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Sénégal : Le gouvernement devrait accepter le projet de l’Union africaine pour faire juger Hissène Habré

La proposition de l’UA porte sur la création d’une juridiction spéciale au sein du système judiciaire sénégalais

(Dakar, le 22 mars 2011) - Le Sénégal devrait accepter le projet de l'Union africaine relatif au procès de Hissène Habré lors des discussions qui se tiendront entre les deux parties à Addis Abeba du 23 au 24 mars 2011, a déclaré aujourd'hui une coalition d'organisations de défense des droits humains.

L'Union africaine, qui, lors de son sommet en janvier dernier avait appelé à « l'organisation rapide du procès » - trop longtemps différé - de Hissène Habré, a invité le Sénégal dans la capitale éthiopienne pour discuter de sa proposition. En effet, une délégation sénégalaise conduite par le ministre de la Justice, Cheikh Tidiane Sy, devra se prononcer sur la création d'une juridiction spéciale au sein du système judiciaire sénégalais dont le président de la Chambre d'Assises ainsi que celui de la Chambre d'Appel seraient nommés par l'Union africaine.

Hissène Habré est accusé de milliers d'assassinats politiques et de torture systématique alors qu'il dirigeait le Tchad entre 1982 et 1990, avant qu'il ne s'enfuie au Sénégal. Depuis, malgré les efforts des associations de victimes et le soutien de la communauté internationale, le Sénégal n'a eu de cesse d'émettre des objections à la tenue du procès, tout en refusant de l'extrader vers la Belgique qui en a fait la demande en 2005.

« Le Sénégal a deux options : soit il accepte immédiatement la proposition de l'Union africaine et commence enfin les poursuites à l'encontre de Hissène Habré, soit il l'extrade vers la Belgique », a déclaré Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des Droits Humains. « Ce serait dommage que l'Afrique ne relève pas le défi de ce procès alors que les conditions sont réunies pour que l'Afrique démontre sa capacité à juger ses propres fils selon les règles d'un procès juste et équitable. »

Le Président sénégalais Abdoulaye Wade a récemment déclaré qu'il allait « renvoyer l'affaire » à l'Union africaine au mépris des obligations internationales du Sénégal. Cette déclaration a été suivie de celle du ministre des Affaires étrangères, Madické Niang, qui a fait savoir que le Sénégal était favorable à la création d'un tribunal international « hors du Sénégal » pour poursuivre Habré.

Dans une lettre adressée la semaine dernière au président Wade, l'Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré, la Ligue sénégalaise des Droits Humains, la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO), Agir Ensemble pour les Droits de l'Homme et Human Rights Watch ont rappelé qu'au regard du budget disponible suite à la réunion des bailleurs de fonds qui a levé 11,7 millions de dollars, la création d'un tribunal international était inenvisageable et que « toute tentative visant à créer un tribunal ad hoc sur le modèle de la Sierra Leone ou à augmenter le personnel international de façon significative sera perçue comme un moyen « d'enterrer » le dossier Habré ».

Lors de sa visite au Sénégal vendredi dernier, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l'Homme, Navi Pillay, a appelé à une action urgente du Sénégal en vue de débuter au plus vite le procès contre l'ancien dirigeant tchadien Hissène Habré. Elle a également réaffirmé que le Sénégal est « dans l'obligation de juger ou d'extrader M. Habré ». Mme Pillay a invité les autorités sénégalaises « à trouver une solution raisonnable avec l'Union africaine en vue d'aller de l'avant avec le procès le plus rapidement possible » et a souligné que si le Sénégal ne commençait pas rapidement le procès il devrait « extrader Habré vers la Belgique ».

Contexte

Hissène Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, jusqu'à ce qu'il soit reversé par Idriss Deby et s'exile au Sénégal. Son régime à parti unique a été marqué par des atrocités commises à grande échelle, notamment par des vagues d'épurations ethniques. Les archives de la police politique, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), découvertes par Human Rights Watch en 2001, ont révélé les noms de 12 321 victimes parmi lesquelles figurent des informations concernant 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention.

Habré a d'abord été inculpé au Sénégal en 2000, avant que les juridictions sénégalaises ne se déclarent incompétentes. Ses victimes se sont alors tournées vers la Belgique, et, en 2005, à l'issue de quatre années d'enquête, un mandat d'arrêt international et une demande d'extradition furent déposés contre Hissène Habré par un juge belge, pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et actes de torture.

Le Sénégal se tourna ensuite vers l'Union africaine afin qu'elle se prononce sur « la juridiction compétente » pour juger M. Habré. Le 2 juillet 2006, l'Union africaine appela le Sénégal à juger Hissène Habré « au nom de l'Afrique ». Le Président Wade accepta, mais refusa de faire débuter l'instruction du dossier pendant des années, exigeant au préalable le versement de l'intégralité des fonds nécessaires au procès. Le 24 novembre 2010 à Dakar, une réunion internationale des donateurs permit de réunir une somme de 11,7 millions de dollars couvrant intégralement le budget du procès.

Le 18 novembre 2010, cinq jours avant cette réunion, un arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO avait conclu que le Sénégal devait faire juger Habré par un tribunal « ad hoc à caractère international ». Cette décision a été vivement critiquée par «The Journal of International Criminal Justice », le « American Society of International Law » et le président de la section irlandaise de  « International Law Association ».  L'Union africaine répondit alors à cette décision en proposant la création d'une juridiction spéciale au sein des tribunaux sénégalais. Cette solution prévoit en outre que la Cour soit compétente pour juger des crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et actes de torture commis, sur le territoire du Tchad de juin 1982 à décembre 1990, par les personnes « qui portent la responsabilité la plus lourde ».

En juillet 2010, l'archevêque Desmond Tutu ainsi que 117 groupes de 25 pays africains dénonçaient « l'interminable feuilleton politico-judiciaire » auquel sont soumises les victimes depuis vingt ans.

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