(Saint-Domingue, le 1er juillet 2015) – Des dizaines de milliers de Dominicains d'origine haïtienne demeurent dans une situation de vide juridique et dans l'incapacité de faire valoir leurs droits fondamentaux, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport paru aujourd'hui. La situation n'a toujours pas été réglée en dépit d’efforts entrepris par le gouvernement visant à y remédier.
Le rapport de 48 pages, intitulé « We are Dominican: Arbitrary Deprivation of Nationality in the Dominican Republic » (« Nous sommes dominicains : Privation arbitraire de la nationalité en République dominicaine » analyse des centaines de cas signalés dans 13 provinces partout dans le pays. Human Rights Watch a établi que les Dominicains d'origine haïtienne sont toujours dans l'incapacité d'accéder à des fonctions civiques élémentaires comme l'enregistrement des enfants à la naissance, l'inscription dans les écoles et établissements d'enseignement supérieur, la participation à l'économie formelle ou les déplacements dans le pays sans risque d'expulsion.
« La République dominicaine refuse à des dizaines de milliers de citoyens leur droit à la nationalité et malgré des messages contradictoires, les individus sont arrêtés et expulsés hors des frontières », a déclaré José Miguel Vivanco, Directeur de la division Amériques de Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait immédiatement cesser d'expulser les Dominicains d'origine haïtienne, et leur permettre de faire valoir leurs droits. »
Human Rights Watch a mené des recherches en République dominicaine entre février et mai 2015, interrogeant plus de 100 victimes, dirigeants communautaires, experts juridiques, responsables gouvernementaux et représentants d'organisations des droits humains locales. Human Rights Watch a étudié plus de 60 cas pour lesquels des Dominicains d'origine haïtienne ont été arrêtés arbitrairement, et dans certains cas, expulsés de force vers Haïti malgré le fait qu'ils possédaient des papiers dominicains en bonne et due forme. Human Rights Watch a également constaté l'existence de centaines de cas selon lesquels des Dominicains d'origine haïtienne ne peuvent toujours pas exercer pleinement leurs droits au titre de citoyens dominicains.
En 2013, la Cour constitutionnelle dominicaine, la plus haute cour d'appel du pays en matière de questions de constitutionnalité, a retiré sommairement la nationalité à des dizaines de centaines de Dominicains sur la base de la réinterprétation rétroactive de la loi sur la nationalité du pays. La Cour a déclaré que nonobstant la disposition de la Constitution selon laquelle la citoyenneté dominicaine est un droit de naissance pour quiconque est né en République dominicaine entre 1929 et 2010, les personnes nées de parents migrants sans papiers à l'époque n'étaient pas couverts par cette protection constitutionnelle et n'étaient pas citoyens rétrospectivement. Cette décision contrevenait au droit international en matière de droits humains et a exposé des milliers de personnes à l'expulsion.
En 2014, l'administration du président Danilo Medina a tenté d'atténuer la décision de la haute cour par le biais d'une « loi sur la naturalisation » visant à remédier à la situation. Cependant, cette loi a rencontré des vices de conception et de mise en œuvre qui ont contrecarré le processus de renationalisation.
Dans le cas des Dominicains d'origine haïtienne dont la citoyenneté avait déjà été enregistrée par le gouvernement, Human Rights Watch a établi que les agences gouvernementales chargées des registres de l'état civil ont refusé de restituer les documents originaux de nationalité. Au lieu de cela, les responsables ont commencé à séparer ceux qui tombaient sous le coup de la décision de 2013 pour les faire figurer dans de nouveaux registres civils. Ce processus de soi-disant transcription n'est pas nécessaire, demande beaucoup de travail supplémentaire aux autorités gouvernementales et provoque des retards empêchant des milliers d'individus d'exercer pleinement leurs droits à la citoyenneté.
De plus, les autorités militaires et de l'immigration ont identifié les Dominicains d'origine hawaïenne de manière répétée, les arrêtant et les expulsant par la force, même s'ils possèdent des papiers dominicains en règle.
Dans le cas des Dominicains qui n'avaient pas encore pu s'inscrire auprès des autorités, Human Rights Watch a établi que les Domincains, en majorité des enfants, sont contraints de s'enregistrer comme « étrangers » afin d'être naturalisés comme citoyens dominicains, ce qui porte atteinte à leurs droits. D'onéreuses exigences en matière de documentation ont sommairement exclu plusieurs personnes, surtout compte tenu de la courte fenêtre de mise en œuvre de 180 jours.
Ce processus semble avoir eu des incidences disproportionnées sur les enfants des mères dont certains papiers d'identité manquaient et qui n'ont pu les obtenir avant la date butoir de février. De plus, les autorités militaires et de l'immigration ont molesté, incarcéré et expulsé les individus qui essayaient de s'inscrire.
Pour compliquer davantage la loi sur la naturalisation, depuis 2014, le gouvernement poursuit un plan de « régularisation » à destination des migrants haïtiens sans papiers qui se sont rendus en République dominicaine pour travailler depuis Haïti. Les autorités dominicaines ont offert aux migrants l'occasion d'obtenir des permis de travail temporaires. Bien qu'il s'agisse d'un effort louable, ce processus est jonché de défaillances sur le plan de sa conception et de sa mise en œuvre.
Le gouvernement dominicain devrait immédiatement restituer la pleine nationalité de tous ceux qui ont été touchés par la décision de 2013 et garantir leur protection contre l'expulsion vers Haïti. Le gouvernement devrait élaborer des procédures d'expulsion conformes aux normes internationales qui examinent et tranchent au cas par cas les dossiers des individus qui pourraient être légalement expulsés et il devrait préserver l'unité familiale.
« L'année dernière, l'administration du président Danilo Medina a pris des mesures pour remédier à la situation de dizaines de milliers de Dominicains d'origine haïtienne », a conclu Jose Miguel Vivanco. « Alors que les efforts du gouvernement en matière de naturalisation ont été positifs, il devrait mettre fin aux expulsions de masse et aux menaces tout en améliorant le processus de régularisation. »
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Informations complémentaires
Cas cités dans le rapport
Le 19 février, Wilson, 25 ans, a été arrêté près de la ville de Mao. Les policiers ont refusé de le laisser aller à son domicile pourtant proche pour chercher son acte de naissance dominicain. Ils l'ont obligé à monter dans un camion, l'ont emmené à la ville frontalière de Dajabón et lui ont intimé, ainsi qu'à 32 autres détenus, de passer de l'autre côté de la frontière dans la ville d'Ouanaminthe, en Haïti.
Il n'avait jamais été à Haïti, n'avait pas d'argent sur lui, aucun moyen de communication et pas de document d'identification. Les employeurs de Wilson ont pris son acte de naissance et l'ont retrouvé au service de la Direction générale des migrations à la frontière à Dajabón. Le responsable de l'immigration a argué qu'en dépit d'un acte de naissance valide, Wilson était Haïtien et qu'il avait refusé de lui donner une lettre l'autorisant à rentrer chez lui dans la province de Valverde. Wilson a réussi à franchir les nombreux points de contrôle accompagnés de ses employeurs et en montrant son acte de naissance.
Karina, 35 ans, est née en République dominicaine de parents haïtiens. À la naissance, elle a été déclarée dominicaine. Bien qu'elle ait obtenu une carte d'identification valide à l'âge de 18 ans, à l'âge de 24 ans, le gouvernement lui a refusé la délivrance des documents nécessaires à son inscription à l'université, au prétexte que sa revendication à la nationalité faisait l'objet d'une enquête. Dans l'incapacité de poursuivre ses études, Karina a commencé à travailler comme femme de chambre dans un grand établissement balnéaire où elle travaille depuis 10 ans maintenant.
En octobre2014, Karina a entrepris un voyage de deux heures pour se rendre de la province d'Altagracia, où elle habite, à la capitale pour un entretien concernant la validité de sa nationalité. Les fonctionnaires se sont déclarés satisfaits de ses réponses, mais ont déclaré qu'ils ne pouvaient pas renouveler sa carte d'identification jusqu'à ce que le processus de vérification soit terminé. Elle s'est depuis absentée de son travail pour refaire le même trajet vers Saint-Domingue à quatre reprises afin de vérifier l'état de son dossier. Puis, début 2015, les fonctionnaires l'ont informée que le processus avait été transféré à El Seibo, sa province de naissance. Fin avril, la vérification était toujours en cours.
Du fait que Karina n'a pas été en mesure de renouveler sa carte d'identification, qui a expiré à l'automne dernier, elle dit ne plus pouvoir faire valoir son assurance médicale et devoir payer de sa poche les honoraires des médecins. Elle n'a plus pleinement accès à son compte bancaire ou à sa carte de crédit, et a rencontré des difficultés pour s'acquitter des factures de services et de son prêt immobilier. Quant à ses études, elle ne peut toujours pas les poursuivre.
Rosanna, 17 ans, est née en République dominicaine de parents haïtiens qui avaient immigré d'Haïti 20 ans plus tôt. Après la décision sur la dénationalisation de 2013, elle a été contrainte de quitter l'école publique pour cueillir des fruits à la campagne pour moins de 3 US$ par jour. Rosanna souhaitait s'inscrire en vertu de la loi sur la naturalisation, mais elle n'a pas pu le faire. Confrontée à un processus bureaucratique insondable et ne pouvant se payer les services d'un avocat, elle s'est alors tournée vers des organisations non gouvernementales éparpillées qui n'ont pas pu l'aider à achever la procédure dans les délais prescrits. Elle est désormais dans l'incapacité de s'inscrire en qualité de citoyenne dominicaine et n'a aucun moyen de poursuivre ses études.