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Le gouvernement français a fait part au monde entier de son engagement en faveur du droit à la confidentialité des données personnelles sur support électronique ou autre, confirmant ainsi son soutien à la résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies adoptée le 18 décembre et relative au droit à la vie privée à l'ère du numérique. La résolution que la France a coparrainée demande aux pays de réviser leurs pratiques en matière de surveillance et de garantir que le droit à la vie privée est protégé, eu égard à l'évolution des technologies, y compris par le biais d'un contrôle indépendant et d'une plus grande transparence.

Cet engagement fervent en faveur du respect de la vie privée contraste fortement avec une nouvelle loi adoptée par le parlement la semaine dernière. Cette loi peu débattue a été promulguée par le président Hollande le 19 décembre. Elle autorise la surveillance à grande échelle sans contrôle du juge, et, de fait, sans aucun contrôle pour empêcher le gouvernement de collecter de grandes quantités d'informations personnelles sur des personnes qui n'ont commis aucun délit.

Les pourfendeurs des dispositions de ce qui constitue désormais l'Article 20 de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 ont mis en garde contre le fait qu'il existait un risque d'ouvrir ainsi la voie à une surveillance extrêmement étendue des contenus et des métadonnées, y compris l'interception en temps réel. Les organisations spécialisées dans la liberté numérique et celles investies d'une mission plus étendue en matière de droits humains ainsi que les grandes sociétés de l'internet font partie des voix qui se sont élevées contre le texte législatif.

Les défenseurs de la loi indiquent que l'article controversé n'étend pas la portée de la surveillance en vertu des lois actuellement en vigueur. Ils prétendent que l'article améliore effectivement les mesures de protection car toutes les décisions sur les interceptions incomberont à une personne "qualifiée" désignée par un organisme de surveillance, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), à partir d'une liste proposée par le premier ministre. À l'heure actuelle, certaines décisions sont prises par le ministre de l'Intérieur. Cela ne constitue qu'une avancée très limitée.

La loi autorise les représentants désignés au sein des ministères de l'Intérieur, de la Défense, de l'Économie et du Budget à demander des données sur les communications aux opérateurs et aux hébergeurs de services internet sur la base de motifs extrêmement vastes comme la sécurité nationale, la "protection des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France" et la prévention du terrorisme, et ce sans aucune autorisation judiciaire. La portée de cette loi déroge aux exigences internationales de plus en plus fortes appelant à limiter strictement cette collecte de renseignements aux cas faisant peser des menaces spécifiques et réelles sur la sécurité nationale ou la sécurité publique.

En vertu du nouvel article, la "personne qualifiée" décide d'autoriser ou non la collecte des données et envoie ses décisions à la CNCIS. La commission est composée d'un sénateur, d'un député et d'un président désigné par le président français, sur proposition du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Mais elle n'a pas le pouvoir de bloquer une interception même si celle-ci est jugée illégale. Elle sera seulement en mesure de recommander au premier ministre de cesser la collecte des données.

La nouvelle loi française semble être en total décalage avec le nombre croissant de voix appelant à une modernisation des lois et des pratiques de surveillance afin de les aligner sur les devoirs incombant aux États en matière de protection de la vie privée et de la liberté d'expression. L'adoption de la résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre dernier montre qu'il existe un consensus international autour du devoir des pays de protéger le droit à la vie privée à un moment où la technologie permet une surveillance de plus en plus invasive.

Le Congrès américain a organisé au moins une douzaine d'audiences publiques sur le sujet ce qui a donné lieu à un vif débat public autour du type de législation nécessaire pour garantir le caractère juste et valable des pratiques de surveillance. Le 18 décembre, un panel désigné par le président Obama a formulé des recommandations fortes visant à mettre fin à la collecte massive de données de la NSA (agence nationale de sécurité), une contribution au débat public qui a été saluée par Obama.

La loi de programmation militaire est également une opportunité manquée d'améliorer un contrôle parlementaire très limité des services de renseignement français. La loi permet à la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) d'avoir accès à davantage d'informations sur les activités et plans des services de renseignement. Mais l'accès reste très limité et exclut les informations et documents clés comme ceux relatifs aux opérations en cours des services de renseignement et aux échanges avec les agences étrangères.

Face à l'allégation formulée cet été selon laquelle les agences de renseignement françaises procéderaient à une surveillance massive, le gouvernement français est resté silencieux sur les pratiques et sur leur éventuelle extension au-delà des frontières françaises. Six mois après, il est grand temps pour le gouvernement français de lever le voile sur ses pratiques de surveillance. Le parlement, les médias et le grand public devraient insister sur ce point.

Le droit à la vie privée et à la liberté d'expression doit être placé au cœur du débat. Chacun souhaite se protéger des menaces terroristes mais la sécurité nationale ne peut servir d'excuse pour justifier l'intrusion massive dans les activités numériques des citoyens qui concernent de plus en plus des données sur la vie privée, familiale et professionnelle.

Le débat en France ne devrait pas se limiter à la surveillance de la NSA à propos de laquelle le gouvernement n'a pas tardé à faire part de son indignation. Plutôt que d'adopter des lois qui pourront avoir de lourdes conséquences sur la protection de la vie privée des personnes aussi bien en France qu'à l'étranger, le gouvernement doit donner au public les outils pour comprendre les tenants et les aboutissants et pour prendre part à un véritable débat. D'ici janvier 2015, date d'entrée en vigueur de l'article 20, le gouvernement et le parlement doivent trouver des moyens de garantir la protection effective du droit à la vie privée plutôt que de la défendre publiquement aux Nations unies et la mettre de côté dans la pratique en France.

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