(New York) – Les pays voisins de la Syrie devraient maintenir ouvertes leurs frontières au nombre important et croissant de réfugiés qui tentent de fuir la Syrie, tandis que les pays donateurs devraient généreusement leur apporter leur soutien. La Turquie, l'Irak, la Jordanie et le Liban ont principalement ouvert leurs frontières à plus de 200 000 réfugiés en provenance de la Syrie voisine, mais au cours de la semaine écoulée, certains responsables de ces mêmes pays ont fait savoir que les limites étaient atteintes, et qu'ils pourraient fermer prochainement leurs frontières.
Malgré la pression due au nombre élevé de réfugiés, ces derniers devraient être autorisés à franchir les frontières des pays voisins et à y rester légalement sans craindre la détention, le confinement dans des camps fermés ou l'expulsion, a repris Human Rights Watch.
« Des années durant, la Syrie a maintenu ouvertes ses frontières pour accueillir les Palestiniens, les Libanais et les Irakiens qui tentaient de fuir les conflits dans leurs pays et leur a accordé la liberté de mouvement », a déclaré Bill Frelick, directeur du programme Réfugiés à Human Rights Watch. « Aujourd'hui, alors que les Syriens tentent d'échapper aux actes de violence épouvantables perpétrés dans leur pays, les pays voisins devraient leur offrir la même hospitalité. »
Tandis que le nombre de réfugiés augmente et que le rythme des arrivées s'accélère, les gouvernements des pays hôtes ressentent une pression accrue pour stopper l'accueil des réfugiés et pour tenter de minimiser leur présence en les maintenant dans des camps fermés ou en leur refusant un statut juridique sûr. Le ministre des Affaires étrangères turc a déclaré que les Nations unies devraient créer un camp dans une zone réputée sûre à l'intérieur même de la Syrie. Dans une telle éventualité, cette zone de sécurité ne devrait pas être utilisée pour empêcher les Syriens de fuir leur pays afin de chercher asile ailleurs.
À ce jour, les pays voisins de la Syrie, à l'exception d'Israël, ont principalement maintenu leurs frontières ouvertes. Le ministre de la Défense israélien Ehoud Barak a fait savoir qu'Israël empêcherait des « vagues de réfugiés » de fuir la Syrie pour se rendre sur le plateau du Golan occupé. Une telle mesure constituerait un retour forcé illégal à la persécution, a déclaré Human Rights Watch.
Environ 9 000 Syriens sont rassemblés à la frontière turque, côté syrien, du fait que les procédures de filtrage à deux points de passage clés ont pour ainsi dire cessé. Le 20 août 2012, le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, a déclaré au quotidien Hurriyet que l'ONU devrait établir des camps en Syrie, ajoutant que la Turquie a du mal à héberger les 65 000 Syriens déjà installés, et laissant entendre que son pays ne pourrait pas accueillir plus de 100 000 réfugiés. Depuis cette déclaration, le nombre de réfugiés syriens enregistré en Turquie a augmenté de quelque 15 000 personnes.
Des centaines de Syriens sont de plus regroupés à la frontière irakienne, côté syrien, où ils s'exposent au risque de raids aériens et de tirs d'artillerie. Nombre d'entre eux sont bloqués à l'arrêt d'autobus situé au point de passage de Bab al-Salama, côté syrien, du fait de la fermeture par le gouvernement irakien du point de passage d'al-Qaim. Ils dorment sur le trottoir, dans ce qui est devenu un camp de fortune. Les autorités irakiennes ont annoncé la réouverture de la frontière une fois la capacité d'accueil du camp d'al-Qaim renforcée ; un responsable travaillant au ministère des Déplacements et des Migrations irakien a pourtant signalé que le ministre n'avait pas recommandé la fermeture de la frontière avant de qualifier cette décision de pure « mesure de sécurité ». Un responsable au service d'une organisation non gouvernementale impliquée dans la gestion du camp a fait savoir à Human Rights Watch que le camp n'est pas rempli au maximum de ses capacités.
« La Turquie, la Jordanie, l'Irak et le Liban méritent d'être amplement reconnus pour avoir maintenu l'ouverture de leurs frontières en faveur des réfugiés syriens », a affirmé Bill Frelick. « Tandis que la violence s'exacerbe et que le nombre et le rythme des réfugiés arrivant s'accélèrent, il est d'autant plus essentiel que les frontières restent ouvertes et que le droit fondamental à demander asile en dehors de son propre pays soit respecté. »
Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), plus de 200 000 réfugiés en provenance de Syrie ont déjà été enregistrés ou sont en cours d'enregistrement dans la région, une hausse spectaculaire du nombre d'arrivants ayant été notée fin août. Il est possible que le nombre réel de réfugiés soit beaucoup plus élevé, nombre d'entre eux ne s'étant pas enregistrés.
L'Irak, la Jordanie, le Liban et la Turquie ont accordé aux Syriens et aux autres ressortissants fuyant la Syrie différents types de statuts juridiques, notamment des visas à court terme renouvelables, le statut de demandeur d'asile et celui de bénéficiaire de protection temporaire. Toutefois, aucun d'entre eux n'a formellement reconnu les Syriens comme des réfugiés. Certains ont même restreint leurs mouvements vers les camps de réfugiés dès le début, ou viennent de commencer à le faire. La majorité des pays d'accueil parlent des Syriens comme de leurs « hôtes » ou leurs « frères » plutôt que comme des réfugiés, ce dernier terme ayant un sens différent en droit international, porteur de droits spécifiques.
À ce jour, la communauté internationale a versé 64 millions de dollars américains à l'UNHCR, en réponse à la demande de l'Agence des Nations unies pour les réfugiés d'un versement à hauteur de 193 millions de dollars américains afin de gérer la crise. Ce montant correspond à un tiers des besoins globaux. De plus, la Ligue arabe et les États-Unis ont promis 100 millions de dollars américains respectivement au titre du soutien apporté aux pays hôtes, tandis que l'Arabie saoudite a levé au moins 72,5 millions de dollars américains. Il est fondamental que les pays donateurs apportent leur généreux soutien aux pays accueillant le plus grand nombre de réfugiés, notamment en faveur des camps ouverts, a déclaré Human Rights Watch.
La Turquie accueille le plus grand nombre de réfugiés, soit environ 74 000 au 27 août. Les autorités ont ouvert neuf camps près de la frontière et sont en train d'en construire sept autres. La Turquie a autorisé les réfugiés dans les camps à aller et venir pendant de courtes périodes, et a officieusement permis aux réfugiés qui refusent l'assistance humanitaire de vivre en dehors des camps.
Au 24 août, la Jordanie avait enregistré, ou était en passe d'enregistrer, environ 61 000 d'entre eux. Les autorités ont ouvert un camp de réfugiés d'environ 16 500 personnes à Za’atri. Lorsque Human Rights Watch a visité le camp de Za’atri le 8 août, des réfugiés syriens ont déclaré à ses représentants qu'ils n'étaient pas autorisés à quitter le camp. Une poignée d'entre eux ont affirmé à Human Rights Watch que ceux qui avaient trouvé un garant jordanien et qui connaissaient des Jordaniens influents avaient pu quitter définitivement le camp. Selon certains médias, la police antiémeute jordanienne a, le 13 août, empêché 60 réfugiés de quitter le camp. En date du 26 août, Samih Maaytah, porte-parole gouvernemental, a affirmé au Jordan Times que le nombre de réfugiés qui tente d'échapper aux violences « dépasse les capacités d'accueil des camps et requiert des efforts supplémentaires qui vont au-delà des aptitudes des institutions administratrices des camps. »
Environ 16 000 Syriens ont trouvé refuge en Irak. Près des trois quarts se trouvent sous la juridiction du gouvernement régional kurde dans le nord de l'Irak. Ce pays maintient sa frontière avec la Syrie ouverte, et a mis en place trois camps où les réfugiés sont libres d'aller et venir, voire de quitter les camps définitivement. Dans le gouvernorat d'Al Anbar, les autorités du gouvernement central irakien ont procédé périodiquement à la fermeture de la frontière, et ont déclaré que les réfugiés nouvellement arrivés seront confinés dans les camps. Le 9 août, Human Rights Watch s'est rendu dans 17 écoles où des réfugiés sont temporairement détenus ; ils ont pu constater qu'ils étaient gardés par la police et les forces militaires, et qu'ils n'étaient pas autorisés à partir. Au 27 août, plus de 4 250 réfugiés étaient confinés dans des écoles et un camp situés à al-Qaim. Un fonctionnaire du ministère des Déplacements et des Migrations a déclaré à Human Rights Watch que des dizaines de familles ont pu franchir la frontière après sa fermeture, suite à un examen individuel de leur situation.
Au Liban, le Haut Conseil des Secours et l'UNHCR ont déjà enregistré, ou sont en passe d'enregistrer, 51 000 réfugiés syriens, auxquels ils portent assistance. L'enregistrement n'accorde cependant pas aux Syriens de statut juridique, seulement le droit de bénéficier d'une aide. Les personnes qui franchissent la frontière à un poste frontalier officiel se voient accordées un visa d'entrée de 6 mois, renouvelable deux fois. Celles qui entrent dans le pays par d'autres voies risquent des peines d'emprisonnement, des amendes et l'expulsion au titre d'immigrés clandestins. Nombre de Syriens sont entrés sur le sol libanais de manière illégale par crainte d'être arrêtés aux points de passage des frontières ; ils risquent par conséquent d'être arrêtés, voire expulsés. Le Liban a expulsé 14 Syriens en août, parmi lesquels quatre d'entre eux ont exprimé la crainte de représailles à leur retour.
« Les camps de réfugiés consitituent un expédient qui peut fournir un abri tout en sauvant des vies en situation d'urgence ; les camps fermés peuvent néanmoins, et en particulier au fil du temps, annihiler les droits des réfugiés, provoquant colère et frustration », a conclu Bill Frelick. « Une fois les contrôles de sécurité appropriés effectués, les gouvernements hôtes devraient accorder aux réfugiés un statut juridique et la liberté de mouvement afin de leur permettre d'être autonomes et de contribuer à l'économie de leur pays d'accueil, plutôt que d'être un fardeau. »