(Doha) – Le Qatar n'a pas tenu ses promesses d'amélioration des droits des travailleurs migrants, a déclaré Human Rights Watch lors d'une conférence de presse tenue à l'occasion de la présentation de son Rapport mondial 2013. Plus de deux ans après avoir été officiellement désigné comme pays hôte du Mondial 2022, il est grand temps pour le Qatar de tenir les promesses faites en matière de réformes visant à empêcher le trafic et le travail forcé des travailleurs migrants, a ajouté Human Rights Watch. Le Comité suprême Qatar 2022, le comité local — quasi gouvernemental — d'organisation du tournoi, a certes fait des promesses intéressantes sur les droits des travailleurs, mais ces promesses manquent de précisions. Elles ne dissimulent pas non plus le non-respect des autorités qatariennes, d'une part, à réformer les lois relatives à l'exploitation telles que la kafala — un système fondé sur le parrainage des employeurs et l'interdiction des syndicats — et d'autre part, à appliquer l'interdiction des commissions de placement illicites sur le recrutement illégal et la confiscation des passeports.
« Les responsables qataris ont affirmé en 2010 que l'attribution de la Coupe du monde pourrait inspirer des changements positifs et des retombées tangibles sur la région ; or, aucune réforme n'a été entreprise au cours des deux dernières années », a déclaré Jan Egeland, directeur pour l’Europe à Human Rights Watch.« Si cela continue, le tournoi va faire du Qatar le creuset de l'exploitation et de la misère des travailleurs qui l'édifieront. »
Dans son rapport de 665 pages, Human Rights Watch a évalué les progrès réalisés dans le domaine des droits humains au cours de l'année écoulée dans plus de 90 pays, faisant notamment une analyse des suites des soulèvements dans le monde arabe. La volonté des nouveaux gouvernements à respecter les droits déterminera si les soulèvements dans le monde arabe donnent naissance à une véritable démocratie ou s'ils ne font qu'accoucher d'autoritarisme paré de nouveaux atours, a déclaré Human Rights Watch.
En juin 2012, un rapport de Human Rights Watch de 146 pages intitulé “Building a Better World Cup,” (« Construire une meilleure Coupe du Monde ») a clairement mis en évidence les lacunes présentes dans le cadre législatif et réglementaire du Qatar ainsi que les conséquences que cela implique pour les travailleurs migrants. Ces derniers représentent déjà près de 90 percent de la population qatarienne qui compte 1,9 million d'habitants, et leur nombre ira croissant tandis que la construction des structures qui abriteront la Coupe du Monde 2022 démarrera réellement en 2013. La majorité d'entre eux est originaire de l'Asie du Sud.
Les lois destinées à protéger les travailleurs sont rarement appliquées au Qatar. Il est courant pour les employeurs de confisquer les passeports, ce qui rend plus difficile le départ des travailleurs, lesquels s'acquittent de commissions de placement exorbitantes auprès d'agents qui opèrent au Qatar et dans les pays d'origine des migrants tels le Népal. Les travailleurs migrants n'ont ni le droit de se syndiquer ni celui de faire grève, bien qu'ils constituent 99 pour cent de la main-d'œuvre dans le secteur privé.
La kafala— système de parrainage des employeurs — lie la résidence légale d'un travailleur migrant à son employeur, ou « parrain ». Sauf cas exceptionnels et avec l'autorisation expresse du ministère de l'Intérieur, les travailleurs migrants ne sont pas autorisés à changer de travail sans le consentement de l'employeur qui les « parraine ». Si un travailleur quitte son employeur, y compris dans le cas où il aurait recours à cette solution pour fuir une situation violente, l'employeur peut l'accuser de fuite, ce qui conduit à son arrestation et à son expulsion. Pour quitter le Qatar, les migrants doivent obtenir un visa de leur parrain, et certains émigrants ont fait savoir que leur parrain le leur avait refusé.
De nombreux migrants ont dit avoir été mal informés sur le travail et la rémunération avant leur arrivée, et avoir signé un contrat sous la contrainte. Les mécanismes de signalement et les voies de recours ne sont en effet pas accessibles aux travailleurs migrants. De plus, la législation du travail exclut les travailleurs domestiques — pour la plupart des femmes et des jeunes filles — leur refusant le droit d'accès aux protections fondamentales comme la limitation des heures de travail et l'obtention de jours de repos hebdomadaire.
Les travailleurs migrants ont fait état de graves violations en matière de législation du travail. Les plaintes récurrentes avaient trait aux retards ou aux impayés de salaires. Certains habitaient dans des camps de travail surpeuplés et insalubres sans accès à l'eau potable, sans ventilation adéquate et dépourvus de climatiseur en bon état de marche. Ces éléments sont essentiels pour minimiser les risques de coup de chaleur dans un pays où les températures diurnes peuvent atteindre 45 degrés Celsius (114 degrés Fahrenheit) en été. La Coupe du Monde 2022 offre au Qatar l'occasion unique de prendre la direction sur les droits des travailleurs migrants dans la région du Golfe et de laisser un héritage positif et durable, a déclaré Human Rights Watch. Pour ce faire, et afin de militer contre la grave menace que représente le trafic et le travail forcé, les autorités qatariennes devraient prendre les mesures suivantes :
- établir un calendrier pour abolir le système de parrainage des employeurs ;
- prendre des mesures concrètes pour garantir le non-paiement de commissions de placement illicites par les travailleurs migrants et interdire aux entreprises de faire des commercer avec des agences de placement et des sous-traitants, au Qatar comme à l'étranger, qui imposent des charges illégales aux travailleurs ;
- mettre en application des mesures interdisant la confiscation des passeports ;
- imposer des sanctions dignes de ce nom aux entreprises et aux particuliers qui enfreignent les lois élaborées pour protéger les droits des travailleurs migrants.
La grave exploitation dont fait preuve le Qatar envers les travailleurs migrants n'est pas le seul domaine dans lequel ce pays reste très en deçà des normes minimales qu'imposent les lois internationales relatives aux droits humains. Des dispositions relatives au projet de loi sur la presseintégreraient deux poids, deux mesures sur la liberté d'expression, ce qui est incompatible avec la prétention du Qatar à être un porte-drapeau de la liberté de la presse dans la région. Bien que le projet de loi prévoie l'abolition des sanctions pénales pour les violations des lois sur la presse, les dispositions — rédigées en termes très généraux — de l'article 53 interdisent de publier ou de diffuser des informations susceptibles de « semer la confusion dans les relations entre l'État et les pays arabes et amis » ou de constituer une « insulte pour le régime ou une offense pour la famille royale ou la source de graves dommages pour les intérêts nationaux ou les intérêts supérieurs de l'État ». Les contrevenants seraient passibles de lourdes sanctions financières pouvant atteindre un million de riyals qataris (275 000 dollars).
La peine d'emprisonnement à perpétuitéprononcée à l'encontre du poète Mohamed Ibn al-Dheeb a ébranlé un peu plus encore les tentatives du Qatar à se présenter comme un havre de liberté d'expression. Mohamed Ibn al-Dheeb avait récité des poèmes qui contenaient des passages insultants pour les responsables qataris et il avait loué les soulèvements qui s'étaient fait jour en Tunisie. Néanmoins, dans un cas comme dans l'autre, il n'avait pas outrepassé l'exercice légitime de son droit à la liberté d'expression.
« La visibilité croissante du Qatar sur la scène internationale ne devrait pas détourner l'attention de la situation sur les droits à l'intérieur du pays » a affirmé Jan Egeland. « Alors que le pays démarre la construction des stades et autres infrastructures connexes nécessaires pour accueillir le Mondial de football 2022, la plus grande menace à la réputation internationale du Qatar réside dans les droits des travailleurs migrants. »