(Bruxelles/New York) - Les bombardements de l'OTAN en ex-Yougoslavie ont provoqué la mort d'environ 500 civils, lors de 90 incidents différents, révèle Human Rights Watch dans un nouveau rapport.
Cette estimation est largement supérieure au nombre d'incidents avancé par le Département américain de la Défense et par les gouvernements des pays membres de l'OTAN. Elle est cependant très inférieure aux chiffres invoqués par le gouvernement yougoslave.
"Une fois prise la décision d'attaquer la Yougoslavie, l'OTAN aurait dû en faire davantage pour protéger les civils," affirme Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch, une organisation internationale de défense des droits de l'homme basée à New York. "Trop souvent, les cibles choisies par l'OTAN ont placé les populations civiles face à des risques inacceptables." M. Roth a demandé avec insistance aux gouvernement des pays membres de l'OTAN de procéder à une évaluation sérieuse des conséquences de la guerre sur les civils.
Human Rights Watch a réalisé une enquête détaillée sur les pertes civiles lors de la guerre en Yougoslavie. Son équipe a visité 91 villes et villages en ex-Yougoslavie sur une période de trois semaines en août 1999 et a inspecté 42 des sites où des civils ont été tués.
Cette enquête est arrivé à la conclusion que l'OTAN avait violé le droit humanitaire international. Human Rights Watch a appelé les gouvernements des pays-membres de l'OTAN à mettre sur pied une commission indépendante et impartiale qui serait chargée d'enquêter sur ces violations et de rendre publiques ses conclusions. Selon l'organisation, les pays membres de l'Alliance doivent également modifier leur doctrine en matière de bombardement et de choix des cibles pour que celle-ci soit conforme avec les dispositions du droit humanitaire international.
Le rapport de 79 pages révèle que le haut commandement américain a émis en mai 1999 un ordre exécutif secret interdisant aux forces américaines l'utilisation des bombes à fragmentation, une arme qui tue sans discrimination et dont l'usage avait été dénoncé par Human Rights Watch dans un rapport daté du 11 mai. Selon les informations recueillies, ces bombes à fragmentation avaient, au 13 mai, provoqué la mort de plus de 150 civils, lors de différents incidents. Les forces britanniques ont, elles, continué à utiliser les bombes à fragmentation après que l'armée américaine ait pris la décision de ne plus y recourir.
"Pour une guerre que l'on a si souvent qualifiée de guerre la plus smart de l'histoire, il est déplorable de constater que l'OTAN n'a pas retiré beaucoup de leçons importantes des précédents conflits," a remarqué William M. Arkin, consultant militaire auprès de Human Rights Watch et le responsable de l'équipe chargée d'évaluer les dégâts des bombardements en Yougoslavie. Selon M. Arkin, des mesures telles que la limitation des attaques de jour, l'interdiction des bombes à fragmentation, une plus grande prudence lors des attaques sur des cibles mobiles et une meilleure identification des cibles militaires auraient toutes permis de réduire le nombre de victimes civiles lors de l'Opération Force Alliée (nom donné à la campagne de bombardement de l'OTAN).
Le rapport de Human Rights Watch conclut qu'un tiers des incidents et que plus de la moitié des morts ont été le résultat d'attaques visant des cibles illégitimes ou à la légitimité douteuse. Neuf incidents ont été le résultat d'attaques visant des cibles que l'organisation juge non-militaires, telles que le bâtiment de la radiotélévision serbe à Belgrade, l'usine thermique de New Belgrade et sept ponts qui n'étaient pas situés sur des axes de transport majeurs et n'avaient pas d'autre fonction militaire spécifique.
D'autres cibles illégitimes ont été identifiées. Dans sept incidents confirmés et cinq autres possibles, des bombes à fragmentation ont été utilisées, provoquant des pertes civiles. Dans sept autres cas, ce sont des convois qui ont été pris pour cible. Enfin, plusieurs attaques ont été menées sur des cibles mal identifiées ou erronées, telles que le sanatorium de Surdulica et la station météorologique de Palic. Le rapport révèle également qu'après que des attaques de jour visant des ponts situés en ville aient provoqué des pertes civiles, l'état-major américain a donné l'ordre de n'organiser ce type d'attaques qu'à certaines périodes jugées moins risquées pour les civils.
Human Rights Watch conclut également qu'environ un tiers des incidents ayant provoqué des pertes civiles ont eu lieu au Kosovo. Il s'agissait la plupart du temps d'attaques sur des cibles mobiles ou des forces militaires sur le terrain. Les attaques de convois comptèrent parmi les incidents les plus meurtriers de la guerre, ce qui poussa d'ailleurs l'OTAN à instaurer des règles d'engagement plus strictes obligeant notamment les pilotes à identifier visuellement les véhicules militaires avant de les attaquer.
Trente-trois incidents ayant provoqué de pertes civiles ont été le résultat d'attaques visant des cibles situées dans des zones urbaines fortement peuplées (dont six à Belgrade). Malgré l'utilisation exclusive d'armes équipées de système de guidage de précision lors des attaques sur Belgrade, le nombre d'incidents au cours desquels des civils furent tués fut aussi élevé dans cette ville que dans les autres villes visées. Selon le Pentagone, le nombre d'incidents meurtriers recensé au cours de l'Opération Force Alliée oscillerait entre vingt et trente. Pour sa part, le gouvernement yougoslave cite des chiffres allant d'au moins 1.200 à 5.000 civils.
Human Rights Watch prépare plusieurs autres études sur la conduite de l'OTAN pendant la guerre en ex-Yougoslavie, notamment un document d'évaluation des bombardements de l'infrastructure civile.