Une installation commémorative avec des drapeaux blancs, en hommage aux près de 27 000 résidents du comté de Los Angeles décédés du Covid-19, mise en en place devant l'observatoire Griffith à Los Angeles, en Californie. Photo prise le 18 novembre 2021. © 2021 Mario Tama/Getty Images

Il y a trois ans, en mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a qualifié la propagation du Covid-19 de « pandémie ». Depuis lors, plus de 750 millions de cas de Covid-19 ont été signalés et plus de 6,8 millions de personnes sont décédées de causes liées à ce virus. Cette crise de santé publique sans précédent a mis en évidence des défaillances systémiques dans l’architecture du système mondial de la santé, et les réponses et mesures des gouvernements ont exacerbé les inégalités sociales et violé de nombreux droits humains. Danielle Mulima, coordinatrice des activités de plaidoyer sur les questions de santé à Human Rights Watch, s'est entretenue avec plusieurs chercheur-euse-s de l'organisation au sujet des violations des droits humains liées à la pandémie, et des mesures que les gouvernements et acteurs non étatiques, dont les entreprises pharmaceutiques, devraient prendre devraient prendre avant que la prochaine pandémie ne survienne.

Comment les gouvernements au niveau national et les institutions internationales ont-ils réagi face à la pandémie ?

Les bureaux des Centres pour le Contrôle et la Prévention des catastrophes (CDC) à Atlanta, le 19 avril 2022. © AP Photo/Ron Harris

 

La pandémie a été désastreuse pour les droits humains, mais ce qui est le plus difficile, c’est de constater l’effacement des institutions, la manière dont elles ont baissé les bras.

C’est un immense défi que d’entrer dans la troisième année d’une pandémie qui a marqué son époque et de voir tant d’autorités sanitaires se contenter de hausser les épaules : le Centre américain de contrôle des maladies a pratiquement renoncé à toute idée de formes de protection équitables.

Mais même si les autorités veulent l’ignorer, la pandémie change aussi fondamentalement la façon dont le monde fonctionne. Comment pourrait-il en être autrement ? Par exemple, le pays le plus riche de toute l’histoire de l’humanité – les États-Unis – a réagi avec une telle négligence à la pandémie que plus d’un million de personnes sont mortes malgré les ressources presque inégalées dont dispose le gouvernement. Ce genre d’approche renverse véritablement le mode de pensée « monde développé/en développement » et nous oblige à nous pencher dans le détail sur la manière dont la gouvernance est mise en œuvre.

Comment ne pas se pencher aussi sur les trois premières années de la pandémie de Covid-19 et se rendre compte que le principal sujet du débat politique au niveau mondial – le débat sur la propriété intellectuelle en matière de vaccins, de tests et de traitements – s’est tenu au sein d’un organisme commercial, l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui n’a aucun mandat en matière de santé ou de droits humains.

Ce ne sont là que deux exemples qui soulèvent des questions importantes sur le fait de savoir si la domination actuelle des systèmes capitalistes et fondés sur le marché est adaptée à l’objectif poursuivi quand il s’agit de faire valoir le droit à la santé. Comment peut-on honnêtement regarder le système actuel de brevets pour les médicaments, qui protège principalement les intérêts du secteur privé, puis se pencher sur la carte de la couverture vaccinale désastreuse des pays pauvres, et conclure que les choses fonctionnent correctement ?

Au final, la pandémie n’est pas finie – et ce n’est pas parce que les autorités l’affirment qu’elle est terminée pour autant. Le fardeau des infections, des maladies et des décès se déplace de manière prévisible vers les communautés marginalisées et vulnérables. Ce n’est pas surprenant, mais c’est tout à fait évitable : les gouvernements ont en effet l’obligation de lutter contre ce fléau dans le cadre de leurs obligations en matière de droits humains. Une des principales questions est de savoir si l’OMS poursuivra la phase pandémique de son action ou déclarera la fin de l’urgence sanitaire, et ce que cela impliquera pour l’avenir du Covid, de la santé mondiale, de la confiance dans les institutions et de la protection des droits fondamentaux.

Pour tenter de ralentir la propagation du Covid-19, les gouvernements du monde entier ont fermé les écoles et sont passés à l’apprentissage en ligne. Quel a été l’impact de l’utilisation des produits d’apprentissage en ligne sur la vie privée des enfants, hier et encore aujourd’hui ?

Des élèves utilisaient des téléphones portables dans le cadre d’un système d'apprentissage en ligne mis en place lors  la pandémie de coronavirus à Jakarta, en Indonésie, le 21 juillet 2020. © 2020 Eko Siswono Toyudho/Anadolu Agency via Getty Images

 

Dans la course à la connexion des enfants aux classes en ligne pendant la pandémie, de nombreux gouvernements ont recommandé des produits d’apprentissage en ligne dont l’utilisation par les enfants n’était pas sûre. L’écrasante majorité des applications et des sites Internet que nous avons examinés pouvaient surveiller ou surveillaient les enfants, en utilisant des techniques intrusives pour les tracer sur Internet en dehors des heures de classe, au plus près de leur vie privée, le plus souvent à des fins commerciales et publicitaires.

L’apprentissage en ligne est appelé à perdurer, même si de nombreux élèves retournent physiquement dans les salles de classe. Pourtant, la plupart des écoles continuent d’utiliser ces produits d’apprentissage en ligne recommandés par les pouvoirs publics et qui portent atteinte à la vie privée des enfants.

Qu’un enfant soit scolarisé en classe ou en ligne, il a droit à des protections spéciales qui protègent l’ensemble de ses droits, notamment sa vie privée. Les informations collectées sur ce que fait un enfant pendant ses cours en ligne peuvent être tout aussi sensibles et révélatrices que des dossiers scolaires sous format papier. Il est donc important que les unes comme les autres soient protégés afin de créer des espaces sûrs qui permettent aux enfants de s’épanouir, de jouer et d’apprendre.

Pendant la pandémie, de nombreux pays ont eu des difficultés à accéder aux vaccins, même si les pays plus riches et les sociétés pharmaceutiques étaient en mesure de faciliter cet accès. Que faut-il faire pour que les choses changent dans les prochaines années ?

Des personnes attendaient de recevoir une dose du vaccin Covishield contre le coronavirus Covid-19 au centre de vaccination de l'hôpital BLK-Max à New Delhi, le 4 mai 2021. © 2021 Prakash Singh/AFP via Getty Images

Avant même que les vaccins contre le Covid-19 ne soient approuvés par l’OMS, une poignée de pays riches avaient négocié des accords opaques avec les fabricants de vaccins et acheté la grande majorité des vaccins qui étaient en cours de développement. Ce « nationalisme vaccinal » a mis à mal les appels à la solidarité et à une coopération mondiales pour un accès universel et équitable aux vaccins et pour une reprise mondiale.

Bon nombre de ces mêmes gouvernements riches ont bloqué une proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud à l’OMC qui visait à déroger aux règles de propriété intellectuelle pour les produits de santé utilisés dans la lutte contre le Covid-19, notamment les tests, les traitements et les vaccins. Une dérogation globale aurait pu contribuer à étendre et à diversifier la fabrication de médicaments capables de sauver des vies et d’autres produits de santé nécessaires à la riposte au Covid-19. Au lieu de quoi, après 20 mois de négociations bloquées, les gouvernements de l’OMC n’ont pas réussi à obtenir une dérogation globale, et ont choisi de protéger les monopoles des sociétés pharmaceutiques au détriment de l’accès mondial aux vaccins, tests et traitements contre le Covid-19.

Résultat : les entreprises pharmaceutiques ont mis au point des vaccins contre le Covid-19 et d’autres produits de santé capables de sauver des vies grâce à des montants considérables d’argent public, mais elles ont refusé de partager leurs connaissances et ces technologies avec le reste du monde, faisant ainsi passer les profits avant les vies humaines.

À l’avenir, les gouvernements devraient veiller à ce que l’argent public soit utilisé pour le bien commun au niveau mondial et non pour les profits des entreprises, en particulier en période de crise sanitaire mondiale. Les gouvernements devraient exiger des entreprises pharmaceutiques qu’elles partagent leurs connaissances et transfèrent leurs technologies afin de garantir que les vaccins et autres produits de santé qui sauvent des vies soient disponibles et accessibles à tous, quel que soit le lieu où les personnes vivent ou leur niveau de richesse.

Comment les inégalités économiques ont-elles été exacerbées par la pandémie ?

Des personnes faisaient la queue devant un bureau de l'Agence sud-africaine de sécurité sociale le 12 mai 2020 au Cap, en Afrique du Sud, afin de recevoir des prestations dans le cadre de la pandémie de Covid-19. © Nardus Engelbrecht/Gallo Images via Getty Images

Les impacts sanitaires et économiques de la pandémie ont reflété les inégalités existantes, en frappant particulièrement les personnes à faible revenu et en aggravant les inégalités de richesse. Cela a été le cas pour les impacts immédiats des politiques visant à contenir le virus, ainsi que pour la cascade de problèmes économiques qui ont suivi.

En outre, les perturbations du commerce mondial causées par la pandémie, conjuguées à d’autres facteurs, ont contribué à une forte inflation qui a été aggravée par l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine, un important exportateur de céréales, de pétrole et de gaz. Cette situation a entraîné une flambée mondiale des prix des denrées alimentaires et des carburants. Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime que 345 millions de personnes connaîtront l’insécurité alimentaire cette année, soit plus du double des niveaux d’avant la pandémie.

Dans le même temps, les 1% les plus riches ont depuis 2020 capté les deux tiers de toutes les nouvelles richesses. Selon Oxfam, les bénéfices exceptionnels enregistrés par 95 entreprises des secteurs de l’alimentation et de l’énergie s’élèvent à 306 milliards de dollars des États-Unis.

Les gouvernements étaient déjà à court d’argent en raison des effets de la pandémie, et les pressions économiques supplémentaires ont conduit nombre d’entre eux à réduire les dépenses, ce qui a rendu les choses encore plus difficiles pour les populations, notamment en réduisant l’accès aux services publics tels que la santé et l’éducation, ou en diminuant la qualité de ces services.

De nombreuses personnes ont perdu leur revenu ou même leur emploi pendant la pandémie, en particulier dans les secteurs de la vente de détail et de l’alimentation, ainsi que dans le secteur informel. De nombreux gouvernements ont réagi en adoptant des mesures visant à soutenir les personnes dans le besoin par des versements en espèces, un renforcement des allocations de chômage et une aide alimentaire. Ces programmes ont-ils été efficaces ?

Un employé du restaurant « Carmelina's », à Boston, collait de grande feuilles blanches sur les vitres le 25 mars 2020, pour signaler la fermeture temporaire du restaurant lors de la pandémie de coronavirus. © 2020 David L. Ryan/The Boston Globe via Getty Images

La pandémie a mis en évidence la fragilité de la capacité qu’ont les personnes à faire valoir leurs droits humains. Quatre milliards de personnes – la moitié de la population mondiale – ne bénéficient d’aucune sécurité sociale ni d’aucune autre forme de protection sociale pour subvenir à leurs besoins, dès lors qu’elle ne gagne pas suffisamment pour se nourrir, se loger ou se soigner. Beaucoup des personnes éligibles ne reçoivent pas les montants adéquats voire ne reçoivent rien du tout, bien souvent à cause de la corruption, d’une mauvaise gestion ou d’obstacles bureaucratiques.

Parallèlement, la décision de certains gouvernements d’étendre considérablement les filets de sécurité et autres formes d’assistance pendant la pandémie a prouvé qu’ils étaient en mesure d’aider les populations au niveau individuel et de rendre les économies plus résilientes.

Aux États-Unis, par exemple, la pauvreté a atteint des niveaux historiquement bas malgré un taux de chômage record, après que le Congrès a adopté l’un des plus importants élargissements du système national de protection sociale depuis le New Deal, un vaste ensemble de mesures adoptées pour lutter contre la Grande Dépression dans les années 1930. Mais une fois que toutes ces prestations, comme l’allocation chômage hebdomadaire supplémentaire de 600 dollars des États-Unis, sont arrivées à expiration, huit millions de personnes ont sombré dans la pauvreté.

En Jordanie, le gouvernement a renforcé le programme de transferts limités d’argent au cours des deux premières années de la pandémie, touchant ainsi les familles de dizaines de milliers de travailleurs supplémentaires dans le secteur informel. Mais il a laissé ces mesures expirer en décembre 2021, alors même que la flambée des prix rendait encore plus difficile l’achat de produits de première nécessité et que les taux de pauvreté restaient supérieurs de plus de 8 points de pourcentage à ce qu’ils étaient avant la pandémie.

Les personnes âgées et les personnes handicapées, et plus particulièrement celles qui vivent en institution, courent un risque plus élevé de développer des symptômes graves du Covid-19 ou de mourir du virus. Aux États-Unis, par exemple, environ 40% des décès dus au Covid-19 signalés par l’État concernaient des personnes qui vivaient en institution. Comment mieux protéger les droits des personnes âgées et des personnes handicapées ?

Une femme étreint sa mère âgée de 85 ans, à travers un mince rideau en plastique installé pour éviter le risque de propagation du Covid-19, dans une maison de retraite à São Paulo, au Brésil, en juin 2020. © 2020 Nelson Almeida/AFP via Getty Images

Le Covid-19 a eu un effet dévastateur sur la vie des personnes âgées. Aux États-Unis par exemple, 93% des décès dus au Covid-19 sont survenus chez des personnes de plus de 50 ans. Les droits des personnes âgées se sont retrouvés au cœur des débats partout dans le monde pendant la pandémie, avec l’expression publique de commentaires âgistes, des restrictions à la liberté de circulation discriminatoires fondées sur l’âge ou encore les systèmes d’enregistrement des vaccins en ligne, qui ont mis en évidence les obstacles auxquels les personnes âgées peuvent être confrontées dans l’accès en ligne de services essentiels. Dans les maisons de retraite, nous avons constaté une augmentation de l’utilisation de la contention chimique – quand des médicaments sont utilisés pour restreindre physiquement les personnes – et des interdictions de visite.

Trois ans après, tout cela semble avoir été oublié. Les droits des personnes âgées sont à nouveau invisibles. Ainsi, en février, le Secrétaire général des Nations unies et le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme n’ont pas reconnu ces droits lorsqu’ils se sont adressés au Conseil des droits de l’homme à l’occasion du 75ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’âgisme perdure.

Ces attitudes sont profondément enracinées et un changement radical est nécessaire pour mieux protéger les droits des personnes âgées. Les gouvernements, les prestataires de services, les personnalités publiques, nous tous, devrions reconnaître que les personnes âgées ont des droits et rejeter l’âgisme pour ce qu’il est : un préjugé. Une nouvelle convention des Nations unies sur les droits des personnes âgées constituerait un pas important dans cette direction. Les personnes âgées la réclament et les gouvernements devraient s’entendre pour commencer à la rédiger lorsqu’ils se réuniront à l’ONU pour discuter des droits des personnes âgées en avril 2023.

La pandémie de Covid-19 n’a fait qu’apporter de nouvelles preuves des nombreux risques liés à la vie en institution. Des données provenant du monde entier – non seulement des États-Unis, mais aussi de Grande-Bretagne, de France, d’Italie et de Russie, pour n’en citer que quelques-unes – ont montré que dès le début de la pandémie, les taux de décès et d’infection liés au Covid-19 étaient plus élevés dans les institutions de type résidentiel.

Cette situation n’a pas surpris ceux et celles d’entre nous qui ont passé des décennies à documenter les diverses violations des droits humains et les risques qui découlent de l’institutionnalisation – à commencer par le placement involontaire, la surpopulation, la négligence, la ségrégation et la maltraitance.

J’ai par exemple visité une institution en Serbie en 2015 et 2017 où j’ai vu jusqu’à 17 enfants et adultes handicapés vivant dans la même pièce, où ils passaient la majeure partie de leurs journées et de leurs nuits. Ils devaient souvent partager leurs vêtements. Certaines personnes handicapées aux besoins importants en matière d’assistance et de soins médicaux étaient cantonnées dans des salles surpeuplées qu’elles ne quittaient que rarement, même pour prendre l’air. Ces institutions n’étaient soumises à aucun contrôle indépendant permettant de s’assurer que les enfants et adultes handicapés qui y vivaient étaient protégés contre les abus et la négligence. Dans un rapport de 2016, nous avons publié ces conclusions et pointé d’autres problèmes graves, notamment la négligence et l’administration de médicaments inappropriés. Bien qu’elle ait publié des rapports périodiques sur les infections en institutions au cours de l’année 2020, la Serbie a refusé de publier les données sur le nombre de personnes handicapées et de personnes âgées décédées alors qu’elles vivaient en institution.

Quant à ce qui devrait changer pour mieux protéger les droits des personnes âgées et des personnes handicapées – que ce soit en période de pandémie ou non – je dirais qu’il faudrait avant tout sortir ces personnes des institutions. Il faudrait leur fournir l’aide et les services nécessaires pour qu’elles puissent vivre et participer à la vie de leur communauté. Le traité des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, ratifié par 185 pays dans le monde, exige des gouvernements qu’ils renoncent à l’institutionnalisation des personnes handicapées et qu’ils mettent en place un système d’aide à la vie en communauté qui respecte l’autonomie, la volonté et les préférences de la personne handicapée.

Pendant toute la durée de la pandémie, en particulier pendant les confinements, les signalements de cas de violence domestique se sont multipliés. Pourtant, de nombreuses femmes et jeunes filles ont été confrontées à des difficultés accrues pour accéder aux services d’aide aux survivantes. Que doivent faire les gouvernements pour remédier à cette situation ?

Ana et Leticia, deux membres du collectif Mujeres de la Tierra (« Femmes de la Terre ») qui les soutiennent, transportaient du maïs à Milpa Alta, au Mexique, le 16 février 2021. Ce collectif a été créé en mai 2020, lors de la pandémie de Covid-19, pour aider les survivantes de violences domestiques à gagner elles-mêmes un revenu. © 2021 Claudio Cruz/AFP via Getty Images

L’attention portée à la violence domestique pendant la pandémie était nécessaire et aurait dû se manifester bien avant. Malheureusement, les choses semblent être revenues à ce qu’elles étaient auparavant : les agresseurs ne sont pas tenus de rendre des comptes et les services d’aide aux survivantes sont surchargés et gérés principalement par des groupes actifs au niveau local, dont les budgets restent très limités.

Certains services, comme les refuges ou les centres de crise, ont rouvert leurs portes, ce qui permet aux survivantes de bénéficier à nouveau d’un soutien personnalisé. Mais d’autres ont maintenu certains changements qui peuvent poser problème aux survivantes. Par exemple, il arrive que les lignes téléphoniques d’urgence ou les services en ligne ne soient pas adaptés pour les femmes ou les jeunes filles qui vivent avec leurs agresseurs ou sont contrôlées par eux, tandis que les services qui fonctionnent uniquement sur rendez-vous ne répondent pas aux besoins dans les situations d’urgence.

Ce que nous constatons sans cesse, partout dans le monde, c’est que les gouvernements qui parlent de mettre fin à la violence contre les femmes et les jeunes filles ne font pas le nécessaire pour mettre en œuvre et appliquer les lois qui les protègent, ni pour financer et soutenir des prestataires de services débordés et en manque de ressources.

Les problèmes liés à la lutte contre la violence domestique n’ont pas été causés par la pandémie : celle-ci n’a fait que les aggraver. Ces problèmes résultent de l’incapacité des pouvoirs publics à financer les prestataires de services chargés de la prévention des violences à l’égard des femmes et des jeunes filles, de la protection des survivantes et de la condamnation des auteurs de ces actes. Ce qui est décevant, c’est qu’alors même que certains gouvernements donnent l’impression d’avoir pris conscience de l’impact des situations d’urgence sur la violence sexiste, ces derniers n’ont pas considéré la pandémie comme une véritable sonnette d’alarme en matière de violence domestique, et n’ont pas profité de l’occasion pour promouvoir les changements systémiques qui font cruellement défaut.

Dans certains cas, comme au Royaume-Uni, les gouvernements ont continué à exclure ouvertement certaines femmes ou jeunes filles des mesures de protection contre la violence domestique, même quand la pandémie s’est déclarée. Dans d’autres cas, comme en Turquie ou en Tunisie, la mauvaise application des lois expose les femmes et les jeunes filles à de graves risques de violence, parfois même de mort. Les gouvernements devraient s’engager à financer l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des jeunes filles. Ils devraient en particulier donner la priorité au financement de services spécialisés tels que les refuges et les services de santé mentale et de soutien juridique et socio-économique, notamment ceux destinés aux membres des groupes marginalisés et qui sont gérés par ces derniers. Ils devraient également renforcer et appliquer les lois pour améliorer les réponses policière et judiciaire – notamment les mesures de protection des femmes contre la violence, comme les mesures d’éloignement – et s’assurer que les auteurs de tels actes seront punis.

Ce serait une occasion manquée pour les gouvernements s’ils ne tiraient pas les leçons de ce que la pandémie a mis en évidence et ne remédiaient pas aux graves insuffisances de la lutte contre la violence domestique sur le long terme.

La pandémie a entraîné une recrudescence du racisme et des crimes de haine à l’encontre de nombreuses communautés asiatiques dans le monde. Les communautés asiatiques sont-elles toujours prises pour cible ? Que devraient faire les gouvernements ?

Des manifestants participaient à un rassemblement contre la haine et les préjugés anti-asiatiques dans le quartier de Chinatown à Seattle, dans l’État américain de Washington, le 13 mars 2021. © 2021 David Ryder/Getty Images

La pandémie a entraîné une recrudescence des crimes de haine contre les Asiatiques dans le monde entier, avec parfois des conséquences violentes, voire mortelles. Dans certains pays, des responsables du gouvernement ont contribué à attiser la haine en diffusant de fausses informations ou en faisant des commentaires ou des déclarations racistes. Dans certains cas, la haine s’est également propagée à d’autres minorités.

De 2020 à 2021, alors que la pandémie se propageait, les crimes de haine contre les Asiatiques ont augmenté de 339% aux États-Unis. En 2022, leur nombre a légèrement diminué par rapport à 2021, mais il est resté plus élevé qu’avant la pandémie. L’année dernière, de nombreux incidents et attaques racistes ont été signalés, mais ces chiffres ne reflètent pas nécessairement la réalité, car il est fréquent que les crimes de haine ne soient pas signalés. Une étude de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a d’ailleurs montré que 9 crimes de haine sur 10 n’étaient pas signalés.

Face à l’augmentation des crimes de haine contre les Asiatiques, un Américain d’origine asiatique sur trois déclare avoir changé ses habitudes quotidiennes de peur d’être attaqué. Certains rappellent que le racisme anti-asiatique existe depuis longtemps, mais qu’il n’a pas été pris au sérieux jusqu’à récemment.

Les gouvernements devraient prendre des mesures pour prévenir la violence et la discrimination racistes et xénophobes et être attentifs aux discours susceptibles de conduire à une augmentation de la violence visant des communautés spécifiques. Les gouvernements devraient également s’assurer que les données sur les crimes de haine soient recueillies et que les incidents qui sont signalés fassent l’objet d’une enquête. Là où les crimes de haine anti-asiatiques sont nombreux, les dirigeants aux niveaux local et national devraient engager un dialogue et élaborer des stratégies avec les communautés concernées, tout en veillant à ce que ressources et services soient accessibles.

L’un des moyens de lutter contre le racisme à long terme est de veiller à ce que les différentes cultures, religions et stéréotypes qui s’y rapportent, ainsi que les événements historiques qui concernent les différentes communautés, soient abordés dans le cadre des programmes scolaires.

Comment les migrants et les demandeurs d’asile qui vivent dans des pays où les gouvernements les excluent des soins de santé ont-ils vécu la pandémie ?

Des réfugiés syriens regardent des travailleurs des services d’assainissement libanais pulvériser du désinfectant près d'un bâtiment en construction qu'ils utilisaient comme abri dans la ville de Sidon, au sud du Liban, le 22 mars 2020, dans le cadre de mesures anti-Covid. © 2020 Mahmoud Zayyat/AFP via Getty Images

Même avant le début de la pandémie, les réfugiés syriens au Liban étaient confrontés à des politiques discriminatoires et à des restrictions qui rendaient difficile leur accès à de nombreux services, notamment aux soins de santé. Au début de la pandémie, les municipalités libanaises ont profité de la pandémie de Covid-19 pour imposer des couvre-feux discriminatoires et des restrictions à la liberté de circulation qui ne s’appliquaient qu’aux réfugiés syriens. En conséquence, de nombreux réfugiés syriens ont rencontré des difficultés d’accès aux ressources sanitaires et aux produits de première nécessité.

Au début, même l’accès aux vaccins était difficile pour les réfugiés, bien que le gouvernement libanais se soit engagé à vacciner tous les habitants du pays. De nombreux réfugiés manquaient d’informations sur le vaccin, sur la manière de s’inscrire pour obtenir un vaccin ou encore sur les endroits où se rendre. De nombreux réfugiés syriens craignaient d’être arrêtés, détenus ou même expulsés s’ils s’inscrivaient pour se faire vacciner sur une plateforme gérée par le gouvernement, surtout s’ils n’avaient pas de permis de séjour au Liban. De nombreux réfugiés ont également estimé qu’il leur serait difficile de se rendre dans les centres de vaccination en raison des restrictions à leur liberté de circuler et des coûts de transport. Les mesures coercitives extrêmes auxquelles les réfugiés syriens sont confrontés au Liban n’ont fait qu’empirer pendant la pandémie, et les réfugiés syriens ont fini par mourir du Covid-19 à un taux plus de quatre fois supérieur à la moyenne nationale.

La pandémie de Covid-19 a eu des répercussions considérables à l’échelle mondiale. Les gouvernements n’étaient pas préparés et nombre d’entre eux ont violé les droits humains dans leur réponse à la pandémie. Au niveau international, comment se prépare-t-on aux futures pandémies et urgences sanitaires ?

Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, et la ministre belge de la Coopération au développement, Meryame Kitir, visitaient un centre de vaccination par ARNm soutenu par l'OMS, au Cap, en Afrique du Sud, le 11 février 2022. © 2022 Shelley Christians/Reuters

L’une des principales mesures prises par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a consisté à proposer la création d’un Traité sur les pandémies. Ce traité tente de tirer les leçons – bonnes et mauvaises – de la pandémie actuelle de Covid-19 pour créer un cadre propice à la collaboration internationale pour se préparer à la prochaine pandémie.

En substance, ce texte pourrait préciser ce qui doit être mis en place dès maintenant pour éviter que ne se reproduise la situation désastreuse qui a prévalu au plus fort de la pandémie de Covid-19, à savoir l’accaparement des vaccins par les pays riches et le refus des sociétés pharmaceutiques de partager le secret de fabrication des vaccins avec les fabricants des pays du Sud.

En prévision d’une inévitable future pandémie, la communauté internationale peut-elle trouver des moyens de collaborer, de partager les informations scientifiques et de placer les droits humains, en particulier le droit à la santé, au centre de ses processus décisionnels ? Cela couvrirait tous les aspects du problème, de la distribution des vaccins à l’accès aux masques pour les travailleurs de santé.

J’espère que le traité sur les pandémies remettra en question la logique de maximisation des profits des entreprises pharmaceutiques et la domination euro-américaine sur l’architecture mondiale de la santé. Dans le même temps, il faut être réaliste sur ce qu’un traité international peut ou ne peut pas faire. Mais ce à quoi nous nous engageons à Human Rights Watch, c’est à travailler avec d’autres groupes de la société civile pour faire pression sur les gouvernements et l’OMS pour qu’ils intègrent le droit à la santé dans le Traité sur les pandémies, afin que nous ne répétions pas les échecs catastrophiques de ces dernières années.

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Traduction en français réalisée par David Boratav.