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Haïti

Événements de 2023

Des Haïtiens, dépourvus d'eau courante à leur domicile, recueillaient de l'eau dans un ravin à Port-au-Prince, le 21 mars 2023.

© 20223 AP Photo/Odelyn Joseph

En 2023, les crises affectant Haïti dans les domaines sécuritaire, judiciaire, politique et humanitaire se sont aggravées. Le nombre de meurtres, d’enlèvements et de violences sexuelles perpétrés par des bandes criminelles a considérablement augmenté. La réponse de l’État a été faible, voire inexistante, et le système judiciaire a à peine fonctionné.

Plus de 40 % des habitants d’Haïti ont connu une sérieuse insécurité alimentaire. L’accès à l’électricité, à de l’eau potable, à des installations sanitaires, à des soins médicaux et à l’éducation a été gravement limité.

En octobre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a autorisé le déploiement en Haïti d’une Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), dirigée par le Kenya et chargée d’améliorer la sécurité.

Le Premier ministre, Ariel Henry, n’est pas parvenu à un consensus avec les autres acteurs politiques haïtiens et les représentants de la société civile pour permettre une transition démocratique.

En dépit des conditions de vie très précaires dans le pays, les gouvernements étrangers ont renvoyé plus de 100 000 personnes en Haïti entre janvier et août ; la République dominicaine compte pour 94 % de ces retours forcés.

Crise politique

Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, le Premier ministre Henry, qui n’a jamais reçu l’aval du Parlement et, par conséquent, ne dispose pas d’un mandat constitutionnel, gouverne par décret. Le Parlement est dysfonctionnel depuis 2019, lorsque le président Moïse a refusé d’organiser des élections législatives. Depuis janvier 2023, le pays n’a eu aucun nouveau responsable élu au niveau national.

En juin 2023, Ariel Henry et des dirigeants politiques et civiques haïtiens se sont réunis à la Jamaïque, sous l’égide du Groupe de personnalités éminentes de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), constitué de trois anciens Premiers ministres de la région, afin de rechercher une solution politique à la crise. Mais ils n’ont pas réussi à trouver un consensus. Certains partis politiques et des organisations de la société civile ont signé la Déclaration conjointe de Kingston, appelant à la formation en Haïti d’un gouvernement d’unité nationale. Neuf importantes organisations haïtiennes de défense des droits humains et une organisation de la diaspora haïtienne aux États-Unis ont appelé la communauté internationale à cesser de soutenir les éléments qui sont à l’origine de la crise en Haïti et d’appuyer plutôt la mise sur pied d’un gouvernement de transition, « dirigé par des technocrates qui s’engageraient à ne pas participer à de futures élections et qui s’efforceraient … d’organiser des élections libres, équitables et crédibles ».

Un système de justice pénale dysfonctionnel

Le fonctionnement du système judiciaire haïtien est entravé par l’insécurité, la corruption, les grèves et les ingérences politiques. Les bandes criminelles se sont emparées de certains palais de justice, notamment du Tribunal de paix à Cité Soleil en juillet 2020 et du Palais de justice de Port-au-Prince, le principal complexe judiciaire du pays, en juillet 2022. Il semble qu’elles ont volé ou détruit des pièces de dossiers et des archives qu’il pourrait être impossible de récupérer, car les tribunaux haïtiens ne disposent pas de copies numérisées de leurs dossiers. Ces tribunaux n’ont pas été réinstallés ailleurs.

Aucun progrès n’avait été effectué, jusqu’à octobre, dans les enquêtes sur les massacres commis à La Saline en 2018, à Bel Air en 2019, à la Plaine du Cul-de-Sac et à Cité Soleil en 2022 et à Carrefour-Feuilles en 2023.

Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), l’organe de supervision du système judiciaire, a refusé de certifier 28 juges et procureurs en janvier et 12 autres en juin, invoquant des abus d’autorité, des références invalides et des remises en liberté illégales de détenus, entre autres raisons. Il n’existe pas de mécanisme permettant de faire appel des décisions du CSPJ.

En février 2023, le Premier ministre Henry a nommé huit juges à la Cour de Cassation, la Cour suprême d’Haïti, afin de lui permettre de fonctionner après une période de plus d’un an lors de laquelle elle n’avait pas assez de magistrats pour atteindre un nécessaire quorum. Les organisations de la société civile ont argué qu’en la matière, Ariel Henry n’avait pas respecté la procédure constitutionnelle applicable pour ces nominations.

À fin septembre, les prisons d’Haïti contenaient plus de trois fois leur capacité de détenus. La plupart de ces 11 784 détenus — dont 84 % étaient en détention préventive en l’attente d’un procès — vivaient dans des conditions inhumaines, privés d’accès à une nourriture adéquate, à de l’eau ou à des soins médicaux. De janvier à fin septembre, 128 détenus sont morts, pour la plupart de maladies liées à la malnutrition.

De nouveaux codes de procédure pénale et criminelle, prévoyant des solutions alternatives à la détention préventive avant procès, doivent entrer en vigueur en juin 2024.

L’enquête sur l’assassinat du président Moïse

Le président Moïse a été assassiné le 7 juillet 2021. Au mois de mai 2023, 45 personnes étaient en détention préventive en Haïti dans l’attente d’un procès dans cette affaire, dont 18 anciens officiers de l’armée colombienne, dont les familles se sont plaintes du fait qu’ils ne disposaient pas d’une assistance juridique et étaient maltraités et détenus dans des conditions inhumaines. En octobre, la police a arrêté un important suspect.

Des procureurs américains affirment que les conspirateurs avaient initialement prévu d’enlever Moïse mais avaient ensuite décidé de le tuer, espérant obtenir des contrats du gouvernement sous son successeur. Des juges américains ont condamné un homme d’affaires ayant la double nationalité haïtienne et chilienne et un ancien colonel de l’armée colombienne à la prison à perpétuité pour leurs rôles dans l’assassinat. Un ancien sénateur haïtien a plaidé coupable ; l’annonce de sa peine était prévue pour le 19 décembre. Neuf autres accusés attendent d’être jugés aux États-Unis.

Les violences perpétrées par les bandes criminelles

Les agences de l’ONU estiment que plus de 300 bandes criminelles contrôlaient 80 % de la capitale d’Haïti, Port-au-Prince, au mois de septembre. Beaucoup d’entre elles sont réputées avoir des liens avec des membres des élites politiques et économiques, ainsi qu’avec des membres de la police.

Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) a recensé les meurtres de 3 156 personnes — dont 36 agents de police — et 1 284 enlèvements perpétrés par ces groupes de janvier à fin septembre 2023.

Les bandes criminelles ont continué de recourir aux violences sexuelles pour terroriser la population et affirmer leur contrôle. Médecins Sans Frontières (MSF) a affirmé avoir porté secours à 1 005 victimes de violences sexuelles dans ses hôpitaux à Port-au-Prince entre janvier et mai 2023, soit près du double du nombre enregistré pour la même période de 2022.

Human Rights Watch a documenté des abus commis par les gangs criminels dans quatre communes de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, notamment les meurtres de 67 personnes — dont 11 enfants et 12 femmes — et les viols de 23 femmes et filles. Des victimes ont relaté à Human Rights Watch comment elles avaient été capturées dans la rue et traînées à l’écart, violées collectivement et obligées de regarder pendant que des personnes étaient tuées à coups de machette et par balles.

Le HCDH a documenté des dizaines d’agressions sexuelles perpétrées contre des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) par des membres de gangs entre janvier et juin 2022. Des victimes de sexe féminin ont affirmé que les bandes criminelles leur avaient fait subir des « viols correctifs », afin de les « soigner ».

Le gouvernement haïtien a failli à sa responsabilité de protéger la population contre les violences criminelles, qui ont été exacerbées par un flot continu d’armes et de munitions vers Haïti, essentiellement en provenance de l’État américain de Floride.

Souvent en collusion avec la police, le mouvement de justice populaire expéditive Bwa Kale est réputé avoir tué plus de 420 personnes soupçonnées d’être membres de gangs criminels entre janvier et fin septembre, selon le HCDH. Human Rights Watch a vérifié des éléments factuels affichés sur les réseaux sociaux et sur les sites de médias d’information confirmant quatre attaques en mars et avril, dont trois ont eu lieu à proximité immédiate de commissariats de police.

En représailles, les bandes criminelles ont formé leur propre mouvement, Zam Pale. Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a mis en garde en juillet contre le fait que les mouvements Bwa Kale et Zam Kale ont « déclenché un nouveau cycle alarmant de violences » qui pourrait mener à de nouveaux recrutements d’enfants.

Agressions contre des journalistes

Au moins trois journalistes ont été tués entre janvier et fin mai 2023, a affirmé la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Au moins six personnes travaillant pour les médias ont été enlevées en 2023 et d’autres se sont enfuis de leur domicile pour échapper à l’escalade de la violence, a affirmé en septembre le Comité pour la protection des journalistes.

Comportement de la police

La police a tué 407 personnes de janvier à fin septembre, a affirmé le Bureau intégré de l’ONU en Haïti (BINUH). Selon ce bureau, les procureurs attachés aux tribunaux des Cayes et de Miragoâne sont réputés avoir participé à sept exécutions extrajudiciaires et des individus vêtus d’uniformes de la police ont exécuté au moins 18 personnes à Tabarre.

Le Bureau des affaires internes de la police a ouvert des enquêtes sur des violations présumées des droits humains à l’encontre de 103 agents, entre janvier et fin septembre.

Abus sexuels dans le monde des sports

En 2020, le Comité d’éthique de la Fédération internationale de football association (FIFA) a radié à vie le président de la fédération haïtienne de football, Yves Jean-Bart, après la découverte de preuves qu’il avait systématiquement commis des abus sexuels à l’égard de membres de l’équipe féminine. En février 2023, le Tribunal arbitral du sport a annulé à tort la décision de radiation prise par la FIFA. Une procédure pénale contre Jean-Bart est en cours en Haïti. Plus d’une dizaine de victimes et de témoins, de sexe masculin et féminin, ont affirmé à Human Rights Watch qu’il contraignait des joueuses à avoir des rapports sexuels avec lui.

En juillet 2022, Evans Lescouflair, un ancien ministre des Sports, a été arrêté à Porto Rico et renvoyé en Haïti en conséquence de plaintes en justice portées par des personnes victimes d’abus sexuels lorsqu’elles étaient mineures. Il a été remis en liberté, dans l’attente du procès, en juin 2023.

Accès à l’avortement

En Haïti, l’avortement est actuellement totalement illégal. Un code pénal qui doit entrer en vigueur en 2024 le légalisera en toutes circonstances jusqu’à la 12ème semaine de grossesse et indéfiniment dans les cas de viol et d’inceste ou lorsque la santé mentale ou physique de la mère est en danger.

Droits des personnes handicapées

Bien qu’Haïti ait ratifié la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, ses lois contiennent toujours des terminologies offensantes et les personnes handicapées subissent des discriminations en matière d’accès à la santé, à l’éducation et à la justice. En outre, l’ostracisme dont elles sont victimes les expose à un risque élevé de subir des violences.

Les activistes locaux affirment que les personnes handicapées se heurtent à d’importants obstacles pour participer à la vie civique, notamment à des difficultés pour obtenir la carte nationale d’identité nécessaire pour pouvoir voter, parce que le Bureau national d’identification leur a été inaccessible.

Droits économiques et sociaux

Les crises sécuritaire et politique n’ont fait qu’aggraver une situation humanitaire déjà grave. De fortes inondations en juin et en juillet à travers le pays ont également mis en lumière la vulnérabilité d’Haïti aux catastrophes naturelles.

Selon la Banque mondiale, environ 59 % de la population d’Haïti, qui compte 11,5 millions d’habitants, vivaient avec moins de 3,65 dollars US par jour en 2023. Quelque 5,2 millions de personnes avaient besoin d’une aide pour s’alimenter et se loger, soit une hausse de 20 % par rapport à 2022 ; sur ce nombre, 4,9 millions de personnes étaient en situation de grave insécurité alimentaire.

Jusqu’au début de 2023, seulement un tiers des Haïtiens avaient accès à l’électricité, mais de manière intermittente et à un coût élevé. Seulement 55 % des ménages haïtiens avaient accès à de l’eau potable et les deux tiers de la population avaient un accès limité, voire pas d’accès du tout, à des services sanitaires, ce qui aggrave la propagation du choléra. À fin août, l’Organisation panaméricaine de la santé avait signalé 58 230 cas présumés de choléra, 3 696 cas confirmés et 823 décès depuis le début de l’actuelle épidémie en octobre 2022.

Les organisations internationales estiment que 75 % des établissements médicaux du pays ont des fournitures médicales inadéquates et un personnel insuffisamment formé. L’insécurité a déclenché un exode de prestataires de santé hors d’Haïti ces dernières années.

Près de la moitié des Haïtiens âgés d’au moins 15 ans sont illettrés ; en 2020, 46 % seulement des enfants ont achevé le cycle d’études primaires. La qualité et la disponibilité de l’enseignement public sont généralement basses, et 85 % des écoles primaires et encore plus d’écoles secondaires étaient privées en 2020. Les coûts de scolarité élevés, les attaques contre des écoles et contre des enfants sur le chemin de l’école, ainsi que le manque d’infrastructures et de personnel ont privé 4,2 millions d’enfants de leur droit à l’éducation, a affirmé l’UNICEF.

Déplacements intérieurs et migration

Près de 195 000 Haïtiens ont été déplacés à l’intérieur des frontières à cause des violences entre janvier 2022 et fin juillet 2023, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Beaucoup d’autres ont quitté le pays, souvent dans des conditions dangereuses.

L’OIM a signalé que de janvier à fin août 2023, des gouvernements étrangers ont renvoyé en Haïti 103 706 personnes, en dépit des risques pour leur vie ou leur intégrité physique et des appels de l’ONU pour que cessent ces retours forcés. La République dominicaine a effectué 94 % de ces retours ; les États-Unis, les Bahamas, les îles Turks et Caïcos, et Cuba étant responsables de l’essentiel du reste. En avril, le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale a exprimé sa grave préoccupation au sujet de la hausse des discours de haine et des violences racistes ou xénophobes à l’encontre d’Haïtiens vivant à l’étranger et du recours au profilage racial par les responsables de l’application des lois dans certains pays des Amériques.

Des travailleurs humanitaires ont affirmé à Human Rights Watch que les autorités dominicaines ont régulièrement rassemblé des personnes qu’elles soupçonnaient d’être de nationalité haïtienne, en se basant uniquement sur leur couleur de peau. Les autorités les ont alors emmenées à la frontière et les ont placées dans des cages sur des camions à plateforme pour attendre l’examen de leur cas, dans une chaleur écrasante et avec peu ou pas d’accès à de la nourriture ou à de l’eau, avant de les renvoyer en Haïti.

En septembre, la République dominicaine a fermé sa frontière terrestre avec Haïti, ainsi que tous les passages entre les deux pays par voie maritime et aérienne, à cause d’une querelle à propos d’une voie navigable. L’expert en matière de droits humains à Haïti désigné par l’ONU a averti que cela ne ferait qu’intensifier une crise déjà grave, car le pays importe au moins 25 % de sa nourriture, ainsi que ses fournitures médicales, de son unique voisin terrestre.

Principaux acteurs internationaux

Fin 2022, le Premier ministre Henry a demandé à la communauté internationale de déployer une force armée spécialisée, appel dont s’est fait l’écho le Secrétaire général de l’ONU. En juillet, le Kenya a offert 1 000 agents de police pour former et assister la police haïtienne. Les organisations de défense des droits humains ont exprimé leur inquiétude, compte tenu du bilan de la police kenyane en matière de violations des droits humains.

En octobre, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé le déploiement en Haïti de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) pour une période initiale de 12 mois, afin d’aider à améliorer la sécurité et à établir des conditions propices à la tenue d’élections libres et équitables. Les États-Unis ont promis en septembre de contribuer à cette mission à hauteur de 100 millions de dollars US.

La société civile haïtienne a appelé à la prise de fortes mesures de responsabilisation afin d’éviter une répétition de torts causés dans le passé par des interventions étrangères et a exhorté les gouvernements étrangers à cesser de soutenir le Premier ministre Henry, que de nombreux Haïtiens considèrent comme le chef d’un gouvernement illégitime ayant des liens avec les bandes criminelles.

En octobre 2022, le Conseil de sécurité de l’ONU a approuvé l’imposition de sanctions — consistant en des gels d’avoirs financiers, des interdictions de voyager et des embargos sur les armes — à l’encontre des chefs des bandes criminelles et d’autres personnes impliquées dans les violences. Jusqu’à mars 2023, les gouvernements étrangers avaient sanctionné 25 individus. En juillet, l’Union européenne (UE) a adopté son propre régime de sanctions concernant Haïti. En octobre, le Conseil de sécurité a prorogé pour un an ses mesures de sanctions en élargissant le champ de l’embargo sur les armes, interdisant toute vente ou transfert d’armes par des pays étrangers à Haïti globalement, sauf pour la mission autorisée par l’ONU et pour les forces d’application des lois.

En avril 2023, à la propre initiative d’Haïti, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté par consensus une résolution chargeant le Haut-Commissaire de désigner un expert sur la situation des droits humains en Haïti. Cet expert a achevé sa seconde visite officielle dans le pays en octobre.

L’ONU a lancé un appel de fonds de 720 millions de dollars US pour l’aide à Haïti pour 2023, soit près du double de celui de l’année précédente. Au mois de septembre, l’organisation n’avait réussi à lever que 26 % de ce montant.