Les autorités qataries devraient mettre en place des réformes du marché du travail pour protéger les travailleurs migrants contre des violations graves des droits humains en allant au-delà des propositions de 2014 qui constituent un premier pas, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch dans son Rapport mondial 2015.
En réponse à la pression internationale croissante contre les abus de droits graves commis dans le secteur du bâtiment, les autorités qataries ont annoncé leur intention d’appliquer les réformes du travail proposées « d’ici début 2015 ». Les propositions manquent de détails mais, si elles entrent en vigueur, elles réformeront en partie le système de parrainage du Qatar, appelé kafala, elles augmenteront les amendes imposées en cas de confiscation de passeport et elles permettront aux travailleurs de recevoir plus facilement des visas de sortie afin de quitter le territoire. Cependant, si les réformes reposent uniquement sur ces propositions, elles ne protégeront pas correctement les travailleurs migrants contre le trafic humain, le travail forcé et d’autres violations graves des droits, et ne leur garantiront pas le droit de quitter le pays.
« Le Qatar a reconnu que des réformes sont nécessaires et s’est engagé à prendre des mesures dans ce sens », a observé Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord. « Alors que les détracteurs du Qatar cherchent à empêcher ce pays d’accueillir la Coupe du monde de football de 2022, la meilleure défense du gouvernement serait d’adopter d’importantes réformes législatives mettant fin une fois pour toutes au système de parrainage et aux frais de recrutement payés par l’employé, et sanctionnant les employeurs abusifs. »
Cette 25e édition annuelle du Rapport mondial de Human Rights Watch, dont la version anglaise comprend 644 pages (et la version abrégée en français 186 pages), examine les pratiques en matière de droits humains dans plus de 90 pays. Dans son introduction, le directeur exécutif Kenneth Roth invite les gouvernements du monde à reconnaître que les droits humains constituent un repère moral efficace lors de périodes agitées, et que les violations de ces droits risquent de déclencher ou d’aggraver de graves problèmes sécuritaires. Les avantages à court terme obtenus en portant atteinte aux valeurs fondamentales que sont la liberté et la non-discrimination compensent rarement le coût à long terme de telles violations.
En mai 2014, un communiqué de presse du ministère de l’Intérieur qatari a annoncé une série de propositions de réformes du travail, notamment l’autorisation pour les travailleurs de changer d’employeur à la fin de leur contrat sans l’accord de leur employeur actuel. À condition d’y ajouter une clause permettant aux travailleurs de changer d’employeur avant la fin de leur contrat en cas d’abus, cette proposition représenterait un réel pas en avant. L’idée de multiplier par cinq la peine encourue pour confiscation de passeport pourrait être particulièrement dissuasive si elle était associée à une ferme intention de faire appliquer la loi scrupuleusement.
Le Qatar a aussi promis de réformer son système de visa de sortie, qui offre aux employeurs une liberté totale pour empêcher les travailleurs migrants de quitter le territoire. Selon la nouvelle proposition, un système automatisé délivrera les visas de sortie après un délai de grâce de 72 heures. Cependant, la loi internationale statue clairement que toute personne a le droit fondamental de quitter tout pays, y compris le sien. Des restrictions de ce droit ne doivent être autorisées que dans certains cas, d’après une loi manifeste et pour des raisons précises, par exemple lorsqu’une personne est soumise à une enquête criminelle. Le Qatar doit donc abolir sans détour son système de visa de sortie.
Le Qatar doit encore préciser si les réformes s’appliqueront aux travailleurs domestiques migrants. D’après un rapport récent d’Amnesty International, outre les problèmes rencontrés généralement par la population de travailleurs migrants, des travailleurs domestiques ont subi des violences verbales, physiques, voire sexuelles sur leurs lieux de travail. Ils ne sont pas couverts par les protections générales fournies par les lois du travail de l’émirat.
« Les travailleurs domestiques sont isolés dans des maisons privées et souvent exposés à un risque élevé d’abus », a ajouté Sarah Leah Whitson. « Le Qatar ne doit pas limiter ses réformes au secteur du bâtiment, mais étendre ses lois du travail aux travailleurs domestiques en veillant à ce que les modifications du système de kafala s’appliquent également à eux. »
Le Qatar a aussi adopté des lois qui remettent également en question sa réputation de centre de la liberté des médias. En septembre, l’émir a approuvé une loi sur la « répression des délits électroniques », dont certaines dispositions formulées en termes vagues prévoient des poursuites à l’encontre des individus qui publient de « fausses nouvelles dans l’intention de mettre en danger l’ordre public » et des informations qui « portent atteinte aux valeurs ou aux principes sociaux ».