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Ouzbékistan : Le gouvernement a contraint Human Rights Watch à fermer son bureau

L'UE et les États-Unis devraient sanctionner politiquement la répression de la société civile dans ce pays

(Londres, le 15 mars 2011) - Le gouvernement ouzbek a obligé Human Rights Watch à fermer son bureau à Tachkent, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Après avoir entravé depuis des années le travail de l'organisation en refusant des visas et des accréditations de travail à son personnel, le gouvernement a maintenant annulé l'enregistrement de son bureau, obligeant Human Rights Watch à mettre fin à 15 ans de présence à Tachkent.

« En expulsant Human Rights Watch, le gouvernement ouzbek envoie un message clair indiquant qu'il n'est pas disposé à tolérer un examen critique de son bilan en matière de droits humains », a déclaré Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch. « Mais soyons clairs : cette décision ne nous réduira pas au silence. Nous restons plus déterminés que jamais à dénoncer les abus commis en Ouzbékistan. »

Le 10 mars 2011, la Cour suprême de l'Ouzbékistan a informé Human Rights Watch que le ministère de la Justice avait entamé une procédure pour liquider le bureau de l'organisation à Tachkent, avec une première audience apparemment prévue le 15 mars. L'organisation est enregistrée en Ouzbékistan depuis 1996. Les autorités ouzbèkes n'ont fourni aucune information sur les motifs allégués relatifs à la procédure de liquidation.

Le gouvernement ouzbek avait précédemment refusé une accréditation de travail à Steve Swerdlow, chercheur sur l'Ouzbékistan chez Human Rights Watch, dans une lettre que lui a remis le Ministère de la Justice le 24 décembre 2010. La lettre justifie le refus du ministère en invoquant la « pratique courante » chez Human Rights Watch de « ne pas tenir compte de la législation nationale de l'Ouzbékistan », et allègue également que Swerdlow « manque d'expérience en matière de coopération avec l'Ouzbékistan » et « [en matière] de travail sur la région dans son ensemble ». La lettre ne précise pas quelles lois Human Rights Watch aurait prétendument violées.

« Le discours du gouvernement ouzbek selon lequel nous ne respectons pas la législation du pays et "manquons d'expérience dans la région" est régulièrement utilisé pour justifier le refus d'accréditations à nos chercheurs », a observé Kenneth Roth. « Ces accusations sont peu crédibles, et il est évident qu'elles sont un faux prétexte pour nous empêcher de maintenir une présence dans le pays. »

Depuis 2004, le gouvernement ouzbek a perturbé le travail de Human Rights Watch en refusant visas et accréditations à tout membre de son personnel, ou en les délivrant avec un retard considérable. Un membre de l'organisation a même été menacé de poursuites judiciaires. L'organisation est dans l'incapacité de maintenir une présence permanente depuis juillet 2008, quand les autorités ont refusé d'accréditer son précédent représentant, avant d'interdire à ce dernier l'entrée du pays au motif qu'il « ne comprenait pas la culture et les traditions ouzbeks ». Swerdlow quant à lui n'a été autorisé à entrer en Ouzbékistan que pendant deux mois en 2010, avant de se voir refuser une accréditation de travail.

Au cours des deux ans et demi qui viennent de s'écouler, les autorités ouzbèkes ont fait plus que jamais obstruction à l'action de Human Rights Watch en Ouzbékistan. En juillet 2009, une consultante en recherche de Human Rights Watch a été expulsée dès son arrivée à Tachkent. Une autre chercheuse membre de l'organisation a été l'objet d'une agression violente en décembre 2009 dans la ville de Karchi, apparemment orchestrée par les autorités. Suite à cette agression, elle a été placée en détention par la police avant d'être expulsée de la ville. Les forces de l'ordre de Karchi et Margilan ont également emprisonné des défenseurs des droits humains pour les empêcher de rencontrer cette chercheuse.

L'expulsion de Human Rights Watch intervient alors que la crise des droits humains en Ouzbékistan ne fait que s'aggraver. Plus d'une dizaine de défenseurs des droits humains, de militants politiques et de journalistes indépendants se trouvent en prison. La torture et les mauvais traitements dans le cadre du système judiciaire sont systématiques, et de graves violations des droits humains restent impunies. Au cours des sept dernières années, le gouvernement ouzbek a expulsé presque toutes les organisations internationales non gouvernementales qui travaillaient dans le pays. Il refuse également systématiquement l'accès au pays des observateurs indépendants des droits humains, comme les rapporteurs spéciaux des Nations Unies, et pas moins de huit de ces derniers attendent depuis longtemps déjà une réponse à leur demande d'invitation.

« Le refus persistant du gouvernement ouzbek de laisser les organisations indépendantes faire leur travail aggrave la situation déjà dramatique des droits humains dans le pays, laissant libre cours à de graves abus qui ne sont pas signalés, et isolant davantage la petite communauté assiégée qui continue courageusement à défendre ces droits», a déclaré Kenneth Roth.

L'expulsion de Human Rights Watch de Tachkent coïncide également avec un renforcement des échanges entre l'Ouzbékistan et l'Union Européenne. Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso a récemment accueilli le président ouzbek, Islam Karimov, une initiative vivement critiquée par les défenseurs des droits humains et les médias. Si l'UE a affirmé à de nombreuses reprises que des relations renforcées sont une condition essentielle à l'amélioration de la situation des droits humains, il n'y a pourtant aucune conséquence visible en termes de politiques européennes à l'absence évidente de progrès concrets et démontrables de l'Ouzbékistan par rapport aux critères de l'Union en matière de droits humains.

Les États-Unis ont également mené au cours de ces dernières années une politique active de réengagement auprès de Tachkent. Ce pays continue à appliquer une interdiction de visas, décrétée par le Sénat américain à l'encontre des responsables ouzbeks impliqués dans de graves violations des droits humains. Ses relations avec l'Ouzbékistan sont cependant dominées par le Département de la Défense, dont le réseau de distribution du Nord (Northern Distribution Network - NDN) utilise des routes traversant le pays pour approvisionner les troupes stationnées en Afghanistan. À l'exception de la Secrétaire d' État Hillary Clinton qui, lors de sa visite à Tachkent en décembre, a fermement souligné la nécessité pour l'Ouzbékistan de « traduire les paroles en actes » pour améliorer son bilan des droits humains, les États-Unis se sont très peu exprimés publiquement sur les violations chroniques des droits humains en Ouzbékistan.

Human Rights Watch a appelé les États-Unis ainsi que l'Union européenne et ses États membres à condamner publiquement l'expulsion par le gouvernement ouzbek de l'organisation, et d'une manière plus générale, à faire preuve de plus de fermeté vis-à-vis de Tachkent en ce qui concerne les droits humains.

« Il est désormais évident que l'Ouzbékistan appartient au petit groupe de gouvernements répressifs qui empêchent Human Rights Watch de mener à bien son travail sur le terrain », a observé Kenneth Roth. « Tachkent semble avoir estimé pouvoir brutaliser la population et faire obstruction aux contrôles internationaux sans aucun risque. L'Union européenne et les États-Unis doivent démontrer que ce calcul cynique est erroné, et s'assurer que les violations des droits humains soient à l'avenir identifiées et suivies de conséquences claires. »

Human Rights Watch a pressé le gouvernement ouzbek de mettre immédiatement fin à la répression à l'égard de la société civile, et de permettre aux organisations indépendantes des droits humains locales et internationales de travailler sans interférence du gouvernement. Ce dernier devrait reconnaître les organisations qui ne le sont pas encore, qui ont été liquidées ou forcées de quelque autre manière que ce soit à mettre fin à leur travail en Ouzbékistan, et délivrer des visas et des accréditations pour les membres des organisations non-gouvernementales internationales.

Human Rights Watch reste déterminé à enquêter sur les violations des droits humains en Ouzbékistan, et à faire part de ses préoccupations au gouvernement ouzbek.

La situation des droits humains en Ouzbékistan
Le bilan du gouvernement ouzbek en matière de droits humains est épouvantable. La torture et les mauvais traitements sont systématiques dans l'ensemble du système judiciaire. Au moins 13 défenseurs des droits humains sont actuellement emprisonnés sur la foi d'accusations forgées de toutes pièces, la plupart dans un état de santé préoccupant. Le gouvernement restreint sévèrement la liberté d'expression, et les journalistes indépendants font l'objet de procédures pénales pour diffamation qui les handicapent et peuvent déboucher sur des condamnations à des peines de prison et à de fortes amendes. De nombreux avocats indépendants, en particulier ceux qui avaient accepté des affaires politiquement sensibles, ont été rayés du barreau en mesure de punition. Les musulmans indépendants et les membres des communautés chrétiennes sont la cible d'une répression systématique de la part du gouvernement.

Malgré le discours prononcé par Karimov devant les deux chambres du Parlement à la fin de l'année 2010, dans lequel il évoquait la nécessité de renforcer la société civile et le paysage des médias, dans la pratique les citoyens de l'Ouzbékistan sont privés des droits civils et politiques les plus fondamentaux, tels que le droit à la liberté d'expression et de réunion.

Les autorités ouzbèkes ont également fait la sourde oreille à toutes les voix exigeant une enquête indépendante sur le massacre commis à Andijan en 2005, quand les autorités ont ouvert le feu et tués des centaines de manifestants, dont la plupart n'étaient pas armés. Le gouvernement continue à persécuter et à harceler les témoins du massacre, et les familles des réfugiés d'Andijan.

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