(Johannesburg, le 8 août 2011) – L’absence d’un système de contrôle des problèmes qui affectent de manière récurrente le système de santé en Afrique du Sud, ainsi que l’impunité dont bénéficient les professionnels de la santé qui commettent des abus, contribuent à la médiocrité des soins de maternité dans ce pays, a observé Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Ces carences nuisent à l’un des principaux objectifs sanitaires du pays : réduire son taux élevé de mortalité maternelle. En effet, ce taux a plus que quadruplé ces dix dernières années en Afrique du Sud, rendant d’autant plus cruciale l’instauration de structures de responsabilisation afin d’améliorer la surveillance et de pallier les déficiences du système de santé, a ajouté Human Rights Watch.
Le rapport de 66 pages, intitulé « ‘Stop Making Excuses’: Accountability for Maternal Health Care in South Africa » (« ‘Cessez de trouver des excuses’ : Le devoir de rendre des comptes en matière de soins de santé maternelle en Afrique du Sud »), renseigne sur la situation d’échec des soins de maternité, soulignant notamment des cas de patientes victimes d’exactions de la part de personnels de santé, ainsi que la médiocrité des soins prodigués dans la province du Cap-Oriental, exposant les femmes et leurs nouveau-nés à un risque élevé de mort ou de blessure. Le rapport étudie l’inadéquation des outils employés par les autorités sanitaires pour identifier et rectifier les carences du système sanitaire qui contribuent à l’insuffisance des soins de santé maternelle. La province du Cap-Oriental affiche certains des indicateurs sanitaires les pires d’Afrique du Sud, notamment des taux de mortalité infantile (nouveau-nés et enfants) et maternelle élevés. Mais les analyses réalisées par le gouvernement et d’autres experts en santé publique indiquent que d’autres régions connaissent les mêmes problèmes, y compris une attitude négative de la part des personnels de santé, une mauvaise qualité des soins, une gestion administrative et financière défaillante et un manque de responsabilité à l’égard des déficiences du système sanitaire.
« Le gouvernement reconnaît être confronté à un important problème et tient à améliorer la situation », a déclaré Agnes Odhiambo, chercheuse sur les droits des femmes en Afrique pour Human Rights Watch. « Malgré toutes les bonnes intentions de l’Afrique du Sud, des politiques et des stratégies purement théoriques ne permettront pas de sauver des vies de femmes s’il n’existe pas de systèmes solides de responsabilisation garantissant l’application de ces politiques. »
Il est peu probable que l’Afrique du Sud parvienne à remplir l’engagement qu’elle a pris au titre des objectifs du Millénaire des Nations Unies de réduire son taux de mortalité maternelle de 75 % de 1990 à 2015. Ce taux est en effet passé de 150 morts pour 100 000 naissances vivantes en 1998 à 625 en 2007, nombre de ces décès étant en partie imputables au VIH, comme l’indiquent des rapports gouvernementaux. D’après les estimations de l’ONU, 4 500 femmes meurent chaque année en Afrique du Sud des suites évitables et traitables d’une grossesse ou d’un accouchement. L’Afrique du Sud a la capacité d’inverser cette tendance, selon Human Rights Watch.
Le rapport s’appuie sur des recherches menées sur le terrain d’août 2010 à avril 2011 auprès de patientes de services de maternité, de familles, de personnels soignants communautaires, d’experts en droits sanitaires et humains, d’agents du gouvernement et de représentants de bailleurs de fonds et d’agences internationales.
Une femme qui vit avec le VIH et a accouché chez elle, avec des conséquences qui ont failli être mortelles, a ainsi déclaré à Human Rights Watch : « Mon oncle m’a conseillé d’appeler l’ambulance quand les contractions ont commencé mais je ne voulais pas aller à l’hôpital. J’avais peur de la façon dont je serais traitée. Il paraît que les infirmiers sont très grossiers et qu’ils sont trop brusques. Après l’accouchement, j’ai commencé à avoir de graves problèmes. J’ai perdu trop de sang et j’avais du mal à respirer. Heureusement, le centre de traitement du VIH m’a emmenée à l’hôpital, et j’ai fini par être traitée. »
Human Rights Watch a interrogé des femmes qui avaient subi des abus physiques et verbaux de la part de personnels de santé publique, tels que des pincements, des gifles et un comportement brusque lors de l’accouchement. Elles ont affirmé avoir dû attendre qu’on vienne s’occuper d’elles ; que les infirmiers avaient ignoré leurs appels à l’aide ; et que des structures refusaient d’accepter les lettres de médecins référents dans le cas de problèmes liés à la grossesse ou à l’accouchement, laissaient des femmes seules pendant de longues périodes après l’accouchement, renvoyaient à tort des femmes chez elles sans analgésiques ni antibiotiques, parfois après une césarienne, et refusaient de les accueillir dans leur service, parfois sans les examiner, alors que le travail avait déjà commencé.
Un membre du personnel soignant communautaire a affirmé avoir vu une femme en danger de mort, du fait d’un travail avec obstruction, à qui l’on a refusé l’accès à un centre sanitaire communautaire à deux reprises. Lorsqu’elle a fini par recevoir des soins dans un hôpital, cette femme a dû subir une césarienne d’urgence.
Certaines femmes ont également indiqué avoir subi des abus verbaux. Elles ont ainsi précisé que lorsqu’elles cherchaient à se faire suivre pendant leur grossesse, les infirmiers leur reprochaient avec moquerie d’aimer les relations sexuelles ou d’être tombées enceintes alors qu’elles connaissaient leur séropositivité, ou bien encore qu’ils leur disaient qu’elles ne méritaient pas de se faire soigner vu qu’elles étaient des migrantes. D’autres ont expliqué que les infirmiers ridiculisaient les femmes qui se plaignaient de douleurs lors de l’accouchement ou les suppliaient de les aider. Certaines ont affirmé que le personnel hospitalier leur criait après pour avoir « fait des saletés » si elles perdaient du sang sur le sol et leur ordonnait de nettoyer.
Certaines femmes, notamment des femmes migrantes confrontées à la barrière de la langue, ont déclaré que les personnels de santé ne tentaient guère de communiquer avec elles et les incitaient fortement à subir une césarienne sans leur demander leur consentement éclairé. D’autres ont affirmé que le personnel hospitalier réclamait des pots-de-vin ou des cadeaux. Nombre d’entre elles ont expliqué qu’elles n’avaient pas pu se rendre dans un centre de santé pour accoucher en raison d’une mauvaise communication entre ambulanciers. Certaines familles de femmes ou de nouveau-nés décédés, ou des femmes ayant accouché d’un enfant mort-né, ont affirmé n’avoir obtenu que peu voire pas d’informations sur la cause du décès.
« Ces pratiques abusives sont particulièrement préoccupantes en Afrique du Sud, où près de 87 % des accouchements ont lieu au sein d’établissements de santé », a déclaré Agnes Odhiambo.
Non seulement le mauvais traitement des patientes en maternité engendre une souffrance inutile, mais il a également un impact négatif sur la santé maternelle, a précisé Human Rights Watch. Il dissuade en effet les femmes de se faire soigner. Les abus peuvent entraîner un retard de diagnostic et de traitement, d’où une hausse des taux de morbidité et de mortalité qui s’avère plus coûteuse pour le système de santé.
Human Rights Watch a demandé au gouvernement national ainsi qu’à celui de la province du Cap-Oriental de prendre davantage de mesures pour identifier les obstacles à la qualité des soins de santé et utiliser cette information afin de consolider le système de santé.
Le rapport indique que l’État ne parvient pas à assurer la surveillance et la responsabilité des personnels auteurs d’abus et des défaillances du système. Il précise ainsi que les procédures de traitement des plaintes de la province du Cap-Oriental, qui pourraient permettre de remédier à ce problème, sont inefficaces.
Des patientes de services de maternité ont déclaré à Human Rights Watch ne pas savoir grand-chose de leurs droits en tant que patientes ou de la manière de déposer une plainte ; elles ont également affirmé hésiter à se plaindre auprès des agents responsables des structures sanitaires par peur de représailles. D’autres ont expliqué qu’elles n’avaient guère d’espoir que leurs plaintes fassent l’objet d’enquêtes et que des changements systémiques s’ensuivent.
Il est rare que les structures de santé donnent suite à ces plaintes ou qu’elles offrent un recours. Peu d’entre elles disposent d’un agent préposé à l’assurance-qualité chargé de gérer ces plaintes. Certains infirmiers ont affirmé travailler dans des conditions si difficiles qu’ils n’étaient pas en mesure de prendre en charge les réclamations. Selon Human Rights Watch, il s’agit là d’autant de défaillances qui contribuent à perpétuer le mauvais traitement des patientes en soins de maternité, à protéger les personnels auteurs d’abus, à porter atteinte au système de santé publique dans son ensemble et à empêcher tout progrès propice aux soins de santé maternelle.
D’après le rapport, le principal défaut des procédures de gestion des plaintes de patientes au Cap-Oriental réside dans le fait que les autorités sanitaires ne cherchent pas à résoudre les problèmes systémiques qui engendrent ces plaintes, et qui contribuent à la médiocrité des soins de maternité. Certains personnels de santé se disent mécontents du système de traitement des plaintes, estimant qu’il est punitif et qu’il dissuade les patientes de porter plainte ou entrave les droits des patientes dans ce domaine.
Les personnels de santé sud-africains travaillent certes dans des conditions très éprouvantes, mais les difficultés auxquelles ils sont confrontés ne justifient pas qu’ils commettent des abus ou qu’ils s’ingèrent dans les mécanismes de gestion des plaintes de patientes, selon Human Rights Watch. Ces personnels ont besoin d’être soutenus pour pouvoir faire leur travail correctement, et l’élaboration des réformes nécessaires à cette fin devrait s’appuyer sur le vécu des patientes, constatent les auteurs du rapport.
En outre, l’inefficacité du dispositif de soins de maternité et des mécanismes de traitement des plaintes au Cap-Oriental compromet le droit à obtenir un recours en vertu de la loi nationale et internationale. Elle contribue à la perpétration d’atteintes aux droits à la vie, à la santé et au droit à ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, selon Human Rights Watch. Le gouvernement national et les gouvernements provinciaux sont tenus de défendre ces droits au titre des différents traités internationaux et régionaux adoptés dans le domaine des droits humains.
Human Rights Watch a demandé au gouvernement national sud-africain et au gouvernement de la province du Cap-Oriental de condamner les abus physiques, verbaux et autres dont font l’objet les femmes qui souhaitent bénéficier de soins de maternité, et d’agir sur-le-champ afin de renforcer la responsabilité pour garantir le droit des femmes à bénéficier de soins de santé sûrs et dignes. L’organisation a par ailleurs lancé un appel au gouvernement national et à celui de la province pour qu’ils améliorent les procédures de traitement des plaintes visant à recueillir les informations nécessaires et à offrir un recours ; qu’ils s’assurent que les personnels de santé soient impliqués dans la conception de stratégies propres à résoudre les problèmes systémiques à l’origine des plaintes ; et qu’ils élaborent des dispositifs permettant d’évaluer les principales caractéristiques de ces plaintes et de remédier aux problèmes systémiques.
« L’intérêt d’un système de traitement des plaintes est de montrer que l’Afrique du Sud se soucie suffisamment de la vie des femmes pour résoudre les différents problèmes », a précisé Agnes Odhiambo. « Si les mécanismes de responsabilisation et de surveillance ne fonctionnent pas, l’Afrique du Sud fait l’impasse sur le vécu des personnes le mieux placées pour identifier les défaillances du système de soins de santé maternelle, à savoir les patientes elles-mêmes. »
Accoucher dans des conditions abusives (extraits de témoignages)
Abeba M.
Abeba M., réfugiée éthiopienne domiciliée à Port Elizabeth, a présenté une forte hypertension artérielle à sa vingt-huitième semaine de grossesse. Elle est allée se faire soigner dans un hôpital de district, dont elle est rapidement repartie car les infirmiers la maltraitaient. Elle y est toutefois retournée quand son état s’est aggravé. Elle avait tout le corps enflé et souffrait énormément, mais elle a dû attendre dix jours avant de subir une échographie devant permettre d’établir le diagnostic et donc le traitement à suivre.
Le jour de l’examen, elle était faible et avait la vue trouble. « Les infirmiers m’ont injuriée et insultée », a-t-elle raconté. « Aujourd’hui tu dis que tu es malade et l’année prochaine tu reviendras de nouveau enceinte. On ne vient pas ici par plaisir ou pour passer des vacances. » Alors qu’elle se servait d’un coussin pour tenter de faire passer son mal de dos, on lui a dit d’aller dans un hôpital privé où elle serait « traitée comme une reine » et de nettoyer sa « saleté » lorsque ses saignements ont fini par tacher le sol.
Abeba a eu peur qu’elle et son fœtus ne meurent. Une nuit, elle a appelé à l’aide, disant qu’elle avait de très fortes douleurs ; une infirmière lui a répondu : « Je sais, et que veux-tu que j’y fasse ? » Abeba a affirmé que l’infirmière avait juste continué d’« écouter un chant religieux sur son portable et de danser ». Abeba n’a pas porté plainte car, comme elle l’a expliqué, elle ne savait pas à qui s’adresser et ne pensait pas qu’une enquête serait ouverte.
Babalwa L.
Le médecin privé de Babalwa M. l’a adressée à un hôpital de district pour qu’elle y reçoive des soins d’obstétrique en raison d’un fort asthme. Mais alors qu’elle commençait à avoir des contractions en juin 2010, elle a hésité à se rendre à cet hôpital car elle craignait que les infirmiers ne « me disputent et me renvoient chez moi sans m’avoir aidée », comme cela s’était produit pour d’autres femmes de sa connaissance.
Au bout d’une douzaine d’heures de travail, Babalwa s’est rendue à l’hôpital mais le personnel de santé a attendu environ une heure et demie avant de l’examiner. À propos de l’infirmière qui l’a enfin auscultée, Babalwa a déclaré : « Elle m’a dit que je mentais, que je n’avais pas de contractions, et elle m’a envoyée en salle d’attente. » Un médecin l’a examinée trois heures plus tard, mais il était trop tard. Elle a accouché d’un enfant mort-né. Ni le médecin ni l’infirmière n’ont expliqué ce qui aurait pu causer cette mort à la naissance.
« Je suis mécontente de la façon dont on m’a traitée ; qu’on m’ait dit que je mentais sur les douleurs de mes contractions, et qu’on me fasse attendre », a-t-elle commenté. « Je souffre encore de ne pas savoir ce qui a tué mon bébé. »
« Je ne me suis pas plainte auprès de l’hôpital », a-t-elle conclu. « On nous dit que le patient a des droits, mais quand on y est [à l’hôpital], on n’en a pas l’impression. Les gens ne connaissent pas leurs droits. On ne sait pas quelles questions poser, et à qui. »