre son village par les forces Nyatura :
Je suis allé à l'école. Tout était tellement endommagé que rien ne pouvait être réparé. Ils avaient détruit les planches [des murs] à coups de machettes. Ils avaient abîmé la toiture [en tôle] de chaque classe. Il y avait six classes… Plus aucune d'entre elles n'était utilisable. Après la guerre, les élèves n'avaient plus envie d'étudier, car l'école était détruite.[98]
Un directeur d'école primaire a déclaré :
Les conséquences de l'invasion de notre école par les groupes armés et les soldats de l'armée ont été diverses : perte de nos élèves, des résultats plus bas du fait que les enseignants n'ont plus de manuels… l'insolvabilité des parents en raison de la pauvreté générée par la guerre, sans parler du fait que lorsqu'il pleut pendant les heures de classe, nous renvoyons les élèves chez eux de crainte qu'ils ne prennent froid en se faisant tremper à cause des fuites dans le toit [dues aux trous provoqués par des éclats d'obus].[99]
Un autre parent a évoqué les conséquences liées à la perte des bureaux d'écoliers (pupitres) : « Certains élèves écrivent sur leurs genoux. Mais cela les fatigue. Lorsqu'ils sont trop fatigués, ils arrêtent d'écrire. »[100]
L'utilisation des écoles comme moyen d'extorsion et de collecte illégale de « taxes »
Dans certaines zones passées sous le contrôle des groupes armés, les combattants ont utilisé les écoles pour percevoir des « taxes » illégales ou s'assurer que les élèves s'en étaient acquittés. La levée illégale de taxes constitue une source importante de financement pour les groupes armés, et elle est souvent imposée à l'ensemble de la population. Le ciblage des écoles et des enseignants à l'école pour faire appliquer la collecte des taxes pose d'autres problèmes liés à la sécurité dans les écoles et compromet l'éducation des enfants.
En juin 2013, des combattants d’un groupe de Nyatura dirigé par Manoza Kasongo ont rassemblé les 20 enseignants d'une école primaire du village de Bushanga, dans le territoire de Masisi, et ils les ont obligés à leur verser 1 200 francs [1,30 USD] chacun.[101] Les élèves de sexe masculin, âgés de 15 ans et plus, ont aussi été obligés de payer.[102]
Un parent, par ailleurs responsable d’une communauté de la zone de Mpati dans le territoire de Masisi, a déclaré à Human Rights Watch :
L'école est fermée parce que des bandits viennent et battent les élèves. Ils passent aussi les enseignants à tabac. Ils font irruption en classe avec leurs armes. Lorsque cela se produit, c'est la débandade... Un jour, ils sont venus en classe et ont demandé à tous les élèves de montrer leur reçu [prouvant qu'ils avaient payé la taxe illégale.]… Certains élèves ont réussi à s'enfuir et ils sont venus me chercher. Je suis allé à l'école. Je leur ai demandé ce qu'ils faisaient à l'école. [Ils ont répondu :] « Ce n'est pas ton problème. C'est nous qui contrôlons l'école ici. »[103]
Un garçon âgé de 16 ans originaire de la zone de Mpati a rapporté avoir été fait prisonnier brièvement par des combattants Nyatura, car ses parents ne pouvaient pas payer la « taxe » réclamée par le groupe armé. Le directeur de l'école est allé négocier la liberté du garçon. Le garçon a expliqué ce qui s’est passé ensuite : « Le directeur m'a prévenu que si je revenais à l'école, ils pourraient me faire prisonnier de nouveau et m'emmener plus loin que la première fois, dans un endroit où il ne pourrait pas venir me libérer. C'est pour ça que je ne suis plus retourné à l'école. »[104]
Un enseignant originaire du territoire de Masisi a raconté ce qui s'est passé après que les enseignants ont refusé de verser une taxe informelle aux combattants Nyatura :
Les 22 et 23 avril 2013, la situation a empiré lorsqu'un soldat… a fait irruption en classe et nous a fait sortir. Nous ne pouvions pas faire face à la situation, c'est pourquoi nous avons décidé de suspendre les activités de l'école pendant 10 jours, car nous n'avions pas l'argent pour payer.[105]
IV. Exemples internationaux de bonnes pratiques militaires visant à protéger les écoles
Toutes les utilisations d'écoles à des fins militaires ne sont pas interdites par les lois relatives aux conflits armés. Toutefois, l'utilisation illégale et inutile des écoles est favorisée par l'absence d'une réglementation claire, de formation appropriée des soldats sur la manière dont elles devraient être protégées contre l'utilisation militaire et de soutien logistique adéquat.
En juin 2015, le Conseil de sécurité des Nations Unies s'est déclaré « profondément préoccupé par le fait que l’utilisation d’écoles à des fins militaires en violation du droit international applicable peut en faire des cibles légitimes, mettant ainsi en danger la sécurité des enfants, et, à cet égard, engage les États Membres à prendre des mesures concrètes pour empêcher que les forces armées et les groupes armés utilisent ainsi les écoles. »[106]
Certaines forces armées gouvernementales et certains groupes armés non étatiques ont déjà rendu des ordonnances ou édicté des doctrines militaires qui définissent clairement des mesures de protection des écoles contre l'utilisation militaire. De telles bonnes pratiques peuvent se révéler utiles aux forces armées congolaises afin d'envisager et d'élaborer des alternatives réalistes à l'utilisation des écoles.
En fait, l'armée congolaise a déjà commencé à envisager la mise en place de telles protections. Lorsque les M23 ont pris le contrôle de Goma en novembre 2012, des soldats de plusieurs unités de l’armée basées à proximité ont battu en retraite autour de Minova, une ville située à 50 kilomètres de là.[107] Au cours des deux semaines suivantes, des soldats ont occupé au moins 42 écoles dans la zone de Minova et dans la ville voisine de Bweremana.[108] En décembre, sous la pression croissante de l'ONU et du ministre de l'Éducation, le commandant de l'armée du Nord-Kivu de l'époque, le général Jean-Lucien Bahuma, a ordonné à tous les militaires congolais d'évacuer les écoles de la zone. Une enseignante dont l'école avait précédemment été occupée a déclaré à Human Rights Watch :
Après avoir reçu l'ordre du général, ils se sont beaucoup mieux comportés, avec dignité. Ils ont aidé à maintenir la propreté dans le village. Je l'ai dit à leur commandant. C'est quelque chose que l'on a apprécié.[109]
Début 2013, le Vice-premier ministre et le ministre de la Défense de l'époque Alexandre Luba Ntambo, ont publié une directive ministérielle destinée à l'armée qui indiquait :
Je vous exhorte à faire savoir à tous les membres de l'[armée congolaise] que quiconque sera reconnu coupable d'avoir commis l'un des agissements suivants sera passible de graves sanctions pénales et disciplinaires : ... Recrutement et utilisation des enfants… Attaques contre des écoles... réquisition des écoles... à des fins militaires, destruction des installations scolaires.[110]
Malgré la directive ministérielle menaçant de sanctions les individus responsables de réquisitionner des écoles à des fins militaires, Human Rights Watch n'a pas connaissance d'une législation ou d'une doctrine militaire quelconque qui interdirait ou réglementerait explicitement la pratique de l'utilisation des écoles à des fins militaires.
Le directeur de la Section pour l'éducation patriotique et civique de l'armée a dit à Human Rights Watch que tous les soldats sont formés au besoin de protéger les enfants et les écoles. Pourtant, la nécessité d'éviter les attaques contre les écoles, les élèves et les enseignants n'est pas spécifiquement mentionnée dans le code de conduite de l'armée.[111]
Bonnes pratiques suivies par certaines forces armées et par certains groupes armés non étatiques
Il existe des exemples de protections instituées dans d'autres pays dont le Congo pourrait se servir comme exemples en matière de bonnes pratiques lors de l'élaboration de ses propres mesures de protection des écoles contre l'utilisation militaire par le biais de la législation, des ordonnances militaires ou de la négociation avec les groupes armés. Des exemples de pays ayant vécu un conflit armé comprennent notamment :
Aux Philippines, les forces armées doivent respecter cette directive qui offre une protection solide :
L'ensemble du personnel des [forces armées des Philippines] doit observer et respecter strictement ce qui suit : ... les infrastructures de base comme les écoles, les hôpitaux et les unités sanitaires ne seront pas utilisées à des fins militaires telles que des postes de commandement, des casernes, des détachements et des dépôts d'approvisionnement.[112]
Les forces armées de Colombie ont rendu l'ordonnance suivante :
En vertu des normes du droit international humanitaire, le fait qu'un commandant occupe ou autorise l'occupation par ses troupes d'institutions publiques comme des établissements d'enseignement est considéré comme une violation manifeste du principe de la distinction et du principe des précautions pendant les attaques.[113]
Lors des combats entre les forces armées du Soudan et l'Armée populaire de libération du Soudan (Sudan People’s Liberation Army, SPLA), les deux parties ont convenu ce qui suit :
Les parties s'engagent spécifiquement à … s'abstenir de mettre en danger la sécurité des civils... en utilisant des infrastructures telles que... des écoles pour protéger des cibles militaires légitimes.[114]
Au Népal, les forces armées gouvernementales et les combattants maoïstes ont pris l'engagement suivant dans le cadre de leur entente en 2006 :
Les deux parties conviennent de garantir que le droit à l'éducation ne doit pas être enfreint. Elles sont d'accord pour mettre immédiatement un terme aux activités comme le réquisitionnement des établissements d'enseignement pour s'en servir... et pour ne pas construire des casernes qui auraient des conséquences dommageables sur les écoles.[115]
Le Sud Soudan envisage actuellement de modifier la législation pour faire de l'utilisation militaire des écoles par les forces armées nationales un délit de droit pénal, les sanctions comprenant le passage en cour martiale, la révocation et la suspension du commandement.[116] En septembre 2014, le chef d'état-major de la SPLA a rendu une ordonnance diffusée à l'ensemble des unités visant à « réaffirmer » que « tous les membres de la SPLA ont l'interdiction formelle… d'occuper ou d'utiliser des écoles, de quelque manière que ce soit ». Elle stipule qu'un membre quel qu'il soit de la SPLA enfreignant cette directive est soumis à « l'éventail des sanctions disciplinaires et administratives prévues en vertu du droit international et du droit sud-soudanais ».[117]
Dix-sept groupes armés non étatiques originaires notamment de la Birmanie, d'Inde, d'Iran, du Soudan, de Syrie, et de Turquie, ont signé des déclarations d'engagement élaborées par l'organisation non gouvernementale Appel de Genève (Geneva Call) s'engageant ainsi :
Nous éviterons... d'utiliser à des fins militaires les écoles ou les locaux utilisés principalement par les enfants.[118]
Enfin, en 2012, le Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies a exigé des forces contributrices de troupes la chose suivante : « Les écoles ne seront pas utilisées par les militaires dans leurs opérations. »[119]
Lignes directrices internationales pour la protection des écoles contre l'utilisation militaire
Les « Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés » sont le résultat de consultations entre des représentants compétents issus des ministères des Affaires étrangères, de la Défense, de l'Éducation et des forces armées de 14 pays d'Afrique, des Amériques, d'Asie, d'Europe et du Moyen-Orient et de représentants d'organisations de défense des droits humains et d'organisations humanitaires.[120] Les États allaient des nations membres de l'OTAN à des pays en développement qui avaient expérimenté ou expérimentaient toujours, les conflits armés. Les Lignes directrices ont été élaborées pour être utilisées par toutes les parties à un conflit armé, à la fois les États et les groupes armés non gouvernementaux. Elles ont été finalisées dans le cadre d'un processus mené par la Norvège et l'Argentine et ont été publiées le 16 décembre 2014.
Les Lignes directrices ne sont pas juridiquement contraignantes, mais elles se fondent sur les obligations existantes tant en vertu des lois internationales sur les conflits armés que sur le droit international relatif aux droits humains. En se fondant également sur des exemples existants de bonnes pratiques déjà appliquées par certaines parties à un conflit armé, les Lignes directrices reflètent ce qui est réalisable dans la pratique et reconnaissent que les parties à un conflit armé sont immanquablement confrontées à des dilemmes qui requièrent de trouver des solutions pragmatiques.
Les Lignes directrices commencent par rappeler l'admonition générale selon laquelle « les parties à un conflit armé sont instamment priées de ne pas utiliser les écoles et les universités à des fins d'appui de l'effort militaire. S'il est admis que certaines utilisations ne sont pas contraires au droit des conflits armés, toutes les parties devraient s'efforcer de ne pas empiéter sur la sécurité et l'éducation des élèves ».[121] Les Lignes directrices donnent ensuite six lignes directrices en matière de pratiques responsables (voir Annexe II).
Les pays peuvent approuver les Lignes directrices et s'engager à les mettre en œuvre en rejoignant la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, qui a été ouverte aux signatures le 29 mai 2015. Au mois d’octobre 2015, 49 pays avaient adhéré à cette Déclaration et de ce fait entériné les Lignes directrices, notamment 13 nations africaines : l'Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, le Kenya, le Libéria, Madagascar, le Mozambique, le Niger, le Nigéria, la République centrafricaine, Sierra Leone, le Soudan du Sud, le Tchad, et la Zambie.
V. Protections juridiques pour les écoles, les enfants et l'éducation
La législation congolaise, les lois relatives aux conflits armés et le droit international relatif aux droits humains incluent tous des dispositions applicables à l'utilisation des écoles à des fins militaires et à la protection des enfants.
La législation nationale congolaise
La constitution congolaise garantit à tous le droit à l'éducation et à six années d'éducation primaire gratuite et obligatoire dans les écoles publiques.[122]
En 2009, la République démocratique du Congo a adopté la Loi portant protection de l'enfant, qui précise clairement l'importance de l'éducation en incluant, au titre d'un droit inhérent de l'enfant à la vie, l'obligation parentale et de « l’État » à l’égard d’un enfant, d'assurer « sa survie, son éducation, sa protection et son épanouissement ».[123]
La Loi sur la protection de l'enfant consacre le droit de tout enfant congolais à l'éducation, notamment l'exigence parentale consistant à « envoyer leurs enfants à l'école sans aucune discrimination ». Dans la loi, l'État garantit le droit des enfants à l'éducation en rendant l'éducation primaire obligatoire et gratuite, et en organisant « les différentes formes d’enseignement secondaire et professionnel ». En outre, l'État « intègre l'enseignement des droits humains, en particulier des droits et devoirs de l'enfant », au sein du système éducatif.[124]
Aux termes de la Loi sur la protection de l'enfant, l'État congolais garantit aussi la « protection, l'éducation, et les soins » apportés aux enfants touchés par les conflits armés, les troubles civils ou les tensions.[125] En effet, un enfant doit être considéré comme se trouvant dans une situation difficile et par conséquent bénéficier d'une protection spéciale si il ou elle n'est pas scolarisé ou n'exerce aucune activité professionnelle.[126]
Des individus accusés d'avoir attaqué des écoles qui ne constituaient pas un objectif militaire ont été poursuivis devant les tribunaux militaires en RD Congo. Ainsi, en août 2006, un tribunal militaire en Ituri a reconnu coupable de six chefs d'accusation Ives Kahwa Panga Mandro (« le Chef Kahwa »), fondateur du Parti pour l'unité et la sauvegarde de l'intégrité du Congo, notamment du crime de guerre consistant à diriger intentionnellement des attaques contre une école primaire, une église et un centre médical. Citant les dispositions de la constitution congolaise qui permettent aux cours et aux tribunaux militaires d'appliquer les traités internationaux, le tribunal a directement fait relever le crime du Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour pénale internationale (CPI) en le qualifiant de crime consistant à diriger intentionnellement des attaques contre des établissements d'enseignement.[127]
Le droit des conflits armés (le droit international humanitaire)
La protection des écoles
Le droit des conflits armés (connu également comme le droit international humanitaire) est l'ensemble des lois qui régissent la conduite dans les conflits armés internationaux et non internationaux. Le protocole additionnel II aux Conventions de Genève, applicable aux conflits armés non internationaux, considère comme une « garantie fondamentale » que les enfants reçoivent une éducation, telle que la désirent leurs parents.[128]
Normalement, les écoles sont des infrastructures civiles et à ce titre, elles ne doivent pas être l'objet d'attaques sauf à devenir des objectifs militaires légitimes.[129] Diriger intentionnellement des attaques contre des écoles qui ne sont pas des objectifs militaires légitimes constitue un crime de guerre. En cas de doute quant à l'utilisation d'une école comme contribution effective à l'action militaire, il sera présumé que cela n'est pas le cas.[130]
Le droit des conflits armés exige des parties au conflit qu'elles prennent des précautions contre les effets des attaques. Dans la mesure où les écoles sont des infrastructures civiles, les parties au conflit doivent, dans toute la mesure du possible, a) éviter de placer des objectifs militaires à l'intérieur ou à proximité des zones fortement peuplées, b) s'efforcer d'éloigner la population civile, les personnes civiles et les objets de caractère civil soumis à leur autorité du voisinage des objectifs militaires et c) prendre les autres précautions nécessaires pour protéger les écoles soumises à leur autorité contre les dangers résultant des opérations militaires.[131]
Par conséquent, transformer une école en objectif militaire (par exemple en l'utilisant comme des casernes) l'expose à des attaques éventuelles de l'ennemi qui pourraient être légitimes conformément au droit des conflits armés. Localiser des objectifs militaires (un camion militaire, par exemple) dans une cour d'école accroît aussi le risque de voir l'école subir des dommages accessoires suite à une attaque contre des objectifs militaires qui pourraient être légitimes conformément au droit des conflits armés.
Les écoles bénéficient également d'une protection spéciale au titre de biens culturels en droit coutumier, et chacune des parties au conflit doit respecter et protéger les bâtiments dédiés à l'éducation qui font partie des biens culturels.[132] Cela implique une obligation de diligence afin d'éviter les dommages causés aux bâtiments dédiés à l'éducation (à moins qu'il ne soient des objectifs militaires) ainsi que l'interdiction de saisir, de détruire ou de causer des dommages intentionnels aux institutions dédiées à l'éducation.[133]
De plus, il faut tenir compte également d'autres règles et principes du droit des conflits armés. Dans cette catégorie se trouvent les protections spéciales accordées aux enfants.[134] Si les établissements d’enseignement sont totalement ou partiellement utilisés à des fins militaires, la vie et la sécurité physique des enfants peuvent être mises en danger et l'accès à l'éducation peut être limité, voire empêché, soit parce que les enfants ne vont plus à l'école de crainte d'être tués ou blessés lors d'une attaque par les forces adverses, soit parce qu’ils ont été privés du bâtiment habituellement utilisé pour l'enseignement.
Interdiction d'utiliser les enfants dans les conflits armés
Les lois relatives aux conflits armés et le droit international relatif aux droits humains interdisent le recrutement et l'utilisation des enfants soldats. Le protocole additionnel II interdit aux groupes armés étatiques et non étatiques de recruter ou d'utiliser des enfants âgés de moins de 15 ans dans les conflits armés.[135]
En 2000, l'ONU a adopté le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant sur l'implication d'enfants dans les conflits armés (le « Protocole facultatif »).[136] Le protocole facultatif, ratifié par la RD Congo, a élevé le niveau des normes établies par la Convention de l'ONU sur les droits de l'enfant en fixant l'âge minimal légal pour la conscription, le recrutement forcé ou la participation directe aux hostilités à 18 ans.[137] Le protocole facultatif interdit tout recrutement ou toute utilisation d'enfants de moins de 18 ans par les groupes armés non étatiques : « Les groupes armés qui sont distincts des forces armées d'un État ne devraient en aucune circonstance enrôler ni utiliser dans les hostilités des personnes âgées de moins de 18 ans. » Il oblige également les gouvernements à « prendre toutes les mesures possibles pour empêcher l'enrôlement et l'utilisation de ces personnes, notamment les mesures d'ordre juridique voulues pour interdire et sanctionner pénalement ces pratiques. »[138]
Les individus qui commettent de graves violations du droit international humanitaire dans une intention criminelle sont responsables de crimes de guerre. En vertu du droit coutumier international humanitaire et du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), la conscription ou le recrutement d'enfants de moins de quinze ans ou leur utilisation pour les faire participer activement à des hostilités par des membres des forces armées ou des groupes armés non étatiques constitue un crime de guerre.[139]
Le statut de la CPI précise que la responsabilité pénale individuelle s'étend aussi au-delà de l'utilisation des enfants comme combattants armés. Conformément au statut de la CPI, le crime de guerre que constitue le recrutement ou l'utilisation des enfants soldats :
Couvre à la fois la participation active et directe aux combats et la participation active aux activités militaires comme celles d'éclaireur, d'espionnage et de sabotage, et l'utilisation des enfants comme leurres, coursiers ou aux postes de contrôle militaires... [L']utilisation des enfants dans une fonction de support direct comme porteurs pour acheminer du ravitaillement (ou matériel) en première ligne en fait partie.[140]
Droit international relatif aux droits humains
Le droit international humanitaire est applicable en tout temps, à l'exception de dérogations licites. Un certain nombre de dispositions relatives au droit international relatif aux droits humains est pertinent au regard de la question de l'utilisation des écoles à des fins militaires.
Le droit international relatif aux droits humains garantit aux élèves, aux enseignants, aux universitaires et à l'ensemble du personnel d'éducation le droit à la vie,[141] à la liberté individuelle et à la sécurité.[142] Les États sont également tenus d'assurer, dans toute la mesure possible, la survie et le développement des enfants.[143]
En tant qu’enfants, les élèves âgés de moins de 18 ans bénéficient de protections spéciales en vertu du droit international relatif aux droits humains. Selon la Convention relative aux droits de l'enfant (CDE), dans toutes les décisions concernant les enfants, qu'elles soient prises par des établissements de bien-être social publics ou privés, par les tribunaux, par des autorités administratives ou par des organes législatifs, « l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».[144]
Chacun a droit à l'éducation.[145] En vue d'assurer le plein exercice de ce droit, les États doivent rendre l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous, l'enseignement secondaire généralement disponible et accessible à tous, et rendre accessible à tous, en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, l'enseignement supérieur.[146] Les conditions matérielles du personnel enseignant doivent être améliorées de façon continue.[147] Les États doivent aussi adopter des mesures pour encourager la fréquentation scolaire régulière des enfants et la réduction du taux d'abandon scolaire.[148] En ce qui concerne les enfants, les États doivent prendre ces mesures dans toutes les limites des ressources dont ils disposent et, s'il y a lieu, dans le cadre de la coopération internationale.[149]
La CDE, l'un des principaux instruments internationaux garantissant le droit des enfants à l'éducation, ne contient aucune disposition y portant dérogation ou suspension.[150]
Annexe I : Déclaration sur la sécurité dans les écoles
Déclaration sur la sécurité dans les écoles
L'impact des conflits armés sur l'éducation engendre des défis humanitaires et de développement et des problèmes sociaux plus larges auxquels il est urgent de s'attaquer.
Dans le monde entier, des écoles et des universités ont été bombardées, détruites ou brûlées, et des enfants, des étudiants, des enseignants et des universitaires ont été tués, mutilés, enlevés ou détenus de manière arbitraire. Des établissements d'enseignement ont été utilisés comme bases, comme casernes ou comme centres de détention par des parties aux conflits armés. Ces agissements exposent les étudiants et le personnel enseignant à des dangers, empêchent un grand nombre d'enfants et d'étudiants d'exercer leur droit à l'éducation et privent des communautés entières des bases nécessaires pour construire leur avenir. Dans de nombreux pays, les conflits armés continuent ainsi de détruire non seulement les infrastructures scolaires, mais aussi les espoirs et les ambitions de toute une génération d'enfants.
Les attaques contre l'éducation comprennent les actes de violence contre les établissements d'enseignement, les étudiants et le personnel enseignant. Les attaques, ainsi que les menaces d'attaque, peuvent causer des préjudices graves et durables aux individus et aux sociétés. L'accès à l'éducation peut être compromis, le fonctionnement des établissements d'enseignement peut être entravé, ou bien les enseignants et les élèves peuvent rester chez eux, craignant pour leur sécurité. Les attaques contre les écoles et les universités ont été utilisées pour promouvoir l'intolérance et l'exclusion – pour favoriser la discrimination fondée sur le sexe, en empêchant par exemple l'éducation des filles, pour perpétuer les conflits entre certaines communautés, pour limiter la diversité culturelle et pour refuser la liberté académique ou le droit d'association. L'utilisation d'établissements d'enseignement à des fins militaires peut accroître le risque d’enrôlement et d'emploi d’enfants par des acteurs armés ou exposer les enfants et les jeunes à des abus ou exploitations à caractère sexuel. Elle peut en particulier augmenter le risque d'attaques contre les institutions dédiées à l’éducation.
En revanche, l'éducation peut contribuer à protéger les enfants et les jeunes contre la mort, les dommages corporels et l'exploitation ; elle peut atténuer l'impact psychologique des conflits armés en offrant une routine et une stabilité et donner accès à d'autres services essentiels. Une éducation qui tient compte des conflits n'alimente pas le conflit et contribue à la paix. L'éducation est fondamentale au développement et à la pleine jouissance des droits de l'homme et des libertés. Nous ferons tout notre possible pour veiller à ce que les lieux d'éducation soient des lieux sûrs.
Nous saluons les initiatives prises par certains États pour promouvoir et protéger le droit à l'éducation et pour faciliter la continuité de l'éducation dans des situations de conflit armé. Lorsque la continuité de l'éducation est assurée, des informations vitales sur la santé ainsi que des conseils sur les risques inhérents aux sociétés en proie à un conflit armé peuvent être transmis.
Nous nous félicitons des travaux du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le sort des enfants en temps de conflit armé et reconnaissons le rôle crucial du mécanisme de surveillance et de communication de l'information pour les violations graves commises contre les enfants dans des conflits armés. Nous soulignons l'importance des résolutions 1998 (2011) et 2143 (2014) du Conseil de sécurité qui, entre autres, demandent instamment à toutes les parties à des conflits armés de s’abstenir de toute action qui entraverait l’accès des enfants à l’éducation et encouragent les États Membres à envisager de prendre des mesures concrètes pour dissuader les forces armées et les groupes armés non étatiques d’utiliser les écoles en violation du droit international applicable.
Nous saluons l'élaboration des « Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés ». Ces Lignes directrices ne sont pas juridiquement contraignantes. Elles sont facultatives et n'affectent pas le droit international en vigueur. Elles s'inspirent des bonnes pratiques existantes et fournissent des orientations destinées à réduire encore l'impact des conflits armés sur l'éducation. Nous saluons les efforts déployés pour diffuser ces lignes directrices aux forces armées, aux groupes armés et aux autres acteurs concernés et promouvoir leur mise en œuvre.
Nous rappelons l'importance, en toutes circonstances, du respect total du droit international applicable, et notamment la nécessité de se conformer aux obligations pertinentes en matière de lutte contre l'impunité.
Reconnaissant le droit à l'éducation et le rôle de l'éducation pour promouvoir la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations ; déterminés à renforcer progressivement et concrètement la protection des civils dans les conflits armés, et en particulier des enfants et des jeunes ; résolus à œuvrer ensemble pour assurer la sécurité dans toutes les écoles ; nous approuvons les « Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés », et :
- nous utiliserons les Lignes directrices et les intègrerons dans nos politiques nationales et nos cadres opérationnels, dans toute la mesure nécessaire et possible ;
- nous ferons tout notre possible au niveau national pour recueillir des données pertinentes fiables sur les attaques contre les établissements d'enseignement, sur les victimes de ces attaques, et sur l'utilisation militaire des écoles et des universités durant les conflits armés, notamment par les mécanismes existants de surveillance et de communication de l'information, pour faciliter cette collecte de données et pour apporter une assistance non-discriminatoire aux victimes ;
- nous enquêterons sur les allégations de violation du droit national et international en vigueur et, le cas échéant, poursuivrons les auteurs de manière appropriée ;
- nous élaborerons, adopterons et promouvrons, dans le cadre de programmes humanitaires et de développement et, le cas échéant, au niveau national, des approches dans le domaine de l'éducation qui tiennent compte des conflits ;
- nous essaierons d'assurer la continuité de l'éducation durant les conflits armés, soutiendrons le rétablissement des installations scolaires et universitaires et, si nous sommes en mesure de le faire, fournirons et faciliterons une coopération et une assistance internationales aux programmes destinés à prévenir les attaques contre l'éducation, ou à y riposter, notamment pour la mise en œuvre de cette déclaration ;
- nous soutiendrons les efforts du Conseil de sécurité de l'ONU concernant le sort des enfants dans les conflits armés et du Représentant spécial du Secrétaire général pour le sort des enfants en temps de conflit armé ainsi que d'autres organismes, entités et institutions pertinents de l'ONU ;
- nous nous réunirons régulièrement, en invitant les organisations internationales concernées et la société civile, afin d'examiner la mise en œuvre de cette déclaration et l'utilisation des lignes directrices.
Annexe II : Lignes directrices
LIGNES DIRECTRICES POUR LA PROTECTION DES ÉCOLES ET DES UNIVERSITÉS CONTRE L’UTILISATION MILITAIRE DURANT LES CONFLITS ARMÉS
Les parties à un conflit armé sont priées de ne pas utiliser les écoles et les universités pour quelque raison que ce soit à l'appui de leur effort militaire. Bien qu'il soit reconnu que certaines utilisations ne seraient pas contraires au droit des conflits armés, toutes les parties devraient s'efforcer d'éviter d’empiéter sur la sécurité et l'éducation des élèves, en utilisant ce qui suit comme un guide pour une pratique responsable :
Ligne directrice 1: Les écoles et les universités en fonctionnement ne devraient en aucune façon être utilisées par les forces combattantes de parties à un conflit armé à l'appui de l'effort militaire.
- (a) Ce principe s'applique aux écoles et universités qui ont temporairement fermées en dehors des heures de classe normales, pendant les week-ends et les jours fériés et pendant les périodes de vacances.
- (b) Les parties à un conflit armé ne devraient ni recourir à la force, ni offrir des incitations aux administrateurs de l'éducation afin de faire évacuer les écoles et les universités pour que celles-ci puissent être mises à disposition pour utilisation à l'appui de l'effort militaire.
Ligne directrice 2: Les écoles et les universités qui ont été abandonnées ou évacuées en raison des dangers présentés par le conflit armé ne devraient pas être utilisées par les forces combattantes de parties à un conflit armé à l'appui de leur effort militaire, sauf dans des circonstances aggravantes où il n’existe aucune alternative viable, et aussi longtemps qu’il n’y a pas d'autre choix possible entre une telle utilisation de l’école ou de l’université et une autre méthode possible pour obtenir un avantage militaire équivalent. D’autres bâtiments devraient être considérés comme de meilleures options et utilisés de préférence aux bâtiments scolaires et universitaires, même s’ils ne sont pas aussi bien placés ou configurés, sauf lorsque ces bâtiments sont particulièrement protégés au regard du droit international humanitaire (par exemple les hôpitaux) et en gardant à l’esprit que les parties à un conflit armé doivent toujours prendre toutes les précautions réalisables pour protéger tous les biens civils contre les attaques.
- (a) Toute utilisation d’écoles et d’universités abandonnées ou évacuées devrait durer le minimum de temps nécessaire.
- (b) Les écoles et les universités abandonnées ou évacuées qui sont utilisées par les forces combattantes de parties à un conflit armé à l'appui de l'effort militaire devraient rester disponibles pour permettre aux autorités éducatives de rouvrir dès que possible après que les forces combattantes les ont évacuées, à condition que cela ne risque pas de compromettre la sécurité des élèves et du personnel.
- (c) Toute trace ou indication démilitarisation ou de fortification devrait être complètement éliminée après le retrait de forces combattantes, et tous les efforts devraient être faits pour réparer au plus vite tous dommages causés à l'infrastructure de l'institution. En particulier, toutes les armes, les munitions et les engins ou les restes de guerre non explosés devraient être enlevées du site.
Ligne directrice 3 : Les écoles et les universités ne doivent jamais être détruites comme une mesure destinée à priver les parties opposées d’un conflit armé de la possibilité de les utiliser à l'avenir. Les écoles et les universités—qu’elles soient ouvertes, fermées pour la journée ou pour les vacances, évacuées ou abandonnées—sont des biens de caractère civil.
Ligne directrice 4 : Si l’utilisation d'une école ou d'une université par les forces combattantes de parties à un conflit armé à l'appui de leur effort militaire peut, selon les circonstances, avoir pour effet de les transformer en objectif militaire en proie aux attaques, les parties à un conflit armé doivent envisage toutes les mesures alternatives possibles avant de les attaquer notamment, sauf si les circonstances ne le permettent pas, alerter l'ennemi à l'avance qu'une attaque surviendra s’il ne cesse pas son utilisation.
- (a) Avant toute attaque contre une école devenue un objectif militaire, les parties à un conflit armé doivent prendre en considération le fait que les enfants ont droit à un respect et une protection spéciaux. Une considération complémentaire importante est l'effet négatif potentiel à long terme sur l'accès de la communauté à l'éducation présenté par les dommages ou la destruction d’une école.
- (b) L'utilisation d'une école ou d'une université par les forces combattantes d'une partie à un conflit, à l'appui de l'effort militaire, ne devrait pas servir de motif à la partie adverse qui s’en empare pour continuer à l'utiliser à l'appui de l'effort militaire. Dès que possible, toute trace ou indication démilitarisation ou de fortification devrait être enlevée et l'installation restituée aux autorités civiles dans le but de réaliser sa fonction éducative.
Ligne directrice 5 : Les forces combattantes de parties à un conflit armé ne devraient pas être employées pour assurer la sécurité dans les écoles et les universités, sauf lorsque des moyens alternatifs d’assurer une sécurité essentielle ne sont pas disponibles. Si possible, du personnel civil adéquatement formé devrait être utilisé pour assurer la sécurité pour les écoles et les universités. Si nécessaire, il devrait être envisagé d’évacuer les enfants, les élèves et le personnel vers un lieu plus sûr.
- (a) Si des forces de combat sont engagées dans des tâches de sécurité liées aux écoles et aux universités, leur présence dans l'enceinte ou dans les bâtiments devrait être évitée autant que possible afin d’éviter de compromettre le statut civil de l’établissement et de perturber l'environnement d'apprentissage.
Ligne directrice 6 : Toutes les parties à un conflit armé devraient, autant que possible et le cas échéant, intégrer ces Lignes directrices par exemple dans leur doctrine, leurs manuels militaires, leurs règles d'engagement, leurs ordres opérationnels et autres moyens de diffusion, afin d'encourager la pratique appropriée tout au long de la chaîne de commandement. Les parties à un conflit armé devraient déterminer la façon la plus appropriée de s’y prendre.
Remerciements
Le présent rapport a été rédigé par Thomas Gilchrist, Algrant Fellow et Bede Sheppard, directeur adjoint de la division des droits de l'enfant chez Human Rights Watch sur la base de leurs recherches. Des recherches complémentaires ont été menées par Lane Hartill, chercheur, et Ida Sawyer, chercheuse senior à la division Afrique. Nous tenons également à remercier nos collègues et partenaires congolais qui ne peuvent être cités ici pour des raisons de sécurité.
Ce rapport a été révisé par Zama Coursen-Neff, directeur de la division Droits de l'enfant ; Ida Sawyer, chercheuse senior à la division Afrique ; Timo Mueller, chercheur à la division Afrique ; Anneke Van Woudenberg, directrice adjointe à la division Afrique ; James Ross, directeur juridique et politique et Danielle Haas, rédactrice en chef au bureau des programmes. La traduction française de ce rapport a été assurée par l’agence Exatrad, et revue par Ida Sawyer, Peter Huvos, rédacteur du site web en français de Human Rights Watch, et Timo Mueller.
Helen Griffiths, associée à la division des droits de l'enfant, Grace Choi, directrice des publications, Kathy Mills, responsable de publication et Jose Martinez, coordonnateur principal, ont apporté leur concours à la production.
Nous remercions les élèves, enseignants, directeurs d'école et administrateurs qui nous ont longuement parlé de leurs expériences. La rédaction du présent rapport n'aurait pas été possible sans leurs témoignages.