Tout au long de l'année 2024, l'Union africaine (UA) a réaffirmé ses engagements en faveur de la protection des droits humains et d'une gouvernance démocratique sur l'ensemble du continent. Les dirigeants de l'UA ont toutefois fait preuve d'un manque persistant de volonté politique, entravant la capacité de l’organisation à traiter efficacement certaines questions centrales, notamment celle des conflits armés, entrainant de graves conséquences pour les civils et des atteintes généralisées aux droits fondamentaux. L'UA n'a pas répondu avec la même énergie à toutes les crises du continent, manquant parfois à ses obligations et invoquant le principe de subsidiarité vis-à-vis des organes régionaux pour justifier son inaction.
Actualités institutionnelles
En septembre, 51 chefs d'État africains, ainsi que le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat, ont participé au Forum sur la coopération sino-africaine, qui s'est principalement concentré sur des questions de développement et de financement, éclipsant des préoccupations pourtant urgentes en matière de droits humains. Moins de 20 chefs d'État africains étaient présents à New York pour l'Assemblée générale des Nations unies (AGNU). Les membres du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'UA ont discuté des relations civilo-militaires et de la gestion des conflits en Afrique en marge de l'AGNU, sans aborder le conflit au Soudan toutefois.
La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) a tenu quatre sessions en 2024. Lors de sa session de juin, elle a jeté les bases d'une observation générale sur le droit au développement, contribuant aux efforts centraux déployés par l'UA vis-à-vis de ce droit.
Le 37e sommet de l'UA tenu en février a fait de l'éducation le thème annuel de l'Union. La direction des réformes de l'UA est passée du président rwandais Paul Kagame au président kenyan William Ruto, qui avait appelé à des réformes octroyant à l'UA une autonomie financière. L'organisation élira un nouveau président de sa commission en février 2025, en remplacement de Moussa Faki Mahamat qui achève son second mandat.
Protection de droits humains et processus de paix en République démocratique du Congo
L'UA s'est largement appuyée sur des initiatives régionales pour répondre à la crise dans l'est de la RD Congo, avec des résultats limités et de lourdes conséquences pour les populations civiles.
En 2024, l’armée rwandaise et le groupe armé M23 ont poursuivi leur offensive dans la province du Nord-Kivu et ont commis de graves violations du droit international humanitaire. L'armée congolaise et une coalition de milices responsables d'abus ont également été impliquées dans des violations du droit de la guerre dans leur réponse et ont augmenté le risque auquel sont confrontées les personnes déplacées. Environ 2,4 millions de personnes ont été déplacées, tandis que les combats près de Goma ont affecté l'acheminement de l'aide humanitaire.
En juillet, le CPS a réitéré l'importance des processus de Nairobi et de Luanda en tant que « cadres viables pour la réconciliation entre la RDC et le Rwanda ». Bien que le CPS ait exprimé ses préoccupations concernant le rôle de « forces négatives » et encouragé le dialogue direct entre les deux États, il n'a pas dénoncé publiquement la responsabilité du Rwanda et d'autres parties dans des exactions.
En mars, le CPS a chargé la Commission de l'UA de transférer des fonds depuis les Fonds pour la paix de l'UA et de faciliter le transfert des équipements donnés à la Mission de la Communauté de développement de l'Afrique australe en République démocratique du Congo (SAMIDRC), qui a été déployée en janvier 2024. Toutefois, il se peut que ces contributions limitées ne permettent pas à la mission de soutenir efficacement les forces congolaises. La SAMIDRC a pris le relais après le départ d’une force régionale d'Afrique de l'Est, qui a retiré ses troupes en décembre 2023.
Le processus de médiation de Luanda entre le Rwanda et la RD Congo a permis de conclure un accord de cessez-le-feu entre les forces armées congolaises et le M23 en juillet. L’accord a toutefois été rapidement violé.
Bien qu'elle ait tiré la sonnette d'alarme sur des violations commises à l'encontre des personnes déplacées dans les provinces de l'Est de la RD Congo, la CADHP n'a pas encore pris de mesures fortes pour lutter contre les abus liés au conflit dans cette région, y compris dénoncer les violations commises par toutes les parties au conflit.
Crise des droits humains au Sahel : Burkina Faso, Mali et Niger
Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont été suspendus de l'UA à la suite des changements anticonstitutionnels de gouvernement intervenus dans les trois pays. Dans les trois cas, les autorités militaires ont sévèrement restreint les droits et libertés fondamentales, rétrécissant l'espace civique, politique et médiatique. Les forces armées du Mali aux côtés des combattants de Wagner aussi bien que les forces armées du Burkina Faso et des milices alliées ont perpétré de graves violations des droits humains contre les civils dans le cadre d’opérations de contre-terrorisme menées contre les groupes armés islamistes. Ces derniers, aussi responsables d'abus, ont gagné du terrain dans la région du Sahel tout au long de l'année 2024.
L'UA s'est appuyée sur la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) pour traiter ces questions. Pourtant, la relation entre la CEDEAO et les trois pays du Sahel semble définitivement rompue, ces derniers s'étant retirés du traité de la Communauté au début de l'année 2024. Cela a eu pour conséquences de priver les citoyens des trois pays de la possibilité de demander justice pour des abus auprès de la Cour de justice de la CEDEAO.
La CADHP a suivi des cas individuels de violations des droits humains au Burkina Faso, notamment l'enlèvement de Daouda Diallo, éminent défenseur des droits, et a demandé aux autorités d'ouvrir une enquête sur le massacre de civils dans le village de Zaongo, dans la région du Centre-Nord, en novembre 2023. La CADHP a aussi demandé des nouvelles sur les enquêtes sur des abus liés au conflit et a soulevé des allégations de disparitions forcées auprès des autorités burkinabè dans le cadre de l'examen des rapports des États du Burkina Faso en octobre.
La réponse de l'UA, y compris les activités de la CADHP, a été insuffisante au regard de l'ampleur des abus au Burkina Faso. Ces abus incluent ceux liés au conflit, dont les crimes contre l'humanité présumés commis par les forces de sécurité burkinabè, ainsi que la répression croissante par la junte de l'opposition, des médias et de la dissidence.
En ce qui concerne le Mali, la CADHP a dénoncé les restrictions imposées à l'espace civique à la suite de la suspension de partis politiques et d'associations. Elle a dénoncé l'attaque d'un bateau par un groupe armé islamiste en septembre 2023, tout en reconnaissant d'autres abus de la part de ces groupes, sans toutefois traiter des abus des acteurs étatiques et de leurs alliés de manière appropriée.
Incapacité à protéger les civils malgré la persistance des atrocités au Soudan
Malgré des efforts pour jouer un rôle moteur dans la réponse internationale pour résoudre la crise au Soudan, notamment en mobilisant de nouveaux mécanismes tels que le Panel de Haut Niveau sur la résolution du conflit au Soudan, le comité des cinq chefs d'Etat initié par le CPS et l'envoyé spécial de l'UA pour la prévention du crime de génocide et des autres atrocités de masse, l'UA n’a pas pris de mesures concrètes pour empêcher la commission d’atrocités au Soudan. Les efforts de l'Union se sont apparemment concentrés sur la médiation et la cessation des hostilités, mais n'ont pas permis de protéger les civils qui ont continué à subir les conséquences du conflit de plein fouet.
Human Rights Watch plaide pour que l'UA déploie une mission de protection des civils bénéficiant du soutien des Nations Unies.
Depuis que le conflit au Soudan entre les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide a éclaté en avril 2023, d’innombrables civils ont été tués et des millions ont été déplacés à l'intérieur du pays et dans les pays voisins. Les deux parties belligérantes ont fait preuve d'un mépris flagrant pour les droits humains et le droit international humanitaire, ce qui a donné lieu à des crimes de guerre et à d'autres atrocités, y compris de graves violations à l'encontre des enfants.
Le 25 septembre, le CPS a réitéré son appel à un cessez-le-feu et a souligné la nécessité de prendre des mesures visant à protéger les civils au Soudan.
Le 21 juin, le CPS a déploré le caractère « catastrophique » et « sans précédent » de la situation humanitaire et condamné les violations des instruments de l'UA en matière de droits humains et du droit humanitaire international. Il a chargé le Panel de Haut Niveau sur le Soudan et l'Autorité intergouvernementale pour le développement (Intergovernmental Authority on Development, IGAD) de faire état de ces violations afin de mettre en place des mesures préventives et a demandé à la Commission de l'UA, en coordination avec la CADHP, d'enquêter et de formuler des recommandations sur les mesures à prendre pour protéger les civils.
Lors d'une réunion tenue le 14 juin, le CPS a exploré les possibilités de financement de mesures de protection des civils dans le cadre de la disposition non encore utilisée créée par la résolution 2719 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le 21 mai, le CPS a demandé que le Panel de Haut Niveau collabore avec l'envoyé spécial de l'UA pour la prévention des génocides afin d'élaborer une stratégie visant à mettre fin aux atrocités et à protéger les civils. La persistance des atrocités nécessite l'inclusion continue de l'envoyé spécial dans la réponse de l'UA.
En août, la CADHP a décidé de mener une mission d'enquête conjointe avec le département des affaires politiques, de la paix et de la sécurité de l'UA sur la situation des droits humains au Soudan. La mission est composée de cinq commissaires, dont des titulaires de mandats relatifs à des mécanismes spéciaux, ce qui lui permet d'aborder des aspects essentiels de la crise au Soudan, tels que la violence sexuelle et les droits des communautés déplacées.
Toutefois, la durée prévue de l'enquête pourrait en limiter la précision et la qualité, et l'on ne sait toujours pas si et comment la CADHP conservera les éléments de preuve recueillis à des fins de reddition des comptes pour les crimes graves commis par les parties belligérantes.
L'impossibilité pour la mission conjointe d'accéder aux zones fortement touchées par le conflit en l'absence du consentement des parties belligérantes a suscité de vives inquiétudes. Compte tenu des difficultés rencontrées pour mener des enquêtes dans les zones de conflit au Soudan, l'accès de l'équipe de la mission aux pays voisins est essentiel. Indépendamment de l'accès, la mission conjointe a besoin d'un important soutien politique et financier et de la protection de ses observateurs, afin de s'assurer qu'elle dispose des ressources et de la légitimité nécessaires à l'accomplissement de son mandat.
Recul sur les droits des femmes et des filles
En mai, la CADHP a adopté une position régressive concernant les droits économiques, sociaux et culturels dans sa communication 564/15, arguant que « ...chaque État se fixe des objectifs à atteindre pour les réaliser ». Ce propos constitue une négation de la nature objective de l'obligation qui incombe aux États de respecter, protéger et de mettre en œuvre ces droits, y compris en matière de santé sexuelle et reproductive. La CADHP a également estimé que les actes de violence obstétrique ne pouvaient être considérés comme des traitements dégradants et humiliants ayant pour effet de retarder l'accès des femmes et des jeunes filles aux soins de santé maternelle. Cette position est contraire aux définitions de la torture dans la jurisprudence internationale en matière de droits humains, ainsi qu'aux recherches menées par la société civile et les journalistes.
En avril, l'étude continentale sur la grossesse chez les adolescentes du Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant a montré qu'une adolescente sur cinq en Afrique tombe enceinte avant l'âge de 19 ans. Des milliers de filles sont victimes de discrimination ou exclues des écoles parce qu'elles sont enceintes, mères ou mariées, alors que les États membres prennent des mesures aux résultats mitigés pour protéger les filles.
Coopération avec les Nations unies
L'UA et l'ONU ont poursuivi leur projet de mission de maintien de la paix en Somalie sous l'égide de l'UA puisque la mission en cours arrivait à expiration en décembre 2024. La nouvelle mission donnera la priorité aux mesures de consolidation de la paix afin de « défaire Al Shabaab, d'assurer la sécurité et de donner la priorité à la protection des civils en Somalie ». Le CPS a fortement insisté sur le besoin de financement et a demandé qu'un mécanisme conforme à la résolution 2719 du Conseil de sécurité des Nations unies soit mis en place pour assurer la stabilité financière de la mission.
Droits des personnes réfugiées et migrantes
Par le biais d'accords bilatéraux avec des pays africains, précédemment dénoncés par l'UA, l'Union européenne et ses États membres ont continué à mener des politiques d'externalisation de leurs frontières, cherchant à sous-traiter et à se soustraire à leurs responsabilités en matière d'asile.
L'UA et les États membres ont poursuivi leurs efforts pour mettre en œuvre le Pacte mondial sur les migrations de 2018, notamment par le biais de l'examen régional pour l'Afrique. La CADHP a également adopté un nouveau protocole visant à éradiquer l'apatridie.
Une résolution de mars de la CADHP a appelé les États à réduire les déplacements internes forcés et les violations à l'encontre des personnes déplacées.
Droits des personnes âgées
Des dizaines d'États membres doivent encore ratifier le protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des personnes âgées en Afrique, qui, au 1er octobre, avait besoin d'une ratification supplémentaire pour entrer en vigueur. Si le protocole prévoit d'importantes protections du point de vue des droits humains, une ratification plus large et une mise en œuvre conforme aux normes internationales, notamment en ce qui concerne les droits à la capacité juridique et à l'autonomie au sein de la communauté, sont essentielles pour garantir que les personnes âgées jouissent de leurs droits sur une base d'égalité avec les autres.